ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Civile 3
04 Mai 1994
Pourvoi N° 92-12.699
société Fermière de Camporolo et autre
contre
M. André ... et autres
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1 / la société Fermière de Camporolo, dont le siège social est sis à Paris (8ème), 64, rue de la Boétie, 2 / la société de Gestion du Port de Camporolo, dont le siège social est sis à Paris (8ème), 64, rue de la Boétie, en cassation d'un arrêt rendu le 15 janvier 1992 par la cour d'appel de Paris (15ème chambre, section A), au profit
1 / de M. André ..., demeurant à Marseille (1er), 20, rue Saint-Ferréol, 2 / de M. Roger ..., demeurant à Meudon (Hauts-de-Seine), 83, rue de Paris, 3 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Montigny-sur-Loing (Seine-et-Marne), 13, rue Montgermont, 4 / de M. Gérald ..., demeurant à Orange (Vaucluse), 104, rue des Sables, 5 / de Mme ..., née ..., dite Cora ..., demeurant à Paris (15ème), 6 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Paris (15ème), 7 / de M. Jean ..., demeurant à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), 8 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), 9 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Saint-Mandé (Val-de-Marne), 51, avenue Alphand, 10 / de M. Alain ..., demeurant à Tours (Indre-et-Loire), 11 / de M. Henri ..., demeurant à Souillac (Lot), 12 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Souillac (Lot), 13 / de M. Albert ..., demeurant à Strasbourg (Bas-Rhin), 14 / de Mme Paule ..., demeurant à à Nevers (Nièvre), 15 / de M. Paul ..., demeurant à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), 16 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Asnières (Hauts-de-Seine), 17 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Asnières (Hauts-de-Seine), 18 / de M. Pierre J ..., demeurant à Bordeaux (Gironde), 19 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Lyon 3ème (Rhône), 20 / de M. Emile ..., demeurant à Marseille 12ème (Bouches-du-Rhône), 21 / de Mme Roger ..., née ... ..., demeurant à Marseille 12ème (Bouches-du-Rhône), 22 / de la société GEDIT, Société Civile Particulière, dont le siège social est sis à Mondicourt (Pas-de-Calais), représentée par M. Henry ..., domicilié audit siège, 23 / de M. François ..., demeurant à Chartres (Eure-et-Loir), 24 / de Mme Gaston ..., née ... ..., demeurant à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), 25 / de M. Alain ..., demeurant à Valençay (Indre), 26 / de Mme veuve Izac, née Nancy Tudury, demeurant " à Marseille 9ème (Bouches-du-Rhône), 27 / de M. Noël ..., demeurant à Paris (14ème), 28 / de Mme Croissy ..., épouse ..., demeurant à Paris (14ème), 29 / de M. Rodolphe ..., demeurant au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), 30 / de Mlle Simone ..., demeurant à Paris (16ème), 31 / de M. Marcel ..., demeurant à Arcachon (Gironde), 32 / de M. Louis Le ..., demeurant à Brest (Finistère), 33 / de Mme Le ..., née ... ..., demeurant à Brest (Finistère), 34 / de M. Roger ..., demeurant à Soisy-sous-Montmorency (Val-d'Oise), 35 / de M. Pierre ..., demeurant à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine), 36 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine), 37 / de M. Jean ..., demeurant à Rennes (Ille-et-Vilaine), 38 / de M. Jean-Pierre ..., demeurant à Paris (18ème), 39 / de M. Gérard ..., demeurant à Paris (18ème), 40 / de M. Antoine ..., demeurant Résidence "Les Hauts du Parc B", à Croix (Nord), 41 / de M. Jean-Claude ..., demeurant à Chambéry (Savoie), 42 / de M. Jean ..., demeurant à La Varenne-Saint-Hilaire (Val-de-Marne), 43 / de Mme Odette ..., son épouse, demeurant à La Varenne-Saint-Hilaire (Val-de-Marne), 44 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Paris (1er), 45 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Paris (14ème), 46 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Lyon 9ème (Rhône), 47 / de M. Etienne ..., demeurant à La Tronche (Isère), 48 / de Mme Jean ..., née ... ..., demeurant à Bordeaux (Gironde), 49 / de M. Thierry ..., demeurant à Marseille 9ème (Bouches-du-Rhône), 50 / de M. Claude ..., demeurant à Orgeval (Yvelines), 51 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Orgeval (Yvelines), 52 / de M. Segond ..., demeurant à Cotignac (Var), 53 / de M. Lucien ..., demeurant à Saint-Avertin (Indre-et-Loire), 54 / de M. Jean-Charles ..., demeurant Route de Thorigné, Grez Neuville, ... Lion d'Angers (Maine-et-Loire), 55 / de Mme ..., née ... ..., demeurant à Aucamville (Haute-Garonne), 56 / de Mme Nicole ..., demeurant à Paris (8ème), 57 / de Mme Raymonde ..., demeurant à Freimong Merlebach (Moselle), 58 / de Mme ..., née ... ..., demeurant " à Cabrerets (Lot), 59 / de M. Michel ..., demeurant à Graulhet (Tarn), 60 / de M. Charles ..., demeurant à Montois-la-Montagne (Moselle), 61 / de M. Claude ..., demeurant à à Sennecey-le-Grand (Saône-et-Loire), 62 / de M. Robert ..., demeurant à Premery (Nièvre), 63 / de Mme Andrée ..., son épouse, demeurant à Premery (Nièvre), 64 / de M. Pierre-Vital ..., demeurant " à Marseille 7ème (Bouches-du-Rhône), 65 / de M. Didier ..., demeurant à Laventié (Pas-de-Calais), 66 / de M. Thierry ..., demeurant à Laventié (Pas-de-Calais), 67 / de M. Olivier ..., demeurant à Laventié (Pas-de-Calais), 68 / de Mlle Marie-Claude ..., demeurant à Metz (Moselle), 69 / de la société Barclays Bank, venant aux droits de la société anonyme L'Européenne de Banque, dont le siège social est sis à Paris (8ème), 64, rue de La Boétie, prise en la personne de ses Président-directeur général, administrateurs et représentants légaux en exercice, domiciliés audit siège, défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt
LA COUR, en l'audience publique du 15 mars 1994, où étaient présents M. Beauvois, président, Mme Giannotti, conseiller rapporteur, MM ..., ..., ..., ..., ..., Mmes ... ..., ..., MM ..., ..., conseillers, MM ..., ..., Mme ...- Daum, conseillers référendaires, M. Vernette, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Giannotti, les observations de Me ..., avocat de la société Fermière de Camporolo et de la société de gestion du Port de Camporolo, de Me ..., avocat de M. ... et des 67 autres "actionnaires de la société de gestion", de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de la société Barclays Bank, les conclusions de M. Vernette, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens, réunis Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 1992), qu'en 1972, l'Etat a concédé, pour 50 ans, l'exploitation du port de plaisance de Campoloro au "Syndicat intercommunal à vocation multiple de Cervione Valle di Campoloro et Santa ... Poghju" (SIVOM) qui a confié la sous-concession de cette exploitation à la société de gestion du Port de Campoloro dont le capital était entièrement détenu par la société Fermière de Campoloro ; que l'acquisition d'actions de la société de gestion du Port donnait aux actionnaires la jouissance d'emplacements de mouillage ; que, parallèlement à l'achat des actions, il était convenu que la société Fermière prenait en location ces emplacements pour une durée de dix ans, moyennant un loyer déterminé, et qu'elle s'engageait à racheter les actions cédées à l'issue de cette période, moyennant leur prix d'acquisition majoré forfaitairement de 60 % ; qu'en application de la loi de décentralisation du 22 juillet 1983, un arrêté préfectoral a transféré à la commune de Santa Maria ... les droits de l'Etat sur le port de Campoloro ; que, par délibération du 25 août 1984, le conseil municipal de cette commune a décidé de retirer au SIVOM l'exploitation du port à compter du 31 décembre 1984 ; qu'à cette date, la société Fermière, invoquant l'existence d'un cas de force majeure, a refusé de continuer à verser les loyers et de racheter les actions de la société de gestion ; que soixante-huit actionnaires ont réclamé le respect des engagements pris envers eux ;
Attendu que la société Fermière de Campoloro fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à chacun des actionnaires le montant des loyers ayant couru du 1er janvier 1985 au 31 décembre 1986 et le montant du rachat de leurs actions dans les conditions stipulées aux contrats de location, alors, selon le moyen, "1 ) que l'arrêt a ainsi méconnu la portée de l'article 46 du cahier des charges de la concession qui ne conférait à l'Etat un pouvoir discrétionnaire de retrait de la concession, à toute époque, qu'en sa qualité de propriétaire du domaine public, agissant à ce titre en vertu d'un acte de volonté de puissance publique, ainsi que l'établit de surcroît sa libre acceptation de la limitation de retrait volontaire, inscrite dans la convention d'amodiation du 24 avril 1973 ; mais que ce texte contractuel ne pouvait concerner l'hypothèse distincte, qui s'est réalisée lors de la promulgation d'une loi spéciale de décentralisation, où l'Etat serait dépossédé de sa compétence en matière de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes au profit des collectivités locales, ce qui avait pour effet de porter atteinte à son droit de propriété, en transformant son droit de retrait en une obligation de retrait ; que l'arrêt a donc violé l'article 1134 du Code civil et les règles gouvernant la propriété de l'Etat sur le domaine public ;
2 ) que l'arrêt aurait dû rechercher concrètement, ainsi que l'y invitaient les conclusions, si le transfert de compétence ainsi organisé par la loi de décentralisation du 22 juillet 1983, qui n'était pas prévisible au moment de la conclusion des contrats de concession et de sous-concession, n'était pas par lui-même de nature à conférer à la décision de retrait formulée brutalement par la commune de Santa Maria ... un caractère absolument irrésistible, en sorte que le fait du prince présentait ainsi les caractères de la force majeure - et ce, d'autant que cette même commune était membre du SIVOM qui avait d'abord sous-traité la concession pour l'exploitation du port en avril 1973, puis confirmé expressément cette concession, en décembre 1976, à la même société de gestion du Port de Campoloro ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation des articles 1148, 1625 et 1626 du Code civil ;
3 ) que l'arrêt aurait dû s'interroger sur le point de savoir si la force majeure ne prenait pas précisément appui sur le fait que l'attributaire de la concession savait qu'à tout moment le concédant avait la faculté d'exercer un retrait, au moins depuis décembre 1976 ; qu'en effet, cette connaissance ne pouvait raisonnablement s'appliquer qu'à une décision loyale de retrait de la concession de la part d'une personne morale de droit public et non pas, comme en l'espèce, ainsi que le rappelaient les conclusions, sur une décision brutale formulée avant discussion des propositions d'abord présentées par la commune et son maire qui présidait le SIVOM ; que l'arrêt est donc encore vicié par défaut de base légale au regard des articles 1134, 1148 et 1626 du Code civil ; 4 ) qu'est réputée non écrite la convention par laquelle un associé cède des actions en s'engageant à les racheter pendant une certaine période au même prix majoré, faisant ainsi bénéficier le cessionnaire, qui prend la qualité d'associé, d'une soustraction totale à la contribution aux pertes subies par la société, dès lors que la garantie vient d'un associé, et qu'elle porte ainsi atteinte à l'équilibre du pacte social ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société Fermière de Campoloro s'était engagée vis-à -vis de chacun des acquéreurs dans un acte intitulé "convention de location" à lui acheter "ses parts de propriétaire à l'expiration de la convention au prix d'origine majoré forfaitairement de 60 %", faculté que l'actionnaire pourra exercer du 31 décembre 1986 au 31 mars 1987, en adressant sa demande à la société par lettre recommandée avec accusé de réception, la société devant réaliser le rachat dans un délai maximum de six mois après réception de cette lettre ;
qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, caractérisant l'existence d'un engagement de rachat ayant pour effet d'affranchir des coassociés de toute participation aux pertes, et donc frappé d'une nullité d'ordre public, et, en faisant application de cet engagement, a violé les dispositions de l'article 1855 ancien du Code civil ou 1844-1 nouveau du même code (loi du 4 janvier 1978), selon la date de chaque "convention de location" en cause" ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant exactement retenu que, par l'effet de la loi de décentralisation la commune de Santa Maria ... avait été substituée à l'Etat comme puissance concédante, et que, pour cette raison, elle avait retiré au SIVOM la concession de gestion du Port, en invoquant l'article 46 du cahier des charges de la concession donnant "à toute époque à l'Etat, le droit de retirer la concession", et ayant relevé que la société Fermière de Campoloro et la société de gestion du Port connaissaient parfaitement l'existence de cette stipulation et la possibilité de révocation de la concession, dans la mesure où la convention de sous-traitance conclue entre le SIVOM et la société de gestion du Port faisait référence au cahier des charges de la concession en prévoyant, dans son article 43, le cas de retrait de concession de l'Etat, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que ces sociétés ne pouvaient se prévaloir du retrait de la concession au SIVOM comme événement imprévisible constitutif d'un cas de force majeure ;
Attendu d'autre part, que la société Fermière de Campoloro et la société de gestion du Port n'ayant pas contesté la validité des engagements pris envers les actionnaires, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne, ensemble, la société Fermière de Camporolo et la société de gestion du port de Camporolo, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M le président en son audience publique du quatre mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.