Cour de justice des Communautés européennes31 mai 2001
Affaire n°C-43/99
Ghislain Leclere et Alina Deaconescu
c/
Caisse nationale des prestations familiales
61999J0043
Arrêt de la Cour
du 31 mai 2001.
Ghislain Leclere et Alina Deaconescu contre Caisse nationale des prestations familiales.
Demande de décision préjudicielle: Conseil supérieur des assurances sociales - Luxembourg.
Règlements (CEE) nº 1408/71 et 1612/68 - Allocations luxembourgeoises de maternité, de naissance et d'éducation - Condition de résidence - Droits d'un titulaire de pension ne résidant pas dans l'Etat membre compétent au titre de la pension - Allocations familiales et prestations familiales - Notions de 'travailleur' et d''avantage social'.
Affaire C-43/99.
Recueil de jurisprudence 2001 page 0000
1 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Égalité de traitement - Imposition d'une condition de résidence pour l'octroi de certaines allocations de naissance ne relevant pas du terme "prestations familiales" au sens du règlement n° 1408/71 - Admissibilité - Imposition d'une condition de résidence pour l'octroi d'une allocation de maternité ne relevant pas du régime de prestations spéciales à caractère non contributif - Inadmissibilité
(Traité CE, art. 48 et 51 (devenus, après modification, art. 39 CE et 42 CE); règlement du Conseil n° 1408/71, art. 1er, u), i), et 10 bis, et annexes II et II bis)
2 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Prestations familiales - Titulaires de pensions ou de rentes - Prestations dues par l'État membre débiteur au titulaire demeurant sur le territoire d'un autre État membre - Limitation aux allocations familiales au sens de l'article 1er, sous u), ii), du règlement n° 1408/71
(Règlement du Conseil n° 1408/71, art. 1er, u), ii), et 77)
3 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Prestations familiales - Titulaires de pensions ou de rentes - Prestations dues par l'État membre débiteur au titulaire demeurant sur le territoire d'un autre État membre - Exclusion du droit aux prestations familiales autres que celles visées à l'article 77 du règlement n° 1408/71
(Règlement du Conseil n° 1408/71, art. 73 et 77)
4 Libre circulation des personnes - Travailleurs - Égalité de traitement - Avantages sociaux - Titulaire d'une pension d'invalidité résidant dans un État membre autre que l'État servant la pension - Bénéfice des droits afférents à la qualité de travailleur uniquement au titre de l'activité professionnelle passée
(Règlement du Conseil n° 1612/68, art. 7)
1 L'article 1er, sous u), i), et l'annexe II du règlement n° 1408/71, tel que modifié et mis à jour par le règlement n° 118/97, qui excluent certaines allocations spéciales de naissance et d'adoption des "prestations familiales" au sens du règlement n° 1408/71, ne contreviennent pas aux articles 48 et 51 du traité (devenus, après modification, articles 39 CE et 42 CE), en tant qu'ils permettent l'imposition d'une condition de résidence pour l'octroi des allocations prénatales et de naissance existant au Luxembourg.
En revanche, l'annexe II bis du règlement n° 1408/71, tel que modifié et mis à jour par le règlement n° 118/97, est invalide en tant qu'y figure, en son point I. Luxembourg, sous b), l'allocation de maternité luxembourgeoise. En effet, c'est en violation des articles 48 et 51 du traité que cette allocation a été inscrite à ladite disposition comme prestation spéciale à caractère non contributif versée exclusivement sur le territoire de l'État membre de résidence en vertu de l'article 10 bis du règlement n° 1408/71. Dès lors, l'octroi d'une telle prestation ne peut être soumis à une condition de résidence. (voir points 30, 37-38, disp. 1-2)
2 Une allocation telle que l'allocation luxembourgeoise d'éducation ne fait pas partie des allocations familiales qui, en vertu de l'article 77 du règlement n° 1408/71, tel que modifié et mis à jour par le règlement n° 118/97, doivent être versées aux titulaires de pensions ou de rentes de vieillesse, d'invalidité, d'accident du travail ou de maladie professionnelle, quel que soit l'État membre sur le territoire duquel ils résident. En effet, cette allocation ne correspond pas à la définition des "allocations familiales" donnée à l'article 1er, sous u), ii), du règlement n° 1408/71, car son montant est fixé indépendamment du nombre d'enfants élevés dans un même foyer. (voir points 43-44, disp. 3)
3 Le titulaire d'une pension d'invalidité qui réside en dehors du territoire de l'État membre débiteur de cette pension ne peut tirer de l'article 73 du règlement n° 1408/71, tel que modifié et mis à jour par le règlement n° 118/97, un droit à des prestations familiales autres que les allocations familiales visées à l'article 77 du même règlement. (voir point 51, disp. 4)
4 Le titulaire d'une pension d'invalidité qui réside dans un État membre autre que celui qui assure le service de sa pension n'est pas un travailleur au sens de l'article 7 du règlement n° 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, et ne bénéficie des droits afférents à cette qualité qu'au titre de son activité professionnelle passée. (voir point 61, disp. 5)
Dans l'affaire C-43/99,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Conseil supérieur des assurances sociales (Luxembourg) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Ghislain Leclere,
Alina Deaconescu
Caisse nationale des prestations familiales,
une décision à titre préjudiciel relative, d'une part, à l'interprétation des articles 48 et 51 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 42 CE), des articles 1er, sous u), 10 bis, 73 et 77 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), ainsi que de l'article 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), et, d'autre part, à la validité des articles 1er, sous u), i), et 10 bis ainsi que des annexes II et II bis du règlement n° 1408/71, tel que modifié et mis à jour par le règlement n° 118/97,
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann et A. La Pergola, présidents de chambre, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet (rapporteur), P. Jann, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues et C. W. A. Timmermans, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,
considérant les observations écrites présentées:
- pour M. Leclere et Mme Deaconescu, par eux-mêmes,
- pour la Caisse nationale des prestations familiales, par Me A. Rodesch, avocat,
- pour le gouvernement luxembourgeois, par M. P. Steinmetz, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement espagnol, par Mme M. López-Monís Gallego, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement portugais, par M. L. Fernandes et Mme R. Brasil de Brito, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme R. Magrill, en qualité d'agent, assistée de Mme D. Rose, barrister,
- pour le Conseil de l'Union européenne, par Mme A. Lo Monaco et M. F. Anton, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Hillenkamp et Mme H. Michard, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de M. Leclere et de Mme Deaconescu, de la Caisse nationale des prestations familiales, représentée par Me A. Rodesch, du gouvernement espagnol, représenté par Mme M. López-Monís Gallego, du gouvernement autrichien, représenté par M. G. Hesse, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. N. Paine, QC, du Conseil, représenté par Mme A. Lo Monaco, ainsi que de la Commission, représentée par Mme H. Michard, à l'audience du 22 novembre 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 février 2001,
rend le présent
Arrêt
1 Par arrêt du 10 février 1999, parvenu à la Cour le 16 février suivant, le Conseil supérieur des assurances sociales a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), cinq questions préjudicielles relatives, d'une part, à l'interprétation des articles 48 et 51 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 42 CE), des articles 1er, sous u), 10 bis, 73 et 77 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le "règlement n° 1408/71"), ainsi que de l'article 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), et, d'autre part, à la validité des articles 1er, sous u), i), et 10 bis ainsi que des annexes II et II bis du règlement n° 1408/71.
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant M. Ghislain Leclere et son épouse, Mme Alina Deaconescu, tous deux de nationalité belge, à la Caisse nationale des prestations familiales (ci-après la "Caisse"), qui est une institution luxembourgeoise, au sujet du refus de celle-ci de faire bénéficier les requérants au principal des allocations luxembourgeoises de maternité, de naissance et d'éducation pour leur enfant né le 13 mars 1995, au motif que les demandeurs ne résidaient pas au Luxembourg.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L'article 1er, sous u), i), du règlement n° 1408/71 dispose:
"Aux fins de l'application du présent règlement:
[...]
u) i) le terme 'prestations familiales' désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d'une législation prévue à l'article 4 paragraphe 1 point h), à l'exclusion des allocations spéciales de naissance ou d'adoption mentionnées à l'annexe II".
4 La section II, intitulée "Allocations spéciales de naissance ou d'adoption exclues du champ d'application du règlement en vertu de l'article 1er point u) i)", de l'annexe II du règlement n° 1408/71 mentionne, en son point I. Luxembourg, "les allocations prénatales" et "les allocations de naissance".
5 Aux termes de l'article 10 bis, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, "les personnes auxquelles le règlement est applicable bénéficient des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l'article 4 paragraphe 2 bis exclusivement sur le territoire de l'État membre dans lequel elles résident et au titre de la législation de cet État, pour autant que ces prestations soient mentionnées à l'annexe II bis".
6 L'annexe II bis du règlement n° 1408/71, intitulée "Prestations spéciales à caractère non contributif", mentionne, en son point I. Luxembourg, sous b), "l'allocation de maternité (loi du 30 avril 1980)".
7 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, "[l]e présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent [...] les prestations de maladie et de maternité". Aux termes de l'article 4, paragraphe 2 bis, sous a), de ce règlement, "[l]e présent règlement s'applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d'une législation ou d'un régime autres que ceux qui sont visés au paragraphe 1 [...], lorsque ces prestations sont destinées [...] à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées au paragraphe 1 points a) à h)".
8 L'article 73, qui figure au chapitre 7, intitulé "Prestations familiales" du titre III du règlement n° 1408/71, prévoit que "[l]e travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d'un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d'un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s'ils résidaient sur le territoire de celui-ci, sous réserve des dispositions de l'annexe VI."
9 L'article 77, qui figure au chapitre 8, intitulé "Prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes et pour orphelins", du titre III du règlement n° 1408/71, dispose, dans son paragraphe 1, que "[l]e terme 'prestations', au sens du présent article, désigne les allocations familiales prévues pour les titulaires d'une pension ou d'une rente de vieillesse, d'invalidité, d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ainsi que les majorations ou les suppléments de ces pensions ou rentes prévus pour les enfants de ces titulaires, à l'exception des suppléments accordés en vertu de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles. [...]"
10 L'article 77, paragraphe 2, sous a), prévoit que "[l]es prestations sont accordées [...] quel que soit l'État membre sur le territoire duquel résident le titulaire de pensions ou de rentes ou les enfants [...] au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de l'État membre compétent pour la pension ou la rente".
11 Aux termes de l'article 7 du règlement n° 1612/68:
"1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
3. Il bénéficie également, au même titre et dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux, de l'enseignement des écoles professionnelles et des centres de réadaptation ou de rééducation.
4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autre réglementation collective portant sur l'accès à l'emploi, l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement, est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissant des autres États membres."