Jurisprudence : CEDH, 27-06-2000, Req. 30979/96, Frydlender c. France

CEDH, 27-06-2000, Req. 30979/96, Frydlender c. France

A7714AWM

Référence

CEDH, 27-06-2000, Req. 30979/96, Frydlender c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064636-cedh-27062000-req-3097996-frydlender-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

27 juin 2000

Requête n°30979/96

Frydlender c. France



AFFAIRE FRYDLENDER c. FRANCE

(Requête n° 30979/96)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juin 2000

[Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.]

En l'affaire Frydlender c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

Mme E. Palm, présidente,

MM. J.-P. Costa,

A. Pastor ridruejo,

L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

Mme F. Tulkens,

MM. W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

V. Butkevych,

J. Casadevall,

B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mme W. Thomassen,

MM. T. Panþîru,

K. Traja,

ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 15 mars et 17 mai 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 6 mars 1999 (article 5 § 4 du Protocole n° 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).

2. A son origine se trouve une requête (n° 30979/96) dirigée contre la France et dont un ressortissant de cet Etat, M. Nicolas Frydlender (« le requérant »), avait saisi la Commission le 20 novembre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention. Le requérant alléguait une violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. La Commission a déclaré la requête recevable le 14 avril 1998. Dans son rapport du 20 octobre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis, par 20 voix contre 10, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

3. Devant la Cour, le requérant est représenté par Me François-Henri Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme au ministère des Affaires étrangères.

4. Le 31 mars 1999, le collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par la Grande Chambre (article 100 § 1 du règlement). Le 26 avril 1999, le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a décidé que dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice l'affaire devait être attribuée à la même Grande Chambre que celle constituée pour l'examen de l'affaire Pellegrin c. la France (requête no 28541/95) (articles 24, 43 § 2 et 71 du règlement).

5. Le requérant et le Gouvernement ont chacun déposé un premier mémoire en juin 1999. A la demande de la Cour, les parties ont également déposé chacune, en février 2000, un mémoire complémentaire sur les questions soulevées par la requête à la lumière de l'arrêt Pellegrin du 8 décembre 1999.

6. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 15 mars 2000.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. Jean-François Dobelle, directeur-adjoint des affaires juridiques

au ministère des Affaires étrangères, agent,

M. Pierre Boussaroque, conseiller de tribunal administratif

détaché à la direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères, conseil ;

pour le requérant

Me François-Henri Briard, avocat au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation, conseil,

Le requérant était également présent à l'audience.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Briard, pour le requérant, et M. Dobelle, pour le Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. En juillet 1972, le requérant fut recruté en tant qu'agent contractuel par le service de l'expansion économique du ministère de l'Economie et des Finances. Par contrat en date du 29 septembre 1977, il fut affecté à Athènes afin d'y exercer les fonctions d'expert technique. Par avenant du 30 août 1984 au contrat du 29 septembre 1977, il fut affecté à New-York à compter du 25 juin 1984 pour exercer les fonctions de chef de section autonome au sein du Service de l'expansion économique. Placé sous l'autorité du conseiller commercial chef du poste de New-York, lui-même soumis au conseiller commercial chef du poste à l'ambassade de Washington, dont dépendait aussi l'attaché agricole, il fut chargé du secteur des vins, bières et spiritueux, en relation avec les exportateurs et importateurs et, notamment, la SOPEXA (Société pour l'expansion des ventes des produits alimentaires et agricoles).

8. Conformément au décret n° 69-697 du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'Etat en service à l'étranger, le requérant exerçait ses fonctions en vertu de contrats d'une durée de 30 mois, renouvelables par tacite reconduction mais pouvant être résiliés par l'administration avec un préavis de trois mois, notamment en cas d'insuffisance professionnelle.

9. Par lettre du 10 décembre 1985, qui lui fut notifiée le 27 décembre 1985, le ministre de l'Economie et des Finances informa le requérant qu'il envisageait de ne pas renouveler son contrat, lorsqu'il arriverait à échéance le 13 avril 1986, pour insuffisance professionnelle. Par lettre du 9 janvier 1986, notifiée au requérant le 21 janvier 1986, le ministre lui fit parvenir la décision définitive de non-renouvellement du contrat, motivée, notamment, par le reproche d'un manquement caractérisé d'initiative à l'égard des importateurs.

10. Par courriers datés des 28 février, 3 mars et 13 juin 1986, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris de trois recours en excès de pouvoir. Le premier tendait à l'annulation de la première lettre envoyée par le ministre, en date du 10 décembre 1985, qui avait le caractère d'un acte préparatoire à une décision définitive. Le deuxième demandait l'annulation de la décision définitive de licenciement contenue dans la lettre du 9 janvier 1986. La troisième requête visait à contester la légalité de l'acte de nomination d'une autre personne au poste antérieurement occupé par le requérant.

11. Par jugement du 6 janvier 1989, le tribunal administratif de Paris rejeta les trois recours, après les avoir joints.

12. Le 24 octobre 1989, le requérant se pourvut devant le Conseil d'Etat. Il déposa un mémoire complémentaire le 23 février 1990. Par arrêt du

10 mai 1995, notifié le 26 octobre 1995, le Conseil d'Etat rejeta le recours formé par le requérant en considérant notamment que le ministre en cause avait pu légalement licencier le requérant pour insuffisance professionnelle.

II. LE DROIT PERTINENT

A. Le statut des attachés et conseillers commerciaux et agricoles du service de l'expansion économique du ministère de l'Economie et des Finances.

13. Aux termes de l'article 1er du décret n° 50-446 du 19 avril 1950 portant règlement d'administration publique relatif au statut particulier du personnel de l'expansion économique, « les fonctionnaires des services d'expansion économique à l'étranger constituent un corps relevant du ministre chargé des affaires économiques. Ils exercent leurs fonctions soit auprès d'une mission diplomatique, soit auprès d'un poste consulaire (...) ». L'article 3 du décret dispose qu'ils sont les délégués du ministre chargé des affaires économiques pour toutes les questions se rapportant au commerce extérieur de la France. Ils sont notamment chargés d'étudier l'ensemble des problèmes qui intéressent l'économie de la France, de renseigner les différentes administrations françaises et de contribuer à la préparation, à la négociation et à l'exécution des traités ou accords commerciaux. Ils doivent également participer aux diverses enquêtes ou missions et à toutes les manifestations d'ordre économique organisées ou dirigées par les différents ministères ou groupements officiels, défendre les intérêts économiques généraux et seconder directement à ce titre l'activité, sur les marchés extérieurs, des commerçants, industriels et agriculteurs français. Le corps de l'expansion économique à l'étranger comprend 128 agents. Les attachés commerciaux de 2ème classe sont recrutés à la sortie de l'ENA (Ecole Nationale d'Administration), les conseillers commerciaux des différentes classes pouvant en outre être choisis parmi les fonctionnaires de l'Etat. Tous les conseillers et attachés commerciaux sont affectés à l'étranger par arrêté du ministre chargé des affaires économiques, pris après accord du ministre des Affaires étrangères.

14. Par une loi n° 50-340 du 27 mars 1950, ont en outre été créés cinq postes d'attachés agricoles, qui exercent leurs fonctions sous la direction du chef de poste de l'expansion économique. Leurs attributions sont décrites à l'article 3 du décret n° 56-1242 du 3 décembre 1956 : ils étudient, du point de vue technique, les problèmes posés par l'expansion agricole française, notamment en recherchant les possibilités d'importation de produits agricoles français offertes par le marché local, et exercent un rôle d'expert à l'occasion de la préparation de négociations et de l'application d'accords commerciaux internationaux, en assistant le chef de poste dans ses rapports avec les administrations publiques chargées des questions relatives au commerce extérieur.

B. Le statut des agents contractuels de l'Etat en service à l'étranger

15. Le statut des agents contractuels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger est fixé par le décret n° 69-697 du 18 juin 1969. Les dispositions de ce décret ne sont pas applicables aux personnels d'assistance ou de coopération technique mis à la disposition d'Etats étrangers. Les différents types d'emplois sont décidés par arrêtés selon les ministères concernés ; ils sont confiés soit à des agents non titulaires, soit à des agents titulaires.

16. Les dispositions pertinentes de ce décret prévoient :

Article 6

« Les agents visés à l'article 1er, souscrivent un contrat de service. Le contrat, qui se réfère obligatoirement aux dispositions du présent décret, précise la durée et la date d'effet du contrat, la catégorie indiciaire dans laquelle l'agent est classé, l'indice hiérarchique qui lui est attribué, les fonctions qui lui sont confiées et le groupe d'indemnité de résidence correspondant, le pays dans lequel il est affecté, et le cas échéant le groupe de majorations familiales.

Article 8

« La durée minimale du contrat est de trois ans lorsque l'agent est recruté dans le pays où il est affecté. La durée minimale du contrat est de trente mois majorée de la durée du congé administratif lorsque l'agent est recruté en France ou lorsqu'il est recruté dans un pays étranger différent de celui où il est affecté.

(...).

Le contrat n'est définitif qu'à l'expiration du stage probatoire ou de formation que l'intéressé peut être appelé à effectuer dès la conclusion du contrat dans le pays où il se trouve au moment de son recrutement. Au cours et à l'expiration de cette période de stage l'engagement peut être résilié de part et d'autre sans condition ni préavis.

Article 10

« Le contrat prend fin : 1°) A la date prévue pour son expiration. Il est toutefois considéré comme étant renouvelé par tacite reconduction pour une période de temps égale à sa durée initiale s'il n'est pas dénoncé soit par l'administration, soit par l'intéressé au minimum trois mois avant la date de cette expiration. Le refus de renouveler le contrat ou de signer un nouveau contrat est considéré comme une démission. Le même refus émanant de l'administration est considéré comme un licenciement, sauf en cas de signature d'un nouveau contrat dans les six mois qui suivent l'expiration du précédant. 2°) A tout moment, s'il est dénoncé par l'administration moyennant un préavis de trois mois en cas de licenciement par suite de suppression d'emploi ou d'insuffisance professionnelle ; en cas de licenciement par mesure disciplinaire. »

C. Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et Communication de la Commission européenne publiée au J.O.C.E. N° C 72 du 18 mars 1988

17. Le traité instituant la Communauté économique européenne du

25 mars 1957 (« le traité CEE ») prévoit, en son article 48 § 4, une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté pour les « emplois dans l'administration publique ». La Cour de justice des Communautés européennes a développé une interprétation restrictive de cette dérogation. Dans son arrêt Commission c/Belgique du 17 décembre 1980 (n° 149/79, Recueil p. 3881), elle a décidé que la dérogation ne concernait que les emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité avec l'Etat ainsi que la réciprocité de droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité.

18. La Commission européenne, à laquelle le traité CEE a confié la tâche d'assurer l'application correcte des règles communautaires, a relevé qu'un nombre important d'emplois susceptibles de tomber sous le coup de la dérogation sont, en réalité, sans rapport avec l'exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat.

19. Dans une communication du 18 mars 1988, elle a entrepris d'énumérer, d'un côté, les activités couvertes par la dérogation et, d'un autre, les activités qui ne le sont pas. Elle a ainsi établi deux catégories d'activités distinctes selon qu'elles sont considérées comme relevant ou non d'« une participation directe ou indirecte à l'exercice de la fonction publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ».

20. Il s'agit des catégories suivantes :

« Activités spécifiques de la fonction publique nationale exclues [du bénéfice de la libre circulation des travailleurs]

En se fondant sur l'état actuel de la jurisprudence de la Cour et en tenant compte des conditions actuelles de la construction du marché unique, la Commission estime que la dérogation établie par l'article 48, paragraphe 4, vise les fonctions spécifiques de l'Etat et des collectivités assimilables telles que les forces armées, la police et les autres forces de l'ordre ; la magistrature ; l'administration fiscale et la diplomatie. En outre, sont considérées aussi couvertes par cette exception, les emplois relevant des ministères de l'Etat, des gouvernements régionaux, des collectivités territoriales et autres organismes assimilés, des banques centrales dans la mesure où il s'agit du personnel (fonctionnaires et autres agents) qui exerce les activités ordonnées autour d'un pouvoir juridique public de l'Etat ou d'une autre personne morale de droit public telles que l'élaboration des actes juridiques, la mise en exécution de ces actes, le contrôle de leur application et la tutelle des organismes indépendants (...).

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