Jurisprudence : CA Lyon, 16-01-2024, n° 21/05787


AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE


RAPPORTEUR


R.G : N° RG 21/05787 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NXWS


Association [9]


C/

[V]

CPAM DU RHONE


APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 09 Juin 2021

RG : 19/00473


AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS


COUR D'APPEL DE LYON


CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE


ARRÊT DU 16 JANVIER 2024



APPELANTE :


Association [9]

[Adresse 6]

[Localité 3]


représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON substitué par Me Christine ARANDA de la SELARL LF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS


INTIMES :


[G] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]


représenté par Me Roxane MATHIEU de la SELARL MATHIEU AVOCATS, avocat au barreau de LYON, dispensée de comparaître


CPAM DU RHONE

Service contentieux général

[Localité 5]


représenté par Mme [K] [U] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général


DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Décembre 2023


Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :


- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Vincent CASTELLI, conseiller

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère


ARRÊT : CONTRADICTOIRE


Prononcé publiquement le 16 Janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛 ;


Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


********************



FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS


Le 22 octobre 2013, l'EHPAD [9] (l'employeur, l'association), a établi une déclaration d'accident du travail survenu le 21 octobre 2013, à 13h30, au préjudice de Mme [Aa], victime d'une chute après avoir glissé sur une flaque d'eau dans la salle à manger, déclaration accompagnée d'un certificat médical initial établi le 21 octobre 2013 par un médecin de l'hôpital privé [7] constatant une « lombalgie gauche post-traumatique - cervicalgie avec rectitude », avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 30 octobre 2013.


La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la CPAM) a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.


L'état de santé de Mme [V] a été déclaré consolidé au 15 juin 2014, sans séquelle indemnisable.


Le 12 juin 2015, Mme [V] a saisi la CPAM en vue d'une reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, en l'absence de conciliation, a saisi le 21 janvier 2019 le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu pôle social du tribunal judiciaire, aux mêmes fins.



Par jugement du 9 juin 2021, le tribunal :


- déclare recevable l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par Mme [V],

- dit que l'association [9] a commis une faute inexcusable responsable de l'accident du travail dont Mme [V] a été victime le 21 octobre 2013,

- dit n'y avoir lieu à majoration de la rente,

- alloue à M. [Aa] une provision de 1 500 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

- dit que la CPAM doit faire l'avance de l'indemnité provisionnelle à charge pour elle de recouvrer la somme auprès de l'employeur,

Avant-dire-droit sur l'indemnisation,

- ordonne l'expertise médicale de Mme [V] et désigne pour y procède le docteur [R] [I] [8] [Adresse 1],

- lui donne mission, après avoir convoqué les parties, de :

* se faire communiquer le dossier médical de Mme [V],

* examiner Mme [V],

* détailler les blessures provoquées par l'accident du 21 octobre 2013,

* décrire précisément les séquelles consécutives à l'accident du 21 octobre 2013, et indiquer les actes et gestes devenus limités ou impossibles,

* indiquer la dure de la période pendant laquelle Mme [V] a été dans l'incapacité totale de poursuivre ses activités personnelles,

* indiquer la durée de la période pendant laquelle Mme [V] a été dans l'incapacité partielle de travail et évaluer le taux de cette incapacité,

* dire si l'état de Mme [V] nécessite ou a nécessité l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne, et, dans l'affirmative, préciser la nature de l'assistance et sa durée quotidienne,

* dire si l'état de Mme [V] nécessite ou a nécessité une aménagement de son logement,

* dire si l'état de Mme [V] nécessite ou a nécessité un aménagement de son véhicule,

* évaluer les souffrances physiques et morales consécutives à l'accident,

* évaluer le préjudice esthétique consécutif à l'accident,

* évaluer le préjudice d'agrément consécutif à l'accident,

* évaluer le préjudice sexuel consécutif à l'accident,

* fournir tout élément de nature à éclairer la juridiction quant à la détermination des préjudices subis au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ou de réalisation d'un projet de vie familiale,

* dire si Mme [V] subit des préjudices exceptionnels et s'en expliquer,

* dire si l'état de la victime est susceptible de modifications,

- dit que l'expert déposera son rapport au secrétariat du tribunal judiciaire dans les six mois de sa saisine,

- dit que la CPAM doit faire l'avance des frais d'expertise médicale, à charge pour elle de les recouvrer auprès de l'association [9],

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamne l'association [9] à payer à Mme [Aa] une indemnité de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- réserve la demande de l'association [9] au titre des frais irrépétibles.



Par déclaration enregistrée le 9 juillet 2021, l'association [9] a relevé appel de cette décision.


Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2022 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :


A titre principal :

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dire et juger que les conditions de la reconnaissance de la faute inexcusable ne sont pas réunies,

- dire et juger que Mme [V] est défaillante dans l'administration de la preuve de l'existence d'une faute inexcusable,

En conséquence,

- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Me [V] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.


Par ses dernières écritures reçues au greffe le 29 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [V] demande à la cour de :


- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner l'association [9] à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.


Dans ses écritures reçues au greffe le 24 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM demande à la cour de


- lui donner acte qu'elle s'en remet sur l'appréciation de la faute inexcusable de l'employeur,

- prendre acte de ce qu'elle fera l'avance des sommes allouées à la victime au titre de la majoration de la rente au taux de 17% et de l'indemnisation des préjudices,

- dire et juger que la caisse procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance auprès de l'employeur au titre du capital de la majoration de rente sur la base du taux de 17%, des préjudices reconnus si une expertise était ordonnée, y compris des frais relatifs à la mise en œuvre de cette expertise.


En application de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Il sera liminairement relevé que le jugement entrepris n'est pas remis en cause en ce qu'il déclare recevable l'action engagée par Mme [V].


SUR LA RECONNAISSANCE DE LA FAUTE INEXCUSABLE


Contestant la faute inexcusable qui lui est reprochée par sa salariée, l'association soutient avoir correctement évalué les risques de chute (DUER, fiches d'entreprises) et avoir pris toutes les mesures pour les éviter (mesures de prévention, alertes régulières sur les risques professionnels, formation des salariés).


En réponse, Mme [V] prétend que son employeur s'est délibérément abstenu de respecter les règles élémentaires de sécurité en ne fournissant pas de chaussures antidérapantes afin de prévenir le risque de glissade. Elle considère que les préconisations du port de « chaussures fermées avec des semelles en bon état », figurant dans le document émis par la CARSAT produit par l'employeur, ne sont pas pertinentes au motif qu'elles revêtent un caractère général et s'appliquent à toutes les catégories de personnel. Elle estime également que la journée de formation dispensée en 2007 sur la thématique des chutes ne peut exonérer son employeur de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver sa sécurité et sa santé.


En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, qu'elle en soit la cause nécessaire, alors même que d'autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage.

Le manquement à l'obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale🏛 lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la conscience du danger s'appréciant au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.


En l'espèce, Mme [Aa] a été recrutée par l'association, le 1er décembre 1999, en qualité d'agent de service. Son accident du travail, dont la réalité n'est pas contestée, est survenu le 22 octobre 2013 à 13h30 dans les circonstances suivantes : elle a chuté en glissant sur un sol mouillé du fait d'un verre renversé par une résidente dans la salle à manger, comme en témoigne Mme [C] (pièce 37 de Mme [V]).


Il est patent que l'employeur a évalué les risques liées aux chutes comme en témoignent son DUER (pièces 8 et 9) ainsi que les fiches d'entreprise établies par le médecin du travail en 2012 et 2013 (pièces 10 et 11) lesquels identifient précisément les risques d'accident liés au chutes, notamment sur sol glissant.

L'employeur justifie également du guide des consignes pratiques (pièce 14) remis à tout salarié lors de son embauche qui prévoit pour les services autres que la cuisine et l'homme d'entretien, le port de chaussures fermées devant avec le talon attaché.

Le livret d'accueil (pièce 15) rappelle par ailleurs la nécessité de respecter les consignes de sécurité et Mme [V], qui occupait le poste d'agent de service et faisait à ce titre le ménage, n'était pas exposée aux mêmes risques que le personnel travaillant en cuisine ou que « l'homme d'entretien » assurant l'entretien des locaux.

En tout état de cause, l'association n'était pas tenue, tant en vertu des dispositions légales que des préconisations de la CARSAT, de fournir des chaussures de sécurité ou des chaussures antidérapantes à sa salariée dans le poste qu'elle occupait et il ne revient pas à la cour de porter une appréciation sur la pertinence des recommandations de l'organisme d'assurance-maladie sur ce point.

De plus, l'association justifie (pièce 16) avoir dispensé plusieurs formations à Mme [Aa], dont une de 15h relative à la prévention des risques liés à l'activité physique en janvier 2006, une autre de 1h relative aux risques de chute le 22 juin 2007, outre une formation de 7h relative aux gestes et postures à adopter en 2011.

Au surplus, seules les glissades au sol liées à un événement prévisible (le nettoyage) peuvent être anticipées par l'employeur et non pas celles résultant d'événements fortuits, tel que l'eau d'un verre renversé par un tiers, comme cela s'est produit en l'espèce.


Il s'ensuit que l'employeur, après avoir avoir évalué les risques de chute, établit avoir pris toutes les mesures pour les éviter. Les attestations produites par Mme [V] sont insuffisantes à rapporter la preuve contraire compte tenu, notamment, de leur imprécision (pas de date), pas plus que les certificats médicaux qu'elle verse aux débats qui ne permettent pas de faire un lien direct entre sa lombalgie et son état dépressif.


En conséquence, la salariée échoue à démontrer la faute inexcusable de son employeur. Le jugement déféré sera donc infirmé en ses dispositions contraires, y compris en celles relatives aux conséquences de la faute (majoration de la rente, expertise judiciaire, provision à valoir sur la réparation du préjudice de la salariée).


SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES


La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.


Mme [V], qui succombe, supportera les dépens d'appel et une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés tant en première instance qu'à hauteur de cour.



PAR CES MOTIFS :


La cour,


Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Dit que la faute inexcusable de l'association [9] n'est pas établie,


Rejette l'ensemble des demandes de Mme [V], y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [V] à payer à l'association [9] » la somme de 1 500 euros pour les frais d'avocat engagés tant en première instance qu'à hauteur de cour,


Condamne Mme [V] aux dépens d'appel.


LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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