Jurisprudence : CEDH, 24-11-1993, Req. 32/1992/377/451, Imbrioscia c. Suisse

CEDH, 24-11-1993, Req. 32/1992/377/451, Imbrioscia c. Suisse

A6582AWP

Référence

CEDH, 24-11-1993, Req. 32/1992/377/451, Imbrioscia c. Suisse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1038917-cedh-24111993-req-321992377451-imbrioscia-c-suisse
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Cour européenne des droits de l'homme

24 novembre 1993

Requête n°32/1992/377/451

Imbrioscia c. Suisse



En l'affaire Imbrioscia c. Suisse*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
J. De Meyer,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.B. Baka,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 avril et 28 octobre 1993,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 32/1992/377/451. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 septembre 1992, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 13972/88) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant italien, M. Franco Imbrioscia, avait saisi la Commission le 5 mai 1988 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a nommé son conseil (article 30). Désigné devant la Commission par l'initiale I., il a désormais consenti à la divulgation de son identité.

Le gouvernement italien, avisé par le greffier de la possibilité d'intervenir dans la procédure (articles 48, alinéa b), de la Convention et 33 par. 3 b) du règlement) (art. 48-b), n'a pas manifesté l'intention de s'en prévaloir.

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, L.-E Pettiti, J. De Meyer, I. Foighel, R. Pekkanen, A.B. Baka et M.A. Lopes Rocha, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement suisse ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 21 décembre 1992 et 4 janvier 1993 respectivement. Le 24 février, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait à l'audience; par la suite, il a produit certains documents demandés par le greffier sur les instructions du président.

5. Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats ont eu lieu en public le 19 avril 1993, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. P. Boillat, chef de la section du droit européen et des affaires internationales, Office fédéral de la justice,
agent,

F. Schürmann, chef adjoint de la section du droit européen et des affaires internationales, Office fédéral de la justice,
conseil;

- pour la Commission

M. B. Marxer,
délégué;

- pour le requérant

Me C.F. Fischer, avocat,
conseil.

La Cour a entendu M. Boillat, M. Marxer et Me Fischer en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions.

6. Le 19 mai, l'agent du Gouvernement a déposé certaines pièces que le greffier, sur les instructions de la Cour, l'avait prié de lui fournir.


EN FAIT

7. Représentant de commerce et citoyen italien, M. Franco Imbrioscia résidait à Barletta (Italie) à l'époque considérée.

I. Les circonstances de l'espèce

A. L'arrestation du requérant

8. Venant de Bangkok, il arriva à l'aéroport de Zurich le 2 février 1985. Les douaniers trouvèrent 1 kg 385 d'héroïne dans la valise d'un autre passager du même vol, M. Celui-ci, à qui l'on demanda s'il voyageait accompagné, indiqua le requérant du doigt. M. Imbrioscia expliqua qu'ils faisaient tous deux partie d'un groupe; on le relâcha après l'avoir fouillé sans résultat.

9. Après un complément d'enquête, on le soupçonna cependant d'avoir des liens avec M., en conséquence de quoi on l'arrêta le jour même à Lugano, à bord du train qui le ramenait en Italie.

B. L'instruction

10. M. Imbrioscia sollicita aussitôt l'aide de Mme S. C., qui entra en rapport avec une avocate, Me B. G.

11. Interrogé, le dimanche 3 février, par un procureur du district (Bezirksanwalt) de Zurich avec le concours d'un interprète, le requérant déclara avoir pris l'avion à Zurich parce qu'il s'agissait du moyen le moins onéreux de se rendre à Bangkok. Par simple coïncidence, une autre personne aurait elle aussi acheté à Barletta un billet pour le même vol, mais ils n'auraient jamais été assis côte à côte pendant le trajet. En outre, il se défendit d'avoir participé à l'importation de drogue en Suisse. Informé de sa mise en détention provisoire, il demanda qu'on le dotât d'un avocat, car il n'en connaissait aucun à Zurich.

Il resta détenu dans le bâtiment du parquet du district de Bülach.

12. Le 8 février, Me B. G. écrivit à l'intéressé, lui proposant de le représenter. Il lui retourna la procuration nécessaire après l'avoir signée.

13. Les 13 et 15 février, la police l'interrogea en l'absence de son avocate.

Questionné le 18 février 1985 par un procureur du district de Bülach, le requérant réclama une confrontation avec M., afin de prouver son innocence.

14. Le 25 février, Me B. G. se déchargea de son mandat. Les pièces disponibles ne montrent pas dans quelle mesure elle avait participé à la défense de M. Imbrioscia, mais il ressort du registre de la prison qu'elle n'était jamais allée le voir.

Le jour même, Me Fischer fut commis d'office puis, le 27, autorisé à rendre visite à son client, ce qu'il fit pour la première fois le 1er mars 1985. Le 4, il retourna au parquet de district le dossier de l'affaire, qu'on lui avait communiqué le 27 février pour consultation.

15. Un nouvel interrogatoire eut lieu le 8 mars devant le procureur de district. Me Fischer n'avait pas été convoqué; il ne semble pas avoir demandé à assister à l'audition, dont il reçut toutefois le procès-verbal. Il alla voir le requérant le 15 mars.

16. Les 2 et 3 avril 1985, le procureur et deux policiers se rendirent à Barletta pour ouïr plusieurs témoins, dont deux agents de voyages.

17. Le 9 avril 1985, l'avocat de M. Imbrioscia eut avec le procureur un entretien dont l'objet prête à controverse. Selon l'arrêt de la cour d'appel (Obergericht) de Zurich, du 17 janvier 1986 (paragraphes 23-24 ci-dessous), son interlocuteur l'aurait averti que le requérant serait interrogé à nouveau le 11 avril. Me Fischer, lui, le nie et prétend que la conversation porta notamment sur la détention provisoire.

En tout cas, il ne se trouvait pas présent le 11 avril, quand son client fut questionné sur les contradictions qui apparaissaient dans ses déclarations et contesta les résultats de l'enquête menée en Italie.

18. Par une lettre du 17 avril 1985, Me Fischer accusa réception des procès-verbaux de l'audition des témoins à Barletta et de l'interrogatoire du 11 avril (paragraphes 16-17 ci-dessus); il se plaignit de ne pas avoir été invité à y assister. Il rendit visite à M. Imbrioscia le lendemain.

19. Me Fischer était là en revanche le 6 juin 1985 quand on informa l'intéressé de la clôture de l'instruction et de son inculpation éventuelle pour trafic d'héroïne et faux. Le requérant déclara n'avoir rien à voir avec les faits qu'on lui imputait du premier chef et avoir agi de bonne foi quant au second. Son conseil ne prit pas la parole.

C. La procédure de jugement

1. Devant le tribunal de district de Bülach

20. Le 10 juin 1985, le parquet renvoya M. Imbrioscia et M. en jugement devant le tribunal de district (Bezirksgericht) de Bülach pour trafic de drogue.

Le 13, Me Fischer alla voir son client à la prison.

21. A l'audience du 26 juin 1985, les deux prévenus furent à nouveau questionnés sur les faits; leurs avocats présentèrent leurs conclusions. Me Fischer interrogea aussi M.

Le tribunal condamna le requérant à sept ans d'emprisonnement et quinze ans d'interdiction de séjour en Suisse, son coaccusé à six ans de réclusion pour infraction à la loi sur les stupéfiants (Betäubungsmittelgesetz). Il mit à la charge de chacun des accusés la moitié des frais et dépens de la procédure.

22. Le tribunal releva que M. Imbrioscia s'était contredit à plusieurs reprises: sur le point de savoir s'il connaissait le prénom et le nom de famille de M., s'il était assis à côté de lui dans l'avion, etc. Compte tenu de ces incohérences, il estima ne plus pouvoir prendre au sérieux (nicht mehr ernstgenommen werden kann) les protestations d'innocence de l'intéressé.

Analphabète, M. avait de son côté fait des déclarations si inconséquentes que des doutes surgissaient au sujet de ses facultés mentales; il ne pouvait donc passer pour l'organisateur du transport de la drogue. Lors de son dernier interrogatoire, le 15 mai 1985, il avait d'ailleurs affirmé que son coaccusé l'avait constamment accompagné et lui avait indiqué le moment où il devait se saisir de la valise. Le rôle de ce dernier avait donc consisté à aider et surveiller M.

Le tribunal en conclut que le requérant avait sciemment et volontairement participé à l'accomplissement du délit.

2. Devant la cour d'appel de Zurich

23. Le 17 janvier 1986, la cour d'appel (Obergericht) de Zurich débouta M. Imbrioscia de son recours (Berufung) à l'issue d'une audience pendant laquelle les juges l'interrogèrent à nouveau en présence de Me Fischer. Elle confirma la condamnation prononcée par le tribunal de district (paragraphe 21 ci-dessus), et mit en outre à la charge de l'intéressé les frais et dépens de l'instance d'appel.

24. En ce qui concerne l'absence de son conseil lors des interrogatoires, elle notait que celui-ci avait été informé de la date du 11 avril 1985, mais ne s'était pas présenté, et n'avait pas posé de questions lors du dernier, effectué le 6 juin 1985 (paragraphe 19 ci-dessus), auquel il avait assisté. En outre, l'appelant ne montrait pas en quoi sa défense en avait pâti.

Sur le fond, la cour reprenait les motifs du jugement de première instance; elle estimait peu plausible que deux personnes ne se connaissant pas eussent voyagé ensemble, à l'aller et au retour, de Barletta à Bangkok, via Zurich, et séjourné en Thaïlande dans le même hôtel.

3. Devant la Cour de cassation de Zurich

25. Saisie par M. Imbrioscia d'un recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde), la Cour de cassation (Kassationsgericht) de Zurich le rejeta le 8 octobre 1986.

Quant au grief tiré de l'absence d'avocat lors des interrogatoires, elle se référait à la jurisprudence du Tribunal fédéral (paragraphe 27 ci-dessous). Le requérant n'alléguait point avoir réclamé la présence de son défenseur et avoir essuyé un refus s'appuyant sur des motifs non fondés (unsachliche Gründe); d'ailleurs, Me Fischer avait assisté à l'interrogatoire du 6 juin 1985 puis à l'audience du 26 (paragraphes 19 et 21 ci-dessus).

4. Devant le Tribunal fédéral

26. Le 5 novembre 1987, le Tribunal fédéral repoussa le recours de droit public de l'intéressé contre les arrêts des 17 janvier et 8 octobre 1986 (paragraphes 23-25 ci-dessus).

Renvoyant à sa jurisprudence relative à l'article 17 par. 2 du code de procédure pénale du canton de Zurich (paragraphe 27 ci-dessous), il soulignait que M. Imbrioscia ne se plaignait pas du rejet arbitraire d'une demande sollicitant la présence de son avocat, lequel avait assisté au dernier interrogatoire et reçu communication des procès-verbaux des précédents. Il n'y avait donc pas eu atteinte aux droits de la défense reconnus par la Constitution fédérale suisse et la Convention.

II. Le droit interne pertinent

27. A l'époque considérée, l'article 17 du code de procédure pénale du canton de Zurich était ainsi libellé:

"Pendant l'instruction, le défenseur doit se voir accorder l'accès au dossier dans la mesure où la finalité de l'instruction ne peut s'en trouver compromise. La consultation des comptes rendus d'expertise et des procès-verbaux des audiences auxquelles le défenseur est autorisé à assister, ne peut lui être refusée.

Le magistrat instructeur peut autoriser le défenseur à assister aux interrogatoires personnels de l'inculpé.

Une fois l'instruction terminée, le défenseur a accès au dossier sans restrictions."

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le deuxième alinéa autorise le parquet à refuser sans indication de motifs la présence de l'avocat au premier interrogatoire du suspect, mais l'oblige à fournir des raisons s'il entend exclure le conseil des auditions ultérieures.

Dans la pratique zurichoise, l'avocat n'assiste en général pas aux interrogatoires de son client par la police, mais les procès-verbaux lui en sont d'ordinaire communiqués.

28. Amendés le 1er septembre 1991, les deux premiers alinéas du texte précité prévoient désormais:

"Pendant l'instruction, l'accès au dossier doit être accordé à l'inculpé et à son défenseur, à leur demande, dans la mesure où et dès lors que la finalité de l'instruction ne peut nullement s'en trouver compromise. La consultation des pièces déjà communiquées à l'inculpé, de même que celle des rapports d'expertise et des procès-verbaux des audiences d'instruction auxquelles le défenseur a été autorisé à assister, ne peut être refusée.

Le magistrat instructeur doit accorder au défenseur la possibilité d'assister aux interrogatoires de l'inculpé lorsque celui-ci le souhaite et que la finalité de l'instruction ne risque pas de s'en trouver compromise. Les avocats inscrits dans le Canton doivent être admis aux interrogatoires dès que l'inculpé a fait ses premières déclarations au magistrat instructeur ou s'il se trouve en détention depuis quatorze jours. Enfin, le défenseur qui assiste à l'interrogatoire doit avoir la faculté de poser à l'inculpé des questions de nature à apporter des éclaircissements sur l'affaire."

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