Jurisprudence : CEDH, 27-03-1996, Req. 16/1994/463/544, Goodwin c. Royaume-Uni

CEDH, 27-03-1996, Req. 16/1994/463/544, Goodwin c. Royaume-Uni

A8390AWN

Référence

CEDH, 27-03-1996, Req. 16/1994/463/544, Goodwin c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065316-cedh-27031996-req-161994463544-goodwin-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

27 mars 1996

Requête n°16/1994/463/544

Goodwin c. Royaume-Uni


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En l'affaire Goodwin c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 du règlement A de la Cour (2), en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
B. Walsh,
C. Russo,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
Mme E. Palm,
M. F. Bigi,
Sir John Freeland,
MM. A.B. Baka,
D. Gotchev,
B. Repik,
P. Jambrek,
P. Kuris,
U. Lohmus,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 septembre 1995 et 22 février 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 16/1994/463/544. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 20 mai 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 17488/90) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. William Goodwin, avait saisi la Commission le 27 septembre 1990 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 10 (art. 10) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné ses conseils (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 28 mai 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. B. Walsh, M. C. Russo, M. J. De Meyer, Mme E. Palm, M. A.B. Baka et M. B. Repik, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement britannique ("le Gouvernement"), les conseils du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 3 février 1995 et celui du requérant le 1er mars 1995. Le 19 avril 1995, le secrétaire de la Commission l'a informé que la déléguée ne présenterait pas d'observations écrites.

A différentes dates s'échelonnant entre le 12 avril et le 7 septembre 1995, le Gouvernement et le requérant ont transmis au greffier leurs observations au sujet des prétentions de ce dernier au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.

5. Le 24 février 1995, après avoir consulté la chambre, le président a accordé à Article 19 et Interights, deux organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme ayant leur siège à Londres, l'autorisation de soumettre des observations sur la législation interne en vigueur dans certains pays dans le domaine considéré en l'espèce (article 37 par. 2 du règlement A). Elles sont parvenues au greffe le 10 mars 1995.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 24 avril 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. I. Christie, ministère des

Affaires étrangères et du Commonwealth,

agent,
M. Baker QC,

conseil,
M. Collon, Lord Chancellor's Department,

conseiller;

- pour la Commission

Mme G.H. Thune,

déléguée;

- pour le requérant

MM. G. Robertson QC,

conseil,

G. Bindman, Solicitor,

R.D. Sack, Attorney, Mmes A.K. Hilker, Attorney,

L. Moore, Attorney, M. J. Mortimer QC,

conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Thune, M. Robertson et M. Baker ainsi qu'en leurs réponses à la question posée par l'un des juges.

7. A l'issue des délibérations du 27 avril 1995, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d'une grande chambre (article 51 par. 1 du règlement A).

8. La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. Ryssdal, président de la Cour, M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour, ainsi que les autres membres de la chambre qui s'est dessaisie (article 51 par. 2 a) et b) du règlement A). Le 5 mai 1995, le président a tiré au sort le nom des neuf juges supplémentaires, à savoir MM. F. Matscher, A. Spielmann, N. Valticos, R. Pekkanen, F. Bigi, D. Gotchev, P. Jambrek, P. Kuris et U. Lohmus, en présence du greffier (article 51 par. 2 c)). Par la suite, M. Pekkanen, empêché, s'est retiré (article 24 par. 1 combiné avec l'article 51 par. 6).

9. Ayant consulté l'agent du Gouvernement, la déléguée de la Commission et le requérant, la grande chambre a décidé le 4 septembre 1995 qu'il ne s'imposait pas de tenir une nouvelle audience après le dessaisissement (articles 26 et 38, combinés avec l'article 51 par. 6).

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

10. M. William Goodwin, de nationalité britannique, est un journaliste résidant à Londres.

11. Le 3 août 1989, il commença un stage de journaliste à The Engineer, journal édité par Morgan-Grampian (Publishers) Ltd ("l'éditeur"). Il était employé par Morgan Grampian PLC ("l'employeur").

Le 2 novembre 1989, il reçut un appel téléphonique d'une personne qui, selon ses dires, lui avait déjà communiqué des informations sur les activités de diverses sociétés. Cette personne lui fournit des renseignements sur Tetra Ltd ("Tetra"): la société était à la recherche d'un emprunt de 5 millions de livres sterling (£) et se trouvait confrontée à des problèmes financiers résultant d'une perte prévue de 2,1 millions £ pour 1989, sur un chiffre d'affaires de 20,3 millions £. L'intéressé n'avait pas sollicité ces informations, qu'il n'échangea pas contre paiement. Elles étaient fournies contre promesse de ne pas en révéler la source. D'après le requérant, il n'avait aucune raison de croire que l'information provenait d'un document volé ou confidentiel. Les 6 et 7 novembre 1989, il appela Tetra pour vérifier les faits et obtenir des commentaires sur les renseignements en question, car il avait l'intention d'écrire un article sur cette société.

Les informations provenaient d'un projet de plan de développement confidentiel de Tetra. Le 1er novembre 1989, il existait huit exemplaires numérotés de la version la plus récente du projet. Cinq se trouvaient en la possession de cadres de la société, l'un chez ses comptables, un dans une banque et un chez un consultant externe. Chaque exemplaire était rangé dans un classeur à anneaux et portait la mention "strictement confidentiel". L'exemplaire confié aux comptables avait été vu pour la dernière fois le 1er novembre à 15 heures environ, dans une pièce dont ils avaient l'usage dans les locaux de Tetra. Cette pièce était restée inoccupée entre 15 heures et 16 heures, intervalle de temps pendant lequel le document disparut.

A. Injonction et ordonnances de divulgation de l'identité de l'informateur et de production des documents

12. Le 7 novembre 1989, le juge Hoffmann de la High Court of Justice (Chancery Division) accéda à la demande présentée le jour même par Tetra, visant à obtenir une injonction provisoire non contradictoire interdisant à l'éditeur de The Engineer de publier toute information provenant du plan de développement. Le 16 novembre, la société informa de cette injonction tous les journaux britanniques et revues concernées.

13. Dans une déclaration écrite sous serment du 8 novembre 1989 adressée à la High Court, Tetra déclara que si le plan était rendu public, elle risquait d'être totalement discréditée aux yeux de ses créanciers actuels et potentiels, de ses clients et en particulier de ses fournisseurs, ce qui risquait de lui faire perdre des commandes et de lui valoir le refus de se faire fournir en biens et services. Cela rendrait difficiles les négociations qu'elle menait pour obtenir des crédits. Si la société était mise en liquidation, cela entraînerait le licenciement de quatre cents personnes environ.

14. Le 14 novembre 1989, à la demande de Tetra, le juge Hoffmann somma l'éditeur, en vertu de l'article 10 de la loi de 1981 sur le contempt of court ("la loi de 1981"; paragraphe 20 ci-dessous), de produire avant le lendemain 15 heures les notes prises par le requérant pendant sa conversation téléphonique avec son informateur, qui révélaient l'identité de ce dernier. Le 15 novembre, l'éditeur n'ayant pas obtempéré, le juge Hoffmann accorda à Tetra l'autorisation d'appeler en cause l'employeur du requérant et le requérant lui-même; il accorda aux défendeurs jusqu'au lendemain 15 heures pour remettre les notes en question.

Le 17 novembre 1989, la High Court prit une nouvelle ordonnance précisant que le requérant représentait toutes les personnes qui avaient reçu sans autorisation le plan ou des informations tirées de celui-ci et que ces personnes devaient restituer tous les exemplaires du plan en leur possession. L'assignation fut prorogée pour permettre au requérant de porter l'ordonnance à la connaissance de son informateur. Le requérant refusa néanmoins de s'exécuter.

15. Le 22 novembre 1989, le juge Hoffmann somma à nouveau le requérant de produire ses notes avant le 23 novembre à 15 heures, au motif qu'il était nécessaire "dans l'intérêt de la justice", au sens de l'article 10 de la loi de 1981 (paragraphe 20 ci-dessous), de connaître l'identité de l'informateur afin de permettre à Tetra d'engager contre lui une procédure pour rentrer en possession du document, obtenir une injonction interdisant toute autre publication et demander des dommages-intérêts pour les frais auxquels elle avait dû faire face. Le juge conclut:

"Il existe un commencement de preuve que Tetra a subi un
préjudice grave en raison du vol de son dossier confidentiel et
subirait des dommages commerciaux importants en cas de
divulgation dans un avenir proche des informations figurant dans
ce dossier. L'informateur pourrait certes ne pas être la même
personne que le voleur. Il a pu recevoir les renseignements d'un
intermédiaire, même si cela est peu probable. Dans les deux cas,
cependant, il essayait d'obtenir la publication, préjudiciable
à la société, d'informations dont le caractère sensible et
confidentiel n'avait pas dû lui échapper. D'après le défendeur,
son informateur l'a rappelé quelques jours après lui avoir
communiqué les renseignements pour lui demander où il en était
dans la rédaction de son article. La société plaignante souhaite
intenter une procédure à l'encontre de l'informateur afin de
récupérer le document en cause, obtenir une injonction
interdisant toute autre publication ainsi que des
dommages-intérêts pour les dépenses encourues. Or elle ne peut
user d'aucun de ces moyens car elle ne sait pas contre qui
diriger les poursuites. Vu l'urgence, en l'espèce, d'intenter
un recours contre l'informateur, j'estime qu'il est nécessaire,
dans l'intérêt de la justice, de divulguer son identité.

(...) Les preuves révèlent, sans doute aucun, que le requérant
a reçu les renseignements en cause en toute innocence, mais
l'affaire Norwich Pharmacal montre que cela n'entre pas en ligne
de compte. La question est de savoir s'il s'est trouvé impliqué
dans le méfait (...)

Dans une déclaration écrite certifiée sous serment, le
défendeur a exprimé l'avis que l'intérêt public commande de
publier les informations commerciales confidentielles de la
plaignante. L'avocat du défendeur déclare que les résultats de
la plaignante précédemment publiés la présentaient comme une
société prospère et en expansion; le public a donc le droit
d'apprendre qu'elle connaît désormais des difficultés. Je
rejette ce point de vue. Rien ne donne à penser que les
renseignements contenus dans le projet de plan de développement
prouvent la fausseté de ceux rendus publics en de précédentes
occasions, ni que la plaignante était tenue, que ce soit par la
loi ou la morale commerciale, de communiquer ces renseignements
à ses clients, fournisseurs et concurrents. Au contraire, il me
semble qu'une société ne peut fonctionner correctement s'il est
impossible de garder secret ce type d'information."

16. Le même jour, la cour d'appel débouta le requérant de sa demande de sursis à l'exécution de l'ordonnance de la High Court, mais la remplaça par une ordonnance le sommant soit de communiquer ses notes à Tetra, soit de les remettre à elle-même sous enveloppe cachetée avec déclaration sous serment concomitante. Le requérant n'obtempéra pas.

B. Recours devant la cour d'appel et la Chambre des lords

17. Le 23 novembre 1989, le requérant interjeta appel de l'ordonnance rendue la veille par le juge Hoffmann, aux motifs que la divulgation de ses notes n'était pas "nécessaire dans l'intérêt de la justice" au sens de l'article 10 de la loi de 1981, et que l'intérêt public que présentait la parution de l'information l'emportait sur celui de protéger la confidentialité; de plus, étant donné qu'il n'avait pas facilité la divulgation d'informations confidentielles, une ordonnance rendue à son encontre n'avait aucune valeur.

Le 12 décembre 1989, la cour d'appel débouta le requérant. Lord Donaldson déclara:

"L'existence d'une personne ayant accès à des informations
hautement confidentielles appartenant aux plaignants, personne
prête à faillir ainsi à son devoir de respect de la

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