Jurisprudence : CEDH, 11-01-2001, Req. 21463/93, Lunari c. Italie

CEDH, 11-01-2001, Req. 21463/93, Lunari c. Italie

A7270AW8

Référence

CEDH, 11-01-2001, Req. 21463/93, Lunari c. Italie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064189-cedh-11012001-req-2146393-lunari-c-italie
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Cour européenne des droits de l'homme

11 janvier 2001

Requête n°21463/93

Lunari c. Italie



DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LUNARI c. ITALIE

(Requête n° 21463/93)

ARRÊT

STRASBOURG

11 janvier 2001

Le présent arrêt n'est pas définitif. Aux termes de l'article 43 § 1 de la Convention, toute partie à l'affaire peut, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'arrêt d'une Chambre, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre. L'arrêt d'une Chambre devient définitif conformément aux dispositions de l'article 44 § 2.

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.

En l'affaire Lunari c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,

G. Bonello,

Mme V. Stráznická,

M. P. Lorenzen,

M. Fischbach,

Mme M. Tsatsa-Nikolovska,

M. E. Levits, juges,

et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 décembre 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 21463/92) dirigée contre l'Italie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Fulvio Lunari (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 10 février 1993 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté d'abord par son agent, M. Luigi Ferrari Bravo, puis par son agent, M. Umberto Leanza et son co-agent, M. Vitaliano Esposito.

3. Le requérant alléguait en particulier que l'impossibilité prolongée d'exécuter l'ordonnance d'expulsion de locataire, faute d'octroi de l'assistance de la force publique, constitue une violation des articles 1 du Protocole n° 1 et 6 § 1 de la Convention.

4. Le 5 avril 1993, la Commission (Première Chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 29 juin 1993. Le requérant y a répondu les 27 juillet et 9 novembre 1993 et le 17 février 1994.

5. Par la suite, la Commission a décidé de suspendre l'examen de la requête en attendant que la Cour se prononce dans les affaires Scollo et Spadea et Scalabrino. Les arrêts ayant été rendus le 28 septembre 1995, le 12 mars 1996 les parties ont été invitées à présenter leurs observations complémentaires, ce que le Gouvernement fit en date du 3 avril 1996 et le requérant le 14 mai 1996.

6. Le 16 octobre 1996, la Commission a déclaré le requête recevable.

7. Le 28 mai 1997, la Commission a décidé de suspendre l'examen de l'affaire en attendant de se prononcer sur l'affaire Immobiliare Saffi c. Italie. Le 27 mai 1998, la Commission a repris l'examen de l'affaire et a invité les parties à présenter des observations complémentaires. Le requérant et le Gouvernement ont présenté leurs observations les 16 et 19 juin 1998 respectivement.

8. La Commission, faute d'avoir pu terminer l'examen de la requête avant le 1er novembre 1999, l'a déférée à la Cour à cette date, conformément à l'article 5 § 3, seconde phrase, du Protocole n° 11 à la Convention.

9. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. Conforti, juge élu au titre de l'Italie (article 28), le Gouvernement a renoncé à son droit de désigner un juge ad hoc pour siéger à sa place (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 2 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

10. Le requérant est propriétaire d'un appartement sis à Pescara, qu'il avait loué à W.A. à partir du 6 juillet 1983. Le 30 mai 1987, l'épouse du locataire, L.C., informa le requérant que, suite à leur séparation de corps, elle avait succédé à son mari dans le bail. Elle avait un enfant à sa charge et disposait d'un revenu mensuel de 577 000 lires italiennes (ITL).

11. Par une lettre recommandée du 3 septembre 1987, le requérant demanda à L.C. de quitter l'appartement, le bail ayant échu le 30 juin 1987.

12. Par un acte signifié le 24 septembre 1987, le requérant l'assigna à comparaître devant le juge d'instance de Pescara.

13. Par une ordonnance du 9 octobre 1987, qui devint exécutoire le 10 octobre 1987, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 9 octobre 1988.

14. Le 3 août 1989, le requérant signifia à la locataire le commandement de libérer l'appartement.

15. Le 14 septembre 1989, il lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 11 octobre 1989 par voie d'huissier de justice.

16. A cette date, puis le 7 mai 1991, l'huissier de justice ne put expulser la locataire faute d'octroi de l'assistance de la force publique.

17. Le 14 décembre 1991, le requérant s'adressa au juge d'instance de Pescara, aux termes de l'article 2 du décret-loi n° 551/88 converti en la loi 61/89, afin que celui-ci constate le non-paiement de la part de la locataire des loyers ainsi que de sa quote-part des charges de la copropriété et déclare la suspension de l'exécution forcée de l'expulsion non applicable au cas d'espèce. Le 20 décembre 1991, la locataire se constitua dans la procédure et contesta les allégations du requérant. Une audience eut lieu devant le juge d'instance de Pescara le 2 mars 1993. Par une décision du 17 avril 1993, le juge fit droit à la demande du requérant et déclara que la suspension de l'exécution n'était pas applicable à son cas.

18. Entre-temps, entre le 11 mai 1991 et le 21 avril 1993, l'huissier de justice avait procédé à dix-neuf tentatives d'expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, les requérants n'ayant pas obtenu le concours de la force publique dans l'exécution de l'expulsion, malgré les demandes qu'il avait adressées au préfet de police les 12 octobre et 12 décembre 1992.

19. Le 2 juillet 1993, lorsque l'huissier de justice se rendit sur les lieux, assisté de la force publique, la locataire libéra l'appartement.

20. Entre-temps, le 6 novembre 1992, le juge d'instance de Pescara avait fait droit à la demande du syndic de la copropriété dont faisait partie l'appartement du requérant, d'enjoindre au requérant d'acquitter sa quote-part des charges de la copropriété, ainsi que celle due par la locataire (pour un total de 1 406 500 ITL soit environ 4 600 FF).

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

21. Le décret-loi n° 551 du 30 décembre 1988, converti en la loi n° 61 du 21 février 1989 (« la loi n° 61/89 »), suspendit jusqu'au 30 avril 1989 l'exécution forcée des expulsions. L'article 2 dudit décret-loi prévoyait que l'exécution n'était pas suspendue dans le cas notamment où le locataire était en retard dans le paiement des loyers ou des charges de la copropriété correspondant au moins à deux loyers mensuels.

22. Le restant du droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, §§ 18-35, CEDU 1999-V.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 du PROTOCOLE N° 1

23. Le requérant se plaint que l'impossibilité prolongée de récupérer son appartement, faute d'octroi de l'assistance de la force publique, constitue une atteinte à son droit de propriété, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention, qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. La règle applicable

24. La Cour, s'appuyant sur sa jurisprudence, considère que l'interférence mise en cause par le requérant s'analyse en une mesure de réglementation de l'usage des biens au sens de l'article 1 du Protocole n° 1 (voir l'arrêt Immobiliare Saffi précité, § 46).

B. Le respect des conditions du second alinéa

1. But de l'ingérence

25. La Cour a déjà dit que la législation litigieuse poursuivait un but légitime conforme à l'intérêt général, comme le veut le second alinéa de l'article 1 (voir l'arrêt Immobiliare Saffi précité, § 48).

2. Proportionnalité de l'ingérence

26. La Cour rappelle qu'une mesure d'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l'Etat une grande marge d'appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l'intérêt général, par le souci d'atteindre l'objectif de la loi en cause. S'agissant de domaines tels que celui du logement, qui occupe une place centrale dans les politiques sociales et économiques des sociétés modernes, la Cour respecte l'appréciation portée à cet égard par le législateur national, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable (voir l'arrêt Immobiliare Saffi, précité, § 49).

27. Le requérant conteste la légitimité du but des lois en cause. En substance, l'absence d'une politique efficace de l'Etat en manière de logement l'aurait privé de son droit de disposer de son appartement en privilégiant exclusivement l'intérêt du locataire. En particulier, le système prévoyant des exceptions à la suspension de l'exécution forcée des expulsions serait totalement inefficace. S'il est vrai qu'il existe en théorie la possibilité de demander au juge de l'exécution que la suspension de l'exécution forcée ne s'applique pas à une situation où le locataire est en retard dans le paiement des loyers, ce qui rendrait l'expulsion prioritaire, la nécessité en pratique d'entamer une procédure à cet effet, qui, dans son cas, a duré environ deux ans rendrait le système inopérant. De plus, le système législatif ne lui fournit aucun moyen de réagir en protégeant ses intérêts.

28. Le Gouvernement fait valoir que les mesures législatives en cause poursuivaient une finalité d'intérêt général dans la protection des locataires, compte tenu de la situation de crise de logements touchant les centres urbains les plus importants et de la difficulté de reloger de manière adéquate les locataires aux ressources modestes tombant sous le coup d'une mesure d'expulsion ; dans le cas d'espèce, la locataire percevait un revenu très modeste (577 000 ITL, soit moins de deux mille francs par mois) et avait un enfant à sa charge.

29. Le Gouvernement fait ensuite observer que de nombreux contrats de bail venaient à échéance dans les années 1982-1983 ; l'exécution forcée simultanée de tous ces baux aurait provoqué de fortes tensions sociales. Les mesures en cause tendaient donc à protéger l'ordre public. Le Gouvernement observe ensuite que l'échelonnement de l'octroi de l'assistance de la force publique s'est avéré nécessaire vu l'impossibilité de garantir en même temps et à chacun une telle assistance.

30. Le Gouvernement fait enfin observer que les dispositions d'urgence visant la suspension ou l'échelonnement des exécutions forcées prévoyaient des exceptions en vertu desquelles, notamment, les propriétaires pouvaient obtenir l'exécution des expulsions avec l'assistance de la force publique lorsque, comme dans le cas d'espèce, leur locataire était en retard dans le paiement des loyers ou des charges de copropriété pour un montant global équivalant à deux loyers. Le Gouvernement souligne que dans le cas d'espèce le Préfet avait accordé l'assistance de la force publique immédiatement après avoir été informé de ce que l'expulsion était prioritaire.

31. La Cour considère qu'en adoptant des mesures d'urgence visant la suspension des expulsions et en prévoyant certaines exceptions à leur application, le législateur italien pouvait raisonnablement estimer que les moyens choisis convenaient pour atteindre le but légitime (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Scollo c. Italie du 28 septembre 1995, Série A n° 315-C, § 40).

32. Il échet cependant de rechercher si, en l'espèce, un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de la communauté et le droit des propriétaires et du requérant en particulier.

33. La Cour observe que le requérant avait obtenu le 9 octobre 1987 une ordonnance d'expulsion, dont l'exécution avait été fixée par le juge d'instance au 9 octobre 1988 (paragraphe 13 ci-dessus). Malgré le fait que, depuis 1991, la locataire était en retard dans le paiement des loyers - ce dont le requérant avait informé les autorités (voir paragraphe 17 ci-dessus) - et que dès lors, en l'occurrence, les conditions légales pouvant permettre l'exécution de l'expulsion pendant la période de suspension de cette procédure se trouvaient remplies, le requérant n'obtint le concours de la force publique que le 2 juillet 1993 (paragraphe 19 ci-dessus). Le requérant avait non seulement dû entamer un procès visant à régler le problème des loyers partiellement impayés (voir paragraphe 17 ci-dessus), mais également acquitter lui-même la quote-part des charges de la copropriété due par la locataire, suite à une injonction de paiement obtenue par le syndic de la copropriété (voir paragraphe 20 ci-dessus).

34. Dans ces circonstances, la Cour estime que la restriction subie par le requérant à l'usage de son appartement, en raison notamment de la mauvaise application des exceptions à la suspension de l'octroi de l'assistance de la force publique par les autorités compétentes, lui a imposé une charge spéciale et excessive et a dès lors rompu l'équilibre à ménager entre la protection du droit de l'individu au respect de ses biens et les exigences de l'intérêt général (cf., mutatis mutandis, l'arrêt Scollo c. Italie du 28 septembre 1995, Série A n° 315-C, § 39).

Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

35. Le requérant allègue aussi un manquement à l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Les exceptions préliminaires du Gouvernement

36. Le Gouvernement soulève les mêmes exceptions d'irrecevabilité de ce grief - la non–applicabilité de l'article 6 à la procédure d'expulsion de locataire et le non–épuisement des voies de recours internes - qu'il avait déjà soulevées et qui avaient été rejetées par la Commission dans sa décision sur la recevabilité de la présente requête.

La Cour estime qu'il y a lieu de les rejeter pour les même motifs.

B. L'observation de l'article 6

37. Le requérant critique qu'un organe administratif ait pu retarder l'exécution d'une décision de justice définitive.

38. Le Gouvernement considère que le droit d'accès à un tribunal n'a pas été méconnu en l'espèce, car le requérant a pu s'adresser tout d'abord au juge d'instance, qui a fait droit à sa demande et a ordonné la libération des lieux, et aurait pu s'adresser par la suite au tribunal administratif régional afin de contester le refus de lui accorder le concours de la force publique.

39. La Cour rappelle que dans des affaires italiennes concernant également les retards dans l'expulsion de locataires, elle a examiné les griefs tirés de la durée de la procédure d'expulsion sous l'angle, plus général, du droit à un tribunal, et elle est parvenue à la conclusion que les requérants n'avaient pas bénéficié du droit d'accès à un tribunal (voir les arrêts Immobiliare Saffi précité, § 61 ; Edoardo Palumbo c. Italie, n° 15919/89, § 42-45).

40. Il s'agissait d'affaires dans lesquelles l'exécution de l'ordonnance d'expulsion avait été retardée de manière excessive en conséquence du refus, opposé par le préfet, d'accorder l'assistance de la force publique. La Cour avait observé en particulier qu'à partir du moment où le préfet était devenu l'autorité ayant compétence pour fixer la date de l'expulsion forcée, et au vu de l'absence d'un contrôle judiciaire effectif de ses décisions, les propriétaires avaient été privés de leur droit à ce que la contestation les opposant à leurs locataires soit décidée par un tribunal, comme le veut l'article 6 de la Convention.

41. La Cour considère que la présente affaire diffère des affaires susmentionnées. En l'occurrence, le requérant a saisi, le 14 décembre 1991, le juge de l'exécution d'une demande visant à obtenir que sa locataire, étant en retard avec le paiement des loyers, ne puisse pas bénéficier de la suspension de l'octroi de la force publique. Ce juge a examiné la question et a ensuite fait droit à cette demande le 17 avril 1993 (voir paragraphe 17 ci-dessus). Peu après, le 2 juillet 1993, le requérant a obtenu le concours de la force publique (voir paragraphe 20 ci-dessus).

42. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a bénéficié de son droit d'accès à un tribunal. Il faut encore examiner si le requérant a bénéficié de son droit à un tribunal, dont le droit à l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, fait partie intégrante (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 510, § 40).

43. La Cour rappelle à cet égard que l'exécution d'une décision judiciaire ne peut être empêchée, invalidée ni retardée de manière excessive (arrêt Immobiliare Saffi précité, § 74).

44. En l'espèce, le requérant a obtenu en date du 9 octobre 1987 une ordonnance d'expulsion (voir paragraphe ci-dessus), qui ne fut exécutée que le 2 juillet 1993, soit environ quatre ans après que le requérant eût signifié, le 3 août 1989, à la locataire le commandement de libérer les lieux, en commençant ainsi la procédure d'exécution (voir paragraphe 14 ci-dessus). La Cour souligne à cet égard que le requérant avait le droit d'obtenir l'octroi de l'assistance de la force publique en priorité, la locataire étant en retard dans le paiement des loyers ; environ seize mois durent cependant passer avant que cette priorité ne soit reconnue par le juge d'instance (voir paragraphe 17 ci-dessus).

45. La Cour estime que le Gouvernement n'a pas démontré que ce sursis à l'exécution n'ait duré que le temps strictement nécessaire à trouver une solution satisfaisante aux problèmes d'ordre public auxquels les autorités italiennes étaient confrontées ; en particulier, la Cour note que le Gouvernement, qui fait valoir que la locataire avait un enfant à sa charge et percevait un revenu modeste, n'a pas prouvé que pendant ces quatre années les autorités aient cherché une solution aux problèmes de logement de celle-ci (voir, mutatis mutandis, l'arrêt A.O. c. Italie, n° 22534/93, § 29).

46. Dans ces conditions, la Cour estime qu'il y a eu violation du droit à un tribunal garanti à l'article 6 § 1 de la Convention. Le grief tiré de la durée de la procédure doit être considéré comme absorbé par le précédent.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

48. Le requérant réclame en premier lieu la réparation du préjudice matériel subi au titre de frais d'huissier, mais laisse à la Cour le soin de l'évaluer sur la base des documents fournis au cours de la procédure. Il réclame ensuite 1 332 700 ITL correspondant aux charges de la copropriété dues par la locataire, ainsi que les loyers non payés par la locataire et la différence entre le loyer qu'il percevait et celui qu'il aurait pu percevoir aux prix du marché. Il réclame en outre 399 999 ITL pour les frais de la procédure concernant l'injonction de paiement des charges de la copropriété.

49. Le Gouvernement considère qu'il manque tout lien de causalité entre le préjudice réclamé et les violations de la Convention alléguées.

50. La Cour estime qu'il a lieu de rembourser les frais de la procédure d'expulsion (voir l'arrêt Immobiliare Saffi précité, § 79) : elle accorde, sur la base des documents en sa possession, la somme de 330 000 ITL à ce titre.

S'agissant des charges de la copropriété et des loyers non payés, qui n'ont même pas été chiffrés par le requérant, la Cour estime, étant donné que celui-ci peut les récupérer auprès de la locataire, qu'il n'y a pas lieu d'allouer une somme au requérant à ce titre.

S'agissant du manque à gagner en termes de loyers, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 60 de son règlement, le requérant doit chiffrer et ventiler ses prétentions auxquelles il doit joindre les justificatifs nécessaires, « faute de quoi la chambre peut rejeter la demande en tout ou en partie ». Le requérant ayant omis de le faire, la Cour décide de ne rien accorder sous ce chef.

Quant aux frais de la procédure concernant l'injonction de paiement, la Cour considère, comme le Gouvernement, qu'ils n'ont pas de lien de causalité direct avec les violations constatées.

B. Dommage moral

51. Le requérant demande la somme de 30 000 000 ITL pour dommage moral.

52. Le Gouvernement considère que le constat de violation constituerait en soi, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante.

53. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain ; elle décide par conséquent de lui accorder la somme de 15 000 000 ITL à ce titre.

C. Frais et dépens

54. Le requérant demande enfin le remboursement des frais et honoraires exposés devant la Commission et la Cour, qu'il chiffre à 5 800 000 ITL.

55. Le Gouvernement se remet à la sagesse de la Cour.

56. La Cour estime, en tenant compte notamment de la durée et de la complexité de la procédure devant les organes de Strasbourg, qu'il y a lieu d'accorder le montant réclamé en entier.

D. Intérêts moratoires

57. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en Italie à la date d'adoption du présent arrêt était de 2,5 % l'an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention :

- 330 000 (trois cent trente mille) lires italiennes pour préjudice matériel ;

- 15 000 000 (quinze millions) lires italiennes pour dommage moral,

- 5 800 000 (cinq millions huit cent mille) lires italiennes pour frais et dépens ;

b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 2,5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 janvier 2001 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Erik Fribergh Christos Rozakis

Greffier Président

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