Cour de justice des Communautés européennes12 septembre 1996
Affaire n°C-251/94
Eduardo Lafuente Nieto
c/
Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)
61994J0251
Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 12 septembre 1996.
Eduardo Lafuente Nieto contre Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS).
Demande de décision préjudicielle: Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco - Espagne.
Sécurité sociale - Invalidité - Articles 46 et 47 du règlement (CEE) nº 1408/71 - Calcul des prestations.
Affaire C-251/94.
Recueil de Jurisprudence 1996 page I-4187
1. Sécurité sociale des travailleurs migrants ° Assurance invalidité ° Calcul des prestations ° Article 47, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 1408/71 visant les régimes faisant intervenir une base de cotisation moyenne ° Champ d'application ° Législation espagnole ° Inclusion
(Règlement du Conseil n° 1408/71, art. 47, § 1, e))
2. Sécurité sociale des travailleurs migrants ° Assurance invalidité ° Calcul des prestations ° Législation nationale fixant la prestation en fonction d'une base de cotisation moyenne durant une période de référence ° Modalités d'application à un travailleur frappé d'incapacité dans un État membre appliquant une législation d'un type différent et n'ayant pas cotisé au titre de la législation applicable durant la période de référence ° Calcul de la base de cotisation moyenne à partir des seules cotisations versées au titre de la législation applicable ° Revalorisation et majoration de la prestation théorique retenue pour la totalisation et la proratisation dans la mesure nécessaire pour éviter à l'intéressé de subir un désavantage à raison de l'exercice du droit de libre circulation
(Traité CE, art. 51; règlement du Conseil n° 1408/71, art. 47, § 1, e))
3. Sécurité sociale des travailleurs migrants ° Assurance invalidité ° Calcul des prestations ° Législation nationale ne faisant pas dépendre le montant des prestations de la durée des périodes d'assurance ° Interdiction, posée par l'article 46, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1408/71, pour un État membre de retenir, dans le cadre de la totalisation et de la proratisation, une durée totale de périodes d'assurance accomplies avant la réalisation du risque supérieure à la durée maximale requise par sa législation pour le bénéfice d'une pension complète ° Inapplicabilité
(Règlement du Conseil n° 1408/71, art. 46, § 2)
1. L'article 47, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 2001/83 et adaptée par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de l'Espagne et du Portugal et aux adaptations des traités, vise un régime de calcul des prestations d'invalidité, tel celui prévu par la législation espagnole, qui repose sur une base de cotisation moyenne et qui consiste, en principe, à calculer le montant de la pension sur la base de la moyenne des assiettes de cotisation du travailleur au cours d'une période de référence ayant précédé immédiatement la date de la survenance de l'invalidité.
2. L'article 47, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 1408/71, doit être interprété conformément à l'objectif fixé par l'article 51 du traité, qui veut notamment que les travailleurs migrants ne subissent pas de réduction du montant des prestations de sécurité sociale du fait qu'ils ont exercé leur droit à la libre circulation. Cela implique que, dans une situation où l'intéressé, d'une part, a été frappé d'incapacité dans un État membre dont la législation est d'un type différent de celle qui s'applique et, d'autre part, n'a pas cotisé au titre de cette dernière législation durant la période servant à déterminer la base de cotisation moyenne à partir de laquelle se calcule le montant de la prestation, ce montant soit le même pour lui que s'il avait conservé l'obligation de cotiser au titre de la législation concernée. Ainsi, dans une telle situation, le montant théorique de la prestation obtenu à partir des seules cotisations versées au titre de cette législation doit être revalorisé et majoré comme si l'intéressé avait continué à exercer dans les mêmes conditions son activité dans l'État membre en cause.
3. L'article 46, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1408/71, dans sa rédaction en vigueur en juillet 1990, qui prévoit, pour l'application des règles de totalisation et de proratisation, dans certaines circonstances, la prise en considération de la durée maximale requise pour le bénéfice d'une pension complète au lieu de la durée totale des périodes d'assurance accomplies, ne vise pas le calcul de prestations d'invalidité selon un régime, tel celui prévu par la législation espagnole, dans lequel le montant des prestations est indépendant de la durée des périodes d'assurance. En effet, dans la mesure où cette règle vise la durée requise pour le bénéfice d'une prestation complète, elle ne peut s'appliquer qu'aux législations selon lesquelles les prestations sont calculées, en principe, en fonction de la durée des périodes accomplies.
Dans l'affaire C-251/94,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco (Espagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Eduardo Lafuente Nieto
Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS),
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation et la validité de l'article 47, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), et adaptée par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 170), ainsi que sur l'interprétation de l'article 46, paragraphe 2, du même règlement,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J.-P. Puissochet (rapporteur), P. Jann, L. Sevón et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. A. La Pergola,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
° pour M. Lafuente Nieto, par Mes Abelardo Vázquez Conde, Roque Méndez Robleda et Benjamín Mayo Martínez, avocats au barreau d'Orense,
° pour le gouvernement espagnol, par MM. Alberto J. Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Miguel Bravo-Ferrer Delgado, abogado del Estado, en qualité d'agents,
° pour le Conseil de l'Union européenne, par Mme Sophia Kyriakopoulou et M. Ignacio Díez Parra, membres du service juridique, en qualité d'agents,
° pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes Maria Patakia et Blanca Rodríguez Galindo, membres du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de M. Lafuente Nieto, représenté par Mes Abelardo Vázquez Conde, Roque Méndez Robleda et Benjamín Mayo Martínez, du gouvernement espagnol, représenté par M. Miguel Bravo-Ferrer Delgado, du Conseil, représenté par Mme Sophia Kyriakopoulou et M. Ignacio Díez Parra, et de la Commission, représentée par Mmes Maria Patakia et I. Martínez del Peral, membre du service juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 2 mai 1996,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 juin 1996,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 31 mai 1994, parvenue à la Cour le 13 septembre suivant, le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, six questions préjudicielles sur l'interprétation et la validité de l'article 47, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), et adaptée par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 170, ci-après le "règlement"), ainsi que sur l'interprétation de l'article 46, paragraphe 2, du même règlement.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Lafuente Nieto à des organismes de la sécurité sociale espagnole, l'Instituto Nacional de la Seguridad Social (ci-après l'"INSS") et la Tesorería General de la Seguridad Social (ci-après la "TGSS"), au sujet du calcul de sa pension d'invalidité.
3 M. Lafuente Nieto, travailleur de nationalité espagnole, qui a exercé des activités salariées en Espagne (avant 1969), puis en Allemagne (jusqu'en 1990), a été frappé, en juillet 1990, d'une incapacité totale et permanente de travail. L'institution compétente allemande lui a octroyé une pension d'invalidité, dont le montant a, pour des raisons qui sont ignorées de la juridiction de renvoi, été calculé sans prise en compte des périodes de cotisation en Espagne. De son côté, l'INSS, institution compétente espagnole, a attribué à l'intéressé une pension d'invalidité pour incapacité totale et permanente de travail à la suite d'une maladie autre qu'une maladie professionnelle.
4 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, selon la législation espagnole, le montant de la pension à laquelle a droit le travailleur salarié de l'industrie qui a atteint l'âge de 48 ans et 3 mois à la date à laquelle survient une incapacité permanente totale de travail résultant d'une maladie autre qu'une maladie professionnelle, ce qui est le cas de M. Lafuente Nieto, ne varie pas en fonction des périodes de cotisation ou de la carrière du travailleur. Cependant, en vertu de l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la loi 26/1985 du 31 juillet 1985, le droit à pension est subordonné aux conditions que, d'une part, le travailleur ait versé des cotisations pendant une période au moins égale à un quart du temps écoulé depuis qu'il a atteint l'âge de 20 ans et que, d'autre part, un cinquième du nombre minimal requis de périodes de cotisation se situe au cours des 10 années qui ont précédé le moment de la survenance de l'invalidité.
5 Lorsque ces conditions sont remplies, le montant de la pension est calculé sur la base de la moyenne des assiettes de cotisation du travailleur au cours des 84 mois qui ont précédé immédiatement la date de la survenance de l'invalidité. Toutefois, si cette période comporte des phases au cours desquelles le travailleur n'avait pas l'obligation de cotiser, le calcul s'effectue comme s'il avait alors cotisé sur la base de l'assiette minimale. De surcroît, les assiettes de cotisation des 60 premiers mois de cette période, qu'elles soient réelles ou fictives, sont indexées sur l'évolution de l'indice officiel des prix à la consommation au cours de chacun de ces mois jusqu'à la fin de la période actualisable (article 3, paragraphes 1 et 4, de la loi du 31 juillet 1985, précitée).
6 Le montant de la pension attribuée à M. Lafuente Nieto, fixé à 9 226 PTA par mois (payable à raison de 14 mois par an), a été déterminé, au prorata des périodes d'assurance accomplies en Espagne par rapport à celles accomplies dans les deux États membres dans lesquels il a travaillé, en appliquant la règle du calcul des assiettes minimales de cotisation, prévue pour les cas dans lesquels le travailleur n'a pas d'obligation de cotiser. L'INSS a, en effet, estimé que, durant la période de 84 mois à prendre en compte pour le calcul du quotient directeur (c'est-à-dire de juillet 1983 à juin 1990), l'intéressé, qui travaillait alors en Allemagne, n'était pas soumis à l'obligation de cotiser au sens de la législation espagnole.
7 M. Lafuente Nieto a contesté ce montant et revendiqué une somme de 56 485 PTA, déterminée selon une méthode de calcul qui diffère de celle retenue par l'INSS sur deux points. D'une part, le quotient servant de base au calcul de la pension tient compte des assiettes sur la base desquelles ont été calculées les cotisations versées en Allemagne durant la période précédant immédiatement la date de survenance de son invalidité, sans toutefois que ces assiettes puissent dépasser le plafond applicable en Espagne à la même époque et en appliquant l'assiette minimale pour les mois au cours desquels il n'a pas cotisé en Allemagne. D'autre part, la règle du prorata est appliquée en comparant la période de cotisation en Espagne non pas à la totalité des périodes de cotisation en Espagne et en Allemagne, mais à la période minimale de cotisation nécessaire, selon la législation espagnole, pour acquérir le droit à pension.
8 Saisi du litige en appel, le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Dans l'hypothèse de fait qu'il régit, l'article 47, paragraphe 1, sous e), du règlement (CEE) n° 1408/71 (dans la version en vigueur au mois de juillet 1990) doit-il être interprété en ce sens qu'il inclut une disposition légale du type de celle qui figure à l'article 3 de la loi 26/1985, du 31 juillet 1985, à laquelle il est fait référence au paragraphe 2, sous B), de la partie en fait de la présente ordonnance, ou bien une telle disposition relève-t-elle de l'article 47, paragraphe 1, sous b), dudit règlement?
2) Dans l'hypothèse où il faudrait répondre à la question précédente que la législation espagnole qui y est mentionnée relève de l'hypothèse de fait prévue par l'article 47, paragraphe 1, sous e), du règlement (CEE) n° 1408/71, la règle inscrite dans cette disposition:
a) doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle institue, en marge de la règle de droit espagnol, une règle propre de droit communautaire sur la manière de déterminer l'assiette de cotisation moyenne, règle selon laquelle celle-ci doit être calculée par la moyenne arithmétique entre les assiettes minimales et les assiettes maximales de cotisation en vigueur en Espagne?
b) ou bien doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle ne contient aucune règle propre sur la manière de déterminer l'assiette de cotisation moyenne, celle-ci devant être calculée conformément au droit interne espagnol, mais sans que puisse être prise en compte, à cet effet, aucune des cotisations versées à l'institution compétente d'un autre État membre conformément à la législation de ce dernier?