COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 02 Juin 2023 en audience publique. Conformément à l'
article 804 du code de procédure civile🏛, Madame Françoise BEL, Président de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Françoise BEL, Président de chambre
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Madame Raphaelle BOVE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023,
Signé par Madame Françoise BEL, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Faits, procédure, prétentions et moyens :
La société Laboratoires Arkopharma (ci-après 'la société') est une filiale du groupe Arkopharma exerçant dans le domaine de la vente de compléments alimentaires et de produits phytosanitaires. Elle dispose de plusieurs filiales tant en France qu'en Europe. L'activité exercée est soumise à la convention collective de l'industrie pharmaceutique.
Suite au rachat de la société par le fonds d'investissement [N], différents projets d'optimisation ont été lancés à compter de septembre 2014 avec pour objectif la sauvegarde de la compétitivité de la société sur un marché devenu très concurrentiel et de garantir une croissance pérenne de ses activités.
Pour remplir ses objectifs, la société a estimé qu'elle devait rationaliser son organisation commerciale en modifiant la répartition géographique des attachés commerciaux et leur rémunération, et a proposé dès le mois de février 2016 à ces salariés une modification de leur contrat de travail en ce sens.
Après refus d'une partie des salariés, désaccord des instances représentatives sur un accord collectif d'un plan de sauvegarde de l'emploi par procès-verbal de constat de désaccord du 29 juillet 2016, la société a soumis à la Direccte Paca le 31 août 2016 un document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif, homologué par décision en date du 19 septembre 2016 devenue définitive par jugement en date du 24 janvier 2017 du tribunal administratif de Nice.
M. [K] a été licencié pour motif économique.
Invoquant notamment l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement pour motif économique le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse d'une demande tendant à voir l'indemniser des divers préjudices en résultant.
Motifs
Sur le motif économique invoqué par la société
La société a soumis au comité d'entreprise, au CHSCT puis à l'administration par dépôt du 31 août 2016, un projet de licenciement collectif pour motif économique assorti d'un plan de sauvegarde de l'emploi portant sur la suppression de 42 postes suite à refus de modification de contrat de travail des attachés commerciaux.
Par décision du 19 septembre 2016 la Direccte Paca a homologué le projet présenté.
Selon l'
article L.1233-3 du code du travail🏛 dans sa rédaction applicable en la cause, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives, notamment à (...) 3°une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;( ...).
En application de l'article L.1233-6, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.
Les dispositions en matière de licenciement pour motif économique sont d'ordre public.
Aux termes de la lettre de licenciement notifiée au salarié, la société précise que la rupture du contrat de travail intervient pour le motif économique exposé en préambule de l'acte, selon lequel:
'|La société Laboratoires ARKOPHARMA et le Groupe ARKOPHARMA auquel elle appartient (ci-après désignés ARK0PHARMA) doivent faire face à I'impérieuse nécessité de sauvegarder leur compétitivité dans un marché de plus en plus concurrentiel.
La situation est la suivante :
1.1. La position concurrentielle d'ARKOPHARMA s'est dégradée sur son marché (...)
1.2. L'évolution du marché impose des changements significatifs (...)
1.3. Les besoins et attentes des pharmacies évoluent fortement (...)
1.4. Le principal marché d'ARKOPHARMA est très concurrentiel (...)
1.5. Des concurrents dynamiques qui s'adaptent aux changements du marché (...)
1.6. Prévision de l'évolution de la part de marché d'ARKOPHARMA et de certains de ses concurrents (...)
1.7 Système de rémunération des attachés commerciaux (...)
1.8. Conclusions :
ll ressort des éléments ci-dessus qu'ARKOPHARMA doit impérativement sauvegarder sa compétitivité sur son secteur d'activité et prévenir des difficultés économiques qui résulteraient à terme d'une possible stagnation puis d'une baisse de ses ventes. Dans cet environnement concurrentiel toujours plus exacerbé, et au regard des nouvelles attentes clients, ARKOPHARMA doit adapter très rapidement sa stratégie et son organisation commerciale afin de regagner durablement des parts de marché, en générant une croissance de ses ventes aux consommateurs supérieure à celle du marché'.
La réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité s'apprécie au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient.
Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Il incombe à l'employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.
- la détermination du secteur d'activité:
Si les critères économiques de marché, clientèle, réglementation, environnement concurrentiel, sont des éléments permettant de caractériser le secteur d'activité, le juge reste toutefois investi d'un pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui sont soumis pour le déterminer.
La société Laboratoires Arkopharma appartenant au groupe Arkopharma exerce à titre principal dans le secteur de la vente de compléments alimentaires et de produits phytosanitaires. La détermination de ce secteur n'est pas contestée.
- la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité:
Il ressort des pièces du dossier que la société Apharma Topco SAS, société holding, détenait à la date de la décision en litige, via deux filiales, 100 % du capital de la société Laboratoires Arkophama. Cette dernière société possédait elle-même, selon les cas, la totalité ou plus de la moitié du capital de dix sociétés, deux étant situées en France et huit hors du territoire français. Ces entreprises étaient ainsi placées sous le contrôle de la même entreprise dominante. La société Laboratoires Arkopharma et ses filiales doivent ainsi être regardées comme constitutives d'un même groupe.
Il ressort par ailleurs de ces mêmes pièces, qu'outre la société Laboratoires Arkopharma, au moins cinq de ses filiales implantées en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse, avaient en 2015 et 2016 une activité significative dans la commercialisation des compléments alimentaires et produits phytosanitaires, secteur d'activité en cause dans le présent litige de sorte que l'appréciation de la réalité du motif économique allégué à l'appui du projet de licenciement en cause s'effectue sur le périmètre du groupe auquel appartient la société soit l'ensemble des sociétés placées sous le contrôle de la société Apharma Topco SAS exerçant dans le secteur d'activité susvisé.
Pour justifier le motif économique à l'origine des propositions de modification des contrats de travail de ses attachés commerciaux situés en France, la société excipe d'une menace pesant sur sa compétitivité liée à titre principal, à une baisse significative de ses parts de marché en France métropolitaine s'agissant de la vente de compléments alimentaires et de produits phytosanitaires dans le circuit officinal sur la période courant 2002 à 2016.
La société justifie de cette dégradation par la production d'un extrait d'une étude de données IMS-Health-PanellPharmatrend parue en décembre 2014 laquelle démontre que les parts de marché d'Arkopharma sont passées de 28,1% en 2002 à 13,3% en 2014, données non contestées.
Or, elle justifie par ailleurs de l'importance significative du chiffre d'affaires généré par les ventes au sein du circuit officinal français, lequel selon l'analyse réalisée par le cabinet Explicite mandaté par le comité d'entreprise, représentait en 2016, 49,1% du chiffre d'affaires du Groupe, cette proportion étant en augmentation depuis 2011.
Sur la même période, la société précise et démontre que cette dégradation de son positionnement sur le marché français n'a pu être compensée au niveau du groupe par ses autres filiales européennes, lesquelles ont enregistré une diminuation de leur activité passant de 100,4 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2011 à 89,2 millions d'euros en 2016, ce constat corroborant l'analyse selon laquelle une perte de compétitivité de la société Laboratoires Arkopharma était alors susceptible de générer une menace économique pour l'ensemble du groupe.
Selon la société demanderesse, les causes à l'origine de cette perte de compétitivité sont notamment :
- une intensification de la concurrence sur le secteur d'activité visé illustrée par le fait qu'en 2002, les quatre principaux concurrents représentaient 50% du marché, passant à huit en 2015; concurrence marquée par la présence de nouveaux acteurs aux stratégies commerciales plus agressives et adaptées aux nouvelles dynamiques du réseau officinal français, certains d'entre eux comme Pileje, Nutergia, Aa Ab ou Cooper enregistrant sur la période 2010-2014 une croissance de leurs ventes à deux chiffres contrairement à Arkopharma ; un résultat opérationnel courant moyen de 2011 à 2016 demeurait inférieur de moitié environ à celui de ses principaux concurrents, limitant de fait ses capacités d'investissement et d'innovation ;
-une sous-performance d'activité sur ses marchés phares en 2014 dont notamment le segment 'stress et sédatifs' pour lequel elle a enregistré une croissance de 1% lorsque celle du marché est de 31%, ce segment étant ciblé par le syndicat professionnel de référence du secteur, le Synadiet comme l'un des segments porteurs de croissance ;
-une absence de lancement de produits apparaissant dans le top 10 annuel des nouveaux produits du marché et ce depuis plusieurs années ;
- un manque d'adaptation aux évolutions du marché de la pharmacie en France, notamment en termes de stratégie commerciale.
Ces éléments notamment étayés par des données IMS-Health non contredites démontrent que les causes de la perte de compétitivité de la société étaient réelles et constatées sur plusieurs années, peu important dès lors que le secteur d'activité en lui-même ait été alors en croissance globale de l'ordre de 3 à 5% par an, que le groupe ait gardé sa position de leader sur le secteur, que son chiffre d'affaires ait été en augmentation de près de 2 % en 2015, sa rentabilité brute d'exploitation (taux d'EBE) en hausse de 4, 2 points au cours du même exercice, sa rentabilité d'exploitation en augmentation de 8,3 % à 12,9 % ou encore que sa santé financière lui ait permis post réalisation du PSE de refinancer la dette de son LBO, ces indicateurs positifs étant le résultat pour une grande part d'un seul effet 'volume' lié à la croissance globale du secteur.
Il s'évince de ces constats que la société demanderesse démontre par des éléments concrets et objectifs l'existence au moment des faits objets du litige, d'une menace pesant sur la compétitivité du groupe Arkopharma liée à un affaiblissement de positionnement sur son marché principal sans qu'il soit nécessaire d'effectuer le constat concomitamment d'une dégradation de sa performance économique interne par l'analyse de ses indicateurs comptables et financiers, de sorte que le moyen tiré de ce que la motivation réelle du PSE était la recherche d'une plus grande rentabilité est rejeté.
S'il appartient au juge d'apprécier le bien-fondé des éléments mentionnés par l'employeur au soutien du motif économique allégué, il ne peut se substituer à ce dernier quant choix qu'il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation de l'entreprise. Il ne lui appartient pas davantage d'arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation.
Par suite, le moyen selon lequel les propositions de modifications de leurs contrats de travail faites aux attachés commerciaux ne seraient pas de nature à restaurer la compétitivité de la société est inopérant.
Le motif économique est dès lors fondé.
La demande indemnitaire est rejetée.
Sur la privation du véhicule de fonction
Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement.
Le salarié ayant restitué le véhicule à la demande de l'employeur à l'issue du préavis sans émettre d'objection ni de réserve, doit néanmoins démontrer au soutien de sa demande indemnitaire l'étendue de son préjudice, et ne pas s'en tenir à une demande forfaitaire.
Or le salarié , se bornant à conclure à la confirmation de la décision entreprise alors que le premier
juge avait constaté que le montant du préjudice invoqué n'était pas explicité, cependant qu'il y faisait droit, la cour constate l'absence de démonstration du préjudice personnel allégué en cause d'appel, en sorte que le jugement ayant fait droit à la demande est infirmé et la demande est rejetée.
Sur la consignation
Le sort des montants consignés suit le dispositif du présent arrêt infirmatif et de l'ordonnance ordonnant la consignation.