Jurisprudence : CEDH, 26-03-1992, Req. 58/1990/249/380, Editions Périscope c. France

CEDH, 26-03-1992, Req. 58/1990/249/380, Editions Périscope c. France

A6508AWX

Référence

CEDH, 26-03-1992, Req. 58/1990/249/380, Editions Périscope c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1028486-cedh-26031992-req-581990249380-editions-periscope-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

26 mars 1992

Requête n°58/1990/249/380

Editions Périscope c. France



En l'affaire Editions Périscope c. France*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 octobre 1991 et 26 février 1992,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 58/1990/249/380. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a amendé l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 14 décembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 11760/85) dirigée contre la République française et dont une société anonyme de droit français, les Editions Périscope, avait saisi la Commission le 20 septembre 1985 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en matière de "délai raisonnable".

2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la société requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 21 février 1991, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha, R. Macdonald, I. Foighel, R. Pekkanen et J.M. Morenilla, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, MM. F. Bigi et B. Walsh, suppléants, ont remplacé M. Pinheiro Farinha, qui avait donné sa démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions avant l'audience, et M. Macdonald, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat de la société requérante au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu le mémoire des Editions Périscope le 2 mai et celui du Gouvernement le 3; les demandes des premières au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention lui sont parvenues le 21. Le 17 juillet, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait oralement.

5. Ainsi que l'avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 21 octobre 1991, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. J.-P. Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, agent,

P. Chambu, direction des affaires juridiques,
ministère des Affaires étrangères, conseil;

- pour la Commission

M. C.L. Rozakis, délégué;

- pour la société requérante

Me P. Colin, avocat, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, M. Puissochet pour le Gouvernement, M. Rozakis pour la Commission et Me Colin pour la société requérante.

6. Agent du Gouvernement et représentant de la société requérante ont produit plusieurs pièces à l'occasion de l'audience.

7. Le 15 janvier 1992, le second a communiqué au greffier une note relative à l'application de l'article 50 (art. 50) de la Convention, mais la Cour a résolu de ne pas la prendre en considération, eu égard à l'article 50 par. 1 du règlement.


EN FAIT

8. Les Editions Périscope sont une société anonyme de droit français, dont le siège se trouve à Paris. Fondées en avril 1960, elles entendaient créer une revue intitulée "Périscope de l'usine et du bureau", qui analyserait les produits industriels nouveaux et offrirait un "service lecteurs intégré". Il s'agissait d'un type de périodique alors inconnu en France.

A. La genèse de l'affaire

9. Le 21 octobre 1960, la société requérante pria la Commission paritaire des publications et agences de presse ("la Commission paritaire") de délivrer à sa revue un certificat d'inscription afin qu'elle bénéficiât des abattements fiscaux et des tarifs postaux préférentiels consentis aux organes de presse.

10. La Commission paritaire rejeta la demande le 8 décembre 1960 et réserva le même sort à deux autres, les 9 février 1961 et 17 janvier 1964. Elle ne répondit pas à une quatrième, formulée le 30 juin 1970. Bien qu'assimilables à des décisions faisant grief car ils liaient l'administration, ses avis ne donnèrent pas lieu à un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat.

Le motif avancé ne varia jamais: la revue était assimilable à un support publicitaire car elle constituait un trait d'union entre ses abonnés et des fabricants, à des fins de transaction commerciale. Elle publiait les fiches techniques établies par le constructeur lui-même pour les matériels présentés; le lecteur intéressé par un modèle retournait à la direction de "Périscope de l'usine et du bureau" une fiche avec la référence dudit modèle; le constructeur recevait alors la fiche en question et envoyait la documentation correspondante. Or la société aurait dû, pour obtenir les avantages revendiqués, consacrer au moins un tiers de sa surface à une information d'intérêt général ou doter son service lecteurs d'un apport rédactionnel critique.

11. Les Editions Périscope présentèrent aussi deux requêtes officieuses qui se soldèrent par les refus des secrétaires généraux du ministère des Postes et Télécommunications (8 avril 1961) et de la Commission paritaire (27 octobre 1966).

Elles menèrent également auprès des pouvoirs publics, jusqu'en 1974, des démarches qui demeurèrent vaines.

12. "Périscope de l'usine et du bureau" cessa de paraître en octobre 1974 et la société éditrice fut mise en règlement judiciaire puis en liquidation de biens. Toutefois, le tribunal de commerce de Paris prononça la rétractation de son jugement après que le président-directeur général eut consenti à supporter le passif sur ses deniers personnels.

13. Le 15 mars 1976, les Editions Périscope adressèrent un recours gracieux au ministre des Finances, au secrétaire d'Etat aux Postes et Télécommunications et au secrétaire d'Etat auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement. Elles entendaient obtenir une indemnité de 200 millions de francs en réparation du préjudice qu'elles estimaient avoir subi depuis 1962 par la faute du service public. Elles ne reçurent pas de réponse.

B. La procédure devant le tribunal administratif de Paris

1. Le recours

14. Les Editions Périscope saisirent le tribunal administratif de Paris le 12 novembre 1976. Elles l'invitaient à

"Faire droit au (...) recours et, pour les motifs (...) exposés, condamner l'Etat à [leur] verser la somme de deux cents millions de francs à titre de réparation du préjudice à [elles] causé par les fautes du service public.

Subsidiairement, ordonner une expertise pour déterminer l'importance du préjudice subi par la Société Editions Périscope."

2. L'instruction

15. Partie défenderesse, le premier ministre déposa le 25 février 1977 un mémoire concluant au débouté. Le ministre de l'Economie et des Finances et le secrétaire d'Etat aux Postes et Télécommunications firent de même les 4 mars et 18 avril.

16. Le 17 juin 1977, les Editions Périscope présentèrent un mémoire ampliatif qu'elles complétèrent le 15 novembre; elles avaient sollicité des prolongations de délai les 27 avril et 1er juin afin de se procurer de nouvelles pièces.

17. Le 18 novembre 1977, le ministre délégué à l'Economie et aux Finances confirma ses conclusions antérieures.

18. Dans un nouveau mémoire enregistré le 16 mars 1978, la société requérante indiquait notamment:

"A ce jour, seul le ministre des Finances a répondu au mémoire du 15 juin 1977 par un mémoire du 18 novembre 1977.

Il apparaît clairement que les Administrations concernées abusent de leur position privilégiée pour retarder le plus possible la solution du procès (...).

Cet abus apparaît d'autant plus manifeste que ces Administrations possèdent des moyens en matériel et en personnel qui leur permettent de respecter des délais raisonnables de réponse."

En conséquence, elle invitait le tribunal "[à] lui donner acte de sa protestation contre le silence dilatoire des Administrations défenderesses et [à] leur faire injonction de répondre dans un délai très bref aux mémoires de la Société des 15 juin et 15 novembre 1977".

19. Le premier ministre déclara, le 28 mars 1978, qu'il maintenait ses conclusions du 25 février 1977 et reprenait à son compte les observations du ministre délégué à l'Economie et aux Finances et du secrétaire d'Etat aux Postes et Télécommunications.

20. Les Editions Périscope revinrent à la charge dans un quatrième mémoire, déposé le 22 mai 1978:

"L'absence de réponse du ministre des Finances et du secrétaire d'Etat aux Postes et Télécommunications démontre qu'ils n'ont aucun argument supplémentaire à opposer aux explications et documents produits les 15 juin et 15 novembre par la société requérante.

Dans ces conditions, [celle-ci] demande au tribunal administratif de considérer comme terminée l'instruction écrite, et de fixer une date d'audience pour l'examen du litige (...)."

Elles en présentèrent deux de plus les 25 octobre 1978 et 29 mai 1979.

Le premier comportait la conclusion suivante:

"Le silence du ministre des Postes à la suite des trois derniers mémoires de la société, la lettre du premier ministre du 21 mars 1978 s'en remettant aux mémoires des autres ministres, la répétition par le ministre du Budget des arguments du ministre des Finances, l'absence totale de discussion du préjudice par les défendeurs, les délais écoulés démontrent que l'Etat a terminé l'exposé de ses moyens de défense.

Dans ces conditions, la société requérante prie le tribunal administratif de bien vouloir fixer au plus vite l'examen du recours introduit depuis deux ans."

Quant au second, il se terminait ainsi:

"La société Périscope constate que les défendeurs ont tous affirmé reprendre leurs arguments précédents. L'exposé de leurs moyens est donc achevé.

La société (...) demande donc à nouveau au tribunal administratif de Paris d'évoquer l'affaire à une prochaine audience, se réservant d'y faire présenter des observations orales par son conseil."

En outre, l'avocat des Editions Périscope écrivit le 13 janvier 1979 au président du tribunal administratif pour qu'il fixât la date de l'audience. Il n'estimait "pas admissible (...) que l'Administration [pût] indéfiniment retarder la solution d'une instance au préjudice du demandeur".

21. Le ministre du Budget soumit un mémoire complémentaire le 10 juin 1978, tout comme le secrétaire d'Etat aux Postes et Télécommunications le 23 janvier 1979. Ce dernier indiqua de surcroît, le 22 octobre, qu'il persistait "en tous points" dans ses précédentes conclusions.

3. Le jugement du 27 avril 1981

22. Après une audience publique tenue le 6 avril 1981, le tribunal administratif rejeta la requête le 27 par les motifs suivants:

"Considérant que la requête de la Société Editions Périscope tend à ce que le Tribunal déclare l'Etat responsable du préjudice causé à la requérante par la discrimination opérée par les administrations intéressées au profit d'entreprises concurrentes en ce qui concerne tant les affranchissements postaux que les allégements fiscaux sans en faire profiter également la requérante en dépit de ses demandes réitérées, condamne l'Etat à lui payer de ces chefs une indemnité de 200 000 000 F et subsidiairement ordonne une expertise pour déterminer l'importance du préjudice subi;

Considérant que si la requérante se fonde sur l'illégalité du refus de son inscription sur la liste des publications bénéficiant des avantages susvisés [allégements fiscaux], il lui appartenait de contester, en temps utile, les impositions qu'elle estimait établies en méconnaissance de l'exonération édictée à l'article 261-8-1° du code général des impôts; qu'elle ne peut plus remettre en cause ladite imposition par la voie d'une action en dommages et intérêts dirigée contre le ministre du Budget dès l'instant qu'elle n'établit pas l'illégalité des refus;

Considérant que, de son côté, l'Administration des Postes n'a pas commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en ne faisant pas bénéficier la requérante d'un tarif postal spécial dès l'instant qu'il résulte de l'article D 18 du code des postes et télécommunications que l'application de ces tarifs est subordonnée à la production d'un certificat d'inscription délivré par la Commission paritaire (...); qu'il appartenait à la requérante, si elle s'y croyait fondée, de contester dans le délai réglementaire de deux mois la légalité d'une décision de refus; qu'il résulte de l'instruction que l'attention des dirigeants de la requérante a été en vain appelée à diverses reprises sur la différence de structure de sa revue par rapport aux revues concurrentes et sur les changements qu'elle devait y apporter pour bénéficier du régime économique de la presse;

Considérant que la circonstance alléguée que diverses entreprises concurrentes auraient indûment bénéficié des avantages en cause, à supposer même qu'elle fût établie, ce qui n'est d'ailleurs pas établi par l'instruction, n'est pas de nature à constituer une atteinte au principe d'égalité devant le service public;

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