Jurisprudence : CEDH, 16-02-2000, Req. 27798/95, Amann c. Suisse

CEDH, 16-02-2000, Req. 27798/95, Amann c. Suisse

A8248AWE

Référence

CEDH, 16-02-2000, Req. 27798/95, Amann c. Suisse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065175-cedh-16022000-req-2779895-amann-c-suisse
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Cour européenne des droits de l'homme

16 février 2000

Requête n°27798/95

Amann c. Suisse



AFFAIRE AMANN c. SUISSE

(Requête n° 27798/95)

ARRÊT

STRASBOURG

16 février 2000

En l'affaire Amann c. Suisse,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

Mme E. Palm, présidente,

MM. L. Wildhaber,

L. Ferrari Bravo,

Gaukur Jörundsson,

L. Caflisch,

I. Cabral Barreto,

J.-P. Costa,

W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. E. Levits,

K. Traja,

ainsi que de M. M. de Salvia, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 septembre 1999 et 12 janvier 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission »), dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 27798/95) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant, M. Hermann Amann, avait saisi la Commission le 27 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25. Désigné devant la Commission par les initiales H.A., le requérant a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.


La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 13 de la Convention.

2. Conformément à l'article 5 § 4 du Protocole n° 11, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu au titre de la Suisse (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement) et président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, tous deux vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 § 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. Gaukur Jörundsson, M. I. Cabral Barreto, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. B. Zupanèiè, Mme N. Vajiæ, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panþîru, M. E. Levits et M. K. Traja (article 24 § 3).

3. Devant la Cour, le requérant est représenté par Me L.A. Minelli, avocat au barreau de Zurich, que la présidente de la Grande Chambre, Mme Palm, a autorisé à employer la langue allemande (articles 34 § 3 et 71 du règlement). Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. P. Boillat, chef de la division des affaires internationales, Office fédéral de la justice.

4. Après avoir consulté l'agent du Gouvernement et le conseil du requérant, la Grande Chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience.

5. Le greffier a reçu les mémoires et documents du Gouvernement et du requérant les 15 et 22 avril et le 11 mai 1999 respectivement puis les mémoires et observations en réponse du Gouvernement et du requérant les 10 et 14 juin 1999.

6. M. Panþîru n'ayant pu prendre part aux délibérations du 12 janvier 2000, M. L. Caflisch, juge suppléant, l'a remplacé au sein de la Grande Chambre (article 24 § 1 et 5 b) du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant, né en 1940, est un homme d'affaires domicilié en Suisse. Au début des années 80, il importait en Suisse des appareils dépilatoires dont il faisait la publicité dans des magazines.

8. Le 12 octobre 1981, une femme téléphona au requérant de l'ambassade alors soviétique à Berne pour lui commander un appareil dépilatoire « Perma Tweez ».

9. Cet appel téléphonique fut intercepté par le ministère public de la Confédération (Bundesanwaltschaft, « le ministère public »), lequel demanda au service des renseignements de la police du canton de Zurich d'enquêter sur le requérant et la marchandise dont il assurait la distribution.

10. Le rapport établi par la police du canton de Zurich en décembre 1981 indiquait que le requérant, inscrit au registre du commerce depuis 1973, faisait le commerce d'aérosols. Il précisait que Perma Tweez était un appareil dépilatoire à pile ; un prospectus concernant cet appareil était annexé au rapport.

11. Le 24 décembre 1981, sur la base des indications fournies par la police du canton de Zurich, le ministère public rédigea pour son fichier destiné à assurer la protection de l'Etat une fiche sur le requérant.

12. En 1990, le public eut vent de l'existence du fichier du ministère public et de nombreuses personnes, parmi lesquelles le requérant, demandèrent à consulter leur fiche.

13. Diverses lois furent alors promulguées relatives à l'accès aux documents de la Confédération et au traitement de ces derniers.

14. Le 12 septembre 1990, le préposé spécial aux documents de la Confédération établis pour assurer la protection de l'Etat (« le préposé spécial ») transmit au requérant, à la demande de celui-ci, une photocopie de sa fiche.

15. La fiche du requérant, qui portait le numéro (1153 : 0) 614 et sur laquelle deux passages avaient été caviardés (…), contenait les informations suivantes :

« de la part du service des renseignements de Zurich : A. identifié comme contact auprès de l'ambassade russe d'après (…). A. fait du commerce de différentes sortes avec la société Air-spray-System. Annexes : extrait du registre du commerce et prospectus. (…) »

16. Dès réception de sa fiche, le requérant invita le médiateur auprès du ministère public à lui en révéler les passages caviardés.

17. Le 9 octobre 1990, le médiateur répondit au requérant que le passage censuré à la fin de la fiche masquait à bon droit les initiales des noms des officiers de la police fédérale qui avaient eu connaissance des renseignements figurant sur la fiche. L'autre passage supprimé avait trait à une mesure de surveillance d'ordre technique ordonnée à l'encontre d'un tiers ; à ce propos, le médiateur indiqua qu'il recommanderait au préposé spécial de divulguer l'information, l'intérêt du requérant prévalant selon lui contre l'intérêt public au maintien du secret.

18. Le 19 avril 1991, le préposé spécial décida, se fondant sur l'article 5 § 1 de l'ordonnance du 5 mars 1990 relative au traitement des documents de la Confédération établis pour assurer la protection de l'Etat, que les initiales figurant à la fin de la fiche ne pouvaient pas être divulguées. Il estima en outre que l'autre passage caviardé renfermait des informations de

contre-espionnage qu'il ne fallait pas révéler, en application de l'article 5 § 3 a) de ladite ordonnance. Sur la base de ces considérations, la consultation de la fiche du requérant fut élargie à un mot (« rapport ») :

« de la part du service des renseignements de Zurich : A. identifié comme contact auprès de l'ambassade russe d'après rapport (…). A. fait du commerce de différentes sortes avec la société Air-spray-System. Annexes : extrait du registre du commerce et prospectus. (…) »

19. Le 26 octobre 1991, le requérant saisit le Département fédéral des finances d'une demande en réparation, laquelle fut rejetée par décision du 28 janvier 1992.

20. Le 9 mars 1992, le requérant saisit le Tribunal fédéral d'une action de droit administratif, sollicitant de la Confédération une réparation d'un montant de 5 000 francs suisses pour avoir été irrégulièrement fiché auprès du ministère public. Il demanda aussi que son dossier et sa fiche fussent immédiatement versés aux archives fédérales auxquelles interdiction devait être faite d'en dresser copie. Il requit également d'ordonner aux archives fédérales de verrouiller les informations le concernant et de n'en communiquer aucune sans son accord.

21. Invitée à présenter ses observations par écrit, la Confédération indiqua, dans son mémoire daté du 26 mai 1992, que selon les renseignements fournis par le ministère public et le préposé spécial, le compte rendu de la surveillance ne figurait plus dans les dossiers de la police fédérale. A cet égard, elle souligna que les documents qui n'étaient plus nécessaires devaient être détruits, en application de l'article 66 § 1 ter de la loi fédérale sur la procédure pénale (« PPF ») (Das Protokoll der technischen Ueberwachung ist gemäss Auskunft der Bundesanwaltschaft und des Sonderbeauftragten (…) in den Akten der Bundespolizei nicht mehr vorhanden. In diesem Zusammenhang ist anzumerken, dass nicht mehr benötigte Akten gemäss Art. 66 Abs. 1ter BStP (…) vernichtet werden müssen).

22. Les 27 octobre 1993 et 14 septembre 1994, le Tribunal fédéral tint des audiences.

Le conseil du requérant souligna que le numéro de dossier de la fiche, en l'occurrence (1153 : 0) 614, était un code signifiant « pays à régime communiste » (1), « Union soviétique » (153), « espionnage établi » (0) et « divers contacts avec le bloc de l'Est » (614).

La représentante de la Confédération indiqua que « quelqu'un » (jemand) de l'ambassade alors soviétique étant surveillé, à chaque appel téléphonique, les deux interlocuteurs étaient identifiés et une fiche établie sur ces personnes. Par ailleurs, un rapport d'écoute téléphonique (Telefon-Abhör-Bericht) était rédigé. A cet égard, elle précisa que la plupart desdits rapports avaient été détruits et que ceux qui ne l'avaient pas été étaient à présent entreposés dans des sacs ; ces derniers étaient également destinés à être détruits, mais lorsque le préposé spécial avait été institué, tout avait dû être maintenu « en l'état ». Elle déclara en outre qu'elle ne savait pas si le rapport d'écoute téléphonique concernant le requérant avait été détruit ou non. Selon les indications que lui avait fournies le préposé spécial, les rapports n'étaient pas classés et il faudrait environ cinq personnes et un an de travail pour prendre connaissance du contenu de tous les sacs existant encore.

23. Par un arrêt du 14 septembre 1994, signifié le 25 janvier 1995, le Tribunal fédéral débouta le requérant de toutes ses conclusions.

24. Quant à la question de la base légale des mesures litigieuses, le Tribunal fédéral se référa d'abord aux articles 17 § 3 PPF et 1er de l'arrêté du Conseil fédéral du 29 avril 1958 concernant le Service de police du ministère public fédéral. Il estima toutefois superflu de rechercher si ces dispositions étaient susceptibles de justifier l'atteinte à la personnalité alléguée par le requérant, car l'une des conditions permettant d'octroyer une réparation ne se trouvait pas réunie.

25. Se référant ensuite aux articles 66 et suivants, en particulier 72 PPF, relatifs à la surveillance des communications téléphoniques et de la correspondance postale, ainsi que 265 et suivants du code pénal, régissant les « crimes ou délits contre l'Etat », le Tribunal fédéral rappela qu'il était admissible – avant même que des poursuites ne fussent engagées – de recueillir des informations afin de prévenir des infractions contre l'Etat ou la défense nationale, si des éléments donnaient à penser que les préparatifs d'une telle infraction étaient en cours.

26. A cet égard, le Tribunal fédéral releva :

« (…) le plaignant a été fiché dans le cadre de la surveillance à laquelle étaient alors soumises les communications téléphoniques avec l'ambassade soviétique pour des raisons de contre-espionnage. Comme il avait des contacts avec un employé ou une employée de l'ambassade soviétique et que n'est pas apparu immédiatement le fait que le « Perma Tweez Apparatus » qu'il vendait était un instrument dépilatoire sans danger, c'est à bon droit que les autorités ont mené une enquête sur l'identité de l'intéressé, sa situation et le « Perma Tweez Apparatus » en question et en ont consigné le résultat. »

27. Le Tribunal fédéral jugea par contre qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si ces dispositions, et notamment l'article 66 § 1 ter PPF, permettaient de conserver les informations ainsi obtenues après qu'il fut apparu qu'aucune infraction pénale n'était en cours de préparation (Fraglich ist, ob die Aufzeichnungen weiter aufbewahrt werden durften, nachdem sich offenbar herausgestellt hatte, dass keine strafbare Handlung vorbereitet wurde), puisque le requérant n'avait pas subi d'atteinte grave à sa personnalité.

28. A cet égard, le Tribunal fédéral rappela qu'aux termes de l'article 6 § 2 de la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, cette dernière était tenue à réparation en cas d'atteinte grave à la personnalité et estima qu'en l'espèce, cette condition n'était pas réalisée. En effet, selon le Tribunal fédéral, la seule circonstance que le requérant avait été désigné dans le fichier comme un « contact auprès de l'ambassade russe » ne pouvait guère s'analyser en une atteinte à sa personnalité. Par ailleurs, même si une partie du numéro du dossier signifiait « espionnage établi », rien n'indiquait que les autorités eussent considéré le requérant comme un espion et si l'expression « contact auprès de l'ambassade russe » pouvait éventuellement impliquer que le requérant avait effectivement des contacts périodiques avec cette dernière, il fallait envisager cette fiche non isolément mais dans le contexte plus large de l'ensemble du fichier et des autres circonstances de l'espèce ; en particulier, le fait qu'aucune autre mention n'eût été consignée devait conduire à la conclusion que les autorités ne soupçonnaient pas le requérant de contacts illicites avec l'ambassade. En outre, l'on ne pouvait présumer que le requérant eût été surveillé à d'autres occasions ou que les informations consignées eussent été transmises à des tiers. Dans son ensemble, le dossier du requérant apparaissait donc de peu d'importance et rien n'indiquait qu'il eût servi à d'autres usages ou été communiqué irrégulièrement.

29. Enfin, le Tribunal fédéral estima que l'action de droit administratif dont le requérant l'avait saisi le 9 mars 1992 constituait un « recours effectif » au sens de l'article 13 de la Convention. Il souligna en outre que le requérant avait la possibilité d'engager une procédure pour contester certaines données du fichier du ministère public et demander qu'elles fussent modifiées. A cet égard, le Tribunal fédéral se référa notamment aux directives du Conseil fédéral du 16 mars 1981 applicables au traitement des données personnelles dans l'administration fédérale (chiffre 44), à l'arrêté fédéral du 9 octobre 1992 sur la consultation des documents du ministère public de la Confédération (article 7 § 1) ainsi qu'à l'ordonnance du Conseil fédéral du 20 janvier 1993 sur la consultation des documents du ministère public de la Confédération (article 11 § 1).

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