Jurisprudence : CEDH, 18-02-1991, Req. 29/1989/189/249, Fredin

CEDH, 18-02-1991, Req. 29/1989/189/249, Fredin

A6345AWW

Référence

CEDH, 18-02-1991, Req. 29/1989/189/249, Fredin. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027902-cedh-18021991-req-291989189249-fredin
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Cour européenne des droits de l'homme

18 février 1991

Requête n°29/1989/189/249

Fredin



En l'affaire Fredin*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43)** de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Ryssdal, président, Thór Vilhjálmsson L.-E. Pettiti, B. Walsh, R. Macdonald, C. Russo, J. De Meyer, S.K. Martens, Mme E. Palm,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 septembre 1990 et 22 janvier 1991,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 29/1989/189/249. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifé l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.

*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 14 décembre 1989, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12033/86) dirigée contre le Royaume de Suède et dont deux citoyens de cet Etat, M. Anders Fredin et son épouse, Mme Maria Fredin, avaient saisi la Commission le 5 mars 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) de la Convention ainsi que de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et ont désigné leur conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 27 janvier 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, B. Walsh, R. Macdonald, S.K. Martens et R. Pekkanen, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. C. Russo et J. De Meyer, suppléants, ont remplacé MM. Pinheiro Farinha et Pekkanen, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement suédois ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le représentant des requérants au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 24 avril 1990 puis, les 8 et 19 juin, celui des requérants et leurs demandes de satisfaction équitable. Le 28 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué présenterait ses observations de vive voix.

5. Le 28 août 1990, après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier, le président a fixé au 25 septembre la date de l'audience (article 38). Le 12 septembre, la Commission a déposé plusieurs documents ainsi que le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président ; les 21 et 25 septembre, le conseil des requérants a fourni des précisions sur lesdites demandes.

6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

- pour le Gouvernement

MM. H. Corell, ambassadeur, sous-secrétaire aux Affaires juridiques et consulaires, ministère des Affaires étrangères,
agent, U. Andersson, sous-secrétaire aux Affaires juridiques, ministère de l'Environnement, P. Boqvist, conseiller juridique, ministère des Affaires étrangères,
conseillers ;

- pour la Commission

M. Gaukur Jörundsson,
délégué ;

- pour les requérants

Me J. Axelsson, avocat,
conseil.

La Cour a entendu en leurs plaidoiries, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, M. Corell pour le Gouvernement, M. Gaukur Jörundsson pour la Commission et M. Axelsson pour les requérants.

7. Le 18 décembre 1990, ceux-ci ont produit une pièce avec l'autorisation du président (article 37 § 1, second alinéa, du règlement).

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

8. M. Anders Fredin, ingénieur agronome, et son épouse, Mme Maria Fredin, sont propriétaires de plusieurs parcelles de terre sises dans la commune de Botkyrka qui englobent une ferme et une gravière. La parcelle où se trouve cette dernière a une contenance de 27 hectares et porte la dénomination Ström 1:3. Elle fut spécifiquement constituée en 1969, par prélèvement sur les autres, en vue de l'utilisation de la gravière.

9. Lorsque la mère de M. Fredin acquit le terrain en 1960, l'exploitation commerciale de la carrière était suspendue depuis le milieu des années 50. Dans l'intervalle, le gravier avait uniquement servi à la ferme. Désireux de reprendre l'exploitation, les Fredin conclurent avec deux sociétés ("les Jehanders"), le 20 mars 1960, un contrat qui donnait à celles-ci le droit exclusif d'extraire du gravier pendant cinquante ans moyennant une redevance annuelle. Elles achetèrent par la suite plusieurs autres gravières dans le voisinage, ce qui leur conféra, d'après les requérants, un quasi-monopole pour la production de gravier dans la région.

10. En 1963, un amendement à la loi de 1952 sur la sauvegarde de la nature (naturskyddslagen 1952:688) interdit d'extraire du gravier sans autorisation. Le 11 décembre 1963, la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm accorda aux parents de M. Fredin le permis nécessaire. Il prévoyait notamment que l'exploitation devait se conformer à un plan élaboré en mai 1962. Spécialement, elle devait s'opérer en trois étapes dont aucune ne dépasserait dix ans ; en outre, des travaux de restauration devaient se dérouler de manière continue durant chacune d'elles et une garantie financière être déposée pour en couvrir les frais.

11. Le 4 septembre 1969, M. Fredin devint propriétaire d'un cinquième du terrain par donation de sa mère.

12. Le 1er juillet 1973, un amendement à la loi de 1964 sur la sauvegarde de la nature (naturvårdslagen 1964:822 - la "loi de 1964") - qui avait maintenu l'exigence d'un permis - habilita la préfecture à retirer des autorisations octroyées plus de dix ans auparavant (paragraphe 35 ci-dessous).

13. Le 31 juillet 1977 les requérants achetèrent le reste du bien-fonds, qui désormais leur appartint à raison des deux tiers pour M. Fredin et d'un tiers pour son épouse. La préfecture en fut informée.

14. Les Jehanders n'avaient alors toujours pas entrepris l'exploitation commerciale de la gravière, bien qu'on les y eût invités plusieurs fois au fil des ans. En conséquence, les Fredin introduisirent une instance pour rupture de contrat, mais le litige se régla à l'amiable : la concession fut réputée avoir expiré le 1er octobre 1979.

15. Le 3 octobre 1979, les requérants sollicitèrent le transfert officiel du permis à leur nom. Ils commencèrent à exploiter la gravière en 1980 - pour partie par les soins d'un nouveau concessionnaire - avec le consentement des parents de M. Fredin. Vers cette époque, la préfecture leur proposa de lui rétrocéder le permis à un prix se situant, selon eux, aux alentours de 50 000 couronnes suédoises, mais ils s'y refusèrent. A compter de 1983, ils assumèrent eux-mêmes la gestion d'une fraction de l'affaire par le truchement d'une société à responsabilité limitée qu'ils contrôlaient, la Kagghamra Grus AB.

16. Le 30 mai 1980, la préfecture les autorisa - par dérogation à l'interdiction générale de bâtir sur le littoral, résultant de la loi de 1964 - à construire un quai doté d'équipements pour le chargement de bateaux. La dérogation valait jusqu'à nouvel ordre, mais sa durée ne devait pas excéder celle du permis d'exploitation. Elle n'impliquait pas, précisa la préfecture, "qu'une position quelconque [eût] été adoptée quant à l'éventualité d'un réexamen ultérieur des activités d'extraction de gravier sur la propriété". Les requérants firent aménager un quai pour 1 000 000 couronnes et investirent aussi, de 1980 à 1983, environ 1 250 000 couronnes dans leur entreprise.

17. Le 24 avril 1981, la préfecture leur demanda une garantie de 40 000 couronnes pour couvrir les frais de restauration du site, montant porté par la suite à 75 000 couronnes.

18. Les intéressés ayant fourni le cautionnement voulu, elle leur transféra le permis par une "décision partielle" du 14 avril 1983 qui modifiait celle du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus). Elle ajoutait qu'elle avait l'intention de formuler de nouvelles directives concernant les travaux de remise en état et que, eu égard à l'amendement de 1973 à la loi de 1964 (paragraphe 12 ci-dessus), elle se proposait de réétudier en 1983 la question du permis dans la perspective d'une cessation éventuelle des activités.

19. Le 25 août 1983, la préfecture signala aux requérants que, dans l'intérêt de la sauvegarde de la nature, elle songeait à remanier le permis en fixant au 1er juin 1984 la fin de l'extraction de gravier.

20. Dans une note du 14 mai 1984, elle indiqua deux manières possibles d'interrompre l'exploitation de la gravière : arrêter l'extraction au plus vite, en raison de la dégradation de l'environnement et de l'existence de ressources suffisantes en gravier dans la région, ou la poursuivre pendant quelques années, grâce à quoi l'on pourrait rendre au site un aspect naturel.

La note fut communiquée à la direction nationale de la protection de l'environnement (naturvårdsverket) et à la municipalité de Botkyrka. Le 18 septembre 1984, la direction se prononça pour la première solution ; d'après elle, l'exploitation avait pu continuer pendant une durée normale puisque le permis était resté valable vingt ans. Le 1er octobre, la municipalité estima préférable de prévoir une période de fermeture progressive car elle faciliterait la remise en état du paysage.

21. Par une nouvelle "décision partielle" du 19 décembre 1984, la préfecture déclara notamment

a) que l'exploitation devait cesser dans les trois ans, soit pour la fin de 1987, moment où la zone devrait avoir été remise en état ;

b) que la poursuite de l'extraction était dès à présent prohibée dans certaines parties de la gravière ;

c) que les requérants devaient élever le montant du cautionnement à 200 000 couronnes avant le 1er mars 1985, pour couvrir les frais de restauration que risquait d'entraîner l'activité croissante dans la gravière ; qu'il leur fallait aussi élaborer un nouveau plan de travaux, afin que la préfecture pût fixer les conditions de la dernière phase de l'exploitation ainsi que de la remise en état.

22. Les requérants introduisirent un recours devant le gouvernement. D'après eux,

a) la préfecture se fondait sur une étude scientifique en partie insuffisante ;

b) elle n'aurait pas dû suivre l'avis de la commune de Botkyrka (paragraphe 20 ci-dessus), eu égard à sa portée limitée ;

c) sa décision, et l'opinion de la direction nationale de la protection de l'environnement, auraient dû s'appuyer sur le rapport d'un expert géologue ;

d) elle n'avait pas assez pris en compte les intérêts des requérants et n'avait pas ménagé une période raisonnable de fermeture ;

e) l'ordre de présenter un nouveau plan d'extraction et de verser une garantie de 200 000 couronnes constituait une sanction financière ;

f) l'interdiction immédiate de l'extraction dans certaines parties de la gravière était illégale, car elle équivalait à stopper 90 % des activités ;

g) en vertu de la loi de 1964, interprétée à la lumière de la loi de 1969 sur la protection de l'environnement (miljöskyddslagen 1969:387) et de la loi de 1918 sur les eaux (vattenlagen 1918:533), ils devaient jouir du droit d'exploiter la gravière pendant au moins dix ans à partir du transfert du permis le 14 avril 1983.

23. Le 26 mars 1985, la préfecture se prononça sur le recours ; grâce à ses contacts avec les Jehanders (paragraphe 9 ci-dessus), affirmait-elle notamment, elle savait que nulle exploitation de la gravière n'était imminente.

24. Le Gouvernement (ministère de l'Agriculture) rejeta le recours le 12 décembre 1985, en marquant son accord avec la préfecture. Toutefois, il prorogea jusqu'au 1er juin 1988 la validité du permis et jusqu'au 1er mars 1986 le délai de versement de la caution.

25. Le 9 mars 1987, la préfecture adopta un plan de remise en état de la gravière.

26. Les requérants sollicitèrent par deux fois de nouveaux permis avant la date d'expiration fixée, mais en vain ; la préfecture repoussa leur seconde demande le 18 mai 1987. Le 9 juin 1988, le Gouvernement les débouta de leur recours mais reporta l'échéance au 1er décembre 1988.

27. A cette date, l'extraction de gravier cessa. Les intéressés avaient alors presque atteint le terme de la première des trois phases que prévoyait le plan joint au permis du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus).

28. Le 9 février 1989, la préfecture invita le parquet à poursuivre M. Fredin au pénal, pour infraction à la loi de 1964, en ce qu'il n'avait pas restauré la gravière comme l'exigeait le permis. La procédure demeure pendante et les travaux de remise en état n'ont toujours pas eu lieu.

29. Le 14 mars 1989, la préfecture refusa aux requérants un permis d'extraction spécial qu'ils avaient exprimé le souhait d'obtenir pour se conformer au plan de remise en état de 1987 (paragraphe 25 ci-dessus). Le Gouvernement écarta leur recours le 21 juin 1989. De son côté, la Cour suprême administrative a rejeté, le 13 décembre 1990, l'appel dont ils l'avaient saisie en vertu de la nouvelle loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lag om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut 1988:205), entrée en vigueur le 1er juin 1988. Cette procédure ne se trouve pas ici en cause.

30. En ce qui concerne les incidences du retrait du permis sur la valeur de leur propriété et de Kagghamra Grus AB, société concessionnaire qu'ils contrôlent entièrement, les requérants ont produit trois attestations.

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