Jurisprudence : CEDH, 09-06-1998, Req. 44/1997/828/1034, Teixeira de Castro c. Portugal

CEDH, 09-06-1998, Req. 44/1997/828/1034, Teixeira de Castro c. Portugal

A7578AWL

Référence

CEDH, 09-06-1998, Req. 44/1997/828/1034, Teixeira de Castro c. Portugal. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064497-cedh-09061998-req-4419978281034-teixeira-de-castro-c-portugal
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Cour européenne des droits de l'homme

9 juin 1998

Requête n°44/1997/828/1034

Teixeira de Castro c. Portugal



AFFAIRE TEIXEIRA DE CASTRO c. PORTUGAL

CASE OF TEIXEIRA DE CASTRO v. PORTUGAL

(44/1997/828/1034)


ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

9 juin 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.

Liste des agents de vente/List of Agents

Belgique/Belgium
: Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

B-1000 Bruxelles)

Luxembourg: Librairie Promoculture (14, rue Duchscher

(place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)

Pays-Bas/The Netherlands: B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat

A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC

La Haye/'s-Gravenhage)

SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Portugal – condamnation pour trafic de drogue fondée essentiellement sur les déclarations de deux policiers, dont l'intervention a provoqué l'infraction

I. ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

Rappel de jurisprudence relative à la recevabilité des preuves.

L'intervention d'agents infiltrés doit être circonscrite et entourée de garanties même lorsqu'est en cause la répression du trafic de stupéfiants – l'intérêt public ne saurait justifier l'utilisation d'éléments recueillis à la suite d'une provocation policière.

En l'occurrence, il n'a pas été allégué que l'intervention des deux policiers se situait dans le cadre d'une opération de répression du trafic de drogue ordonnée et contrôlée par un magistrat – les autorités ne disposaient pas non plus de bonnes raisons de soupçonner que le requérant était un trafiquant – des circonstances de l'espèce, il faut déduire que les deux policiers ne se sont pas limités à examiner de manière purement passive l'activité délictueuse de l'intéressé mais ont exercé une influence décisive de nature à l'inciter à commettre l'infraction. L'activité des deux policiers a donc outrepassé celle d'un agent infiltré – leur intervention et son utilisation dans la procédure pénale litigieuse ont privé ab initio et définitivement le requérant d'un procès équitable.

Conclusion : violation (huit voix contre une).

II. ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

Absence d'arguments devant la Cour sur le grief déduit de la violation de l'article 3.

Conclusion : non-lieu à un examen d'office (unanimité).

III. ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

Eu égard au constat de violation de l'article 6 § 1, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner séparément le grief selon lequel la situation dénoncée porterait atteinte à l'article 8.

Conclusion : non-lieu à examen (unanimité).

IV. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

A. Dommages : accueil partiel de la demande.

B. Frais et dépens : remboursement partiel des frais et dépens au Portugal et intégral de ceux correspondant aux procédures à Strasbourg.

Conclusion : Etat défendeur tenu de payer au requérant certaines sommes (huit voix contre une).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

17.1.1970, Delcourt c. Belgique ; 20.11.1989, Kostovski c. Pays-Bas ; 27.9.1990, Windisch c. Autriche ; 15.6.1992, Lüdi c. Suisse ; 23.4.1997, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas

En l'affaire Teixeira de Castro c. Portugal,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

A. Spielmann,

N. Valticos,

Mme E. Palm,

MM. I. Foighel,

A.N. Loizou,

M.A. Lopes Rocha,

B. Repik,

V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 mars et 18 mai 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 avril 1997 et par le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») le 17 juin 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 25829/94) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Francisco Teixeira de Castro, avait saisi la Commission, le 24 octobre 1994 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration portugaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46), la requête du Gouvernement à l'article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 3, 6 § 1 et 8 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 31). Le président a autorisé l'avocat à employer la langue portugaise (article 28 § 3).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. M.A. Lopes Rocha, juge élu de nationalité portugaise (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 28 avril 1997, en présence du greffier, le président a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. A. Spielmann, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. A.N. Loizou, M. B. Repik et M. V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B). Par la suite, M. R. Bernhardt, vice-président, a remplacé M. Ryssdal, décédé le 18 février 1998 (article 21 § 6, deuxième alinéa).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Ryssdal avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 20 et 22 octobre 1997 respectivement. Les 12 novembre et 5 décembre 1997, dans deux documents présentés après l'expiration du délai fixé pour le dépôt des mémoires, le requérant a communiqué ses demandes au titre de l'article 50 de la Convention. Le 26 mars 1998, la Cour a néanmoins décidé de les prendre en considération. Par une lettre du 17 novembre 1997, le secrétaire de la Commission avait entre-temps informé le greffier que le délégué présenterait ses observations à l'audience.

5. Le 16 novembre 1997, M. Ryssdal avait accordé à Justice, organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme ayant son siège à Londres, l'autorisation, sous certaines conditions, de soumettre des observations écrites. Celles-ci sont parvenues au greffe le 30 janvier 1998.

6. Le 30 janvier 1998, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

7. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 24 mars 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. A. Henriques Gaspar, procureur général adjoint

de la République, agent,

M. M. Simas Santos, procureur général adjoint

près la Cour suprême

(chambre criminelle), conseil ;

pour la Commission

M. I. Cabral Barreto, délégué ;

pour le requérant

Mes J. Loureiro, avocat au barreau de Vila Nova

de Famalição,

R. Malvar Loureiro, avocate au barreau

de Vila Nova de Famalição, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Cabral Barreto, Me Loureiro, M. Henriques Gaspar et M. Simas Santos. Le Gouvernement et les représentants du requérant ont produit certaines pièces à l'occasion de l'audience.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Citoyen portugais né en 1955 et domicilié à Campelos (Guimarães), M. Francisco Teixeira de Castro était, à l'époque des faits, ouvrier dans une fabrique de produits textiles. Depuis sa sortie de prison, il est sans emploi.

A. L'intervention des deux policiers et l'arrestation du requérant

9. Dans le cadre d'une opération de contrôle du trafic de stupéfiants, deux policiers de la Sécurité publique (PSP) du poste de Famalição, habillés en civil, s'adressèrent à plusieurs reprises à un individu, V.S., soupçonné de s'adonner au petit trafic pour pourvoir à sa consommation, principalement du hachisch, et ce dans le but d'identifier son fournisseur. Ils lui proposèrent d'acheter plusieurs kilos de ce stupéfiant. Ignorant leur fonction, V.S. accepta de prendre des contacts à cette fin. En dépit de l'insistance des deux policiers, il ne parvint pas à entrer en relation avec un revendeur.

10. Le 30 décembre 1992, peu avant minuit, les deux policiers se présentèrent chez V.S. et déclarèrent être maintenant intéressés par l'achat d'héroïne. V.S. mentionna le nom de Francisco Teixeira de Castro comme susceptible de trouver un tel produit, mais ne connaissant pas le domicile de ce dernier, il s'adressa à F.O., qui le leur indiqua. Ces quatre personnes, dans la voiture des prétendus acheteurs, se rendirent chez le requérant. Ce dernier, prié par F.O., sortit de son logement et rejoignit la voiture dans laquelle attendaient les deux policiers en compagnie de V.S. Ceux-ci déclarèrent vouloir acheter vingt grammes d'héroïne au prix de 200 000 escudos et exhibèrent une liasse de billets de la Banque du Portugal.

11. M. Teixeira de Castro accepta de leur procurer de l'héroïne et se rendit, dans son propre véhicule, accompagné de F.O., chez un autre individu, J.P.O. Celui-ci obtint auprès d'une autre personne trois sachets d'héroïne dont l'un pesait dix grammes et les deux autres cinq et, à son retour, les remit au requérant pour une somme dont le montant est inconnu mais au moins supérieur à 100 000 escudos (PTE).

12. L'intéressé, en possession de la drogue, alla ensuite au domicile de V.S., que celui-ci avait entre-temps regagné, et devant lequel les deux policiers attendaient. Lorsque ceux-ci, invités par V.S., entrèrent dans la maison, lieu où la transaction devait se faire, le requérant sortit de sa poche l'un des sachets. Les deux policiers divulguèrent alors leur identité et arrêtèrent, vers deux heures du matin, M. Teixeira de Castro ainsi que V.S. et F.O. Ils fouillèrent les trois individus et trouvèrent sur le requérant outre les deux autres sachets d'héroïne une somme de 43 0000 PTE et un bracelet en or.

B. Le déroulement de la procédure

L'enquête préliminaire

13. Présenté le jour même au juge d'instruction près le tribunal de Famalição, le requérant fut placé en détention provisoire.

14. Le 29 janvier 1993, l'intéressé déposa une demande de mise en liberté. Il critiquait la légalité de sa détention qui aurait violé les articles 3, 6 et 8 de la Convention. D'après lui, sa détention trouvait sa cause dans le comportement moralement et légalement répréhensible des deux policiers, l'infraction ayant été commise uniquement et exclusivement en raison de la provocation desdits agents. Ceux-ci auraient en effet agi en tant qu'« agents provocateurs », d'autant plus que leur intervention ne se déroulait pas dans le cadre d'une opération de répression du trafic de stupéfiants ordonnée par un magistrat.

15. Le juge d'instruction repoussa la demande par une décision du 16 février 1993, confirmée le 21 avril 1993 par un arrêt de la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Porto.

16. Le requérant formula deux demandes d'habeas corpus devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça), que celle-ci rejeta par deux arrêts des 11 mars et 13 mai 1993. Dans ce dernier arrêt, elle estima que les agents de police avaient agi en tant qu'« agents provocateurs » pour ce qui est de la vente de l'héroïne mais que la détention du requérant était justifiée, car il avait été trouvé en possession de ce stupéfiant.

17. Le 26 août 1993, le ministère public formula ses réquisitions à l'encontre du requérant et de V.S. Les deux autres inculpés, F.O. et J.P.O., ne furent pas poursuivis.

18. Le dossier fut adressé au tribunal (Tribunal de circulo) de Santo Tirso.

2. La procédure de jugement

a) Devant le tribunal de Santo Tirso

19. L'audience se tint le 25 novembre 1993. Le tribunal entendit plusieurs témoins, dont les deux policiers et F.O.

20. Par un jugement du 6 décembre 1993, le tribunal, estimant le requérant coupable, lui infligea six ans d'emprisonnement et condamna V.S. à une amende correspondant à vingt jours d'emprisonnement. Selon lui, l'intervention d'un agent « infiltré » ou même « provocateur » ne semblait pas être prohibée par la législation nationale, à condition que le sacrifice de la liberté individuelle de l'accusé soit justifié par les valeurs à sauvegarder. Le requérant ayant été initialement approché par F.O., la conduite des fonctionnaires de la PSP n'avait pas été « déterminante » dans la commission de l'infraction. Le tribunal précisa que sa conviction était fondée sur les déclarations du témoin F.O., du coprévenu V.S., du requérant lui-même et, de manière « essentielle », sur les déclarations des deux policiers.

b) Devant la Cour suprême

21. Le 14 décembre 1993, le requérant introduisit un recours contre ce jugement devant la Cour suprême. Il se plaignait d'une violation du principe du procès équitable et invoquait, entre autres, l'article 6 de la Convention.

22. Par un arrêt du 5 mai 1994, la Cour suprême repoussa le recours et confirma le jugement attaqué dans toutes ses dispositions. Elle s'exprima ainsi :

« Il y a eu en l'espèce sans conteste une très forte insistance (...) des agents de la PSP jusqu'à ce qu'ils parviennent à Francisco Teixeira de Castro. Il est toutefois naturel que les choses se soient passées de cette manière. Les agents de police savaient, en vérité, que V.S. était un consommateur de stupéfiants et tentaient de

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