Jurisprudence : CJCE, 14-11-1996, aff. C-333/94, Tetra Pak International SA c/ Commission des Communautés européennes

CJCE, 14-11-1996, aff. C-333/94, Tetra Pak International SA c/ Commission des Communautés européennes

A1971AWW

Référence

CJCE, 14-11-1996, aff. C-333/94, Tetra Pak International SA c/ Commission des Communautés européennes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008324-cjce-14111996-aff-c33394-tetra-pak-international-sa-c-commission-des-communautes-europeennes
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Cour de justice des Communautés européennes

14 novembre 1996

Affaire n°C-333/94

Tetra Pak International SA
c/
Commission des Communautés européennes



61994J0333

Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 14 novembre 1996.

Tetra Pak International SA contre Commission des Communautés européennes.

Pourvoi - Concurrence - Position dominante - Définition des marchés de produits - Application de l'article 86 du traité à des pratiques mises en oeuvre par une entreprise dominante sur un marché distinct du marché dominé - Ventes liées - Prix prédatoires - Amende.

Affaire C-333/94P.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-5951

1. Concurrence ° Position dominante ° Marché en cause ° Délimitation ° Critères

(Traité CE, art. 86)

2. Concurrence ° Position dominante ° Comportement sur un marché voisin du marché dominé ° Application de l'article 86 même en l'absence de position dominante sur le marché voisin ° Conditions

(Traité CE, art. 86)

3. Concurrence ° Position dominante ° Abus ° Système de vente liée

(Traité CE, art. 86)

4. Concurrence ° Position dominante ° Abus ° Pratique de prix inférieurs aux coûts dans le but d'éliminer un concurrent

(Traité CE, art. 86)

1. Dans le cadre de la définition du marché en cause, aux fins de l'application de l'article 86 du traité, les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché sont des critères pertinents afin de déterminer si certains produits sont interchangeables avec d'autres.

2. L'application de l'article 86 du traité présuppose l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n'est normalement pas présent lorsqu'un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché. S'agissant de marchés distincts, mais connexes, seules des circonstances particulières peuvent justifier une application de l'article 86 à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché.

A cet égard, une entreprise qui détient une position quasi monopolistique sur certains marchés et une position prééminente sur des marchés distincts, mais étroitement connexes, est placée dans une situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble de ces marchés. Dès lors, un comportement prétendument abusif d'une telle entreprise sur ces marchés distincts, sans qu'il faille établir qu'elle y détient une position dominante, est susceptible de relever de l'article 86 du traité.

3. La liste des pratiques abusives établie à l'article 86, deuxième alinéa, du traité n'est pas limitative. En conséquence, même lorsque la vente liée de deux produits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu'il existe un lien naturel entre les deux produits en question, elle peut néanmoins constituer un abus au sens de l'article 86, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée.

4. Lorsqu'il s'agit de vérifier si une entreprise a pratiqué des prix prédatoires, aux fins de l'application de l'article 86 du traité, il y a lieu de distinguer les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, qui doivent toujours être considérés comme abusifs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, qui ne doivent être considérés comme abusifs que lorsqu'un plan d'élimination des concurrents peut être démontré.

Pour qualifier d'éliminatoires les prix pratiqués par l'entreprise concernée, il ne serait pas opportun d'exiger en outre, à titre de preuve supplémentaire, qu'il soit démontré que celle-ci avait une chance réelle de récupérer ses pertes. En effet, une pratique de prix prédatoires doit pouvoir être sanctionnée dès qu'il y a risque d'élimination des concurrents.

Dans l'affaire C-333/94 P,

Tetra Pak International SA, ayant son siège à Pully (Suisse), représentée par Mes Michel Waelbroeck et Alexandre Vandencasteele, avocats au barreau de Bruxelles, ainsi que par Mme Vivien Rose, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (deuxième chambre) du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T-83/91, Rec. p. II-755), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de M. Nicholas Forwood, QC, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. L. Sevón, président de la première chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet et P. Jann (rapporteur), juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 21 mai 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 juin 1996,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 décembre 1994, Tetra Pak International SA (ci-après "Tetra Pak") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T-83/91, Rec. p. II-755, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel le Tribunal de première instance a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/31.043 ° Tetra Pak II, JO 1992, L 72, p. 1, ci-après la "décision litigieuse").

2 Il ressort des constatations faites par le Tribunal dans l'arrêt attaqué (points 1 à 21) que:

° Tetra Pak, dont le siège social se trouve en Suisse, coordonne la politique d'un groupe de sociétés, originellement suédois, qui a acquis une dimension mondiale. Le groupe Tetra Pak est spécialisé dans les équipements utilisés pour le conditionnement dans des emballages en carton de produits alimentaires liquides ou semi-liquides. Ses activités s'exercent dans les secteurs du conditionnement tant aseptique que non aseptique. Elles consistent à produire des emballages en carton et des machines de remplissage.

° Les emballages en carton ont été utilisés, en 1983, à raison de 90 % pour l'emballage du lait et des autres produits laitiers liquides. En 1987, cette part s'élevait approximativement à 79 %. Environ 16 % des cartons servaient alors au conditionnement des jus de fruits. Les 5 % restants étaient utilisés pour le conditionnement d'autres produits (vins, eaux minérales, produits à base de tomate, soupes, sauces et aliments pour bébés).

° Dans le secteur aseptique, Tetra Pak produit le système dit "Tetra Brik", destiné au conditionnement du lait UHT. Dans ce secteur, un seul concurrent de Tetra Pak, la société PKL, produit un système de conditionnement aseptique comparable. La détention d'une technique de remplissage aseptique constitue la clé d'accès tant au marché des machines qu'à celui des cartons aseptiques.

° En revanche, le conditionnement non aseptique nécessite un équipement moins sophistiqué. Le carton "Tetra Rex", utilisé par Tetra Pak sur le marché des cartons non aseptiques, est un concurrent direct du carton "Pure-Pak", produit par le groupe norvégien Elopak.

° Au cours de la période de référence, divers contrats types de vente et de location de machines ainsi que d'approvisionnement en cartons étaient en vigueur entre Tetra Pak et ses clients dans les différents États membres de la Communauté. Les clauses exerçant une incidence sur la concurrence ont été résumées comme suit aux points 24 à 45 de la décision litigieuse:

"2.1. Les conditions de vente du matériel Tetra Pak (annexe 2.1)

(24) Des contrats types de vente existent dans les cinq pays suivants: Grèce, Irlande, Italie, Espagne, Royaume-Uni. Pour chaque clause contractuelle examinée, il est indiqué entre parenthèses quels sont les ou le pays concerné(s).

2.1.1. La configuration du matériel

(25) Tetra Pak se réserve, en Italie, un droit de regard absolu sur la configuration du matériel vendu en interdisant à l'acheteur:

(i) d'ajouter des appareils accessoires à la machine;

(ii) de modifier la machine, d'y ajouter ou d'en retrancher des éléments;

(iii) de déplacer la machine.

2.1.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel

(26) Cinq clauses contractuelles relatives au fonctionnement et à l'entretien du matériel tendent à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle en la matière:

(iv) exclusivité pour l'entretien et les réparations (tous pays sauf Espagne);

(v) exclusivité pour la fourniture des pièces de rechange (tous pays sauf Espagne);

(vi) droit d'effectuer gratuitement des prestations d'assistance, de formation, de maintenance et de mise à jour technique non demandées par le client (Italie);

(vii) tarification dégressive (jusqu'à moins 40 % d'une redevance mensuelle de base) d'une partie des frais d'assistance, d'entretien et de mise à jour technique en fonction du nombre de cartons utilisés sur toutes les machines Tetra Pak de même type (Italie);

(viii) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté au matériel et de lui en réserver la propriété (Italie).

2.1.3. Les cartons

(27) Quatre clauses contractuelles relatives aux cartons visent également à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle de Tetra Pak sur ce produit:

(ix) obligation d'utiliser uniquement des cartons Tetra Pak sur les machines (tous pays);

(x) obligation d'approvisionnement exclusif en cartons auprès de Tetra Pak ou d'un fournisseur désigné par lui (tous pays);

(xi) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté aux cartons et de lui en réserver la propriété (Italie);

(xii) droit de regard sur le libellé à apposer sur les cartons (Italie).

2.1.4. Contrôles

(28) Deux clauses ont plus spécifiquement pour objet le contrôle de l'observation par l'acheteur des obligations contractuelles:

(xiii) obligation pour l'acheteur de remettre un rapport mensuel (Italie);

(xiv) droit d'inspection ° sans préavis ° réservé à Tetra Pak (Italie).

2.1.5. Le transfert de propriété du matériel ou la cession de l'usage

(29) Deux clauses contractuelles limitent le droit de revente ou de cession:

(xv) obligation d'obtenir l'accord de Tetra Pak pour la revente ou la cession de l'usage du matériel (Italie), revente conditionnelle (Espagne) et droit de rachat à un prix forfaitaire fixé d'avance réservé à Tetra Pak (tous pays). L'inobservation de cette clause peut donner lieu à une pénalité spécifique (Grèce, Irlande, Royaume-Uni);

(xvi) obligation d'obtenir du tiers acquéreur la reprise des obligations du premier acheteur (Italie, Espagne).

2.1.6. La garantie

(30) (xvii) La garantie sur le matériel vendu est subordonnée à l'observation de toutes les clauses contractuelles (Italie) ou, à tout le moins, à l'utilisation exclusive de cartons Tetra Pak (autres pays).

2.2. Les conditions de location du matériel Tetra Pak (annexe 2.2)

(31) Des contrats types de location existent dans tous les pays de la Communauté à l'exception de la Grèce et de l'Espagne.

Mutatis mutandis, on retrouve dans les contrats de location la majorité des clauses rencontrées dans les contrats de vente. D'autres conditions sont spécifiques à la location, mais elles vont toujours dans le même sens qui est celui d'un renforcement maximal des liens entre Tetra Pak et son client.

2.2.1. La configuration du matériel

(32) On retrouve les clauses (i), (ii) et (iii) [Italie pour la clause (i); tous pays pour la clause (ii); France, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni pour la clause (iii)].

(xviii) Une clause supplémentaire oblige, par ailleurs, le locataire à faire usage exclusivement de caisses, suremballages, et/ou de conteneurs de transport pour cartons Tetra Pak (Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou à s'approvisionner de préférence, à conditions égales, auprès de Tetra Pak (Danemark, France).

2.2.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel

(33) On retrouve les clauses (iv) et (v) (tous pays) relatives à l'exclusivité.

De même, on retrouve encore la clause (viii) réservant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements qui seraient réalisés par l'utilisateur (Belgique, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou, à tout le moins, obligeant le locataire à concéder une licence d'exploitation à Tetra Pak (Danemark, France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni).

2.2.3. Les cartons

(34) On retrouve les mêmes clauses (ix) (tous pays) et (x) (Italie) relatives à l'exclusivité d'approvisionnement, la clause (xi) donnant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements (Danemark, Italie) ou, à tout le moins, une licence d'exploitation en sa faveur (France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) et la clause (xii) lui réservant un droit de regard sur le libellé ou les noms de marque que le client veut apposer sur les cartons (Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni).

2.2.4. Les contrôles

(35) Comme dans les cas de vente, le locataire doit remettre un rapport mensuel [clause (xiii) ° tous pays] sous peine de facturation forfaitaire (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et permettre l'inspection des lieux où est installé le matériel [clause (xiv) ° tous pays] et ce, sans préavis (tous pays, sauf Danemark, Allemagne, Irlande, Portugal et Royaume-Uni).

(xix) Une autre clause permet l'examen ° à tout moment (Danemark, France) ° des comptes de l'entreprise locataire (tous pays) et (selon les pays) de ses factures, de sa correspondance ou de tout autre document nécessaire à la vérification du nombre de cartons utilisés.

2.2.5. Le transfert du bail, la sous-location, la cession de l'usage ou l'usage pour compte de tiers

(36) Dans les cas de la vente, tout transfert ultérieur de propriété ne peut se réaliser qu'à des conditions très restrictives.

(xx) Les dispositions des contrats de location excluent pareillement la cession de bail, la sous-location (tous pays) ou même le simple travail à façon pour compte de tiers (Italie).

2.2.6. La garantie

(37) Les libellés sont ici moins précis que dans les contrats de vente: ils lient la garantie au respect des 'instructions' données par Tetra Pak au sujet de 'l'entretien' et du 'bon maniement' de la machine (tous pays). Les termes 'instructions', 'entretien' et 'bon maniement' sont toutefois suffisamment larges pour qu'il faille les interpréter comme recouvrant au moins l'utilisation exclusive de pièces de rechange, des services de réparation et d'entretien et de matériaux d'emballage Tetra Pak. Cette interprétation s'est trouvée confirmée par les réponses écrite et orale de Tetra Pak à la communication des griefs.

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