Jurisprudence : TA Nîmes, du 27-11-2023, n° 2304165

TA Nîmes, du 27-11-2023, n° 2304165

A898019H

Référence

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Références

Tribunal Administratif de Nîmes

N° 2304165


lecture du 27 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 novembre 2023, et un mémoire en réplique enregistré le 21 novembre 2023, représentée par Me Sery, la société GGL Aménagement demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 :

1°) d'annuler la décision du 5 mai 2023 par laquelle la commune de Bouillargues a exclu le Groupement dont la SAS GGL Aménagement est mandataire de la procédure de passation de la concession d'aménagement de la ZAC de Bonice ;

2°) d'annuler l'ensemble des décisions et mesures prises par la commune de Bouillargues dans le cadre de la procédure de passation de la concession d'aménagement ayant pour objet la ZAC de Bonice et notamment toutes celles relatives à la mise en œuvre de la phase de négociation et à l'analyse des offres ;

3°) de suspendre l'exécution de toute décision de la commune de Bouillargues se rapportant à la procédure de passation de la concession d'aménagement ayant pour objet la ZAC de Bonice ;

4°) d'enjoindre à la commune de Bouillargues, si elle entend poursuivre la conclusion du contrat, de reprendre la mise en concurrence au stade de l'analyse des offres initiales.

La société soutient que :

- sa requête est recevable dès lors que le contrat de concession de service public n'est pas signé et qu'elle a intérêt à agir, le Groupement GGL représenté dans la présente instance par son mandataire, la société GGL Aménagement ayant remis une offre dans le cadre de la procédure de passation entreprise par la commune de Bouillargues. ;

- elle a été irrégulièrement exclue de la procédure de passation du marché en méconnaissance de l'article L.3123-10 du code de la commande publique🏛, les deux critères cumulatifs prévus par cet article pour qu'un manquement au principe d'impartialité en raison d'un conflit d'intérêts soit caractérisé n'étant pas remplis ;

- l'exclusion d'un candidat est un ultime recours qui doit être nécessaire et proportionné au regard de l'atteinte portée à la liberté de soumissionner ;

- il n'existe aucune situation de conflit d'intérêts avec la société d'économie mixte (SEM) Segard susceptible de justifier régulièrement une quelconque mesure d'exclusion de la procédure au titre des dispositions de l'article L.3123-10 du Code de la commande publique ; leur collaboration ayant été unique pour présenter un offre pour l'attribution d'une concession d'aménagement à Gallargues-le-Montueux, laquelle a été rejetée le 5 juillet 2023 ;

- la mesure d'exclusion est disproportionnée dès lors que le pouvoir adjudicateur aurait pu simplement écarter la participation de la SEM Segard, agissant en qualité de simple cotraitant du groupement titulaire de la mission d'AMO, de l'analyse des offres dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats ;

- il revient au pouvoir adjudicateur de démontrer au Groupement GGL qu'elle ne disposait d'aucun autre moyen légal afin de sécuriser la procédure d'attribution du contrat d'aménagement portant sur la réalisation de l'opération de la ZAC de Bonice et non l'inverse ;

- la décision d'exclusion du groupement GGL du 5 mai 2023, est insuffisamment motivée ;

- elle est fondée sur les dispositions de l'article L.2141-10 du Code de la commande publique🏛 inapplicable aux concessions.

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2023, la commune de Bouillargues, représentée par Me Goutal, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle fait valoir que :

- l'existence d'une relation d'affaires avec la SEM Segard n'est pas contestée par la requérante : des discussions commerciales et une candidature commune pour l'attribution de la concession d'aménagement de la ZAC Cap Gallargues ont bien existé. Le fait que cette candidature n'ait pas, selon la requérante, abouti à la conclusion du contrat voulu est nécessairement dépourvu d'incidence ;

- la relation est actuelle ;

- le groupement avait donc tout loisir de rompre sa relation commerciale avec la SEM Segard avant de déposer son offre initiale, attendue pour le 15 novembre 2023 au plus tard, afin d'éviter toute mesure à son encontre ;

- la SEM Segard elle-même admettait qu'elle était placée dans une situation de conflit d'intérêts ;

- eu égard aux missions de la SEM Segard, la commune a eu connaissance de la situation de conflit d'intérêts potentiel en février 2023, soit postérieurement à la remise des offres initiales et avant le début des négociations. Une première analyse des offres avait alors été réalisée par la SEM Segard eu égard à sa mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ; écarter la SEM Segard à ce stade aurait été sans incidence sur les évènements antérieurs à la décision ;

- eu égard à ses missions, la SEM Segard a pu exercer une influence sur l'issue de la procédure dès ce stade, en vue de favoriser le groupement GGL.

- le code de la commande publique n'impose nullement que l'autorité concédante détaille, lors de l'invitation de l'opérateur soupçonné d'être dans une situation de conflit d'intérêts ou la décision d'exclusion elle-même le cas échéant, l'impossibilité de prendre une autre mesure ;

- le code de la commande publique comporte l'obligation pour la personne soupçonnée d'un potentiel conflit d'intérêts de démontrer, par tout moyen, que sa participation à la procédure n'était pas, ou plus, susceptible de créer un conflit d'intérêts, ce que le groupement GGL aurait pu faire en retirant sa candidature de la consultation de la ZAC Cap Gallargues ou en s'abstenant de déposer une candidature commune avec la SEM Segard pour l'attribution de cette concession d'aménagement alors même qu'il connaissait le rôle de cette dernière dans le cadre de la procédure de passation de la concession d'aménagement pour la ZAC de Bonice ;

- la commune s'exposait à une irrégularité de procédure en poursuivant la procédure avec le groupement GGL, alors que la SEM Segard a participé à la rédaction du DCE, à l'analyse des candidatures, avait eu connaissance des offres initiales et, à suivre la requérante, aurait même dû participer à l'analyse des offres puisque le conflit d'intérêts n'était pas caractérisé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Boyer, vice-présidente, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique le 22 novembre 2023 à 10 heures, Mme Boyer a lu son rapport et entendu les observations de :

-Me Ivalov pour la SAS GGL Aménagement qui reprend la teneur de ses écritures et rappelle la chronologie des faits, qu'il ne peut être reproché à la société GGL Aménagement une candidature ponctuelle avec la SEM Segard, dont elle ignorait qu'elle pouvait poursuivre une mission d'AMO, à la procédure ouverte par une autre commune, que le conflit d'intérêt repose sur deux conditions cumulatives dont la première à savoir le lien d'intérêt n'est pas vérifiée en l'espèce.

- Me David pour la commune de Bouillargues qui reprend la teneur de ses écritures et précise que la commune peut se prévaloir d'une suspicion légitime de conflit d'intérêt au regard des informations dont elle disposait ; l'ordonnance du TA de Toulon du 26 octobre 2023, n° 2303203⚖️ sur laquelle la société fonde son recours engagée 6 mois après son exclusion de la procédure en litige n'est pas transposable eu égard à la nature ordinaire de la concession en cause dans le présent dossier ; il est absurde de vouloir fixer un seuil à un doute légitime qui existe en l'espèce et n'a été connu qu'une fois que les offres avaient été analysées par l'AMO avant le début des négociations avec les entreprises retenues ; la relation unique et concomitante crée une situation complexe mais de nature à créer une suspicion qui est suffisante pour justifier la décision prise par la commune.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Bouillargues a initié une procédure restreinte d'appel à la concurrence le 17 juin 2022, pour l'attribution d'une concession d'aménagement portant sur la réalisation de la ZAC de Bonice en se faisant accompagner d'un assistant à la maîtrise d'ouvrage sous forme de groupement composé de la société Urban Projects, en qualité de mandataire, et de la société d'économie mixte Segard. Les sociétés GGL Groupe et GGL Aménagement se sont regroupées afin de constituer un groupement d'opérateurs économiques pour répondre à cette consultation et ont déposé une candidature commune le 26 juillet 2022. Par un courrier du 5 mai 2023, la commune de Bouillargues a informé la SAS GGL Aménagement que le groupement GGL, dont elle est mandataire, était exclu de la procédure d'attribution du contrat de concession d'aménagement de la ZAC de Bonice en raison de la relation commerciale entre les sociétés GGL Aménagement et GGL groupe, membres du groupement candidat, et la SEM Segard. Par la présente requête, la société GGL Aménagement demande l'annulation de la procédure de passation du marché de concession qui s'est poursuivie sans elle.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".

3. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes de l'article L. 3123-10 du code de la commande publique : " L'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. / Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du contrat de concession ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du contrat de concession ".

4. La commune de Bouillargues a confié une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO) au groupement composé de la société Urban Project, mandataire du groupement, et de la société d'économie mixte (SEM) Segard pour l'accompagner dans la mise en œuvre de la procédure de passation en litige destinée à choisir le futur aménageur de la ZAC de Bonice. Le groupe devait assurer quatre missions, compiler les données disponibles et préparer les pièces techniques de la consultation, rédiger les pièces administratives de la consultation (choix des critères, rédaction du CCAP, règlement de la consultation et projet de contrat), assister la commune dans la mise en œuvre de la procédure (finalisation du DCE, analyse des candidatures et des offres, rédaction du rapport d'analyse des offres) et assister la commune pour la finalisation du contrat (rédaction des pièces définitives). Selon la répartition des missions entre les membres du groupement, jointe à l'acte d'engagement du marché, la SEM Segard devait participer au choix des critères, à la rédaction de la partie technique du cahier des charges et à l'analyse des candidatures et des offres. Une fois la préparation du dossier de consultation pour la phase de candidature achevée par le groupement d'AMO, la procédure de passation pour une concession d'aménagement avec transfert du risque économique au concessionnaire, dans la forme d'une procédure restreinte, a été lancée le 17 juin 2022. Au terme du délai accordé pour le dépôt des candidatures soit le 26 juillet 2022 à 12 heures, et conformément au règlement de consultation cinq candidats ont été admis à présenter une offre dont le groupement GGL composé de la société GGL Aménagement, mandataire du groupement et de la société GGL Groupe. Par courrier du 15 février 2023 reçu par la commune le 20 février suivant, la SEM Segard a demandé, au stade de l'engagement des négociations la résiliation partielle du marché d'AMO et le transfert de ses missions à la société Urban Project mandataire du groupement au motif qu'une situation potentielle de conflit d'intérêt était intervenue récemment et qu'il ne lui était plus possible de prendre part à toute décision relative au choix du concessionnaire. La situation à l'origine de ce courrier se révélant être une candidature commune de la SEM Segard et du groupement GGL pour l'attribution de la concession de la ZAC Cap Gallargues dont la procédure a été lancée par la communauté de communes Rhony Vistre Vidourle le 12 décembre 2022. La commune de Bouillargues qui a refusé la proposition de la SEM Segard a alors par un courrier du 24 mars 2023 informé le groupement, GGL Groupe et GGL Aménagement, d'une suspicion de conflit d'intérêt en lui demandant de justifier la fiabilité des sociétés en application des dispositions de l'article L.3123-11 du code de la commande publique🏛. Insatisfaite de la réponse donnée par le groupement par courrier du 7 avril 2023, la commune de Baillargues a par décision du 5 mai 2023 exclut le groupement GGL de la procédure de passation du marché.

5. Il résulte de l'instruction et des débats tenus à l'audience que si le groupement GGL ne conteste pas avoir été en relation avec la SEM Segard pour la remise d'une offre dans le cadre de la procédure de passation de la concession de la ZAC Cap Gallargues dont le lancement est intervenu le 12 décembre 2022, offre au demeurant rejetée, cette seule circonstance ne permet pas d'établir un lien d'intérêt suffisant entre le groupement et la SEM Segard pour justifier l'éviction du groupement GGL de la procédure en litige en raison d'un conflit d'intérêt. Au demeurant il ne ressort pas des pièces produites à l'instance que le groupement GGL était de quelque manière que ce soit en mesure d'influencer le déroulement ou l'issue de la procédure de passation de la concession de la ZAC de Bonice. Par suite, la société GGL Aménagement est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché de concession de la ZAC de Bonice.

6. Par suite, et dès lors qu'il n'est ni allégué par la commune ni révélé par les pièces produites que la participation de la SEM Segard au choix des critères et à la rédaction de la partie technique du cahier des charges seraient entachées d'irrégularité, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, d'annuler la procédure de passation contestée au stade de l'analyse des offres initiale, ainsi que la SAS GGL Aménagement le demande, et d'enjoindre à la commune de Bouillargues, si elle entend conclure le marché en litige, de la reprendre à ce stade.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Ces dispositions font obstacle à ce que la somme que la commune de Bouillargues demande sur leur fondement soit mise à la charge de la SAS GGL Aménagement.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure de passation de la concession d'aménagement ZAC de Bonice est annulée au stade de l'analyse des offres initiale.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Bouillargues, si elle entend conclure une concession ayant le même objet, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres initiale.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Bouillargues au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS GGL Aménagement et à la commune de Bouillargues.

Fait à Nîmes, le 27 novembre 2023.

La juge des référés

C. BOYER

La République mande et ordonne au préfet du Gard en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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