Jurisprudence : CEDH, 24-02-1995, Req. 51/1993/446/525, McMichael c. Royaume-Uni

CEDH, 24-02-1995, Req. 51/1993/446/525, McMichael c. Royaume-Uni

A6655AWE

Référence

CEDH, 24-02-1995, Req. 51/1993/446/525, McMichael c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063574-cedh-24021995-req-511993446525-mcmichael-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

24 février 1995

Requête n°51/1993/446/525

McMichael c. Royaume-Uni



En l'affaire McMichael c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
A. Spielmann, Mme E. Palm, M. I. Foighel, Sir John Freeland,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 septembre 1994 et 25 janvier 1995,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 51/1993/446/525. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 10 décembre 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 16424/90) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont deux citoyens de cet Etat, M. Antony et Mme Margaret McMichael, avaient saisi la Commission le 11 octobre 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1, 8 et 14 (art. 6-1, art. 8, art. 14) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 28 janvier 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. C. Russo, M. A. Spielmann, Mme E. Palm et M. I. Foighel, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement britannique ("le Gouvernement"), le conseil des requérants et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu les mémoires respectifs des requérants et du Gouvernement les 2 et 16 mai 1994, un mémoire complémentaire des requérants le 2 août 1994 et leurs observations sur l'application de l'article 50 (art. 50) de la Convention le 13 septembre 1994. Une version révisée des mémoire et mémoire complémentaire des requérants est parvenue au greffe le 31 août 1994. Le 22 août, le secrétaire de la Commission avait informé le greffier que la déléguée s'exprimerait en plaidoirie.

5. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 20 septembre 1994 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme S. J. Dickson, ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, agent, MM. T.C. Dawson, QC, Solicitor General pour l'Ecosse, R. Reed, Advocate,
conseils, J.L. Jamieson, Solicitor, Scottish Office, D. MacNab, administrateur, Scottish Office, conseillers;

- pour la Commission

Mme G.H. Thune,
déléguée;

- pour les requérants

MM. P.T. McCann, Solicitor,
conseil, T. Ruddy, Solicitor stagiaire,
conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Thune, M. McCann et M. Dawson, ainsi que des réponses à ses questions.


EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Evénements survenus avant et en 1987

6. Le premier requérant, Antony McMichael, et la seconde requérante, Margaret McMichael, résident à Glasgow. Ils sont nés respectivement en 1938 et 1954 et se sont mariés le 24 avril 1990.

7. Le 29 novembre 1987, la seconde requérante a donné naissance à un fils, A. Le premier requérant, alors connu sous le nom d'Antony Dench, et elle cohabitaient tout en ayant en ce temps-là chacun son domicile. La seconde requérante niait expressément à cette époque que le premier requérant fût le père de A. Le nom du père de l'enfant ne figurait pas dans l'acte de naissance.

8. La seconde requérante souffrait de troubles psychiatriques graves et intermittents, diagnostiqués comme une psychose maniaco-dépressive. Les premières manifestations de sa maladie eurent lieu vers 1973, sur quoi elle avait été internée de force dans des établissements psychiatriques à plusieurs reprises. Alors qu'elle et A. se trouvaient encore à l'hôpital après la naissance, le Dr R., psychiatre conseil qui la suivait depuis 1985, constata une réapparition de ses troubles mentaux. Il estima que si elle rentrait chez elle avec A., l'enfant serait en danger. Le département des services sociaux du conseil régional de Strathclyde ("le Conseil") - organe de l'autorité locale ayant de par la loi des responsabilités quant à la protection d'enfants de Glasgow et des environs - demanda le 11 décembre 1987 et obtint une ordonnance dite de "placement en un lieu sûr", en vertu de l'article 37 par. 2 de la loi de 1968 sur le travail social en Ecosse (Social Work (Scotland) Act 1968, "la loi de 1968") (se reporter au paragraphe 50 ci-dessous pour une explication de pareilles ordonnances). Cette ordonnance avait pour effet d'autoriser le Conseil à garder A. à l'hôpital pour sept jours au plus. La seconde requérante en fut informée et on lui suggéra de demander les conseils d'un homme de loi.

9. Estimant que A. pouvait requérir des mesures de placement de force, le rapporteur (Reporter) auprès du collège des spécialistes de l'enfance (children's panel) de la région de Strathclyde prit des dispositions afin qu'une commission de l'enfance (children'hearing) se réunît, en application de l'article 37 par. 4 de la loi de 1968 (sur les fonctions du rapporteur et la nature des commissions de l'enfance, voir les paragraphes 46, 47, 50 et 51 ci-dessous). Le motif de la saisine de ladite commission était que "le défaut de soins de la part des parents risqu[ait] de causer à [A.] des souffrances évitables ou de porter gravement atteinte à sa santé ou à son développement" - il s'agissait là d'un des motifs prévus par l'article 32 de la loi de 1968 (paragraphe 48 ci-dessous). L'exposé des faits suivants était produit à l'appui de la saisine:

"1) (...)

2) [La mère] souffre de troubles psychiatriques graves.

3) [La mère] refuse de se soumettre à un traitement médical pour stabiliser sa maladie lorsqu'elle n'est pas hospitalisée dans un établissement psychiatrique.

4) [La mère] a dû être internée d'urgence dans un hôpital psychiatrique (...) les 5 juin 1986, 5 décembre 1986 et 31 décembre 1986.

5) En raison de son état mental, [la mère] ne peut sans doute pas s'occuper convenablement de son enfant."

10. A l'audience du 17 décembre 1987 devant la commission, le président expliqua à la seconde requérante les motifs invoqués par le rapporteur à l'appui de la saisine. L'intéressée indiqua ne pas les accepter; elle contesta en particulier les paragraphes 2, 3 et 5 de l'exposé des faits. La commission chargea en conséquence le rapporteur d'en référer à la Sheriff Court (tribunal du comté) aux fins de déterminer si lesdits motifs étaient établis, conformément à l'article 42 de la loi de 1968 (paragraphe 54 ci-dessous).

La commission de l'enfance délivra aussi un mandat, sur la base de l'article 37 par. 4 de la loi de 1968, pour que A. demeurât placé en un lieu sûr jusqu'au 6 janvier 1988 (paragraphe 50 ci-dessous). Une nouvelle ordonnance fut rendue le 5 janvier 1988 lors d'une autre audience.

11. Le 23 décembre 1987, A. fut transféré de l'hôpital à une famille d'accueil à Greenock, à une trentaine de kilomètres de Glasgow. Il s'y trouve depuis. Le même jour, la seconde requérante quitta l'hôpital de son propre chef. Des dispositions furent prises pour la conduire trois fois par semaine voir A. dans le foyer d'accueil, sous la surveillance du département des services sociaux.

Le premier requérant, qui avait lui aussi souffert de troubles mentaux, ne fut pas englobé à ce stade dans les modalités des visites. La principale raison en était que la seconde requérante continuait de contester qu'il fût le père de A. et que lui-même n'en revendiquait pas la paternité. En outre, il avait une attitude agressive et menaçante et refusait de fournir des renseignements sur ses antécédents.

B. Evénements survenus en 1988

12. La seconde requérante se plaignit du placement de l'enfant à Greenock et du caractère insuffisant des modalités des visites. Elle admit tout d'abord que le premier requérant ne pouvait y participer, mais par la suite, lui et elle s'en prirent aussi à cette exclusion. Elle ne se présenta pas à quatre des visites qu'elle avait été autorisée à faire entre le 31 décembre 1987 et le 18 janvier 1988.

13. Le 21 janvier 1988, la Sheriff Court de Glasgow examina la requête du rapporteur afin de se prononcer sur les motifs de la saisine. La seconde requérante assista et fut représentée à l'audience par un solicitor. Le premier requérant y assista lui aussi. Le rapporteur mena l'audition des membres du personnel médical, dont le Dr R., des puéricultrices et des travailleurs sociaux. Le premier et la seconde requérante déposèrent également. Aucune pièce écrite ne fut produite au tribunal, si ce n'est les motifs de la saisine et l'exposé des faits (mentionnés au paragraphe 9 ci-dessus). Au terme de l'audience, le Sheriff estima établi le motif de la saisine. Il déféra la cause au rapporteur qu'il chargea de réunir une commission de l'enfance aux fins d'examiner l'affaire. La seconde requérante n'en appela pas à la Court of Session, la juridiction civile suprême en Ecosse.

Saisi d'une demande du rapporteur et après l'avoir entendu ainsi que la seconde requérante, le Sheriff délivra aussi une ordonnance confirmant le placement de A. en un lieu sûr pour une nouvelle période de vingt et un jours au plus.

14. Le 27 janvier 1988, le département des services sociaux tint une réunion relative à la prise en charge de l'enfant ("child care review") pour examiner ce cas. Les deux requérants y assistèrent. Le psychiatre conseil, le Dr R., indiqua que la seconde requérante souffrait de graves troubles mentaux mais ne voulait pas subir de traitement. Il fut décidé de mettre fin aux visites, mais que cette décision serait reconsidérée si la condition mentale de la seconde requérante s'améliorait. Le premier requérant avait aussi demandé à la réunion à bénéficier d'un droit de visite, se prétendant pour la première fois le père de A. Les visites lui furent refusées puisque la seconde requérante persistait à dire qu'il n'était pas le père. Le département des services sociaux tint aussi compte de son attitude agressive et menaçante et de son refus persistant de donner des renseignements sur lui-même.

15. Le 4 février 1988, une commission de l'enfance se réunit pour déterminer si des mesures obligatoires de placement s'imposaient pour A. La seconde requérante assista à l'audience, le premier requérant y étant son représentant. La commission de l'enfance avait en sa possession un certain nombre de pièces, notamment un rapport du 28 janvier 1988 sur l'enfant, établi par le département des services sociaux, retraçant l'historique de l'affaire et proposant que A. demeurât au foyer d'accueil. Conformément aux règles procédurales pertinentes (figurant dans le règlement de 1986 sur les commissions de l'enfance en Ecosse (Children's Hearings) (Scotland) Rules 1986, "le règlement de 1986"; paragraphe 57 ci-dessous), les pièces ne furent pas remises aux requérants, mais le président informa ceux-ci de leur substance.

La commission de l'enfance décida que A. avait besoin de mesures obligatoires de placement. En vertu de l'article 44 par. 1 a) de la loi de 1968, elle prit donc une ordonnance de mise sous tutelle, plaçant A. sous la tutelle du Conseil et fixant comme condition qu'il résidât au foyer d'accueil à Greenock (pour les conditions de tutelle, voir les paragraphes 58 à 60 ci-dessous). Cette décision s'appuyait, notamment, sur la santé mentale des deux requérants, leur attitude agressive et hostile et le refus de la seconde de se soumettre à une aide et à un traitement psychiatriques. Cette décision ne prévoyait rien en matière de visites. En pareil cas, on présume que les parents jouiront d'un droit de visite raisonnable sous réserve des dispositions de l'article 20 par. 1 de la loi de 1968 qui habilite une autorité locale à refuser les visites lorsque le bien-être de l'enfant le commande.

16. Le 6 février 1988, la seconde requérante fut admise dans un hôpital psychiatrique, d'abord de son plein gré puis, à partir du 10 février, de force. Elle rentra chez elle en juin 1988.

17. La seconde requérante (alors internée) se pourvut devant la Sheriff Court contre la décision de la commission de l'enfance. L'ensemble du dossier dont avait disposé celle-ci fut communiqué à la Sheriff Court. Il semble que, conformément à la procédure habituelle (pour celle-ci, voir le paragraphe 61 ci-dessous), il n'ait pas été communiqué à la seconde requérante. Accompagnée de deux infirmières, elle assista à l'audience d'appel le 29 février 1988. Elle avait manifestement absorbé une forte dose de sédatifs et n'était pas représentée. Après quelques discussions, le Sheriff lui demanda si elle préférait qu'une commission de l'enfance réexaminât l'ordonnance de placement sous tutelle plutôt que de maintenir son recours. Elle choisit la première solution. Dès lors, on considéra qu'elle s'était désistée de son recours.

18. Le département des services sociaux réexamina l'affaire le 27 avril 1988. Les deux requérants assistèrent à la réunion, l'établissement psychiatrique ayant autorisé la seconde à s'y rendre. Son état mental s'étant amélioré, il fut décidé de lui permettre de voir A. sous surveillance. A cette époque, elle avait admis que le premier requérant était le père de l'enfant. Le 18 février 1988, le nom de l'intéressé avait été ajouté sur l'acte de naissance de A., mais cette mention ne lui conférait aucun droit parental (sur ce point, voir le paragraphe 43 ci-dessous). Au cours de cette réunion, le Conseil décida de ne pas accorder de droit de visite au premier requérant tant qu'il n'aurait pas communiqué des informations sur ses antécédents, ce à quoi il s'était refusé jusqu'alors.

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