Chbre mixte, Conclusions, 21-07-2023, n° 21-15.809
A84122RY
Référence
AVIS DE Mme GUEGUEN, PREMIERE AVOCATE GENERALE
Arrêt n° 290 du 21 juillet 2023 – Chambre mixte Pourvoi n° 21-15.809 Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes du 17 février 2021
La société DS Smith France la société Zurich Insurance PLC C/ la société Gaifin SRL _________________
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PLAN Rappel des faits et de la procédure 1 - Le contexte dans lequel se pose cette question ............................................ 2 - Le pourvoi et le renvoi de son examen en chambre mixte ............................. 2.1 - Les moyens ........................................................................................ 2.2 - Le renvoi en chambre mixte ................................................................ 3 - Eléments de réflexion sur la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés ................................................................................................. 3.1 - Quelques rappels sur l'action en garantie des vices cachés ............... 3.2 - L'intérêt de déterminer la nature du délai pour agir en garantie des vices cachés ........................................................................................................ 3.3 - Les réponses apportées par la jurisprudence 3.4 - Les réponses apportées par la doctrine ............................................. 4 - Avis sur la solution à retenir quant à la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés ...................................................................................................... 4.1 - Sur la solution retenue par le 3ème chambre civile .............................. 4.2 - Sur la solution à retenir ...................................................................
5. - Avis sur les mérites du pourvoi .................................................................... 5.1 - Sur les mérites du premier moyen ..................................................... 5.2 - Sur les mérites du second moyen .....................................................
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1 - Le contexte dans lequel se pose cette question Les faits et la procédure à l'origine du pourvoi peuvent être résumés très brièvement de la manière suivante. La société Greci, filiale de la société Gaifin, a pour activité la production de produits alimentaires longue conservation, parmi lesquels la pulpe de tomates qu'elle commercialise en poches stériles et hermétiques de différentes tailles à destination de professionnels. Alertée fin 2011 début 2012 à la fois par la réclamation de clients se plaignant d'un gonflement anormal de certaines poches entraînant la détérioration de la pulpe de tomates, et par ses propres constatations, la société Greci, après un certain nombre de démarches amiables auprès de l'un de ses fournisseurs de poches aseptiques, la société Rapak, a saisi, le 23 avril 2013, le président du tribunal de Parme (Italie) d'une requête aux fins d'expertise judiciaire, à laquelle il a été fait droit le 24 septembre suivant après citation de la société Rapak le 16 mai 2013 pour rendre la procédure contradictoire1. Après le dépôt du rapport de l'expert le 19 décembre 2013 et de vaines mises en demeure de réparer, la société Gaifin, venant aux droits de la société Greci, a, le 25 novembre 2015, fait assigner en réparation de son préjudice la société DS Smith France, bénéficiaire en 2014 d'une transmission universelle du patrimoine de la société Rapak, ainsi que l'assureur de cette dernière la société Zurich Insurance PLC. Le tribunal de commerce d'Avignon ayant fait droit à cette demande, mais pour un montant inférieur à la réparation sollicitée, la société Gaifin a fait appel de la décision et obtenu satisfaction devant la cour d'appel de Nîmes. C'est dans ces conditions que la société DS Smith France et la compagnie d'assurances Zurich Insurance PLC ont formé un pourvoi comprenant deux moyens, dont un seul, le premier, retiendra plus particulièrement l'attention de la chambre mixte.
2 - Le pourvoi et le renvoi de son examen en chambre mixte Le pourvoi comprend deux moyens. 2.1 - Les moyens Le premier moyen, pris d'une violation des articles 1648 et 2239 du code civil, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir retenu que le délai de 2 ans pour exercer l'action en garantie des vices cachés est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du code civil, Cf. Conclusions de la société Gaifin devant la cour d'appel : requête du 23 avril 2013 pour “qu'il ordonne contradictoirement une expertise” (conclusions p 26), puis “a fait signifier à RAPAK, le 16 mai 2013, une citation ” (conclusions p 27). 1
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et d'en avoir déduit qu'était recevable l'action intentée par la société Gaifin moins de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire, alors que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie des vices cachés. Le deuxième moyen, articulé en trois branches, critique l'arrêt en ce qu'il a condamné les demanderesses in solidum à payer à la société Gaifin la somme de 377 343,78 euros en réparation de son préjudice économique, alors que : - si l'acquéreur n'établit pas avec certitude que la chose vendue était affectée d'un vice caché lors de la vente, il doit être débouté de sa demande en garantie, de sorte qu'en l'espèce en accueillant la demande de la société Gaifin après avoir constaté qu'aucun élément versé aux débats, y compris le rapport d'expertise judiciaire, n'établissait avec certitude que les poches fournies par la société Rapak étaient affectées d'un vice caché, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1641 du code civil ; - c'est à l'acquéreur exerçant l'action en garantie des vices cachés qu'il appartient de rapporter la preuve de l'existence du vice caché qu'il allègue et qu'en n'exigeant pas de la société Gaifin qu'elle apporte la preuve positive de l'existence d'un vice caché, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et ainsi violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ; - le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, de sorte qu'en se fondant exclusivement sur un rapport de l'expert-comptable de la société Gaifin pour évaluer le préjudice de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2.2 - Le renvoi en chambre mixte Les demandeurs rappellent : - qu'aux termes de l'article 1648 alinéa 1 du code civil, l'action en garantie des vices cachés doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, - qu'en application de l'article 2241 du même code, la jurisprudence retient que ce délai est interrompu par une assignation en référé, notamment en « référé expertise », - et que cette interruption fait courir un nouveau délai de deux ans à compter de l'extinction de l'instance, c'est à dire en matière de “référé expertise” à compter de l'ordonnance de désignation de l'expert judiciaire. En revanche, ils s'interrogent sur le point de savoir si ce délai peut également être suspendu entre l'ordonnance de désignation de l'expert judiciaire et le dépôt du rapport de celui-ci comme le prévoit l'article 2239 du code civil, dès lors que, conformément aux dispositions de l'article 2220 du même code, notre Cour juge que la suspension de la prescription de l'article 2239 n'est pas applicable aux délais de forclusion.
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Ils en déduisent que la véritable question est celle de la nature juridique du délai de l'action en garantie des vices cachés, délai de prescription ou délai de forclusion, question sur laquelle il existe une divergence de jurisprudence entre les première et troisième chambres civiles. Les défendeurs, dont les écritures ont été déposées fin décembre 2021, contestent l'existence d'une divergence de jurisprudence entre les première et troisième chambres civiles. Toutefois, l'existence d'une divergence a été clairement confirmée par la survenue d'un arrêt de la troisième chambre civile du 5 janvier 2022 (Civ. 3ème, 5 janvier 2022, n° 2022.670, à paraître au bulletin) qui a jugé, contrairement à la première chambre civile, que le délai de l'article 1648 du code civil est un délai de forclusion. C'est dans ces conditions que le premier président a, par une ordonnance du 22 septembre 2022, ordonné l'examen de ce pourvoi, initialement orienté vers la chambre commerciale, devant une chambre mixte.
3 - Eléments de réflexion sur la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés Avant de réfléchir précisément à la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés, il y a lieu de se remémorer ce qui caractérise cette action particulière. 3.1 - Quelques rappels sur l'action en garantie des vices cachés Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Selon l'article 1643 du même code, cette garantie est due même si le vendeur ne connaissait pas l'existence du vice, sauf lorsqu'il était prévu que, dans une telle hypothèse, il ne serait obligé à aucune garantie. La charge de la preuve de l'existence d'un vice caché, antérieur à la cession et ayant l'un des effets mentionnés à l'article 1641 précité, incombe à l'acquéreur de la chose, et s'agissant d'un fait juridique cette preuve peut être administrée par tous moyens. Le titulaire de l'action en garantie des vices cachés est l'acquéreur immédiat de la chose, mais peut également être le sous-acquéreur de celle-ci s'il y a eu revente, dès lors que cette action, comme l'action en non conformité de la chose livrée, est considérée comme un accessoire du bien vendu, qui suit celui-ci indépendamment de la personne de ses acquéreurs successifs en application de l'article 1615 du code civil 2.
Article 1615 du code civil : “ L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel.” 2
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Les sous-acquéreurs successifs jouissent par conséquent de tous les droits et actions attachés au bien qui appartenaient antérieurement à leur vendeur, et ils disposent ainsi contre le vendeur intermédiaire ou contre le vendeur originaire d'une action directe de nature contractuelle (Voir notamment : Ass. plén., 7 février 1986, pourvois n° 84-15.189 et n° 83-14.631, Bulletin 1986 AP n° 2 ; Com., 4 novembre 1982, pourvoi n°81-12.829, Bull IV n°335 ; 1ère Civ., 4 mars 1986, pourvoi n°83-11.270, Bull I n°57; Com., 4 juin 1991, pourvoi n° 89-15.878, Bull 1991 IV n° 206 ; Com., 8 mars 2017, pourvoi n° 1521.155). Le délai pour agir en garantie des vices cachés est fixé par l'article 1648 du code civil dont la rédaction en vigueur jusqu'au 18 février 2005 prévoyait que : « L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. / Dans le cas prévu par l'article 1642-13, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices apparents. » L'article 3 de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur a modifié le premier alinéa de l'article 1648 du code civil en remplaçant l'expression “ bref délai ” par “un délai de deux ans ”, et en précisant le point de départ du calcul de ce délai biennal qui commence à courir “à compter de la découverte du vice ”. L'article 1648 du code civil énonce désormais4 : « L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. / Dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents. »
Ainsi, l'acheteur, qui découvre que ce qu'il a acheté est affecté par un vice dont il n'avait pas connaissance au moment de l'achat, bénéficie d'un délai de deux ans à compter de cette découverte pour agir en garantie contre le vendeur. S'il n'agit pas pendant ce laps de temps il ne peut plus, en principe, le faire ultérieurement. Se pose toutefois la question de savoir si, après la découverte du vice affectant le bien, le délai de deux ans pour agir en garantie peut être interrompu ou suspendu. C'est la question posée par le premier moyen du pourvoi et qui, comme l'affirment les demandeurs, nécessite pour y répondre de prendre parti sur le point de savoir si ce délai est un délai de prescription ou de forclusion. Article 1642-1 du code civil : “Le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents. / Il n'y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s'oblige à réparer.” 3
L'article 109 de la Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 a uniquement inséré au second alinéa de cet article, après le mot : « vices », les mots : « ou des défauts de conformité ». 4
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3.2 - L'intérêt de déterminer la nature du délai pour agir en garantie des vices cachés L'intérêt de définir la nature du délai pour agir en garantie des vices cachés se déduit de l'articulation des textes figurant au Titre XX du Livre III du code civil intitulé “De la prescription extinctive ”, qui regroupe les articles 2219 à 2254. En effet, si l'article 2219 définit la prescription extinctive « comme un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps », l'article 2220 précise, sans autrement les définir, que « les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre » (caractères gras et soulignement ajoutés).
Il s'en déduit que l'article 2230 du code civil, qui définit la suspension de la prescription, et l'article 2231 du même code, qui prévoit l'interruption de la prescription, ne sont pas applicables aux délais de forclusion sauf dispositions contraires prévues par la loi.
Parmi les dispositions contraires prévues par la loi se trouvent celles de l'article 2241 du code civil qui énoncent : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. » (caractères gras et soulignement ajoutés).
De la même manière, l'article 2244 dispose que : « Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée. » (caractères gras et soulignement ajoutés).
Ainsi, une demande en justice ou une mesure conservatoire ou un acte d'exécution forcée sont susceptibles d'interrompre le délai de deux ans pour agir en garantie des vices cachés indépendamment du fait de savoir si ce délai pour agir peut être ou non qualifié de délai de forclusion. En revanche, si ce délai est qualifié de délai de forclusion, compte tenu des dispositions de l'article 2220 précité, il n'est pas possible de considérer qu'une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès suspend celui-ci. En effet, l'article 2239 du code civil énonce : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. » (caractères gras ajoutés).
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Il ne prévoit donc pas son application au délai de forclusion. Qualifier le délai pour agir en garantie des vices cachés de délai de forclusion ou de simple délai de prescription n'est donc pas sans conséquence. S'il s'agit d'un délai de forclusion, il peut, comme un délai de prescription, être interrompu par une demande en justice visant à obtenir qu'une mesure d'instruction soit ordonnée avant tout procès. Cependant, lorsque le juge fait droit à cette demande et que l'interruption cesse de produire ses effets en application de l'article 2242 du code civil 5, ce délai ne peut pas être suspendu jusqu'au jour où la mesure d'instruction est exécutée. L'intervalle de temps qui s'écoule entre la désignation de l'expert par le juge ordonnant l'expertise et le dépôt du rapport dudit expert doit donc être imputé en totalité sur le délai biennal accordé à l'acquéreur pour agir en garantie des vices cachés. Or, ce délai peut être plus ou moins long, et s'il apparaît certes peu probable qu'il couvre à lui seul deux années, privant ainsi totalement l'acquéreur de la possibilité d'agir contre le vendeur, il peut sérieusement amputer celui-ci sans que l'acquéreur n'ait une quelconque responsabilité sur la perte de temps qu'il subit pour agir. Les faits de l'espèce, qui nous est ici soumise par le pourvoi, permettent de mesurer l'importance de l'enjeu de la qualification du délai biennal soit de délai de forclusion soit de délai de prescription, notamment lorsque les juges du fond, dont l'appréciation est souveraine sur ce point6, fixent la découverte du vice à une date antérieure au dépôt du rapport de l'expert judiciaire. En effet, si le tribunal de commerce d'Avignon a fixé le point de départ du délai pour agir en garantie des vices cachés au 8 mars 2013, date à laquelle la société Greci a eu connaissance des causes du vice caché affectant les poches aseptiques fournies par la société Rapak, ce délai a été très rapidement interrompu par Greci lors de la signification qu'elle a faite, le 16 mai 2013 à la société Rapak de la saisine sur requête aux fins d'expertise judiciaire, le 23 avril 2013, du président du tribunal de Parme, qui a fait droit à cette demande le 24 septembre suivant. Si le délai biennal pour agir en garantie des vices cachés est un délai de forclusion, qui, comme tel, ne peut être suspendu pour les raisons exposées ci-dessus, ce délai, qui a commencé à courir le 8 mars 2013 a, certes, été interrompu le 16 mai 2013, mais cette interruption ayant cessé le jour où il a été fait droit à la demande d'expertise judiciaire avant tout procès, soit le 24 septembre 2013, le délai de deux ans 7 a recommencé à courir à compter de cette date et a expiré le 24 septembre 2015, de sorte que Article 2242 du code civil : “ L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.” 5
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Même si la Cour exerce un contrôle de cohérence : voir par exemple 3e Civ., 6 avril 2023, pourvoi n° 22-12.928 Article 2231 du code civil : “L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.” 7
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l'assignation de la société DS Smith par la société Gaifin en réparation de son préjudice, le 25 novembre 2015, est tardive. Si, en revanche, le délai biennal pour agir en garantie des vices cachés est un délai de prescription, alors l'article 2239 du code civil s'applique, et ce délai, interrompu le 16 mai 2013 et qui a recommencé à courir le 24 septembre 2013 pour deux ans, a été suspendu entre cette dernière date, date de la décision du juge, et le 19 décembre 2013, date du dépôt du rapport de l'expert, de sorte que l'assignation du 25 novembre 2015 n'est plus tardive8, ce qui rend recevable l'action en indemnisation de la société Gaifin.
3.3 - Les réponses apportées par la jurisprudence C'est le pluriel qui doit être utilisé, car les réponses à la question portant sur la nature juridique du délai biennal pour agir en garantie des vices cachés varient suivant les chambres de la Cour. La 3ème chambre civile, à l'exception de quelques arrêts dont la rédaction évoque la prescription s'agissant de l'action en garantie des vices cachés mais en reprenant les termes utilisés par la cour d'appel dont elle examinait l'arrêt 9, décide depuis de nombreuses années que ce délai est un délai de forclusion :
3e Civ., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-23.863 : « Mais attendu qu'ayant relevé, sans dénaturation, que l'expert judiciaire avait indiqué que le sinistre résultait d'un problème d'adaptation du produit isolant au type de toiture et d'un vice du produit, la cour d'appel, qui a écarté les autres causes alléguées par la société Thermal ceramics et fixé le point de départ du délai de forclusion à la date du dépôt du second rapport définitif d'expertise, a légalement justifié sa décision ; » (caractères gras et soulignement ajoutés).
3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289 : « Et sur le second moyen / Vu l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ; / Attendu que, pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme D… sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que M. et Mme D… avaient eu connaissance des vices de l'immeuble par un rapport d'expertise amiable déposé le 31 mars 2008 ; que le délai de l'action, qui avait couru, depuis cette date, s'est trouvé suspendu par la délivrance de l'assignation en référé, le 13 mai 2008, pendant toute la durée des opérations d'expertise et a recommencé à courir à compter du 4 mai 2009 pour une durée de vingt-deux mois et dix-huit jours, délai expirant le 24 mars 2011 en application des dispositions de l'article 2239 du code civil et qu'en introduisant leur action au fond par une assignation du 3 mai 2011, M. et Mme D… étaient forclos en leur action en garantie des vices cachés ; / Qu'en statuant ainsi, alors que la suspension de la prescription n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie
Article 2230 du code civil : “La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.” 8
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Voir notamment : 3e Civ., 5 janvier 2017, pourvoi n° 15-12.605, Bull. 2017, III, n° 3 ; 3e Civ., 18 avril 2019, pourvoi n° 17-26.381 ; 3e Civ., 30 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.611.
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des vices cachés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » (caractères gras et soulignement ajoutés).
3e Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-22.670, publication au Bulletin : « 12. Il résulte de l'article 2220 du code civil que les dispositions régissant la prescription extinctive ne sont pas applicables aux délais de forclusion, sauf dispositions contraires prévues par la loi. / 13. La suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est donc pas applicable aux délais de forclusion (3e Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-15.796, Bull. 2015, III, n° 55)./ 14. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l'article 1648 du code civil, est un délai de forclusion qui n'est pas susceptible de suspension, mais qui, en application de l'article 2242 du même code, peut être interrompu par une demande en justice jusqu'à l'extinction de l'instance. / 15. Ayant retenu que ce délai de forclusion, qui avait commencé à courir le 11 décembre 2012, avait été interrompu par l'assignation en référé du 28 mai 2013 jusqu'à l'ordonnance du 24 juillet 2013, elle en a exactement déduit qu'à défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 24 juillet 2015, Mme [W] était forclose en son action fondée sur la garantie des vices cachés. » (caractères gras et soulignement ajoutés).
Dans le même temps, le 1ère chambre civile retenait une solution différente quant à la nature de ce délai biennal : 1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 18-24.365 : « Après avoir estimé que M. [E] avait découvert le vice rédhibitoire le 8 août 2007, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées ou que ses constatations rendaient inopérantes, a, sans modifier l'objet du litige, exactement retenu que la prescription de l'action en garantie des vices cachés engagée contre le concessionnaire était acquise à la date de l'assignation en référé, de sorte que cette action était irrecevable. » (caractères gras ajoutés).
1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.824 : « Aux termes de l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Ce délai est interrompu par une assignation en référé jusqu'à l'extinction de l'instance, conformément à l'article 2241 du code civil. Il est, en outre, suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du code civil, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée. » (caractères gras et soulignement ajoutés).
1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.070: « 3. Le vendeur fait grief à l'arrêt de dire recevable l'action des acheteurs, de prononcer la résolution de la vente, d'ordonner la restitution du bien et du prix de vente et de le condamner à payer certaines sommes, alors « que le délai de deux ans de l'article 1648 du code civil est un délai de forclusion ; que la suspension de prescription prévue à l'article 2239 du code civil n'est pas applicable en cas de délai de forclusion ; qu'en traitant le délai de deux ans comme délai de prescription, pour considérer que la prescription avait été suspendue par la décision du juge
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des référés prescrivant une mesure d'instruction, et ne recommencer à courir qu'à l'issue du délai de six mois après l'achèvement de la mesure d'instruction, les juges du fond ont violé les articles 1648, 2220, 2239 et 2241 du code civil. » / Réponse de la Cour/ 4. La cour d'appel a énoncé à bon droit que le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du code civil constituait un délai de prescription qui était interrompu par une assignation en référé, conformément à l'article 2241 du code civil, et suspendu lorsque le juge faisait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, en application de l'article 2239 du même code./ 5. Ayant retenu que le délai de prescription, qui avait commencé à courir le 6 juin 2013, date du dépôt du rapport d'expertise amiable, avait été interrompu le 12 novembre 2013, date de l'assignation en référé expertise, puis suspendu le 8 janvier 2014, date à laquelle il avait été fait droit à la demande, et avait recommencé à courir, le 18 juin 2015, date du dépôt du rapport de l'expert, elle en a exactement déduit que l'action en garantie des vices cachés introduite le 11 mai 2016 n'était pas prescrite. » (caractères gras ajoutés).
3.4 - Les réponses apportées par la doctrine Certains auteurs expliquent la position retenue par la 3ème chambre civile par : - la nature du contentieux qu'elle traite habituellement, lequel incite sans doute à retenir un raisonnement similaire pour les différents types de garanties applicables en droit de la construction10, - le fait que, dans l'hypothèse d'actions en garantie ou responsabilité pour vices ou défauts affectant un bien, le demandeur bénéficie généralement d'un régime de faveur sur le fond qui justifie la rigueur du délai dans lequel il doit exercer son action 11. Il n'en demeure pas moins que la majorité des commentateurs des décisions de la Cour relatives à la nature juridique du délai pour agir en garantie des vices cachés se montre favorable à la qualification de ce délai en délai de prescription notamment aux motifs que : - la forclusion, plus rigoureuse que la prescription, doit rester exceptionnelle et être interprétée strictement : “pas de forclusion sans texte”12, - la différence de rédaction entre les alinéas 1 et 2 de l'article 1648 du code civil conduit à conclure que le délai pour agir en garantie des vices cachés n'est pas un délai de forclusion13.
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Cyrille Auché, « Délai biennal de la garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ? », Dalloz actualité 31 janvier 2022. 11
Cyrille Charbonneau, Jean-Philippe Tricoire, « À peine de forclusion, l'action en garantie des vices cachés doit être exercée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, sans pouvoir dépasser un délai de vingt ans à compter du jour de la vente. », RDI 2022, p. 115 ; Oliver Tournafond, Jean-Philippe Tricoire, « Pas de suspension du délai de forclusion de l'article 1648, alinéa 2, pendant le cours de l'expertise », RDI 2015, p. 414. 12
Nicolas Balat, « Forclusion et prescription », RTD Civ, 2016, p. 751 ; Christophe Sizaire, « Actions en garantie des vices cachés : délai d'action et forclusion », construction-urbanisme n°2, février 2022, comm. 20, p. 3 ; Louis Thibierge, « Prescription de l'action en garantie des vices cachés : en quête de cohérence », Revue des contrats, juin 2022, p. 55.
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4 - Avis sur la solution à retenir quant à la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés 4.1 - Sur la solution retenue par la 3ème chambre civile Certains auteurs regrettent que la divergence de jurisprudence existant entre la 1ère chambre civile et la 3ème chambre civile ne soit pas explicitée dans les motivations retenues par les arrêts14. Certes, elle ne l'est pas explicitement, néanmoins la lecture des arrêts de la 3ème chambre civile permet de distinguer les motifs qui la gouvernent. Comme l'ont avancé certains auteurs, le contentieux habituel de la chambre en matière immobilière n'est pas sans laisser de traces sur les modes de raisonnement qui y sont appliqués. C'est ainsi, par exemple, que dans un arrêt du 3 juin 2015 (3e Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-15.796, Bull. 2015, III, n° 55) elle affirme que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion, mais dans une hypothèse qui recouvre exactement celle prévue à l'alinéa 2 de l'article 1648 du code civil qui énonce très clairement que le délai qu'il prévoit est à peine de forclusion (vente en l'état futur d'achèvement -vices apparents) : « Mais attendu que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion ; qu'ayant relevé que l'assignation en référé du 6 décembre 2008 avait interrompu le délai de forclusion et qu'un expert avait été désigné par une ordonnance du 7 avril 2009 et exactement retenu que l'acquéreur ne pouvait pas invoquer la responsabilité contractuelle de droit commun du vendeur d'immeuble à construire qui ne peut être tenu à garantie des vices apparents au-delà des limites résultant des dispositions d'ordre public des articles 1642-1 et 1648 du code civil, la cour d'appel en a déduit à bon droit que Mme Peres était forclose quand elle a assigné au fond la SCI le 10 décembre 2010 ; » Surtout, l'arrêt du 10 novembre 2016 déjà cité pour partie ci-dessus (3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289) montre que la chambre raisonne dans les deux cas, garantie décennale ou garantie des vices cachés, en distinguant bien prescription et délai pour agir, notion que le législateur a cessé d'utiliser en 2008 pour lui préférer celle de forclusion15 : Malvina Mille Delattre, “Le délai d'action en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion”, Recueil Dalloz 2022 p.548 ; Christophe Sizaire, article précité. 13
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Guillaume Leroy, « Divergence de jurisprudence relative à la nature du délai de l'action en garantie des vices cachés », Gazette du palais, 1er mars 2022, n° 7, p. 23 ; Sabine MazeaudLeveneur, « Le délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ? », JCP 2022, éd. N, n° 4, p. 10. L'article 2244 du code civil dont la rédaction avant 2008 était la suivante : “Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.”, et qui lors de la réforme a vu sa rédaction modifiée comme suit: “Le délai de prescription ou le délai de 15
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« Vu l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ; / Attendu que, pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [D] sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt retient que le 12 mai 2008 étant un jour férié, l'assignation en référé délivrée le 13 mai 2008, ultime jour utile pour introduire l'action en responsabilité décennale, a suspendu le délai de la prescription dans les conditions prévues à l'article 2239 du code civil et que, le rapport d'expertise ayant été déposé le 4 mai 2009, ils disposaient, en vertu des dispositions de cet article, d'un délai de six mois supplémentaire, expirant le 4 novembre 2009, pour délivrer leur assignation au fond ; / Qu'en statuant ainsi, alors que la suspension de la prescription n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; / Et sur le second moyen / Vu l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ; / Attendu que, pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [D] sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que M. et Mme [D] avaient eu connaissance des vices de l'immeuble par un rapport d'expertise amiable déposé le 31 mars 2008 ; que le délai de l'action, qui avait couru, depuis cette date, s'est trouvé suspendu par la délivrance de l'assignation en référé, le 13 mai 2008, pendant toute la durée des opérations d'expertise et a recommencé à courir à compter du 4 mai 2009 pour une durée de vingt-deux mois et dix-huit jours, délai expirant le 24 mars 2011 en application des dispositions de l'article 2239 du code civil et qu'en introduisant leur action au fond par une assignation du 3 mai 2011, M. et Mme [D] étaient forclos en leur action en garantie des vices cachés ; / Qu'en statuant ainsi, alors que la suspension de la prescription n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » (caractères gras et soulignement ajoutés). Cette distinction, délai de prescription/délai pour agir (forclusion), correspond à la théorie classique selon laquelle il existerait une différence d'objet entre ces deux types de délai, le délai de prescription consacrant, en droit, une situation de fait à raison de l'écoulement du temps, alors que le délai de forclusion aurait pour but d'inciter à agir dans un délai déterminé faute de quoi il y aurait perte du droit à agir 16, ou encore, le premier type de délai garantissant l'effectivité d'un droit ou d'une situation juridique alors que le second conditionnerait l'existence d'un droit substantiel à l'exercice d'une action dans un délai déterminé17. Certains ont pu aussi estimer que les premiers seraient des délais probatoires quand les seconds seraient des délais à visée sanctionnatrice18. A la lumière de ces explications, les positions prises par la 3ème chambre civile s'éclairent.
forclusion est également interrompu par un acte d'exécution forcée.”. L'article 2241 issu de la réforme de 2008 reprenant la même distinction. Anne Hervio-Lelong, « Le bref délai de l'article 1648 : Chronique d'une mort annoncée », Recueil Dalloz, 2002, p. 2069. 16
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Xavier Lagarde, « La distinction entre prescription et forclusion à l'épreuve de la réforme du 17 juin 2008 », Recueil Dalloz, 2018, p. 469. 18
Nicolas Balat, précité ; Frédéric Rouvière, « La distinction des délais de prescription, butoir et de forclusion », LPA 2009, n° 152, p. 7.
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Mais, il semble qu'elle tente désormais d'expliciter sa position en ayant recours à un concept qu'elle avait utilisé jadis dans la rédaction d'un sommaire de l'un de ses arrêts. Il s'agit du délai d'épreuve, notion dont elle fait usage dans un arrêt du 12 novembre 2020 (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.376, publié) : « Vu l'article 1792 du code civil : / 5. Selon ce texte, tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination./ 6. D'une part, si l'action en garantie décennale se transmet en principe avec la propriété de l'immeuble aux acquéreurs, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain. Tel est le cas lorsqu'il a été condamné à réparer les vices de cet immeuble (3e Civ., 20 avril 1982, pourvoi n° 81-10.026, Bull. 1982, III, n° 95 ; 3e Civ., 9 février 2010, pourvoi n° 08-18.970)./ 7. D'autre part, les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (3e Civ., 13 avril 1988, pourvoi n° 86-17.824, Bull. 1988, III, n° 67). / 8. Enfin, le délai de la garantie décennale étant un délai d'épreuve, toute action, même récursoire, fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception (3e Civ., 15 février 1989, pourvoi n° 87-14.713, Bull. 1989, III, n° 36)19[...] ». (caractères gras ajoutés).
La 3ème chambre civile a, à nouveau, utilisé cette formulation dans un arrêt du 10 juin 2021 (3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-16.837, publié) : « Vu les articles 1792-4-3, 2220 et 2240 du code civil : / Selon le premier de ces textes, en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. / Aux termes du deuxième, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre. / Aux termes du troisième, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription./ En alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d'épreuve (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.376, à publier), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité. / Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, et que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n'interrompt pas le délai de forclusion. [...]. » (caractères gras ajoutés).
Certes, dans son arrêt du 5 janvier 2022 (pourvoi n° 20-22.670), la 3ème chambre civile n'a pas fait usage de la notion de délai d'épreuve pour expliciter la réaffirmation de Sommaire de l'arrêt du 15 février 1989 (87-14.713) : “Le délai de la garantie décennale étant un délai d'épreuve et non un délai de prescription, toute action - même récursoire - fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception” ; motivation du même arrêt : “ Attendu, d'autre part, que l'action des acquéreurs contre le maître de l'ouvrage, intentée avant l'expiration du délai de garantie légale, n'ayant pas pour effet de rendre recevable l'action récursoire intentée par celui-ci contre les constructeurs postérieurement à l'expiration de ce délai, la cour d'appel a exactement décidé que l'action formée par la SCI contre l'architecte et les entrepreneurs, après l'expiration du délai de garantie légale, était irrecevable ; ”. 19
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l'existence d'un délai de forclusion pour agir en garantie des vices cachés, mais il n'en reste pas moins que le délai biennal de l'article 1648 alinéa 1 er peut aussi s'analyser en un délai d'épreuve. La position adoptée par la 3ème chambre civile répond donc à une logique certaine.
4.2 - Sur la solution à retenir Néanmoins, même si la position de la 1ère chambre civile n'est guère expliquée plus clairement que celle de la 3ème, c'est cette position qui convainc davantage. Tout d'abord parce que l'articulation des textes du Titre XX du Livre III du code civil consacré à la prescription extinctive laisse à penser que la forclusion n'est qu'une forme particulière de celle-ci. En effet, si l'article 2220 du code civil énonce que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le Titre XX, il est cependant inséré dans ce titre, où il succède immédiatement à l'article 2219 définissant la prescription extinctive comme un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. Or, on ne voit comment définir autrement le délai de forclusion, même s'il s'agit uniquement d'un délai pour agir, que comme un mode d'extinction de ce droit en raison de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. Le délai de forclusion répond donc exactement à la définition de la prescription extinctive. Le fait que, sauf dispositions contraires prévues par la loi, il ne soit pas régi par toutes les dispositions applicables à un délai de prescription extinctive ne signifie pas qu'il n'en soit pas un, mais simplement qu'il est un délai de prescription extinctive aux caractéristiques particulières précisées par les articles suivants du titre XX, qui évoquent à équivalence le délai de prescription et le délai de forclusion (ex : article 2241 du code civil). Cette analyse des textes qui conduit à concevoir le délai de forclusion comme une forme particulière, plus rigoureuse, du délai de prescription, comme le font aussi certains auteurs20, amène logiquement à considérer qu'il doit s'appliquer strictement et par conséquent uniquement lorsque le législateur l'a prévu en le qualifiant comme tel. Or, à cet égard, l'article 1648 du code civil est clair. Il précise explicitement dans son alinéa 2 que l'action doit être introduite “à peine de forclusion” dans le cas prévu par l'article 1642-1 (vente en l'état futur d'achèvement -vices apparents), ce dont il résulte clairement, par une interprétation a contrario couramment usitée en légistique, que l'absence de précision à l'alinéa 1 du même article doit conduire à considérer qu'il s'agit dans les autres cas d'un simple délai de prescription.
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Cf. Nicolas Balat, Louis Thibierge, dont les articles sont déjà cités en note de bas de page n°9.
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Le fait que les demanderesses soutiennent que, pour les ventes internationales de marchandises, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 prévoit, à l'article 39, la déchéance du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité de la marchandise si l'acheteur ne dénonce pas ce défaut au vendeur dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater, ce qui renvoie, selon elles, à la notion de délai de forclusion, ne change rien à l'analyse précédemment faite, dès lors que la rédaction de l'alinéa 1er de l'article 1648 du code civil, qui ne traite pas des défauts de conformité apparents mais des vices cachés de la chose vendue, ne laisse pas place au doute. On observe, au demeurant, comme le souligne le mémoire en défense, que le rapport au président de la République accompagnant l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, laquelle a notamment amendé l'article 1648 du code civil en substituant au “bref délai” le délai biennal, indique : « L'article 1648 du code civil est en outre modifié afin de permettre aux acheteurs, notamment consommateurs, de disposer d'une action au délai de prescription plus long que celui du code de la consommation ». (caractères gras ajoutés).
Il convient d'ajouter, comme le relèvent encore le mémoire en défense et certains commentateurs, que le choix de la forclusion pour qualifier le délai biennal de garantie des vices cachés met l'acquéreur du bien vicié ou son sous-acquéreur dans une situation très délicate, car s'il bénéficie bien de l'interruption de ce délai en cas d'assignation en référé pour obtenir une mesure d'expertise in futurum, cette interruption prenant fin au moment de la désignation de l'expert, il peut se trouver en difficulté du seul fait de l'absence de diligence de l'expert qui déposerait son rapport très tardivement21.
Ce constat partagé fait dire à la défenderesse : « Il s'agirait là d'une chausse-trappe supplémentaire et injustifiée, qui obligerait en outre l'acheteur à introduire une action au fond sans avoir la certitude de l'existence d'un vice de nature à la fonder, ce qui ne pourrait que contribuer à un engorgement inutile des juridictions. » (caractères gras ajoutés).
En réalité, il est paradoxal qu'indépendamment de la nature juridique du délai pour agir en garantie des vices cachés, prescription ou forclusion, celui-ci puisse être interrompu par une demande en justice dans le but d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire avant toute demande au fond, mais qu'en revanche cette interruption s'achève avant même d'avoir obtenu les résultats des travaux de cet expert. Il y a là une difficulté que l'on a du mal à surmonter qu'il s'agisse d'un délai de forclusion ou d'un délai de prescription. En effet, si dans l'hypothèse de la forclusion, le temps pris par l'expert désigné pour réaliser ses travaux et déposer son rapport peut amputer de façon importante le délai pour agir en garantie des vices cachés, dans l'hypothèse où ce délai est considéré 21
Philippe Brun, « Forclusion ou prescription ? Incertitude jurisprudentielle sur la nature du délai biennal de l'article 1648 du Code civil », RCA, n° 3, avril 2022, alerte 7 ; Sabine Mazeaud-Leveneur, « Le délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ? », JCP 2022, éd. N, n° 4, p. 10.
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comme un délai de prescription, il faut, compte tenu des textes existants, cumuler une interruption du délai et une suspension de celui-ci, dont les effets sont en principe différents, et ce, dans le seul but de parvenir à couvrir le délai entre la nomination de l'expert et le dépôt de son rapport, ce que pourrait faire de la même manière, la seule interruption du délai si elle avait été prévue jusqu'au dépôt du rapport d'expertise. Cette complexité conduit certains auteurs à souhaiter une intervention du législateur ou une correction de la situation par la jurisprudence22. La position adoptée par la 1ère chambre civile permet de résoudre cette difficulté en pratique même si la complexité législative demeure. En effet, affinant sa motivation, la 1ère chambre civile, en 2020 et 2021 (arrêts précités sur pourvois n° 18-24.365 et 20-15.070), en réaffirmant que le délai pour agir en garantie des vices cachés était un délai de prescription, a mis en évidence la faculté qui en résultait d'additionner la suspension de la prescription jusqu'au dépôt du rapport d'expertise à l'interruption de la prescription qui était intervenue entre la demande en justice et la désignation de l'expert. Or, si cette explicitation résulte directement de la mise en oeuvre des articles 2239, 2241 et 2242 du code civil, elle n'en était pas moins nécessaire, car il peut en effet apparaître contre intuitif de devoir cumuler interruption et suspension, qui n'ont pas les mêmes conséquences juridiques23, pour déterminer les effets d'une même action : une demande en justice pour obtenir une mesure d'instruction in futurum, l'expertise.
5. Avis sur les mérites du pourvoi 5.1 - Sur les mérites du premier moyen En l'espèce, la société Greci ayant saisi le président du tribunal de Parme d'une requête aux fins d'expertise judiciaire, le 23 avril 2013, il convient d'observer préalablement que la cour d'appel de Nîmes a pris le soin de préciser que : « Les intimées admettent que le délai de 2 ans édicté par l'article 1648 du code civil a été interrompu par la signification de la requête déposée devant le président de la juridiction de Parme, intervenue le 16 mai 2013, puis par la décision de cette juridiction le 24 septembre 2013 ». (arrêt attaqué p.5).
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Laurent Leveneur, « Délai de prescription et délai de forclusion : attention à une importante différence de régime ! », JCP 2015, éd. N, n° 46, 1201 ; Philippe Malinvaud, « Les difficultés d'application des règles nouvelles relatives à la suspension et à l'interruption des délais », RDI 2010 p.105. 23
La suspension, contrairement à l'interruption de la prescription, n'efface pas le délai de prescription déjà acquis en faisant courir un nouveau délai de même durée que l'ancien (art. 2231 cc), mais en arrête seulement temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru (art.2230 cc).
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Cette précision prend toute son importance à la lumière de l'arrêt de la 2 ème chambre civile du 14 janvier 2021 (2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.316 publié au rapport) lequel a rappelé qu'une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil24. La cour d'appel de Nîmes a ensuite retenu que : « Le délai de deux ans est en outre suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du code civil, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée. / Pour soutenir que le délai de l'article 1648 du code civil est un délai de forclusion, les intimés commentent diverses jurisprudences qui font en réalité application de l'article 1648 alinéa 2 qui édicte une forclusion dans le cas prévu par l'article 1642-1, relatif aux ventes d'immeuble à construire. / Tel n'est pas le cas en l'espèce. / L'expert judiciaire ayant déposé son rapport le 19 décembre 2013, les demandes en justice de la société Gaifin doivent être accueillies » (arrêt attaqué, p. 6, § 1 et 2).
Cette décision étant parfaitement conforme aux conclusions de l'analyse développée ci-dessus, je vous invite à rejeter le premier moyen du pourvoi en approuvant expressément dans votre motivation enrichie le raisonnement suivi par l'arrêt attaqué, reprenant celui de la 1ère chambre civile, quant au nécessaire cumul de l'interruption de la prescription et de la suspension de celleci. En l'espèce, ce cumul a pour effet de permettre de ne pas tenir compte du délai déjà écoulé entre la date de découverte du vice, fixée par les premiers juges au 8 mars 2013, et la date de saisine contradictoire du juge de Parme, le 16 mai 2013, dès lors que l'interruption du délai biennal immédiatement antérieure à sa suspension a fait revivre l'entier délai de deux ans avant la suspension.
5.2 - Sur les mérites du second moyen Comme annoncé, le second moyen pris en ses trois branches retiendra peu l'attention, dès lors que les différentes critiques formulées tendent en réalité uniquement à remettre en cause l'appréciation souveraine portée par les juges du fond sur l'évaluation du préjudice subi par la société Gaifin. En effet, après avoir rappelé que l'expert judiciaire avait retenu deux hypothèses à l'origine des désordres constatés par Greci, l'une tenant à « une faible perméabilité à l'oxygène des sacs aseptiques, laquelle peut dépendre de la piètre résistance des becs » et l'autre tenant à la « perte d'asepticité et/ou au mauvais assainissement de l'installation, entraînant des anomalies dans le processus de pasteurisation » (arrêt attaqué, p. 6), elle a souverainement apprécié « que le défaut de l'installation de la société Greci ne peut être retenu et que la pulpe de tomates conditionnée à la même époque dans des poches fournies
“ Réponse de la Cour / 7. Aux termes de l'article 2241 du code civil, alinéa 1, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / 8. Une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil.” 24
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par un concurrent n'ont donné lieu à aucune réclamation », ce dont elle pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que « Les autres causes possibles ayant été éliminées, la société Gaifin rapporte la preuve, qui lui incombe, de ce qu'il existait un vice inhérent aux poches fournies par la société Rapak (piètre résistance des becs) antérieur à la vente et la rendant impropre à sa destination, la pulpe de tomates étant dégradée » (arrêt attaqué, p. 7).
De la même manière, dans son arrêt du 28 septembre 2012 (Ch. mixte., 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18.710, Ch. Mixte, Bull. 2012, n° 2), la chambre mixte ayant rappelé que « tout rapport d'expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès lors qu'il est soumis à la libre discussion des parties et ce, alors même qu'il n'a pas été contradictoirement établi », a pu considérer que le rapport de l'expert-comptable venant étayer devant elle
des pièces de la société Gaifin, préalablement déposées devant les premiers juges mais non prises en compte par eux25, était aussi un élément de preuve à retenir et ce d'autant plus qu'elle observait que « Ce rapport, régulièrement communiqué aux intimées n'amènent pas d'observations particulières de leur part. » (arrêt attaqué p.8).
Conclusion : avis de rejet du pourvoi dont les moyens ne peuvent être accueillis pour les raisons ci-dessus exposées.
“Un tableau récapitulant le nombre de poches défectueuses doublé d'une attestation de l'expert-comptable établissant le quantum de son préjudice économique tel que demandé en justice ” (arrêt attaqué, p. 7 § 10). 25
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