Jurisprudence : CE 2/7 ch.-r., 02-02-2024, n° 484051, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 2/7 ch.-r., 02-02-2024, n° 484051, mentionné aux tables du recueil Lebon

A92482ID

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CE 2/7 ch.-r., 02-02-2024, n° 484051, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/104608244-ce-27-chr-02022024-n-484051-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

01-04-03-07 Personne ayant fait l’objet en 1977 d’un décret portant libération des liens d'allégeance avec la France, qui ne lui a pas été notifié. Intéressé ayant été informé de son existence 40 ans plus tard par une assignation délivrée en 2017 à la demande du procureur de la République, qui contestait qu’un certificat de nationalité française ait pu lui être délivré. Tribunal de grande instance ayant jugé que le certificat avait été délivré à tort et que l’intéressé n’était pas français. Pourvoi formé par ce dernier ayant été rejeté par la Cour de cassation en juin 2023. Intéressé ayant demandé au Conseil d’Etat en août 2023 d’annuler le décret de 1977....Il ressort des pièces du dossier que l’intéressé, né en France en 1964, auquel une carte nationale d’identité et un certificat de nationalité française ont été délivrés respectivement en 1980 et en 2000, n’a jamais cessé d’être considéré comme Français dans ses relations avec l’administration. Dans ces conditions, au regard des circonstances particulières dont se prévaut l’intéressé, sa requête, présentée dans un délai raisonnable à compter de l’issue des procédures devant les juridictions judiciaires concernant sa nationalité, est recevable.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 484051

Séance du 22 janvier 2024

Lecture du 02 février 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 août et 5 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 5 mai 1977 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la nationalité française ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Balat, avocat de M. A ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 91 du code de la nationalité française, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Perd la nationalité française, le Français même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. - Cette autorisation est accordée par décret. - Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54 ". L'article 53 du même code disposait que : " La qualité de Français peut être réclamée à partir de dix-huit ans. - Le mineur âgé de seize ans peut également la réclamer avec l'autorisation de celui ou de ceux qui exercent à son égard l'autorité parentale ". Aux termes de l'article 54 du même code : " Si l'enfant est âgé de moins de seize ans, les personnes visées à l'alinéa 2 de l'article précédent peuvent déclarer qu'elles réclament, au nom du mineur, la qualité de Français () ". Aux termes de l'article 372 du code civil🏛, résultant de la loi du 4 juin 1970🏛 relative à l'autorité parentale : " Pendant le mariage, les père et mère exercent en commun leur autorité ".

2. En l'absence de prescription en disposant autrement, les conditions d'âge fixées par ces articles s'apprécient à la date de signature des décrets pris sur leur fondement. Il en résulte que des parents peuvent formuler au nom d'un enfant mineur une demande tendant à ce que celui-ci soit libéré de ses liens d'allégeance avec la France à la condition, si l'intéressé n'a pas atteint l'âge de seize ans, que le père et la mère de l'enfant aient donné chacun leur accord.

3. Il ressort des pièces du dossier que le père de M. B A a demandé le 9 avril 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français, pour lui-même et pour ses enfants mineurs. Sur cette demande, par un décret du 5 mai 1977, M. A, alors âgé de treize ans, a été libéré de ses liens d'allégeance avec la France. Par sa requête, M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir ce décret.

Sur la recevabilité de la requête :

4. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A, auquel le décret du 5 mai 1977 portant libération des liens d'allégeance avec la France n'a pas été notifié, a été informé de son existence par une assignation délivrée le 21 juillet 2017 à la demande du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, qui contestait qu'un certificat de nationalité française ait pu lui être délivré. Ce tribunal a jugé le 7 novembre 2018 que le certificat avait été délivré à tort et que M. A n'était pas français. Le pourvoi que l'intéressé a formé contre l'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour d'appel de Paris ayant rejeté son appel contre ce jugement a été rejeté par la Cour de cassation le 28 juin 2023. Il ressort des pièces du dossier que M. A, né en France en 1964, auquel une carte nationale d'identité et un certificat de nationalité française ont été délivrés respectivement en 1980 et en 2000, n'a jamais cessé d'être considéré comme Français dans ses relations avec l'administration. Dans ces conditions, au regard des circonstances particulières dont se prévaut M. A, sa requête, présentée dans un délai raisonnable à compter de l'issue des procédures devant les juridictions judiciaires concernant sa nationalité, est, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur et des outre-mer, recevable.

Sur la légalité du décret attaqué :

6. Il ressort des pièces du dossier que si le père du requérant a sollicité le 9 avril 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs, M. A était âgé de moins de seize ans à la date du décret du 5 mai 1977. Il ne pouvait donc légalement, à cette date, être autorisé par décret à perdre la nationalité française qu'au vu d'une demande présentée par ses deux parents. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mère du requérant aurait présenté une telle demande pour ses enfants. Il résulte de ce qui précède que M. B A est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 mai 1977 en ce qu'il porte libération de ses liens d'allégeance avec la France.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 5 mai 1977 est annulé en tant qu'il libère M. B A de ses liens d'allégeance avec la France.

Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 janvier 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 2 février 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard

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