Jurisprudence : CEDH, 13-02-2001, Req. 29731/96, Krombach c. France

CEDH, 13-02-2001, Req. 29731/96, Krombach c. France

A7215AW7

Référence

CEDH, 13-02-2001, Req. 29731/96, Krombach c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064134-cedh-13022001-req-2973196-krombach-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

13 février 2001

Requête n°29731/96

Krombach c. France



TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KROMBACH c. FRANCE

(Requête n° 29731/96)

ARRÊT

STRASBOURG

13 février 2001

DÉFINITIF

13/05/2001


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.

En l'affaire Krombach c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. W. Fuhrmann, président,

J.-P. Costa,

L. Loucaides,

P. Kûris,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Sir Nicolas Bratza, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 mai et 23 janvier 2001,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 29731/96) dirigée contre la République française par un ressortissant allemand, M. Dieter Krombach (« le requérant »), qui avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 29 novembre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me François Serres, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier qu'en vertu de l'article 630 du code de procédure pénale, il lui avait été interdit de faire présenter sa défense par avocat lors de l'audience de la cour d'assises statuant par contumace. A cet égard il allègue une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention. Il se plaignait également d'une violation de l'article 2 du Protocole n° 7 en raison du fait que, en application de l'article 636 du code de procédure pénale, le pourvoi en cassation n'est pas ouvert au contumax.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 29 février 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre. Des observations ont également été reçues de M. Bamberski, partie civile dans la procédure pénale diligentée contre le requérant, que le président avait autorisé à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement). Le Gouvernement allemand invité à produire des observations en vertu de l'article 36 § 1 de la Convention n'a pas souhaité faire usage de cette faculté.

8. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 30 mai 2000 (article 59 § 2 du règlement).

Ont comparu :

pour le gouvernement défendeur

MM. J.F. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques

au Ministère des Affaires étrangères, agent,

B. Nedelec, magistrat, détaché à la sous direction des droits

de l'homme au Ministère des Affaires étrangères,

G. Bitti, chargé de mission auprès du bureau des droits

de l'homme du service des affaires européennes

et internationales au ministère de la Justice,

P.C. Soccoja, administrateur civil au bureau des droits

de l'homme du service des affaires européennes

et internationales au ministère de la Justice,

F. Capin Dulhoste, magistrat au bureau de la justice pénale

et des libertés individuelles à la direction des affaires

criminelles au ministère de la Justice, conseillers ;

pour le requérant

Me F. Serres, avocat au barreau de Paris, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Serres et M. Dobelle.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Circonstances particulières de l'affaire

9. En avril 1977, le requérant, qui était veuf avec deux enfants, épousa en secondes noces une ressortissante française, qui avait elle-même deux enfants d'un précédent mariage avec un ressortissant français, dont elle avait divorcé en 1976. Durant l'été 1982, tant le fils que la fille de l'épouse du requérant se trouvaient pour les vacances scolaires au domicile du requérant, à Lindau près du lac de Constance.

10. La jeune fille, K.B., âgée de 14 ans et de nationalité française, qui avait passé la journée du 9 juillet 1982 à faire de la planche à voile, s'était plainte à son retour de fatigue et de ne pas bronzer suffisamment et le requérant lui avait alors injecté vers 20 h 30, comme à plusieurs occasions dans le passé, une préparation ferrique, commercialisée sous le nom de Kobalt-Ferrcelit et en principe destinée à traiter un état d'anémie.

11. Le 10 juillet 1982, vers 9 h 30 du matin, le requérant découvrit K.B. morte dans sa chambre et procéda à plusieurs injections de divers produits pour tenter de la ranimer. Un premier médecin appelé en urgence examinait le cadavre vers 10 h 20, faisait remonter la mort aux environs de 3 h du matin et ne constatait aucune trace de violences. Il releva seulement des traces d'injection au niveau du thorax et du bras droit.

I. Procédure allemande

12. Une enquête contre X fut immédiatement ouverte par la police concernant les circonstances de ce décès et une autopsie fut pratiquée par deux médecins légistes le 12 juillet 1982. Ils ne purent déterminer les causes du décès, notamment en raison de l'état avancé de décomposition du cadavre, mais ne trouvèrent aucune trace de violences, notamment sexuelles. En conséquence, le 17 août 1982, le parquet de Kempten prit une première décision de classement de l'affaire, conformément à l'article 170 § 2 du code de procédure pénale allemand.

13. Le père de la jeune fille saisit alors le parquet de Kempten d'une demande d'actes complémentaires, en se fondant notamment sur les critiques du rapport d'autopsie qu'il avait soumis à un médecin légiste français. Accédant à sa demande, le parquet demanda une expertise à l'Institut médico-légal de Munich.

14. Le 27 novembre 1982, l'un des médecins légistes qui avait pratiqué l'autopsie précisa que les lésions constatées sur l'appareil génital externe de la jeune fille étaient intervenues post mortem. Le 3 mars 1983, aux termes d'une expertise chimico-toxicologique et histologique et après audition des médecins légistes ainsi que du requérant et des autres membres de la famille, l'expert conclut que la mort était anormale mais qu'il ne pouvait davantage se prononcer sur la cause du décès, lequel, à son avis, ne pouvait être imputé à l'injection du produit ferrique, dont aucune trace ne pouvait être retrouvée dans le corps. En mai 1983, une autre expertise fut effectuée, cette fois pharmacologique, pour déterminer les effets secondaires ou les contre-indications du produit ferrique injecté la veille de la mort.

15. Le 14 juin 1983, le procureur près le tribunal régional de Kempten prit une deuxième décision de classement sans suite. Le recours formé par le père de la victime le 4 juillet 1983 contre cette décision fut considéré par le procureur général près la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Munich comme un recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) et rejeté le 20 septembre 1983.

16. Le 17 octobre 1983, le père de la victime, par l'intermédiaire de ses avocats allemands, déposa une plainte nommément dirigée contre le requérant, qu'il soupçonnait d'avoir violé puis assassiné sa fille. Le dossier de la procédure d'enquête ouverte en 1982 contre X fut alors joint à la nouvelle procédure d'enquête ouverte sur plainte du père de la victime. Le 2 novembre 1983, le parquet du tribunal régional de Kempten prit, pour la troisième fois, une décision de classement sans suite, en se référant aux conclusions des diverses expertises effectuées dans le cadre de l'enquête précédente.

17. La décision de classement du 2 novembre 1983 fut confirmée par le procureur général près la cour d'appel de Munich le 30 janvier 1984, au motif que les enquêtes n'apportaient pas d'éléments suffisants susceptibles de justifier l'exercice de l'action publique.

18. Le 15 mars 1984, suite à une pétition adressée au parlement régional bavarois, la procédure d'enquête fut rouverte pour la quatrième fois et le 15 avril 1984, le procureur général près la cour d'appel chargea le parquet de Kempten d'effectuer d'autres vérifications.

19. Le 8 juin 1984, le parquet de Kempten, par la voie d'une demande d'entraide judiciaire, demanda au parquet de Toulouse d'entendre comme témoin le frère cadet de la victime, né en 1971, pour l'interroger sur les circonstances entourant la mort de sa sœur, ce qui fut fait le 4 septembre 1984.

20. Une nouvelle expertise pharmacologique concernant la question de l'innocuité de la préparation ferrique fut en outre confiée à l'Institut de pharmacologie clinique de Brême, qui présenta ses conclusions dans deux rapports datés respectivement du 15 juillet et du 26 septembre 1985. Le 17 juillet 1985, le procureur de Kempten demanda également aux autorités françaises, par la voie d'une demande d'entraide judiciaire, de procéder à l'exhumation du cadavre enterré à Toulouse. Le juge d'instruction de Toulouse prit à cet effet une commission rogatoire le 30 octobre 1985 et le cadavre fut exhumé et examiné par deux médecins légistes le 4 décembre 1985.

21. Le 24 février 1986, au vu des conclusions de l'expert et des résultats négatifs de l'autopsie après exhumation, le parquet de Kempten rendit une quatrième décision de classement de l'affaire, confirmée le 9 mai 1986 par le procureur général près la cour d'appel de Munich.

22. Conformément aux dispositions de l'article 172 du code de procédure pénale allemand, le père de la victime saisit alors la cour d'appel de Munich d'un recours dirigé contre la confirmation de la décision de classement du procureur général en vue de contraindre le parquet à mettre le requérant en accusation pour homicide volontaire ou involontaire (Klageerzwingungsverfahren). Par un jugement daté du 9 septembre 1987, la première chambre pénale de la cour d'appel de Munich déclara ce recours irrecevable.

II. Procédure française

a. La procédure d'instruction

23. Le 23 janvier 1984, parallèlement aux efforts qu'il déployait en Allemagne pour obtenir la mise en accusation du requérant, le père de la victime déposa une plainte pénale avec constitution de partie civile contre X auprès du juge d'instruction de Paris, pour homicide volontaire, en se fondant sur l'article 689-1 du code de procédure pénale français, qui prévoit que tout étranger qui s'est rendu coupable d'un crime hors du territoire de la République peut être poursuivi et jugé d'après les dispositions de la loi française lorsque la victime est de nationalité française.

24. A l'appui de sa plainte, le père de la victime déposa des documents, rapports d'expertise, enquêtes et témoignages résultant des diligences du parquet de Kempten en Allemagne.

25. Le 12 mars 1985, le juge d'instruction de Paris envoya une commission rogatoire aux autorités allemandes en leur demandant d'interroger un certain nombres de personnes et d'effectuer certaines diligences. Le parquet de Kempten lui répondit le 2 novembre 1985.

26. Le 27 février 1986, le parquet de Kempten adressa au juge d'instruction les trois tomes de son dossier d'enquête en photocopie.

27. Informé par le père de la victime le 10 mars 1986 de la quatrième décision de classement prise par le parquet de Kempten le 24 février 1986, le nouveau juge d'instruction chargé du dossier à Paris adressa une nouvelle commission rogatoire le 17 juin 1987 aux autorités allemandes. Il les invitait à mettre à la disposition des trois experts français, qu'il avait désignés le même jour, les prélèvements effectués lors de l'autopsie et examinés dans le cadre de l'expertise ayant donné lieu au rapport du 3 mars 1983 par trois experts allemands.

28. En exécution de la commission rogatoire française, les prélèvements en question furent remis à des policiers français le 22 mars 1988 et le 25 mars aux experts nommés le 17 juin 1987. Les experts remirent leur rapport le 27 juillet 1988 puis, dans un rapport complémentaire du 30 novembre 1988, rectifièrent une erreur de transcription.

29. Le 9 décembre 1988, une expertise complémentaire fut ordonnée par le juge d'instruction parisien, en vue de préciser le rôle et les effets des médicaments que le requérant avait indiqué avoir injectés à sa belle-fille pour tenter de la ranimer. Ce rapport fut déposé le 26 décembre 1988.

30. Le 8 février 1989, le troisième juge d'instruction chargé de ce dossier convoqua le requérant pour une audition. Par lettre du 22 février 1989, celui-ci informa le juge d'instruction que la justice allemande était parvenue, après enquête, à la conclusion qu'il n'existait aucune culpabilité de tiers dans le décès de K.B. et qu'il ne voyait aucune raison de se déplacer à Paris. Il indiquait toutefois être prêt à être entendu à son domicile.

31. Le 27 juillet 1989, le juge d'instruction adressa une troisième commission rogatoire aux autorités allemandes en leur demandant, d'une part, de notifier au requérant les conclusions des rapports d'expertise des 27 juillet et 26 décembre 1988 et, d'autre part, de l'entendre en tant que « témoin assisté » pour lui poser un certain nombre de questions précises sur le déroulement des faits. Le requérant fut entendu par un magistrat allemand le 8 février 1990.

32. Le 20 mai 1990, le requérant indiqua au juge d'instruction, suite à sa demande du 4 mai, qu'il ne lui était pas possible de se rendre à Paris, qu'il avait déjà répondu à ses questions mais qu'il pouvait répondre par écrit si le juge souhaitait lui en poser d'autres.

33. Le 1er février 1991, soit près de sept ans après l'ouverture de l'information, le requérant fut inculpé du crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le 23 avril 1991, il fut entendu par un magistrat allemand en exécution d'une commission rogatoire.

34. Le 10 juillet 1992, le juge d'instruction prit une ordonnance de transmission de pièces au procureur général près la cour d'appel de Paris, qui prit son réquisitoire le 25 septembre 1992.

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