Jurisprudence : CEDH, 10-06-1996, Req. 20/1995/526/612, Pullar c. Royaume-Uni

CEDH, 10-06-1996, Req. 20/1995/526/612, Pullar c. Royaume-Uni

A8413AWI

Référence

CEDH, 10-06-1996, Req. 20/1995/526/612, Pullar c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065339-cedh-10061996-req-201995526612-pullar-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

10 juin 1996

Requête n°20/1995/526/612

Pullar c. Royaume-Uni


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En l'affaire Pullar c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention (art. 43) de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
A. Spielmann,
N. Valticos,
Sir John Freeland,
MM. M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,
J. Makarczyk,
K. Jungwiert,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 janvier et 20 mai 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 20/1995/526/612. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 1er mars 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 22399/93) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Robert Pullar, avait saisi la Commission le 26 mai 1993, en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48), ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 de la Convention (art. 6).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30 du règlement A).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 5 mai 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, A. Spielmann, N. Valticos, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber, J. Makarczyk et K. Jungwiert, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement britannique ("le Gouvernement"), le conseil du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du requérant et du Gouvernement sont parvenus au greffe les 29 septembre et 2 octobre 1995, respectivement.

5. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 22 janvier 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme S.J. Dickson, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth,

agent, Lord Mackay of Drumadoon, Lord Advocate,
conseil, Mme S. O'Brien, Advocate, M.
J.L. Jamieson, Bureau des affaires

écossaises, M.
C. Baxter, Bureau des affaires écossaises, conseillers;

- pour la Commission

Mme J. Liddy,

déléguée;

- pour le requérant

M. D. Batchelor,

conseil, M. R. Carr, solicitor,

conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Liddy, Lord Mackay of Drumadoon et M. Batchelor.

EN FAIT

I. Les circonstances de la cause

6. Le requérant, M. Robert Pullar, est un citoyen britannique né le 9 octobre 1949. Avant sa condamnation, intervenue le 17 juillet 1992, il était membre élu du conseil régional de Tayside, collectivité locale écossaise.

A. Le procès

7. Le 13 juillet 1992, M. Pullar et un autre membre du conseil régional furent traduits devant le tribunal local (Sheriff Court) de Perth pour infraction à l'article 1 par. 1 de la loi de 1889 sur la corruption des organismes publics (Public Bodies Corrupt Practices Act 1889). Ils auraient proposé contre de l'argent à M. John McLaren, associé dans un cabinet d'architecture, et à M. Alastair Cormack, associé dans une entreprise de métrage, d'exercer leur influence sur le conseil pour appuyer leur demande de permis de construire, et de voter en leur faveur. MM. McLaren et Cormack étaient les principaux témoins à charge.

8. Parmi les citoyens convoqués comme jurés potentiels au tribunal local de Perth le jour du procès de M. Pullar se trouvait M. Brian Forsyth, employé subalterne du cabinet de M. McLaren, qui comptait au total quinze salariés. Il avait été engagé le 30 avril 1990 et informé le 10 juillet 1992 qu'il serait licencié à partir du 7 août suivant.

9. MM. Forsyth et McLaren pénétrèrent ensemble dans le tribunal. Aucun d'eux ne savait que M. Forsyth risquait d'être tiré au sort pour faire partie du jury siégeant au procès de M. Pullar, mais tous deux avaient connaissance du fait que M. McLaren devait y témoigner.

Lorsque M. Forsyth se rendit compte qu'il se trouvait dans le groupe de citoyens parmi lesquels les jurés au procès allaient être désignés, il informa le greffier qu'il travaillait pour le cabinet de M. McLaren. Le greffier lui demanda s'il connaissait M. Pullar ou son coprévenu, ou les circonstances de l'affaire. M. Forsyth ayant répondu par la négative, le greffier laissa son nom sur la liste des jurés potentiels et n'informa de sa conversation avec M. Forsyth ni le juge qui devait présider le procès (sheriff), ni le procureur (procurator- fiscal) qui devait conduire l'accusation, ni les avocats de la défense.

10. M. Pullar et son coprévenu plaidèrent non coupables. Le greffier procéda donc à la désignation des jurés par tirage au sort public (paragraphe 19 ci-dessous). Son nom ayant été tiré, M. Forsyth prêta serment avec les autres membres du jury. La défense reçut une liste mentionnant le nom, l'adresse et la profession des jurés, mais pas les

coordonnées de leurs employeurs (paragraphe 19 ci-dessous). Le juge ne demanda pas aux jurés retenus s'ils avaient une quelconque raison de ne pas participer au procès. Il n'existait en 1992 aucune règle générale incitant les juges à procéder de la sorte (paragraphe 21 ci-dessous).

11. Une heure environ après le début du procès, M. McLaren regarda dans la salle d'audience et aperçut M. Forsyth parmi les jurés. Il informa alors le greffier de ses rapports avec ce dernier. Le greffier lui apprit que celui-ci avait déjà indiqué ne pas connaître les prévenus ou les circonstances de l'espèce. Il regagna ensuite le prétoire, en omettant à nouveau d'en référer au juge, au procureur ou aux avocats de la défense.

12. MM. McLaren et Cormack indiquèrent tous deux dans leur déposition que les deux prévenus leur avaient réclamé de l'argent. Ce furent les seuls témoignages en ce sens. Dans son intervention à la fin de l'audience, l'avocat du coprévenu de M. Pullar demanda aux jurés d'indiquer au tribunal s'ils connaissaient personnellement M. McLaren ou M. Cormack, mais M. Forsyth ne dit mot.

13. A la fin du procès, le juge donna aux jurés les instructions suivantes: ils devaient apprécier sans passion la crédibilité de tous les témoins qu'ils avaient entendus; tout accusé étant présumé innocent, l'accusation doit prouver la culpabilité de l'intéressé au-delà de tout doute raisonnable; il leur précisa en outre que, pour prononcer une condamnation, il fallait des preuves convaincantes provenant de deux sources au moins.

Le 17 juillet 1992, les deux prévenus furent reconnus coupables par la majorité des quinze jurés. Le 6 août 1992, ils furent condamnés à douze mois d'emprisonnement et déchus de leur droit d'exercer une fonction publique pendant une période de cinq ans à compter du 17 juillet 1992.

B. L'appel

14. Les avocats de M. Pullar apprirent après la conclusion du procès le lien unissant M. Forsyth à M. McLaren. Le 22 juillet 1992, ils écrivirent à ce sujet au ministère public, puis firent appel de la condamnation et de la peine auprès de la High Court of Justiciary ("la High Court"), aux motifs notamment que le juge aurait dû signaler aux jurés, dès le début du procès, qu'ils devaient indiquer au tribunal s'ils connaissaient personnellement l'une des personnes citées dans l'acte d'accusation et que la participation de M. Forsyth aux délibérations et au vote du jury constituait une erreur judiciaire.

15. A la réception de la lettre des avocats, le ministère public obtint une déclaration de M. McLaren, dont est extrait le passage suivant:

"Je suis en mesure de confirmer que Brian Forsyth n'a pas
travaillé sur le projet d'aménagement relatif à l'A85
(c'est-à-dire l'objet du procès) et que je n'avais aucun motif
d'en parler avec lui. (...) J'ai discuté du travail avec mes
collègues, mais il n'y avait aucune raison qu'ils consultent
Brian Forsyth, qui était un employé subalterne dans mon cabinet.

Je n'ai pas non plus débattu avec Brian Forsyth de ce que je
savais des allégations portées contre [M. Pullar et son
coprévenu], bien que les journaux en aient fait état et que je
sois sûr que cette question a alimenté les conversations au
bureau."

Le ministère public n'avait pas initialement l'intention de produire cette déclaration devant la High Court. Toutefois, le premier jour de l'audience en appel, il apparut que ce texte renfermait plus de précisions que ce que savait l'avocat de M. Pullar. Il fut dès lors décidé de remettre la déclaration aux magistrats de la High Court. Le parquet en adressa aussi une copie aux avocats de M. Pullar et de son coprévenu ce même premier jour. Ces derniers n'ont pas eu l'occasion de contre-interroger M. McLaren pendant la procédure d'appel, mais ne se sont pas opposés à l'utilisation de cette déclaration et n'en ont pas non plus contesté l'exactitude (paragraphe 23 ci-dessous).

16. L'appel fut entendu les 5 et 12 février 1993 et rejeté le 26 février 1993.

Lord Hope, président de la section pénale de la High Court, fit observer que le greffier aurait dû informer le juge du lien unissant M. McLaren et M. Forsyth, ce qui aurait probablement conduit à récuser le juré en application de l'article 133 de la loi de 1975 sur la procédure pénale en Ecosse (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975); en effet, la défense aurait pu soulever à cet égard une objection au titre de l'article 130 par. 4 de la même loi (paragraphe 20 ci-dessous). Cependant, un simple soupçon de prévention de la part d'un juré ne suffit pas à justifier l'annulation d'un verdict; il faut pour cela prouver qu'il y a bien eu erreur judiciaire. Or rien ne démontrait que M. Forsyth eût quelque connaissance que ce fût des circonstances des infractions alléguées; quoi qu'il en soit, l'on ne pouvait présumer qu'il n'aurait tenu aucun compte des preuves et des instructions du juge et aurait voté en suivant ses préjugés personnels, au mépris de son serment de juré.

Lord Hope émit néanmoins plusieurs recommandations pratiques afin qu'une telle situation ne se reproduisît plus (Pullar v. Her Majesty's Advocate, Scots Criminal Case Reports 1993, p. 514; paragraphe 21 ci-dessous).

17. M. Pullar fut immédiatement incarcéré à la prison de Saughton et dut se démettre de ses fonctions au conseil régional. Il fut libéré le 1er octobre 1993.

II. Le droit et la pratique internes pertinents

A. Le jury

18. Dans tout procès pénal en Ecosse, c'est un jury composé de quinze hommes et femmes sans qualifications juridiques qui décide de toutes les questions de fait, y compris la crédibilité et la fiabilité des témoignages. Le premier devoir du juge est d'instruire le jury quant au droit applicable à l'affaire. Le jury peut rendre son verdict à la majorité simple.

19. L'article 3 de la loi de 1825 sur les jurés en Ecosse (Jurors (Scotland) Act 1825) prévoit l'établissement de listes d'hommes et de femmes semblant présenter les qualités requises pour être juré.

Chaque fois qu'un procès est prévu devant le tribunal local, le greffier dresse à partir de ces listes une "liste d'assises" mentionnant le nom, l'adresse et la profession des jurés potentiels. Les personnes figurant sur cette liste sont ensuite convoquées au tribunal au début de la session.

A ce stade, le greffier tape sur des bulletins le nom de chacune des personnes citées sur la liste d'assises et présentes dans le prétoire, conformément à l'article 129 de la loi de 1975 sur la procédure pénale en Ecosse (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975, "la loi de 1975"). Il place ensuite les bulletins dans un bocal ou une boîte et, si l'accusé plaide non coupable, désigne les jurés en tirant quinze bulletins au sort. Cette procédure se déroule publiquement, en présence de l'accusé ainsi que des avocats de la défense et de l'accusation. Les renseignements relatifs à chaque juré mentionnés sur la liste d'assises sont communiqués à la défense.

20. L'article 130 par. 1 de la loi de 1975 autorise la défense et l'accusation, dans tout procès et au moment de la constitution du jury, à récuser trois jurés sans indiquer de motif. En outre, les parties peuvent récuser un juré en justifiant d'un motif particulier, le tribunal de son côté pouvant écarter un juré de sa propre initiative à tout stade du procès (article 133 de la loi de 1975).

La High Court a décidé qu'un juré ne peut être exclu que pour des raisons personnelles bien précises, par exemple s'il est lui-même impliqué dans l'affaire ou s'il a des liens étroits avec une partie au procès ou avec un témoin (M. v. Her Majesty's Advocate, Scots Law Times 1974 (Notes), p. 25).

En vertu de l'article 134 de la loi de 1975, un procès peut se poursuivre avec un nombre de jurés inférieur à quinze, mais non à douze.

21. Avant que M. Pullar ne fît appel, le droit et la pratique écossais ne comportaient aucune règle permettant d'établir l'existence de motifs de récuser un juré potentiel. Dans sa décision relative à l'affaire Pullar v. Her Majesty's Advocate (Scots Criminal Case Reports 1993, p. 514), la High Court a émis des directives quant aux mesures à prendre à l'avenir pour éviter tout risque de préjugé envers l'accusé. Elle a notamment formulé les suggestions suivantes: à leur arrivée au tribunal, les jurés potentiels doivent être informés de l'identité de l'accusé, du plaignant et de toute autre personne citée dans l'acte d'accusation; le juge du fond peut, s'il le souhaite, demander aux jurés de lui dire si une raison particulière les empêche de faire partie du jury; tout membre du personnel judiciaire apprenant l'existence de faits laissant supposer qu'un juré connaît personnellement l'affaire ou risque d'être soupçonné de partialité doit en informer immédiatement le juge.

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