Cour de justice des Communautés européennes10 novembre 1998
Affaire n°C-360/96
Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden
c/
BFI Holding BV
61996J0360
Arrêt de la Cour
du 10 novembre 1998.
Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden contre BFI Holding BV.
Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Arnhem - Pays-Bas.
Marchés publics de services - Notion de pouvoir adjudicateur - Organisme de droit public.
Affaire C-360/96.
Recueil de Jurisprudence 1998 page I-6821
1 Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de services - Directive 92/50 - Pouvoirs adjudicateurs - Organisme de droit public - Besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial - Notion - Existence d'entreprises privées capables de satisfaire les besoins en question - Absence d'incidence
(Directive du Conseil 92/50, art. 1er, b), al. 2)
2 Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de services - Directive 92/50 - Exception prévue par l'article 6 de la directive - Condition - Respect des dispositions du traité
(Traité CE, art. 85 et suiv.; directive du Conseil 92/50, art. 6)
3 Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de services - Directive 92/50 - Pouvoirs adjudicateurs - Organisme de droit public - Qualification indépendante de l'importance relative et du mode d'exercice des activités consacrées à la satisfaction des besoins d'intérêt général
(Directive du Conseil 92/50, art. 1er, b), al. 2)
4 Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de services - Directive 92/50 - Pouvoirs adjudicateurs - Organisme de droit public - Besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial - Forme juridique des dispositions exprimant de tels besoins - Absence d'incidence
(Directive du Conseil 92/50, art. 1er, b), al. 2)
1 L'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, qui dispose que, "par organisme de droit public, on entend tout organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial", doit être interprété en ce sens que le législateur communautaire a opéré une distinction entre, d'une part, les besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et, d'autre part, les besoins d'intérêt général ayant un caractère industriel ou commercial.
La notion de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial n'exclut pas des besoins qui sont également satisfaits ou pourraient l'être par des entreprises privées. En effet, le fait qu'il existe une concurrence ne suffit pas pour exclure la possibilité qu'un organisme financé ou contrôlé par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu'économiques.
L'existence d'une concurrence n'est toutefois pas dépourvue de toute pertinence pour résoudre la question de savoir si un besoin d'intérêt général a un caractère autre qu'industriel ou commercial. Ces derniers besoins sont en règle générale satisfaits d'une manière autre que par l'offre de biens ou de services sur le marché. En général, ont un tel caractère des besoins que, pour des raisons liées à l'intérêt général, l'État choisit de satisfaire lui-même ou à l'égard desquels il entend conserver une influence déterminante.
L'enlèvement et le traitement des ordures ménagères peuvent être considérés comme constituant un besoin d'intérêt général. Le degré de satisfaction de ce besoin jugé nécessaire pour des raisons de santé publique et de protection de l'environnement pouvant ne pas être atteint par l'offre de services d'enlèvement totalement ou partiellement faite aux particuliers par des opérateurs économiques privés, cette activité fait partie de celles dont un État peut décider qu'elles doivent être exercées par des autorités publiques ou à l'égard desquelles il entend conserver une influence déterminante.
2 Le recours à l'article 6 de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, qui dispose que "la directive ne s'applique pas aux marchés publics de services attribués à une entité qui est elle-même un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, point b)", est subordonné à la condition que les dispositions législatives, réglementaires et administratives qui sont à la base du droit exclusif dont un organisme de droit public bénéficie soient compatibles avec le traité. La protection des concurrents des organismes de droit public est ainsi garantie par les articles 85 et suivants du traité.
3 La qualité d'organisme de droit public visé à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50, portant coordination des marchés publics de services, ne dépend pas de l'importance relative de la satisfaction de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial dans l'activité de l'organisme en question. Il est également indifférent que des activités commerciales soient exercées par une personne morale distincte qui fait partie du même groupe ou "concern" que lui.
4 L'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50, portant coordination des marchés publics de services, doit être interprété en ce sens que l'existence ou l'absence de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial s'apprécie objectivement, la forme juridique des dispositions dans lesquelles de tels besoins sont exprimés étant, à cet égard, indifférente.
Dans l'affaire C-360/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Gerechtshof te Arnhem (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Gemeente Arnhem,
Gemeente Rheden
BFI Holding BV,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 1er et 6 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet et P. Jann (rapporteur), présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward, L. Sevón, M. Wathelet, R. Schintgen et K. M. Ioannou, juges,
avocat général: M. A. La Pergola,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour la Gemeente Arnhem et la Gemeente Rheden, par Me L. H. van Lennep, avocat au barreau de La Haye,
- pour BFI Holding BV, par Mes P. Glazener, avocat au barreau d'Amsterdam, et J. J. M. Essers, avocat au barreau d'Utrecht,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement danois, par M. P. Biering, chef de direction au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement français, par Mme C. de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. P. Lalliot, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek, Ministerialrat à la chancellerie, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. van Lier, conseiller juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
considérant les réponses écrites aux questions posées par la Cour:
- pour la Gemeente Arnhem et la Gemeente Rheden, par Me L. H. van Lennep,
- pour BFI Holding BV, par Me P. Glazener,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, conseiller juridique, chef de direction au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vaamonde, abogado del Estado, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit économique international et droit communautaire à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et M. P. Lalliot,
- pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek,
- pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch, ambassadeur, chef du service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling, rättschef au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assisté de MM. K. P. E. Lasok, QC, et R. Williams, barrister,
- pour la Commission, par M. H. van Lier,
ayant entendu les observations orales de la Gemeente Arnhem et de la Gemeente Rheden, représentées par Me L. H. van Lennep, de BFI Holding BV, représentée par Mes P. Glazener et J. J. M. Essers, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par M. P. Lalliot, du gouvernement autrichien, représenté par M. M. Fruhmann, de la chancellerie, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. J. E. Collins, assisté de MM. K. P. E. Lasok et R. Williams, et de la Commission, représentée par M. H. van Lier, à l'audience du 18 novembre 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 19 février 1998,
rend le présent
Arrêt
1 Par arrêt du 29 octobre 1996, parvenu à la Cour le 5 novembre suivant, le Gerechtshof te Arnhem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, sept questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 1er, sous b), et 6 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Gemeente Arnhem et la Gemeente Rheden (ci-après les "communes") à BFI Holding BV (ci-après "BFI"), qui prétend que l'attribution d'un marché portant sur la collecte de déchets doit être assujettie à la procédure prévue à la directive.
La réglementation communautaire applicable
3 La directive 92/50 dispose, notamment, en son article 1er:
"Aux fins de la présente directive:
...
b) sont considérés comme 'pouvoirs adjudicateurs', l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
Par 'organisme de droit public', on entend tout organisme:
- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial
- ayant la personnalité juridique
- dont, soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.
Les listes des organismes et des catégories d'organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa du présent point figurent à l'annexe I de la directive 71/305/CEE. Ces listes sont aussi complètes que possible et peuvent être révisées selon la procédure prévue à l'article 30 ter de ladite directive;
..."
4 L'article 6 de la directive 92/50 prévoit:
"La présente directive ne s'applique pas aux marchés publics de services attribués à une entité qui est elle-même un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er point b), sur la base d'un droit exclusif dont elle bénéficie en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives publiées, à condition que ces dispositions soient compatibles avec le traité."
La réglementation néerlandaise
5 La directive 92/50 a été transposée en droit néerlandais par une loi-cadre du 31 mars 1993 (Stbl. 12) relative aux règles communautaires de passation des marchés publics pour la livraison de biens, l'exécution de travaux et la fourniture de services, combinée avec l'article 13 de l'arrêté du 4 juin 1993 (Stbl. 305), tel que modifié par l'arrêté du 30 mai 1994 (Stbl. 379).
6 Les articles 10.10 et 10.11 de la Wet milieubeheer (loi sur l'environnement) font obligation aux communes de veiller à ce que, au moins une fois par semaine, les déchets ménagers soient collectés auprès de toutes les propriétés situées sur leur territoire où il peut y avoir régulièrement des déchets. Les communes doivent désigner une instance qui se charge de cette collecte.
7 En vertu de l'article 2 de l'Afvalstoffenverordening (règlement en matière de déchets) de la Gemeente Rheden, tel que modifié le 21 décembre 1993, le service de collecte est le "Dienst Openbare Werken en Woningzaken, Afdeling Wegen en Reiniging, ou le service indépendant qui s'y substituera". L'article 2 du règlement en matière de déchets de la Gemeente Arnhem, tel que modifié le 4 juillet 1994, désigne comme service de collecte le Dienst Milieu en Openbare Werken. Il précise par ailleurs que, "A dater du 1er juillet 1994, ce service sera assuré par la société anonyme ARA, service de nettoyage communal indépendant".
Le litige au principal
8 En 1993, les communes ont envisagé de fusionner les services communaux de collecte de déchets et de les confier à une nouvelle personne morale. Par décisions des 6 et 28 juin 1994, les communes d'Arnhem et de Rheden ont respectivement décidé de constituer la société anonyme ARA et de lui confier une série de tâches prévues par la loi dans le domaine de l'enlèvement des ordures et, dans le cas de la Gemeente Arnhem, de la voirie urbaine.
9 ARA a été constituée le 1er juillet 1994. L'article 2 de ses statuts prévoit:
"1. La société a pour objet:
a) l'accomplissement de toute opération dans le domaine économique, qui vise à (faire) collecter (et, si possible, recycler), de manière efficace, effective et écologique, les déchets, tels que les ordures ménagères, les déchets des entreprises et les flux partiels à déterminer, ainsi que l'accomplissement d'activités dans le domaine du nettoyage de la voirie, de la lutte contre les parasites et de la désinfection;