Jurisprudence : CEDH, 29-07-1998, Req. 51/1997/835/1041, Guérin c. France

CEDH, 29-07-1998, Req. 51/1997/835/1041, Guérin c. France

A7748AWU

Référence

CEDH, 29-07-1998, Req. 51/1997/835/1041, Guérin c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064677-cedh-29071998-req-5119978351041-guerin-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

29 juillet 1998

Requête n°51/1997/835/1041

Guérin c. France



AFFAIRE GUÉRIN c. FRANCE

CASE OF GUÉRIN v. FRANCE

(51/1997/835/1041)


ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

29 juillet 1998
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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une grande chambre

France – irrecevabilité d'un pourvoi en cassation, faute pour un condamné d'avoir déféré au mandat d'arrêt décerné à son encontre

I. Article 6 § 1 de la convention

Rappel de la jurisprudence de la Cour en matière de droit d'accès à un tribunal.

Irrecevabilité d'un pourvoi en cassation, fondée uniquement sur le fait que le demandeur ne s'est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l'objet du pourvoi, qui ne peut être considérée comme définitive, porte atteinte à la substance même du droit de recours – charge disproportionnée imposée au demandeur, rompant le juste équilibre qui doit exister entre le souci légitime d'assurer l'exécution des décisions de justice et le droit d'accès au juge de cassation et l'exercice des droits de la défense.

Rôle crucial de l'instance en cassation, qui constitue une phase particulière de la procédure pénale dont l'importance peut se révéler capitale pour l'accusé.

Dans son arrêt Poitrimol, la Cour avait dit que « l'irrecevabilité du pourvoi, pour des raisons liées à la fuite du requérant, s'analysait (...) en une sanction disproportionnée (...) ».

Il en est ainsi à plus forte raison en l'espèce : le requérant ne tenta pas de se soustraire à l'exécution du mandat d'arrêt – il n'assista pas au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, mais aucun texte de loi ne l'y obligeait – hospitalisé dans un établissement psychiatrique dès le lendemain de l'arrêt – à tout moment, il était loisible à la police de se saisir de sa personne, ce qu'elle fit d'ailleurs – entrave excessive à son droit d'accès à un tribunal et, donc, à son droit à un procès équitable.

Conclusion : violation (vingt voix contre une).

II. Article 50 de la convention

A. Préjudice moral

Octroi d'une certaine somme.

B. Frais et dépens

Remboursement.

Conclusion : Etat défendeur tenu de payer certaines sommes au requérant (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

17.1.1970, Delcourt c. Belgique ; 21.2.1975, Golder c. Royaume-Uni ; 28.5.1985, Ashingdane c. Royaume-Uni ; 23.11.1993, Poitrimol c. France ; 21.9.1994, Fayed c. Royaume-Uni ; 13.7.1995, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni ; 4.12.1995, Bellet c. France ; 23.10.1996, Levages Prestations Services c. France

En l'affaire Guérin c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 de son règlement A, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

A. Spielmann,

J. De Meyer,

Mme E. Palm,

MM. I. Foighel,

A.N. Loizou,

Sir John Freeland,

MM. A.B. Baka,

M.A. Lopes Rocha,

L. Wildhaber,

G. Mifsud Bonnici,

J. Makarczyk,

P. Jambrek,

K. Jungwiert,

P. Kûris,

E. Levits,

J. Casadevall,

P. van Dijk,

M. Voicu,

V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 mars et 24 juin 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») et par le gouvernement français (« le Gouvernement ») les 27 mai et 10 juillet 1997 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (n° 25201/94) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Yves Guérin, avait saisi la Commission le 11 juillet 1994 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) et la requête du Gouvernement à l'article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. Le 2 juin 1997, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de confier la présente affaire à la chambre déjà constituée pour connaître de l'affaire Omar c. France (article 21 § 7 du règlement A).

4. Celle-ci comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A), ainsi que MM. A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici, K. Jungwiert, P. Kûris, E. Levits et P. van Dijk (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).

5. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant les 15 et 19 décembre 1997 et celui du Gouvernement le 15 décembre 1997.

6. Le 22 octobre 1997, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d'une grande chambre (article 51 du règlement A). La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Ryssdal, président de la Cour, et M. Bernhardt, vice-président, les membres titulaires de la chambre originaire ainsi que les quatre membres suppléants de

celle-ci, à savoir Sir John Freeland, M. M. Voicu, M. J. De Meyer et M. J. Makarczyk (article 51 § 2 a) et b)). Le 25 octobre 1997, le président a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept juges supplémentaires appelés à compléter la grande chambre, à savoir M. A. Spielmann, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. A.N. Loizou, M. L. Wildhaber et M. V. Butkevych (article 51 § 2 c)). M. Ryssdal étant décédé le 18 février 1998, M. Bernhardt l'a remplacé en qualité de président de la grande chambre, et M. P. Jambrek s'est vu appelé à y siéger. Par la suite, M. J. Casadevall a remplacé M. Valticos, empêché.

Le 12 février 1998, la Commission a produit des pièces de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

7. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats consacrés à cette affaire et à l'affaire Omar c. France se sont déroulés en public le 23 mars 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. J.-F. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques

au ministère des Affaires étrangères, agent,

Mme M. Dubrocard,

M. B. Nédélec, magistrats détachés à la direction

des affaires juridiques du ministère

des Affaires étrangères, conseillers ;

pour la Commission

M. L. Loucaides, délégué ;

pour le requérant

Me A. Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation, conseil ;

pour MM. C., K. et H. Omar

Mes J.-L. Cacheux,

L. Boré, avocats à la cour d'appel de Lyon, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Loucaides, Me Lyon-Caen, Me Cacheux, Me Boré et M. Dobelle, ainsi qu'en la réponse de ce dernier à la question d'un des juges.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Ressortissant français né en 1942, M. Yves Guérin est domicilié à Brest. A l'époque des faits, il était sous-brigadier de police.

A. La procédure d'instruction

9. Le 28 novembre 1990, un équipage de la police de l'air et des frontières de Menton interpella sur l'autoroute, entre Vintimille et Menton, un véhicule à bord duquel se trouvaient six passagers dont cinq étaient dépourvus de documents les autorisant à pénétrer en territoire français.

10. Le conducteur du véhicule, M. Sérigné Fall, reconnut avoir aidé les cinq personnes à passer irrégulièrement la frontière.

11. Il mit en cause le requérant, alors en service au poste de frontière de Vintimille, qui l'aurait laissé entrer en France moyennant le versement d'une somme de cinq cents francs français (FRF) et la promesse d'une montre imitation « Rolex ».

12. Le 29 novembre 1990, l'intéressé fut inculpé pour corruption et placé en détention provisoire.

B. La procédure de jugement

1. Devant le tribunal correctionnel de Nice

13. Par un jugement du 6 juin 1991, le tribunal correctionnel de Nice relaxa M. Guérin, donna mainlevée du mandat de dépôt et ordonna sa mise en liberté immédiate.

14. Le 11 juin 1991, le ministère public interjeta appel de ce jugement.

2. Devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence

15. Par un arrêt du 14 octobre 1991, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant par défaut réforma le jugement de première instance et infligea au requérant deux ans d'emprisonnement.

16. Le 28 juin 1992, le condamné forma régulièrement opposition à cet arrêt.

17. L'affaire fut appelée le 12 octobre 1992 en audience publique, au cours de laquelle M. Guérin était présent.

18. Par un arrêt du 23 novembre 1992, la cour d'appel d'Aix-en-Provence déclara le requérant coupable du délit de corruption, le condamna à deux ans d'emprisonnement, dont six mois avec sursis, et décerna un mandat d'arrêt à son encontre. L'intéressé, bien que régulièrement informé de la date de prononcé de l'arrêt, n'était pas présent.

19. Le 24 novembre 1992, M. Guérin fut hospitalisé dans un établissement psychiatrique, où il séjourna jusqu'au 16 décembre 1992. A cette date, les autorités de police exécutèrent le mandat d'arrêt décerné à son encontre.

3. Devant la Cour de cassation

20. Le 26 novembre 1992, par l'intermédiaire d'un avoué à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le requérant forma un pourvoi en cassation dans le délai de cinq jours francs prévu par l'article 568 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessous).

Dans son mémoire ampliatif, l'avocat de l'intéressé souleva deux moyens, l'un de forme et l'autre de fond concernant les éléments constitutifs de l'infraction. Il précisa par ailleurs que « dès qu'il a connu [la décision de la cour d'appel], l'exposant a tenté de se suicider ».

Dans un mémoire complémentaire sur la recevabilité du pourvoi, il invita la Cour de cassation à admettre celle-ci, soit en abandonnant sa jurisprudence selon laquelle le condamné qui n'a pas obéi à un mandat d'arrêt décerné contre lui n'est pas en droit de se faire représenter pour se pourvoir en cassation, soit en l'assouplissant et en n'en faisant pas application dans les circonstances particulières de l'espèce.

Sur le premier point, il se référa au rapport de la Commission adopté le 3 septembre 1992 dans l'affaire Poitrimol c. France et précisa que la Commission avait saisi la Cour de la question de savoir si cette jurisprudence de la chambre criminelle était contraire à l'article 6 § 1 de la Convention.

Sur le second point, l'avocat indiqua que, domicilié à Brest, le requérant n'avait pas été présent à l'audience le condamnant en raison de l'éloignement géographique et parce qu'il était très perturbé par les poursuites dont il avait fait l'objet.

Il lui aurait été également matériellement impossible d'exécuter le mandat d'arrêt dans les trois jours séparant la lecture de l'arrêt de la déclaration de pourvoi. Par ailleurs, apprenant la condamnation qui venait d'être prononcée à son sujet et aussitôt après avoir donné instruction de former un pourvoi contre cet arrêt, il aurait tenté de se suicider, ce qui lui avait valu d'être soigné dans un établissement psychiatrique du 24 novembre au 16 décembre 1992. Ayant séjourné dans cet établissement pendant toute la durée du délai

de pourvoi, il se serait trouvé dans l'incapacité absolue de déférer volontairement au mandat avant d'introduire le pourvoi. Enfin, le mandat d'arrêt aurait été exécuté le 16 décembre 1992 à la maison de santé où il se trouvait à la disposition de la justice. L'avocat conclut en ces termes :

« Il n'est pas douteux que faire application dans de telles conditions de la jurisprudence instaurée en 1846 pour déclarer le pourvoi irrecevable aboutirait à priver abusivement M. Guérin du droit de faire juger son pourvoi. »

21. Par arrêt du 19 janvier 1994, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable aux motifs suivants :

« qu'il résulte de la déclaration de pourvoi que le requérant a formé son recours par l'intermédiaire d'un avoué alors qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt qui, décerné à l'audience du 23 novembre 1992, n'a été mis à exécution que le 16 décembre suivant. Attendu qu'il résulte des principes généraux de la procédure pénale que le condamné qui se dérobe à l'exécution d'un mandat de justice n'est pas en droit de se faire représenter pour se pourvoir en cassation ; qu'il n'en serait autrement que s'il justifiait de circonstances l'ayant mis dans l'impossibilité absolue de se soumettre en temps utile à l'action de la justice ; qu'en l'espèce, le requérant ne justifie pas de telles circonstances. »

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