Jurisprudence : CEDH, 30-11-1987, Req. 1/1986/99/147, H. contre Belgique

CEDH, 30-11-1987, Req. 1/1986/99/147, H. contre Belgique

A3825AU9

Référence

CEDH, 30-11-1987, Req. 1/1986/99/147, H. contre Belgique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008381-cedh-30111987-req-1198699147-h-contre-belgique
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Cour européenne des droits de l'homme

30 novembre 1987

Requête n°1/1986/99/147

H. contre Belgique



""En l'affaire H. contre Belgique*,

* Note du greffier: L'affaire porte le n° 1/1986/99/147. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, J. Cremona, Thór Vilhjálmsson, G. Lagergren, F. Gölcüklü, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, B. Walsh, Sir Vincent Evans, MM. R. Macdonald, C. Russo, R. Bernhardt, J. Gersing, A. Spielmann, J. De Meyer, J.A. Carrillo Salcedo, N. Valticos,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 novembre 1986 puis les 22 avril, 22 et 25 juin, 27 et 28 octobre 1987,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.
L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 28 janvier 1986, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 8950/80) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont M. H. avait saisi la Commission le 20 mars 1980 en vertu de l'article 25 (art. 25). De nationalité belge, le requérant a prié la Cour de ne pas divulguer son identité.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration belge de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui découlent de l'article 6 § 1 (art. 6-1).

2.
En réponse à l'invitation prescrite par l'article 33 § 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).

3.
La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. J. De Meyer, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 19 mars 1986, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. J. Cremona, G. Lagergren, R. Bernhardt, A. Donner et J.A. Carrillo Salcedo, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).

4.
Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement belge ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil du requérant sur la nécessité d'une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffe a reçu:

- le 10 juin 1986, le mémoire du requérant;

- le 7 juillet, celui du Gouvernement.

Par une lettre arrivée le 4 septembre 1986, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué s'exprimerait lors des audiences.

5.
Le 1er juillet 1986, le président a fixé au 24 novembre 1986 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement, délégué de la Commission et représentant du requérant par l'intermédiaire du greffier (article 38).

6.
Le 23 octobre 1986, la Chambre a résolu de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière (article 50).

7.
Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J. Niset, conseiller juridique au ministère de la Justice,

agent,

Me G. Kirschen, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, ancien doyen du conseil national de l'Ordre des avocats,

Me J.M. Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation,

conseils;

- pour la Commission

M. G. Ténékidès,

délégué;

- pour le requérant

Me A. De Clercq, avocat,

conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, Mes Kirschen et Nelissen Grade pour le Gouvernement, M. Ténékidès pour la Commission et Me De Clercq pour le requérant. Le Gouvernement a produit plusieurs documents à l'occasion des audiences.

8.
Le 19 janvier 1987, l'agent du Gouvernement a communiqué au greffier des pièces que ce dernier lui avait demandées le 3 décembre 1986 sur les instructions de la Cour.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

9.
Citoyen belge né en 1929, le requérant est docteur en droit et réside à Anvers. Rayé du tableau de l'Ordre des avocats de cette ville, il a en vain demandé par deux fois sa réinscription.

1. La radiation du tableau de l'Ordre des avocats d'Anvers

10.
En 1957, au terme de son stage réglementaire d'avocat stagiaire au barreau d'Anvers, H. figura sur le tableau et ouvrit un cabinet.

11.
En mai 1963, le conseil de l'Ordre le poursuivit par la voie disciplinaire pour avoir, de propos délibéré, donné de faux renseignements à des clients.

Le 10 juin 1963, il le raya du tableau: il avait acquis la conviction que l'intéressé avait à tort fait croire à un client que ce dernier risquait d'être arrêté s'il ne versait pas immédiatement une somme de 20.000 FB. Auparavant, le conseil avait écarté les autres accusations dirigées contre H.

Sur recours de celui-ci, la cour d'appel de Bruxelles confirma la sentence par un arrêt du 31 décembre 1963; le 22 juin 1964, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

12. Poursuivi pour fraude et port irrégulier du titre d'avocat, H. resta en détention préventive du 2 juillet au 2 août 1965 et un grand nombre de ses dossiers furent saisis. Le tribunal correctionnel d'Anvers l'acquitta le 19 janvier 1968. H. s'efforça sans succès d'obtenir une indemnité.

13. En 1970, le requérant s'installa comme conseiller juridique et fiscal après avoir travaillé quelque temps en qualité de représentant de commerce.

14. Le 25 février 1977, alors qu'il s'apprêtait à solliciter sa réinscription au tableau de l'Ordre des avocats, la police judiciaire opéra une nouvelle saisie dans ses bureaux. Le 29 novembre 1978, la chambre du conseil près le tribunal de première instance d'Anvers le renvoya devant le tribunal correctionnel du chef de faux en écriture et abus de confiance, mais les poursuites débouchèrent sur un jugement d'acquittement le 18 octobre 1979.

15. H. n'a jamais subi de condamnation pénale.

2. Les demandes de réinscription au tableau de l'Ordre des avocats d'Anvers

a) Première demande

16. Par une lettre du 3 décembre 1979, le requérant demanda au conseil de l'Ordre des avocats d'Anvers de le réinscrire au tableau de l'Ordre. Il s'appuyait sur l'article 471 du code judiciaire (paragraphe 30 ci-dessous).

17. Le 17 décembre, lors d'une séance dudit conseil, le bâtonnier désigna un rapporteur.

Après en avoir délibéré les 7 et 28 janvier 1980, le conseil décida d'entendre l'intéressé ainsi que son défenseur.

18. L'audition eut lieu le 18 février. Selon l'avocat de H., les "circonstances exceptionnelles" justifiant la réinscription consistaient pour l'essentiel dans les grandes difficultés professionnelles et familiales auxquelles son client s'était heurté au cours des quinze dernières années, en particulier la nécessité de se cantonner à sa profession de conseiller juridique et fiscal; en outre, la radiation n'avait eu aucun prolongement pénal et les poursuites ultérieures avaient abouti à des acquittements.

19. Le conseil de l'Ordre rejeta la demande le même jour: si plus de dix ans s'étaient écoulés depuis la radiation, les explications fournies oralement par le défenseur de H. ne révélaient pas des circonstances exceptionnelles de nature à entraîner la réinscription.

b) Seconde demande

20. Le requérant réitéra sa demande le 9 février 1981. Il y joignait un mémorandum critiquant la sentence de 1963 et accompagné d'une consultation du procureur général émérite B. Selon l'ancien magistrat, le conseil de l'Ordre aurait dû, en application de l'article 29 du code d'instruction criminelle, dénoncer au procureur du Roi d'Anvers les faits reprochés à l'intéressé, ce qui aurait impliqué la suspension de l'instance disciplinaire jusqu'à la décision pénale définitive.

21. Le conseil de l'Ordre entendit H. et son avocat le 21 avril 1981. Le défenseur rappela que la décision de radiation se fondait sur le seul témoignage d'un client du requérant et que ce dernier avait, de 1963 à 1980, fort bien géré son cabinet de consultation juridique et fiscale. Il ajouta qu'en 1963 le conseil de l'Ordre n'avait pas dénoncé les faits au parquet, de sorte que H. n'avait pas eu la chance, faute de poursuites, d'obtenir un jugement d'acquittement. Il souligna en outre les difficultés familiales de l'intéressé. D'autre part, il déposa une note dans laquelle le requérant expliquait pourquoi le procureur général émérite B. était habilité à lui donner une consultation.

22. Le conseil de l'Ordre repoussa la demande à l'issue de sa séance du 11 mai 1981: H. n'avait pas prouvé l'existence de circonstances exceptionnelles; spécialement, les conséquences de la radiation ne constituaient pas de telles circonstances. En ce qui concerne le mémorandum du 9 février 1981 (paragraphe 20 ci-dessus), il répondit que le procureur général du ressort connaissait les faits avant le prononcé de la sentence et avait ordonné d'ouvrir une information judiciaire.

La décision fut notifiée au requérant le 16 juin 1981.

II. Le droit interne applicable

23. En Belgique, seuls les conseils de l'Ordre des avocats ont compétence pour statuer sur les demandes de réinscription au tableau.

1. Le conseil de l'Ordre des avocats

24. Pour chacun des barreaux, le conseil de l'Ordre est, avec le bâtonnier et l'assemblée générale, un organe d'administration de la profession d'avocat.

25. Il se compose d'un bâtonnier et de deux à seize autres membres, selon le nombre des avocats inscrits au tableau de l'Ordre des avocats et sur la liste des stagiaires; celui d'Anvers en compte seize, en sus du bâtonnier.

Les membres sont élus directement par l'assemblée de l'Ordre, à laquelle se voient convoqués tous les avocats inscrits au tableau (article 450 du code judiciaire). Le vote a lieu avant la fin de chaque année judiciaire.

26. Le conseil exerce de multiples fonctions de nature administrative, réglementaire, contentieuse, consultative ou disciplinaire selon le cas. Il suffit en l'espèce de mentionner les suivantes.

27. Aux termes de l'article 432 du code judiciaire de 1967, qui a consacré la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (arrêt du 15 janvier 1920, Pasicrisie 1920, I, p. 24), il dresse - sans appel - le tableau de l'Ordre et la liste des stagiaires. Ce principe de la maîtrise du tableau se justifie par la nécessité de réserver l'accès de la profession à des individus d'une moralité irréprochable.

28. Il lui incombe aussi de "sauvegarder l'honneur de l'Ordre" et de "maintenir les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession" (article 456).

29. Par la voie disciplinaire, il réprime "les infractions et les fautes" (même article). Il connaît de ce type d'affaires "à l'intervention du bâtonnier, soit d'office, soit sur plainte, soit sur dénonciations écrites du procureur général" (article 457).

Cité dans les quinze jours par lettre recommandée, l'avocat concerné obtient, s'il le demande, un délai pour préparer sa défense (article 465). Dans les huit jours du prononcé de la sentence, la notification a lieu par lettre recommandée au procureur général et à l'avocat (article 466).

Les peines que peut infliger le conseil sont pour l'essentiel l'avertissement, la censure, la réprimande, la suspension pendant au maximum une année et la radiation du tableau ou de la liste des stagiaires (article 460). L'avocat a la faculté de former opposition (article 467) et, comme le procureur général, d'interjeter appel (article 468). A l'époque des faits de la cause (paragraphe 11 ci-dessus), l'examen du second des recours relevait de la cour d'appel (article 29 du décret impérial du 14 décembre 1810 contenant règlement sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline du barreau); il ressortit aujourd'hui au conseil de discipline d'appel, composé du premier président de la cour d'appel, qui préside, et de quatre avocats en qualité d'assesseurs (article 473 du code judiciaire).

Les décisions prises en la matière par les cours d'appel pouvaient faire l'objet d'une demande en cassation (article 15 § 1 de la loi du 4 août 1832 organique de l'ordre judiciaire). Il en va de même à présent pour les décisions des conseils d'appel (article 614 § 1 du code judiciaire).

2. La réinscription au tableau de l'Ordre des avocats après radiation

30. La réinscription d'un avocat rayé du tableau se trouve régie par l'article 471 du code judiciaire:

"Aucun avocat rayé ne peut être inscrit à un tableau de l'Ordre ou porté sur une liste de stagiaires qu'après l'expiration d'un délai de dix ans depuis la date où la décision de radiation est passée en force de chose jugée et si des circonstances exceptionnelles le justifient.

L'inscription n'est permise qu'après avis motivé et conforme du conseil de l'Ordre du barreau auquel l'avocat appartenait ou, le cas échéant, moyennant l'autorisation de la juridiction disciplinaire d'appel du ressort, si la radiation a été prononcée par elle.

Le refus d'inscription n'est pas susceptible d'appel."

Ce texte reprend à peu de chose près l'article 1 d'une résolution adoptée le 13 février 1962 par le conseil de l'Ordre de Bruxelles; elle atténuait le caractère perpétuel de la radiation et se lisait ainsi:

"Le conseil de l'Ordre peut (...) réinscrire au barreau, à sa demande, un avocat rayé.

Cette mesure, qui a un caractère exceptionnel et dont l'opportunité est appréciée souverainement par le conseil eu égard à l'intérêt supérieur de l'Ordre et à l'amendement manifeste de l'intéressé, n'est permise qu'après l'expiration d'un délai de dix ans depuis le moment où la peine de la radiation encourue est devenue définitive.

Le conseil se prononce d'après les formes et modalités prévues par l'article 32 du règlement d'ordre intérieur, comme en matière d'admission au stage. (...)"

31. Bien que l'article 471 du code judiciaire constitue la dernière disposition du livre III ("Du barreau"), titre premier ("Dispositions générales"), chapitre IV ("De la discipline"), le conseil de l'Ordre n'applique pas la procédure disciplinaire (articles 465-469) lorsqu'il se trouve appelé à statuer sur une demande de réinscription au tableau; sa décision ne revêt d'ailleurs pas un caractère disciplinaire (Cass. 18 mars 1965, Pasicrisie 1965, I, p. 734). La loi ne prescrit pas de règles déterminées; quant à un règlement intérieur, le barreau d'Anvers n'en possédait pas à l'époque considérée. En principe, le conseil se prononce de la même manière et dans les mêmes formes que sur une demande d'admission.

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