Jurisprudence : CEDH, 25-03-1998, Req. 13/1997/797/1000, Kopp c. Suisse

CEDH, 25-03-1998, Req. 13/1997/797/1000, Kopp c. Suisse

A7211AWY

Référence

CEDH, 25-03-1998, Req. 13/1997/797/1000, Kopp c. Suisse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064130-cedh-25031998-req-1319977971000-kopp-c-suisse
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Cour européenne des droits de l'homme

25 mars 1998

Requête n°13/1997/797/1000

Kopp c. Suisse



AFFAIRE KOPP c. SUISSE

(13/1997/797/1000)


ARRÊT

STRASBOURG

25 mars 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Suisse – mise sur écoute des lignes téléphoniques d'un cabinet d'avocats sur instruction du procureur général de la Confédération (articles 66 § 1 bis et 77 de la loi fédérale sur la procédure pénale – PPF)

I. Article 8 de la Convention

A. Exception préliminaire du Gouvernement

Rappel de la jurisprudence de la Cour – évocation par le requérant, dans son recours administratif devant le Conseil fédéral, de l'illégalité des écoutes téléphoniques dont il avait fait l'objet – a donc soulevé en substance, devant les autorités nationales, son grief relatif à l'article 8.

Conclusion : rejet (unanimité).

B. Bien-fondé du grief

1. Applicabilité

Appels téléphoniques en provenance et à destination de locaux professionnels peuvent se trouver compris dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » visées à l'article 8 § 1 – absence de controverse sur ce point.

2. Observation

a) Existence d'une ingérence

Interception des communications téléphoniques constitue une « ingérence d'une autorité publique » au sens de l'article 8 § 2, dans l'exercice d'un droit que le paragraphe 1 garantit au requérant – peu importe, à cet égard, l'utilisation ultérieure de ces enregistrements.

b) Justification de l'ingérence

i. L'ingérence était-elle prévue par la loi ?

Existence d'une base légale en droit suisse

Rappel de la jurisprudence de la Cour – celle-ci non habilitée en principe à exprimer une opinion contraire au Départemental fédéral de justice et de police et au Conseil fédéral sur la compatibilité des écoutes judiciaires dont a fait l'objet le requérant avec les

articles 66 § 1 et 77 PPF – on ne saurait par ailleurs faire abstraction de la doctrine et de la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière – ingérence litigieuse avait donc une base légale en droit suisse.

Qualité de la loi

Accessibilité de la loi : hors de doute en l'espèce.

Prévisibilité de la loi quant au sens et à la nature des mesures applicables :

Constituant une atteinte grave au respect de la vie privée et de la correspondance, les écoutes doivent se fonder sur une « loi » d'une précision particulière, d'autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner.

Garanties ménagées par le droit suisse non dénuées de valeur – cependant, contradiction entre un texte législatif clair, protecteur du secret professionnel de l'avocat lorsque celui-ci est surveillé en tant que tiers, et la pratique suivie en l'espèce – la loi n'explicite pas comment, à quelles conditions et par qui doit s'opérer le tri entre ce qui relève spécifiquement du mandat d'avocat et ce qui a trait à une activité qui n'est pas celle de conseil – surtout, étonnant en pratique de confier cette tâche à un fonctionnaire du service juridique des PTT, appartenant à l'administration, sans contrôle par un magistrat indépendant – requérant, en sa qualité d'avocat, n'a donc pas joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique.

Conclusion : violation (unanimité).

ii. Finalité et nécessité de l'ingérence

Constat de manquement à l'une des exigences de l'article 8 § 2 dispensant la Cour de s'assurer du respect des deux autres – non-lieu à trancher la question.

II. Article 13 de la Convention

Renonciation expresse du requérant à ce grief devant la Cour.

Conclusion : non-lieu à un examen d'office (unanimité).

III. Article 50 de la Convention

Dommage matériel : requérant pas en mesure de prouver l'existence d'un lien de causalité entre les écoutes téléphoniques dont il a fait l'objet et le préjudice allégué – rejet.

Dommage moral : suffisamment compensé par le constat de violation.

Frais et dépens : demande accueillie en partie.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme au requérant pour frais et dépens (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

2.8.1984, Malone c. Royaume-Uni ; 24.4.1990, Kruslin c. France et Huvig c. France ; 16.12.1992, Niemietz c. Allemagne ; 23.10.1996, Ankerl c. Suisse ; 25.6.1997, Halford c. Royaume-Uni ; 27.11.1997, K.-F. c. Allemagne

En l'affaire Kopp c. Suisse ,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

Thór Vilhjálmsson,

L.-E. Pettiti,

C. Russo,

A. Spielmann,

J.M. Morenilla,

A.B. Baka,

L. Wildhaber,

M. Voicu,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 novembre 1997 et 28 février 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par un ressortissant suisse, M. Hans W. Kopp (« le requérant »), le 20 janvier 1997, par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 22 janvier 1997, et par le gouvernement de la Confédération suisse (« le Gouvernement ») le 27 février 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 23224/94) dirigée contre la Suisse et dont M. Kopp avait saisi la Commission le 15 décembre 1993 en vertu de l'article 25.

La requête du requérant renvoie à l'article 48 de la Convention modifié par le Protocole n° 9, que la Suisse a ratifié, la demande de la Commission aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46), la requête du Gouvernement

aux articles 45, 47 et 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le

point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 13 de la Convention.

2. Le 20 janvier 1997, le requérant avait désigné son conseil (article 31 du règlement B), que le président a autorisé à utiliser la langue allemande dans la procédure tant écrite qu'orale (article 28 § 3). Initialement désigné par les lettres H.W.K., il a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 21 février 1997, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. L.-E. Pettiti, M. C. Russo, M. A. Spielmann, Mme E. Palm, M. A.B. Baka et M. M. Voicu (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B). Par la suite, M. J.M. Morenilla, suppléant, a remplacé Mme Palm, empêchée (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement B).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 19 et 27 septembre 1997 respectivement.

Le 7 octobre 1997, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

5. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 25 novembre 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

MM. P. Boillat, sous-directeur, chef de la division

des affaires internationales,

Office fédéral de la Justice, agent,

F. Bänziger, substitut du procureur général

de la Confédération,

F. Schürmann, chef de la section des droits

de l'homme et du Conseil de l'Europe,

Office fédéral de la justice, conseillers ;

pour la Commission

M. B. Marxer, délégué ;

– pour le requérant

Me T. Poledna, avocat au barreau de Zurich, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Marxer, Me Poledna et M. Boillat.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Ressortissant suisse né en 1931 et ancien avocat, M. Hans W. Kopp habite à Zurich (Suisse).

A. La genèse de l'affaire

7. L'épouse du requérant, Mme Elisabeth Kopp, fut membre du Conseil fédéral et chef du Département fédéral de justice et de police de 1984 jusqu'à sa démission en janvier 1989.

1. La demande d'entraide judiciaire

8. Le 28 février 1988, un client demanda à Me Hauser, membre du cabinet d'avocats Kopp & associés, d'examiner la légalité d'une demande d'entraide judiciaire adressée à la Suisse par les autorités américaines, et portant sur une affaire de fiscalité. Après un premier examen du dossier, Me Hauser refusa, invoquant une consigne au sein du cabinet de l'intéressé d'après laquelle toutes les affaires touchant au Département fédéral de justice et de police, dirigé à l'époque par son épouse, devaient être refusées. Le dossier fut donc transmis au cabinet d'avocats Niederer, Kraft & Frey à Zurich.

9. Le 10 juin 1988, ce dernier demanda à l'Office fédéral de la police de pouvoir consulter la demande d'entraide judiciaire en question. Le 23 août 1988, l'Office fédéral adressa au cabinet une version abrégée (gestrippte) de ce document, excepté une partie secrète portant sur le crime organisé.

2. La démission de Mme Kopp

10. Parallèlement, en novembre 1988, les médias firent état d'accusations de blanchiment d'argent portées à l'encontre de la société Shakarchi Trading AG et de M. Kopp, vice-président du conseil d'administration à l'époque des faits. Fin 1988, celui-ci porta plainte contre un journal.

11. A la demande de sa femme, le requérant avait présenté sa démission en tant que vice-président du conseil d'administration en octobre 1988. Mme Kopp fut alors soupçonnée d'avoir trahi le secret de fonction. D'autres soupçons d'infractions pesant par ailleurs sur son mari, elle fut contrainte de démissionner.

3. La création d'une commission d'enquête parlementaire

12. Le 31 janvier 1989, le parlement suisse chargea une commission d'enquête parlementaire d'examiner la manière dont Mme Kopp avait exercé ses fonctions, ainsi que les circonstances de sa démission.

13. En février 1989, le président de la commission d'enquête parlementaire, M. Leuenberger, fut informé qu'un certain X, citoyen américain, aurait obtenu du requérant un document que l'Office fédéral de la police et le Tribunal fédéral avaient refusé de communiquer, moyennant le paiement d'une somme de 250 000 francs suisses. M. Leuenberger obtint cette information d'un certain Y, qui l'avait lui-même obtenue de l'informateur initial, Z.

14. Il apparut par la suite que X était concerné par la demande d'entraide judiciaire américaine, qui contenait des informations secrètes sur son rôle dans les milieux du crime organisé. On soupçonna donc qu'un membre du Département fédéral de justice et de police avait peut-être transmis des documents confidentiels se rapportant à cette demande d'entraide judiciaire en violation du secret de fonction.

B. Le déroulement de l'enquête et la surveillance des lignes téléphoniques du requérant

15. Le 21 novembre 1989, le procureur général de la Confédération ouvrit une information contre X, afin d'interroger l'informateur Y et d'identifier la personne travaillant au sein du Département fédéral de justice et de police susceptible d'avoir violé le secret de fonction.

16. Il ordonna également la surveillance des lignes téléphoniques des informateurs Y et X, ainsi que celles de M. Kopp et de son épouse. Le requérant fut surveillé en tant que « tiers », et non en tant que suspect.

17. La surveillance débuta le 21 novembre 1989 et s'acheva le 11 décembre 1989.

18. Le 23 novembre 1989, le président de la chambre d'accusation du Tribunal fédéral fit droit à la demande du procureur général tendant à faire surveiller treize lignes téléphoniques au total, dont les lignes privées et professionnelles de l'intéressé ainsi que celles de son épouse, dont notamment une ligne secrète qui lui avait été attribuée en tant qu'ancienne conseillère fédérale. L'ordonnance mentionnait expressément que « les conversations des avocats ne [devaient] pas être prises en compte ».

19. Le 24 novembre 1989, la commission d'enquête parlementaire publia son rapport. Celui-ci concluait que Mme Kopp s'était acquittée de ses fonctions avec compétence, diligence et circonspection, et que les rumeurs selon lesquelles elle aurait subi des influences extérieures dans l'exercice de ses fonctions étaient infondées. En février 1990, le Tribunal fédéral relaxa Mme Kopp du chef de violation du secret de fonction.

20. Le 1er décembre 1989, le ministère public de la Confédération entendit l'informateur Y, en présence du président de la commission parlementaire, M. Leuenberger.

21. Le 4 décembre 1989, ce dernier prit contact avec l'informateur Z, que le ministère public interrogea le 8 décembre.

22. Le 12 décembre 1989, ayant conclu que les soupçons de violation de secret de fonction étaient dénués de fondement, le ministère public mit fin à la surveillance de l'ensemble des lignes téléphoniques de M. et Mme Kopp.

23. Le 14 décembre 1989, le ministère public rendit son rapport final sur l'enquête. Ce dernier précisait qu'en 1988 Me Hauser avait transmis au cabinet Niederer, Kraft & Frey un dossier relatif à la demande d'entraide judiciaire (paragraphe 8 ci-dessus) et que rien n'indiquait que le requérant et son épouse avaient été directement impliqués dans cette affaire.

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