Jurisprudence : CEDH, 25-11-1994, Req. 38/1993/433/512, Stjerna c. Finlande

CEDH, 25-11-1994, Req. 38/1993/433/512, Stjerna c. Finlande

A6643AWX

Référence

CEDH, 25-11-1994, Req. 38/1993/433/512, Stjerna c. Finlande. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063562-cedh-25111994-req-381993433512-stjerna-c-finlande
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Cour européenne des droits de l'homme

25 novembre 1994

Requête n°38/1993/433/512

Stjerna c. Finlande



En l'affaire Stjerna c. Finlande*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
C. Russo,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
J.M. Morenilla,
L. Wildhaber,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 juin et 24 octobre 1994,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 38/1993/433/512. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole no 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant°les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 18131/91) dirigée contre la République de Finlande et dont un ressortissant de cet Etat, M. Stjerna, avait saisi la Commission le 11 mars 1991 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration finlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Pekkanen, juge élu de nationalité finlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 24 septembre 1993, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. L.-E. Pettiti, M. N. Valticos, M. B. Walsh, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. L. Wildhaber, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Par la suite, M. C. Russo, suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement finlandais ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement le 14 mars 1994. Le 7 avril 1994, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué n'entendait pas y répondre par écrit.

5. Le 25 mars 1994, le président a consenti à ce que le prénom du requérant ne soit pas révélé.

6. Entre le 4 et le 9 mai 1994, la Commission a produit divers documents; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

7. Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 25 mai 1994, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. T. Grönberg, ambassadeur, directeur général des Affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères,
agent, A. Kosonen, conseiller juridique, ministère des Affaires étrangères,
coagent, Y. Mäkelä, conseiller juridique, ministère de la Justice,
conseiller;

- pour la Commission

M. H. Danelius,
délégué;

- pour le requérant

M. M. Fredman, asianajaja, advokat,
conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Grönberg, Danelius et Fredman, ainsi que la réponse à la question d'un de ses membres.


EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

8. De nationalité finlandaise, M. Stjerna réside à Helsinki.

9. Le 28 mars 1989, il demanda à la préfecture (lääninhallitus, länsstyrelsen) d'Uusimaa l'autorisation de changer son nom de famille Stjerna (prononcé "Cherna") en celui de "Tawaststjerna". Il affirmait que ses ancêtres avaient employé le patronyme envisagé et que lui et d'autres membres de la famille Stjerna avaient toujours ressenti comme une injustice d'avoir à porter la moitié du nom original. En outre, l'usage de son patronyme créerait des difficultés pratiques car, ancienne forme suédoise, il serait peu courant et difficile à prononcer, de sorte qu'il serait souvent mal orthographié (par exemple, "Stjärna", "Säärna", "Saarna", "Seerna", "Sierna", "Tierna" et "Stjerba").

10. Dans un avis du 19 avril 1989 soumis à la préfecture, le comité consultatif sur les noms (nimilautakunta, nämnden för namnärenden) s'opposa à ce changement. Le requérant n'aurait pas démontré que le nom qu'il souhaitait adopter eût été porté par ses aïeux, car celui en question, M. Fredrik Stjerna, était né hors mariage. Les ancêtres cités étaient trop éloignés dans le temps pour répondre aux conditions de l'article 10 par. 2 de la loi de 1985 sur les patronymes (sukunimilaki 694/85, släktnamnslagen 694/85, paragraphe 17 ci-dessous).

11. Au cours d'un échange de vues avec le comité consultatif sur les noms, le 14 juin 1989, le requérant fit savoir que son nom lui avait valu d'être affublé du sobriquet "kirnu" en finnois, dérivé du mot suédois "kärna" ("baratte"). En outre, selon lui, son lien de parenté éloignée avec ces ancêtres ne pouvait constituer un motif de refuser le changement de son patronyme. Renvoyant à un rapport généalogique, il contestait l'allégation selon laquelle M. Magnus Fredrik Tawaststjerna n'était pas le père de M. Fredrik Stjerna.

12. Le 25 octobre 1989, le comité consultatif sur les noms préconisa une fin de non-recevoir à la demande; il jugeait le nom envisagé inopportun. Bien que M. Stjerna eût avancé à l'appui de sa requête un argument valable - le caractère obscur de son nom - et descendît d'un certain Tavaststjerna, son ancêtre, décédé en 1773, était très éloigné et le nom proposé pouvait entraîner des inconvénients analogues à ceux de son nom actuel.

13. Le 21 novembre 1989, l'intéressé signala au comité consultatif sur les noms que son patronyme étant mal orthographié, la remise de son courrier se trouvait retardée. Afin de se conformer à l'orthographe recommandée par un membre du comité, il demanda que son nom fût changé en "Tavaststjerna" (et non plus Tawaststjerna).

14. Le 12 février 1990, la préfecture écarta, par application de l'article 10 par. 2 de la loi sur les patronymes, la demande du requérant. Elle n'était pas convaincue que le nom proposé eût été porté par les ancêtres de l'intéressé de façon "constante", car le premier à avoir répondu à son nom actuel était né hors mariage. Comme le nom souhaité avait été employé par des ancêtres très éloignés, il ne serait pas opportun que l'intéressé changeât son patronyme pour le leur.

15. Le requérant attaqua la décision de la préfecture devant la Cour suprême administrative (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen); le 14 novembre 1990, celle-ci la confirma par quatre voix contre une. Elle nota que, d'après les pièces du dossier, l'ancêtre du requérant, M. Fredrik Stjerna, né en 1764, était le fils illégitime de M. Magnus Fredrik Tavaststjerna. Rien que pour cette raison, le nom envisagé ne pouvait être considéré comme ayant appartenu aux ancêtres du demandeur de manière "constante" comme le voulait l'article 10 par. 2 de la loi sur les patronymes. Cela étant et compte tenu des motifs indiqués par la préfecture, il n'y avait aucune raison de modifier la décision de celle-ci.

Pour la minorité, le nom Tavaststjerna avait appartenu de manière "constante" aux ancêtres de l'intéressé. Le fait que Fredrik Stjerna, le premier de ses ancêtres à s'appeler Stjerna, était né hors mariage n'entrait pas en ligne de compte. Eu égard aux désagréments que son nom de famille actuel causait à l'intéressé, il y avait lieu de casser la décision de la préfecture et de renvoyer l'affaire à celle-ci.

16. D'après le Gouvernement, un guide des patronymes finlandais paru en 1984 dresse la liste de quelque 7 000 noms tombés en désuétude et, en outre, de quelque 2 000 noms tirés de substantifs et noms de lieux finlandais.

II. Législation interne pertinente et droit comparé

A. La législation finlandaise

1. Changements de nom

17. L'article 10 de la loi sur les patronymes disposait qu'une personne pouvait être autorisée à changer de nom de famille si elle était en mesure de démontrer:

"1. que l'usage de son nom patronymique actuel lui caus[ait] des désagréments en raison de son origine étrangère, de sa signification dans le langage courant,
de son usage courant ou pour toute autre raison;

2. que le nom de famille proposé [avait] été porté antérieurement par elle-même ou, de manière constante (vakiintuneesti, hävdvunnen), par ses ancêtres, et sous réserve que le changement [pût] être considéré comme opportun; ou

3. que le changement de nom de famille [pouvait] passer pour justifié du fait que la situation [avait] évolué ou pour toute autre raison particulière."

18. L'article 11 de la loi de 1985 renfermait des dispositions sur les obstacles d'ordre général aux changements de patronyme. Ne pouvait être admis comme nouveau nom un patronyme qui aurait été déplacé ou qui, à l'usage, aurait pu être source de désagréments évidents. Sauf circonstances particulières, il ne pouvait s'agir d'un nom qui, en raison de sa forme ou de son orthographe, était incompatible avec la pratique nationale en matière de nom (paragraphe 1); d'un nom très souvent porté comme patronyme (paragraphe 2) ou d'un nom servant couramment de prénom (paragraphe 3).

Ne pouvait être admis comme nouveau patronyme un nom notoirement porté par une famille finlandaise ou étrangère déterminée, sauf motifs particuliers (article 12 par. 1).

19. En vertu de l'article 13 par. 2, alinéa 1 (qui renfermait des dispositions sur "les motifs particuliers pour autoriser l'adoption d'un nouveau patronyme"), l'adoption d'un nouveau patronyme ne remplissant pas les conditions énoncées aux articles 11 par. 2 ou 12 pouvait néanmoins être autorisée si le demandeur pouvait prouver que le patronyme envisagé avait été légalement porté auparavant par lui ou ses ancêtres.

20. Si, après avoir recueilli l'avis du comité consultatif sur les noms, la préfecture ne constatait aucun motif au regard des articles 10 à 13 d'écarter une demande de changement de patronyme, la demande était publiée au Journal officiel (article 18).

21. Quiconque prétendait qu'un changement de nom de famille serait incompatible avec l'article 12 et porterait atteinte à ses droits pouvait, en vertu de l'article 19, faire opposition à la demande devant la préfecture dans les trente jours de la publication susvisée. Une opposition formée au-delà de ce délai pouvait, sauf si la question était déjà tranchée, être prise en compte lors de l'examen de la requête.

22. En cas de rejet de la demande, la préfecture devait motiver sa décision (article 20 par. 2).

La décision relative à une demande de changement de patronyme devait être notifiée au demandeur et à quiconque avait formé opposition en application de l'article 19 (article 21) et l'un comme l'autre pouvaient l'attaquer (article 22) devant la Cour suprême administrative.

23. En 1991, la loi 253/91 a incorporé les dispositions relatives aux prénoms à la loi de 1985 sur les patronymes, qui s'intitule désormais la loi sur les noms (nimilaki, namnlagen).

2. Enregistrement de la population

24. L'enregistrement de la population s'opérait au niveau national et local.

Il était géré, au niveau national, par le service central de l'état civil (chapitre 3, article 8, de la loi de 1970 sur les registres d'état civil - västökirjalaki 141/69, lag 141/69 om befolkningsböcker) et, au niveau de la commune, par les paroisses évangéliques-luthériennes et orthodoxes ou, lorsque l'intéressé n'était membre d'aucune de ces paroisses, par le bureau local de l'état civil (chapitre 2, articles 3, 6 et 26).

25. Sur le registre d'état civil national, mis à jour cinq fois par semaine, figuraient les nom et numéro d'identité personnel de chaque individu ainsi que d'autres données qui permettaient de retrouver les nom et adresse d'une personne à l'aide de l'informatique, même si son nom ou son numéro d'identité n'étaient pas consignés au registre. Seuls les pouvoirs publics y avaient un accès direct (voir Le système d'information de l'état civil finlandais, Journée internationale de l'état civil, publié en 1992 par la Commission internationale de l'état civil).

26. Le centre attribuait un numéro d'identité personnel à toute personne enregistrée; ce numéro se composait de la date de naissance de l'intéressé, d'un numéro individuel et d'un numéro de contrôle (articles 4 et 5 du décret de 1970 sur les registres d'état civil - väestökirja- asetus 198/70, förordning 198/70 om befolkningsböcker).

27. Dès que la préfecture ou, en appel, la Cour suprême administrative autorisaient un changement de nom, elles communiquaient le nouveau nom au centre (article 8 par. 1 du décret de 1991 sur les noms (nimiasetus 254/91, namnförordning 254/91)). L'autorité qui avait permis le changement de nom devait être précisée dans le registre (article 7 par. 4 du décret de 1970).

28. Depuis le 1er novembre 1993, la loi de 1970 et le décret de 1970 sont remplacés par la loi de 1993 sur les données démographiques (väestötietolaki 507/1993, befolkningsdatalag 507/1993) et le décret de 1993 sur les données démographiques (väestötietoasetus 886/1993, befolkningsdataförordning 886/1993).

B. Droit comparé

29. Les législations régissant les noms dans les douze Etats membres de la Commission internationale de l'état civil, tous membres du Conseil de l'Europe, soumettent à plusieurs conditions la possibilité pour une personne de changer de nom. En Belgique, au Portugal et en Turquie, n'importe quel motif peut être avancé à l'appui d'une demande de changement de nom. En France, en Allemagne, au Luxembourg et en Suisse, il faut des motifs convaincants. Dans certains pays, il faut des raisons précises: par exemple, le nom actuel est difficile à prononcer ou à orthographier (Autriche), cause à l'intéressé des difficultés d'ordre juridique ou social (Autriche et Grèce); il est contraire à la bienséance (Pays-Bas et Espagne), est ridicule (Autriche, Italie et Pays-Bas) ou est par ailleurs contraire à la dignité de la personne concernée (Espagne) (Guide pratique international de l'état civil, Paris).

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