Cass. soc., Conclusions, 05-07-2023, n° 21-24.122
A85822RB
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:SO00802
Référence
L'article L. 6315-1, I, du code du travail ne s'oppose pas à la tenue à la même date de l'entretien d'évaluation et de l'entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d'évaluation ne soient pas évoquées
AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 802 du 5 juillet 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-24.122 Décision attaquée : 16 septembre 2021 de la cour d'appel de Versailles CSE Paris Onshore/Offshore de la société Technip France C/ le syndicat de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens - CGT Technip France _________________
Le groupe français Technip a été racheté par le groupe américain FMC Technologies en janvier 2017. Invoquant la survenue de plusieurs événements tragiques depuis 2015, dont de nombreux burn-out et plusieurs suicides, le CHSCT et le comité d'établissement de Paris La Défense de la société Technip France, la Fédération CFDT Communication, Conseil, Culture et l'Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens CGT Technip France ont, le 6 juin 2018, saisi le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de voir juger que la société n'a pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et de voir ordonner à la société de mettre en place des mesures d'urgence pour lutter contre les risques psychosociaux. Par jugement prononcé le 23 mai 2019, le tribunal de grande instance a notamment constaté que l'employeur justifie de l'engagement de négociations collectives qui sont en cours ou sont d'ores et déjà programmées sur le droit à la déconnexion, la compensation des trajets inhabituels, la mise en place d'un dispositif
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de contrôle du temps de travail et des trajets inhabituels, les modalités d'organisation des entretiens professionnels et les fiches de poste ; ordonné à l'employeur de procéder à une évaluation globale des risques psychosociaux au niveau de chaque division, et des services juridiques et propositions, suivant la méthodologie préconisée par l'INRS dans sa brochure INRD ED 6011, procéder systématiquement préalablement à la mise en oeuvre de chaque projet de réorganisation ou de toute décision impactant l'ensemble du personnel de l'établissement, à une évaluation de l'impact de ce projet sur l'état de santé mentale des salariés, et la présenter pour avis au CHSCT pendant les deux années suivant la décision, réviser le Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels afin d'y faire figurer les moyens financiers, techniques et humains consacrés à la mise en place de chaque action de prévention ; condamné l'employeur à verser à chacun des défendeurs une somme à titre de dommages et intérêts ; rejeté les autres demandes. Sur appel des syndicats, ainsi que du CSE, venant aux droits du CHSCT et du comité d'établissement, la cour d'appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 16 septembre 2021, a notamment confirmé le jugement déféré excepté en ce qu'il a ordonné à l'employeur de procéder à une évaluation globale des risques psychosociaux au niveau de chaque division, et des services juridiques et propositions, suivant la méthodologie préconisée par l'INRS dans sa brochure INRD ED 6011, de procéder systématiquement préalablement à la mise en oeuvre de chaque projet de réorganisation ou de toute décision impactant l'ensemble du personnel de l'établissement, à une évaluation de l'impact de ce projet sur l'état de santé mentale des salariés, et la présenter pour avis au CHSCT pendant les deux années suivant la décision, de réviser le Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels afin d'y faire figurer les moyens financiers, techniques et humains consacrés à la mise en place de chaque action de prévention ; condamné l'employeur à verser aux syndicats, au comité d'établissement et au CHSCT une somme à titre de dommages et intérêts ; statuant à nouveau et y ajoutant, a débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes. Le CSE s'est pourvu en cassation. Le syndicat de l'Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens - CGT Technip France a formé un pourvoi provoqué. Je ne m'attacherai pas à l'examen des premier et deuxième moyens du pourvoi principal ainsi que du premier moyen du pourvoi provoqué dans la mesure où je m'associe aux propositions de rejet non spécialement motivé présentées par Monsieur le conseiller rapporteur pour les motifs développés à l'appui de celles-ci. Le pourvoi principal et le pourvoi provoqué font grief à la cour d'appel d'avoir débouté le CSE et le syndicat de leurs demandes tendant à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels des salariés, et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé. Ils soutiennent qu'il appartient à l'employeur, tenu d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, de mettre en oeuvre un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. La question du temps de travail du salarié ne peut être décorrélée de celle de son droit à la santé et à la sécurité. En tant que détenteur d'un pouvoir de direction,
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l'employeur dispose de prérogatives concernant l'aménagement et la répartition du temps de travail des salariés. Cependant, du fait de ce pouvoir de direction et en tant qu'acteur principal de la prévention en matière de santé et de sécurité au travail, il est également tributaire d'une obligation générale de sécurité. Ses prérogatives quant à l'organisation du temps de travail de ses salariés sont donc limitées par les normes relatives à la durée du travail énoncées par les dispositions légales ainsi que par les contrats de travail. L'employeur, pour ce qui concerne la prévention, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail1, en les mettant en oeuvre sur le fondement des principes généraux de prévention édictés à l'article L. 4121-2 du code du travail2. Il doit également évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, selon l'article L. 4121-3 du code du travail3. Article L. 4121-1 du code du travail : “L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.” 1
2 Article L. 4121-2 du code du travail : “L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L.
4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.” 3 Article L. 4121-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour
l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, applicable jusqu'au 31 mars 2022 : “L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient
compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe. A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement. Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de
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Le respect des normes relatives aux durées maximales de travail et des repos minimums participe à la prévention des risques en assurant une organisation et des conditions de travail propres à garantir la santé et la sécurité des salariés. Le contrôle du respect de ces normes implique la connaissance des durées de travail réellement effectuées par les salariés. A cette fin, la mesure des durées du travail s'avère donc nécessaire. Le code du travail prévoit les modalités de contrôle de la durée du travail et des repos aux articles D. 3171-14 et suivants5 pour les salariés travaillant selon le même horaire collectif et aux articles D. 3171-86 et suivants pour les salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif. Aux termes de l'article L. 3171-4 alinéa 3 du code du travail, “Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.” L'importance de la mesure du temps de travail a été affirmée par la Cour de justice de l'Union européenne qui dans un arrêt du 14 mai 2019 (aff. C-55/18)7, a jugé que “Les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre qui, selon l'interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n'impose pas protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat après avis des organisations professionnelles concernées.” “Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles L. 3121-30, L. 3121-33, L. 3121-38 et L. 3121-39 relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente prévues par un décret pris en application de l'article L. 3121-67.” 4 Article D. 3171-1 du code du travail :
5 Article D. 3171-2 du code du travail : “L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la
responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés.” 6 Article D. 3171-8 du code du travail : “Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au
sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié.” 7 CJUE, grd ch., 14 mai 2019, aff. C-55/18, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO)
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aux employeurs l'obligation d'établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.” L'article 31 paragraphe 2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose “2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.” La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, définit des prescriptions minimales relatives au temps de travail et aux temps de repos. Afin d'assurer l'effet utile des droits qui y sont prévus ainsi que du droit fondamental consacré à l'article 31, § 2, de la Charte, les États membres doivent donc imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. L'instauration d'un tel système participe à l'obligation pour les Etats membres d'établir les moyens nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs. En effet, seule la détermination exacte et sûre du nombre d'heures de travail quotidien et hebdomadaire garantit le respect des durées maximales de travail et minimales de repos. Le décompte des heures supplémentaires entre dans ce contrôle. C'est pourquoi, pour ne pas soumettre le respect des règles afférentes à la sécurité et à la santé des salariés à la seule volonté de l'employeur, les législations nationales ne peuvent pas exonérer les entreprises de la mesure du temps de travail des salariés. Ces derniers, parties faibles dans la relation de travail doivent être protégés d'une éventuelle limitation de leurs droits par l'employeur. Or, en l'espèce, la cour d'appel, pour rejeter tout manquement de l'employeur quant à la question du temps de travail et des moyens de contrôle, a constaté que “même si ces difficultés [relatives au logiciel de déclaration des heures supplémentaires] sont regrettables, le seul fait que le logiciel de déclaration soit défaillant, n'empêche pas les salariés de faire une déclaration par tout autre moyen”. Elle a également retenu qu'il était justifié “que la question du temps de travail et des moyens de contrôle font l'objet de négociations au sein de l'entreprise”. A mon sens, une auto-déclaration par le salarié de ses heures de travail ne peut pallier la carence de l'employeur dans la mise en place d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail des salariés. En effet, il revient à l'employeur de s'assurer des durées maximales de travail et minimales de repos des salariés, dans un objectif de préservation de la santé et de la sécurité de ces derniers. Ainsi, je considère qu'un employeur ne peut pas se désintéresser de la mesure de la durée du temps de travail de ses salariés, contrairement à ce que permet la solution retenue par la cour d'appel, qui conduit, en outre, à déléguer au salarié une responsabilité relevant pourtant du périmètre de l'obligation générale de sécurité de l'employeur, car participant à la prévention des risques, notamment de surmenage ou d'accidents.
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S'agissant de la preuve des heures de travail accomplies, en application de l'article L. 3171-4 du code du travail8, la chambre a, dans un premier temps, jugé que celle-ci n'incombe spécialement à aucune des parties et que lorsque le salarié fournit au juge des éléments de nature à étayer sa demande, il appartient à l'employeur d'apporter des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, étant précisé que l'examen des éléments produits par les parties relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond. Les dispositions précitées instituant un régime de preuve partagée entre le salarié et l'employeur, il n'était pas question de faire peser la preuve sur le seul salarié et si ce dernier devait préalablement produire des éléments, à l'instar de tout demandeur en justice, ceux-ci devaient être d'ordre factuel, certes suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement, mais pouvant éventuellement avoir été établis par ses soins (Soc., 30 septembre 2015, pourvoi n° 1417.748, Bull. 2015, V, n° 185). Les juges du fond doivent cependant vérifier si dans les faits, le décompte produit permet effectivement une réponse de l'employeur. Par la suite, aux fins de clarifier la mise en oeuvre de la règle probatoire et pour tirer les conséquences de la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne, vous avez supprimé la référence à la notion d'étaiement qui pouvait renvoyer à une nécessité de prouver et pas seulement à celle de produire des éléments. Vous jugez désormais qu'“en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.” (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919 et Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 17-31.046). Outre la gestion de la question de la preuve, dans la relation de travail, des heures de travail accomplies par le salarié, la jurisprudence de la CJUE conduit à exiger de l'employeur la mise en place d'un système de mesure réelle et effective de la durée du temps de travail de ses salariés, afin d'assurer le contrôle des temps de travail et de repos qui lui incombe dans le cadre de son obligation de sécurité, sans toutefois lui imposer les modalités de ce contrôle, lesquelles relèvent de son pouvoir de direction. Je conclus à la cassation sur le troisième moyen du pourvoi principal. 8 Article L. 3171-4 du code du travail : “En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de
travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.”
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En considération de cette proposition de cassation, dès lors que le deuxième moyen du pourvoi provoqué est identique au troisième moyen du pourvoi principal, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen du mémoire en réponse au pourvoi provoqué qui soutient que le deuxième moyen de ce pourvoi est irrecevable, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Le pourvoi principal et le pourvoi provoqué reprochent encore à la cour d'appel d'avoir débouté le CSE et le syndicat de leur demande tendant à voir ordonner à l'employeur d'organiser des entretiens professionnels prévus à l'article L. 6315-1 du code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d'évaluation. Ils considèrent que l'entretien professionnel doit porter sur les perspectives d'évolution professionnelle du salarié et que ne devant pas porter sur l'évaluation de son travail, il doit être distinct et se tenir à une date différente de l'entretien relatif à l'évaluation du travail du salarié. L'article L. 6315-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°20161088 du 8 août 2016, en vigueur jusqu'au 8 août 2016, dispose notamment “I. A l'occasion de son embauche, le salarié est informé qu'il bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience. Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de proche aidant, d'un congé d'adoption, d'un congé sabbatique, d'une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l'article L. 1222-12, d'une période d'activité à temps partiel au sens de l'article L. 1225-47 du présent code, d'un arrêt longue maladie prévu à l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l'issue d'un mandat syndical. [...]” Si cette disposition énonce que l'entretien professionnel ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié, aucune notion de temporalité n'y figure. L'entretien professionnel vise à faire le point sur les perspectives d'évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualification, d'emploi et de besoins en formation. Ses objectifs sont donc différents de ceux de l'entretien d'évaluation. L'exposé des motifs de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale qui a inséré la notion d'entretien professionnel dans l'article L. 6315-1 du code du travail, rappelle “L'article 2 vise à faire de la formation professionnelle et des compétences des salariés un élément central du dialogue entre salariés et employeurs au sein des branches professionnelles et au sein des entreprises. De nouveaux leviers sont créés à cette fin, au niveau individuel, par le biais de l'entretien professionnel, ou au niveau collectif, avec les instances représentatives du personnel dans le cadre de l'information consultation sur le plan de formation et avec les organisations syndicales de salariés dans le cadre de la négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.”
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Il ressort de cette disposition l'importance accordée par le législateur à la tenue d'un entretien professionnel. En revanche, l'absence de précision quant aux modalités de son déroulement par rapport à celui de l'entretien d'évaluation démontre qu'une certaine latitude est laissée à l'employeur dans leur organisation différenciée, sans qu'il ne soit exigé une séparation significative dans la tenue de chacun d'eux. La loi de 2014 est la transposition par le législateur de l'accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle. Cet accord, dans son article 1er prévoit la mise en oeuvre d'un entretien professionnel “pour lui [le salarié] permettre d'être acteur de son évolution professionnelle.” L'article précise la périodicité de la tenue de l'entretien ainsi que le fait qu'il donne lieu à une formalisation écrite et qu'il est “distinct de l'entretien d'évaluation”. En revanche, pas plus que la loi il ne prévoit que l'entretien doit se dérouler à une date différente de l'entretien d'évaluation. Tant les dictionnaires Larousse9 que Robert10 en ligne proposent pour la définition du mot distinct “qui ne se confond pas avec quelque chose d'analogue, de voisin”. Les synonymes proposés sont “différent, indépendant, séparé”". Aucune notion de temporalité ne se retrouve dans ces définition et synonymes. Les obligations auxquelles est soumis l'employeur par la disposition légale sont la périodicité de l'entretien, son contenu qui doit être différent de celui d'un entretien d'évaluation ainsi que la rédaction d'un document. C'est pourquoi, si les entretiens professionnel et d'évaluation doivent être distincts et ainsi se tenir séparément, chacun dans un temps spécifique, sans être confondus dans un même échange, l'article L. 6315-1 du code du travail n'exige pas, à mon sens, qu'ils soient distants temporellement, ni n'interdit qu'ils puissent se dérouler le même jour, voire successivement. Ainsi, il incombe au supérieur hiérarchique qui réalise les entretiens professionnel et d'évaluation de veiller à ce que les deux entretiens ne se confondent pas dans le temps, ni dans leur contenu et à rédiger deux comptes rendus distincts. C'est pourquoi, je considère que la cour d'appel a valablement retenu que “ni les dispositions légales applicables, ni la jurisprudence n'imposent la tenue de ces entretiens [entretiens professionnels et des entretiens annuels d'évaluation] à des dates différentes, la seule obligation résidant dans le fait de rédiger deux comptes rendus distincts, ce qui est le cas au sein de la société.” Par ailleurs, en énonçant “En outre, il est justifié que ces deux entretiens sont d'ores-et-déjà réalisés à une date distincte dans certains cas de figure, à savoir après une absence de longue durée et à la demande du collaborateur”, la cour d'appel a statué par motifs surabondants. Je conclus au rejet sur le quatrième moyen du pourvoi principal et sur le troisième moyen du pourvoi provoqué.
9 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/distinct/26062 10 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/distinct
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Enfin, le pourvoi provoqué reproche à la cour d'appel d'avoir débouté le syndicat de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession. Il soutient que les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt de la profession qu'ils représentent. Toutefois, dès lors que je suis à la cassation s'agissant de la mesure de la durée du temps de travail, si celle-ci devait être prononcée par la Cour, elle entraînerait par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif rejetant la demande du syndicat en raison du lien de dépendance nécessaire puisque la cour d'appel l'avait rejetée dès lors qu'elle n'avait pas constaté de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. A titre subsidiaire, si la Cour ne prononçait pas de cassation sur le moyen concernant la mesure du temps de travail ou sur tout autre moyen relatif à l'obligation de sécurité de l'employeur, il conviendrait de rejeter le quatrième moyen du pourvoi provoqué, puisque la cour d'appel n'ayant pas retenu de manquement de l'employeur, elle ne pouvait pas constater de préjudice à l'encontre du syndicat. A titre principal, je conclus à la cassation par voie de conséquence sur le quatrième moyen du pourvoi provoqué.
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