Jurisprudence : CEDH, 01-02-2000, Req. 34406/97, Mazurek c. France

CEDH, 01-02-2000, Req. 34406/97, Mazurek c. France

A7786AWB

Référence

CEDH, 01-02-2000, Req. 34406/97, Mazurek c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064715-cedh-01022000-req-3440697-mazurek-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

1er février 2000

Requête n°34406/97

Mazurek c. France



TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MAZUREK c. FRANCE

(Requête n° 34406/97)


ARRÊT

STRASBOURG

1er février 2000
DÉFINITIF

01/05/2000


En l'affaire Mazurek c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président de section,

MM. J.-P. Costa,

L. Loucaides,

Mme F. Tulkens,

MM. W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

K. Traja, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 octobre 1999 et 18 janvier 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête dirigée contre la République française et dont un ressortissant, M. Claude Mazurek, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 13 décembre 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 9 janvier 1997 sous le numéro de dossier 34406/97.

2. Le 20 octobre 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »), en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 9 mars 1998, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 22 avril 1998.

3. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 2 dudit Protocole, l'affaire est examinée par la Cour.

4. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l'affaire à la troisième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et Sir Nicolas Bratza, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres juges désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. L. Loucaides, Mme F. Tulkens, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert et M. K. Traja (article 26 § 1 b) du règlement).

5. Le 4 mai 1999, la chambre a déclaré la requête recevable et a décidé d'inviter les parties à lui présenter, au cours d'une audience, leurs observations sur le fond.

6. L'audience s'est déroulée en public le 12 octobre 1999, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mmes M. Dubrocard, sous-directrice

de la sous-direction des Droits de l'Homme

à la direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères, agent,

L. Delahaye, magistrat détaché

à la sous-direction des Droits de l'Homme,

à la direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères,

M. Faucheux-Bureau, magistrat au bureau

du Droit civil général, à la direction des affaires

civiles et du sceau du ministère de la Justice, conseils ;

pour le requérant

Me A. Ottan, avocat au barreau de Montpellier, conseil.

Le requérant était également présent à l'audience.

La Cour a entendu en leurs déclarations, Me Ottan et Mme Dubrocard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPèCE

7. Le requérant, Claude Mazurek, est un ressortissant français né en 1942 à Avignon et domicilié à la Grande-Motte.

8. La mère du requérant décéda le 1er août 1990 d'une encéphalopathie au VIH, le mode de contamination retenu étant post-transfusionnel. Elle laissait deux enfants : un fils naturel, Alain, né en 1936 et légitimé par le mariage de sa mère en 1937 et le requérant, né en 1942, déclaré sous le seul nom de sa mère, celle-ci étant alors encore mariée bien que séparée de fait. Le divorce fut prononcé au mois de juillet 1944.

9. Par acte du 30 avril 1991, Alain fit assigner le requérant devant le tribunal de grande instance de Nîmes en demandant que soit ordonné le partage de la succession par notaire, qu'il soit jugé que le requérant, enfant adultérin, ne pouvait prétendre qu'à un quart de la succession, que soit ordonnée la consignation entre les mains du notaire d'une somme irrégulièrement retirée par le requérant sur le compte de la défunte et transférée sur un compte personnel alors que celle-ci était dans le coma.

10. Dans ses conclusions, le requérant acceptait la désignation du notaire pour liquider la succession, mais soutenait que l'article 760 du code civil qui limite les droits successoraux de l'enfant adultérin était discriminatoire et incompatible avec les articles 8 et 14 de la Convention, les dispositions de la Convention internationale sur les droits de l'enfant et l'article 334 du code civil posant le principe de l'égalité des filiations. Il demandait que lui soient reconnus des droits successoraux identiques à ceux d'un enfant légitime. Il soutenait par ailleurs que la somme dont la consignation était demandée avait été virée à titre de libéralité non rapportable ainsi que le prouvaient un courrier de la défunte du 20 janvier 1988, un pouvoir général bancaire du 2 février 1988 et des témoignages.

11. Par jugement du 21 janvier 1993, le tribunal ordonna le partage de la succession. Quant aux droits du requérant, il se référa à l'article 760 du code civil (paragraphe 17 ci-dessous).

Le tribunal admit que cette disposition était dérogatoire au principe d'égalité des filiations posé par l'article 334 alinéa 1er du code civil, mais il estima qu'elle ne visait pas à opérer une discrimination entre enfants en fonction de leur naissance, mais à assurer le respect minimal des engagements contractés par le fait du mariage par le parent marié qui donne naissance à un enfant naturel. Il en conclut que cette disposition était rendue nécessaire pour protéger les droits d'autrui et était un principe d'ordre public non contraire à la Convention.

Quant à la somme qui avait été retirée par le requérant et virée sur son propre compte, le tribunal estima que celui-ci n'avait fait qu'exécuter la volonté de sa mère de le gratifier par préciput et que, si cette libéralité devait être fictivement rapportée à la masse partageable pour le calcul de la quotité disponible, il n'y avait pas lieu en l'état d'ordonner la consignation de la somme entre les mains du notaire liquidateur.

12. Devant la cour d'appel, le requérant invoqua notamment l'incompatibilité de l'article 760 du code civil avec les articles 8 et 14 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

13. Par arrêt du 24 mars 1994, la cour d'appel de Nîmes confirma le jugement entrepris quant à l'ouverture de la succession et la détermination des droits successoraux du requérant. Elle estima toutefois que la somme virée sur le compte du requérant devait être rapportée à la succession car il n'avait pas apporté la preuve d'une libéralité voulue par sa mère.

14. Quant au grief tiré de l'incompatibilité de la discrimination entre enfant légitime et enfant adultérin avec les dispositions de la Convention, la cour d'appel considéra :

« Attendu en l'espèce que les dispositions de l'article 760 du code civil, qui limitent les droits successoraux de l'enfant adultérin, sont directement liées au principe d'ordre public de notre droit selon lequel le mariage a un caractère monogamique et selon lequel il est nécessaire de protéger le conjoint et les enfants victimes de l'adultère ;

Attendu que les dispositions de cet article n'ont pas été édictées pour porter préjudice à l'enfant adultérin mais pour protéger le conjoint et les enfants victimes de l'adultère, qu'il ne s'agit donc pas d'une mesure volontairement discriminatoire à l'égard de l'enfant adultérin, qu'en l'espèce cet article assure la protection des enfants nés du mariage qui pourraient être défavorisés lorsque s'ouvre la succession de leurs parents par la présence d'un enfant adultérin qui, du fait du prédécès du conjoint non adultère, et du régime matrimonial choisi par les conjoints, pourrait recueillir dans la succession de son auteur à la fois les biens provenant de celui-ci et les biens provenant du conjoint dont il n'est pas l'enfant ;

Attendu que c'est donc à bon droit que le tribunal a estimé que la volonté du législateur n'est pas de pratiquer une discrimination entre enfants en fonction de leur naissance, mais d'assurer le respect minimal des engagements contractés par le fait du mariage par le parent marié à l'égard de ses enfants légitimes, que le tribunal a estimé donc à bon droit également que l'article 760 du code civil est une disposition rendue nécessaire pour la protection des droits d'autrui, qu'il est un principe d'ordre public de notre droit et qu'il n'est pas contraire à la Convention européenne des Droits de l'Homme ; »

15. Sur pourvoi du requérant, la Cour de cassation rendit son arrêt le 25 juin 1996.

Sur le moyen du requérant tiré d'une discrimination injustifiée entre les enfants naturels et légitimes fondée sur la naissance, et ce en violation des articles 8 et 14 de la Convention, elle considéra que la vocation successorale est étrangère au respect de la vie privée et familiale reconnu par l'article 8 de la Convention.

Quant au grief tiré du fait que la cour d'appel avait ordonné le rapport à la succession de la somme virée sur le compte du requérant, la Cour de cassation considéra que la cour d'appel avait souverainement estimé que les circonstances de la cause ne démontraient pas de la part de la défunte la volonté de faire bénéficier son fils d'une donation préciputaire.

16. Par ailleurs, le 14 janvier 1994, la commission du fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles attribua au requérant à titre personnel une indemnisation de 40 000 FRF et évalua le préjudice de la défunte à 500 000 FRF devant être versés à sa succession. Cette somme fut donc versée entre les mains du notaire chargé de la succession et le requérant en perçut ultérieurement un quart.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

A. Le code civil

17. Les dispositions pertinentes du code civil, issues de la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972, se lisent comme suit :

Article 745

« Les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère, aïeuls, aïeules, ou autres ascendants, sans distinction de sexe ni de primogéniture, et encore qu'ils soient issus de différents mariages.

Ils succèdent par égales portions et par tête, quand ils sont tous au premier degré et appelés de leur chef : ils succèdent par souche, lorsqu'ils viennent tous ou en partie par représentation. »

Article 757

« L'enfant naturel a, en général, dans la succession de ses père et mère et autres ascendants, ainsi que de ses frères et sœurs et autres collatéraux, les mêmes droits qu'un enfant légitime. »

Article 760

« Les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens d'un mariage d'où sont issus des enfants légitimes, sont appelés à la succession de leur auteur en concours avec ces enfants ; mais chacun d'eux ne recevra que la moitié de la part à laquelle il aurait eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui-même, eussent été légitimes.

La fraction dont sa part héréditaire est ainsi diminuée accroîtra aux seuls enfants issus du mariage auquel l'adultère a porté atteinte ; elle se divisera entre eux à proportion de leurs parts héréditaires. »

B. La Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies, entrée en vigueur le 2 septembre 1990

18. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, se lisent comme suit :

Article 2

« 1. Les Etats parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.

2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l'enfant soit effectivement protégé contre toutes les formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. »

C. Les propositions et projets de réforme

19. Dans un rapport intitulé « Statut et protection de l'enfant », adopté en mai 1990, le Conseil d'Etat évoque la question de l'égalité dans les effets de la filiation dans les termes suivants :

« La réduction de la vocation successorale des enfants adultérins est très critiquée. Elle apparaît directement contraire à l'égalité des filiations et constitue une atteinte aux principes posés par le Code civil selon lesquels l'enfant naturel a en général les mêmes droits que l'enfant légitime. Cette discrimination fondée sur la filiation semble également contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme et à la Convention relative aux droits de l'enfant. Elle devrait donc être supprimée. »

Le rapport du Conseil d'Etat livre également des données socio-démographiques. Il en ressort qu'au 1er janvier 1990 un enfant sur dix était né hors mariage, la proportion dépassant un sur quatre pour les naissances de 1988. En outre, des modifications substantielles dans les comportements familiaux sont apparues pendant la seconde moitié de la décennie 1970, « avec une baisse du nombre annuel de mariages de 30 % entre 1975 et 1985, une multiplication par 2,5 du nombre des naissances illégitimes sur la même période, et un développement de la cohabitation hors mariage si rapide que c'est maintenant le type de première union pour deux français sur trois (...) quant aux divorces, leur nombre annuel avait déjà presque doublé entre 1960 et 1975, et il a encore doublé au cours des dix années suivantes ».

20. Un projet de loi, enregistré le 23 décembre 1991 (n° 2530), proposa d'aligner la situation successorale des enfants adultérins sur celle des autres enfants. Ce projet n'eut pas de suite.

21. Le 3 février 1998, le garde des Sceaux chargea Mme Irène Théry, sociologue, de prendre en compte les évolutions de la famille. Le rapport intitulé « Couple, filiation et parenté d'aujourd'hui » fut déposé le 14 mai 1998. Il releva l'absence de fracture sociologique entre les couples mariés ou non, et critiqua le statut inégalitaire des enfants adultérins.

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