Jurisprudence : CJCE, 18-06-1991, aff. C-260/89, Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou c/ Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres

CJCE, 18-06-1991, aff. C-260/89, Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou c/ Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres

A1657AWB

Référence

CJCE, 18-06-1991, aff. C-260/89, Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou c/ Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008017-cjce-18061991-aff-c26089-elliniki-radiophonia-tileorassi-ae-et-panellinia-omospondia-syllogon-prosso
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Cour de justice des Communautés européennes

18 juin 1991

Affaire n°C-260/89

Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou
c/
Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres



61989J0260

Arrêt de la Cour
du 18 juin 1991.

Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou contre Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres.

Demande de décision préjudicielle: Monomeles Protodikeio Thessalonikis - Grèce.

Droits exclusifs en matière de radiodiffusion et de télévision - Libre circulation des marchandises - Libre prestation des services - Règles de concurrence - Liberté d'expression.

Affaire C-260/89.

Recueil de Jurisprudence 1991 page I-2925

Edition spéciale suédoise 1991 page 0209

1. Concurrence - Entreprises auxquelles les États membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs - Monopole de la télévision - Compatibilité avec le droit communautaire - Conditions

(Traité CEE, art. 90)

2. Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Attribution d'un monopole de la télévision assorti de droits exclusifs s'exerçant sur certains matériels et produits - Admissibilité - Conditions

(Traité CEE, art. 30 et suiv.)

3. Libre prestation des services - Monopole de la télévision - Discrimination en raison de la provenance des émissions - Inadmissibilité - Justification - Conditions

(Traité CEE, art. 56, 59 et 66)

4. Concurrence - Entreprises auxquelles les États membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs - Monopole de la télévision - Abus d'une position dominante - Inadmissibilité - Justification - Conditions

(Traité CEE, art. 86 et 90)

5. Traité CEE - Article 2 - Défaut de pertinence pour l'appréciation de l'admissibilité d'un monopole de la télévision

(Traité CEE, art. 2)

6. Libre prestation des services - Restrictions justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique - Admissibilité subordonnée au respect des droits fondamentaux

(Traité CEE, art. 56 et 66)

1. Le droit communautaire ne s'oppose pas à l'attribution d'un monopole de la télévision, pour des considérations d'intérêt public, de nature non économique. Toutefois, les modalités d'organisation et l'exercice d'un tel monopole ne doivent pas porter atteinte aux dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises et des services ainsi qu'aux règles de concurrence.

2. Les articles du traité sur la libre circulation des marchandises ne s'opposent pas à la concession à une seule entreprise de droits exclusifs, dans le domaine des émissions de messages télévisés, et à l'attribution à cet effet du pouvoir exclusif d'importer, de louer ou de distribuer des matériels et des produits nécessaires pour la diffusion dans la mesure où il n'en résulte pas une discrimination entre produits nationaux et produits importés au détriment de ces derniers.

3. L'article 59 du traité s'oppose à une réglementation nationale qui crée un monopole des droits exclusifs de diffusion d'émissions propres et de retransmission d'émissions en provenance d'autres États membres, lorsqu'un tel monopole entraîne des effets discriminatoires au détriment des émissions en provenance d'autres États membres, à moins que cette réglementation ne soit justifiée par l'une des raisons indiquées à l'article 56, auquel renvoie l'article 66 du traité. L'objectif d'éviter des perturbations dues au nombre restreint de canaux disponibles ne saurait toutefois constituer une telle justification, lorsque l'entreprise en question n'utilise qu'un nombre restreint de ces canaux.

4. L'article 90, paragraphe 1, du traité s'oppose à l'octroi d'un droit exclusif de diffusion et d'un droit exclusif de retransmission d'émissions de télévision à une seule entreprise, lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à enfreindre l'article 86 par une politique d'émission discriminatoire en faveur de ses propres programmes, sauf si l'application de l'article 86 fait échec à la mission particulière qui lui a été impartie.

5. L'article 2 du traité, qui décrit la mission de la Communauté économique européenne, ne peut fournir des critères pour apprécier la conformité d'un monopole de la télévision national avec le droit communautaire.

6. Lorsqu'un État membre invoque les dispositions combinées des articles 56 et 66 du traité pour justifier, par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, une réglementation qui est de nature à entraver l'exercice de la libre prestation des services, cette justification, prévue par le droit communautaire, doit être interprétée à la lumière des principes généraux du droit, et notamment des droits fondamentaux. Ainsi, la réglementation nationale en cause ne pourra bénéficier des exceptions prévues par les dispositions précitées que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. S'agissant d'une réglementation en matière de télévision, cela implique qu'elle soit appréciée au regard de la liberté d'expression, consacrée par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme en tant que principe général du droit dont la Cour assure le respect.

Dans l'affaire C-260/89,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le Monomeles Protodikeio (tribunal de grande instance) de Thessalonique (Grèce) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia (ERT AE),

partie intervenante : Panellinia omospondia syllogon prossopikou ERT,

Dimotiki Étairia Pliroforissis (DEP),

Sotirios Kouvelas,

parties intervenantes : Nicolaos Avdellas e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du traité CEE, en particulier de ses articles 2, 3, sous f), 9, 30, 36, 85 et 86,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, T. F. O'Higgins, G. C. Rodríguez Iglesias et M. Díez de Velasco, présidents de chambre, Sir Gordon Slynn, MM. C. n°. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler et P. J. G. Kapteyn, juges,

avocat général : M. C. O. Lenz

greffier : M. H. A. Ruehl, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées :

- pour Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia, par Me V. Kostopoulos et K. Kalavros, avocats au barreau d'Athènes,

- pour Dimotiki Etairias Pliroforissis et M. Sotirios Kouvelas, par Mes A. Vamvakopoulos, A. Panagopoulos et P. Ladas, avocats au barreau de Thessalonique,

- pour le gouvernement de la République française, par Mme E. Belliard, directeur adjoint à la direction des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et M. G. de Bergues, secrétaire adjoint principal des Affaires étrangères à ce même ministère, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Marenco, conseiller juridique, M. B. Jansen et Mme M. Condou-Durande, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia, de Dimotiki Etairia Pliroforissis et de la Commission à l'audience du 27 novembre 1990,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 janvier 1991,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugement du 11 avril 1989, parvenu à la Cour le 16 août suivant, le Monomeles Protodikeio (tribunal de grande instance) de Thessalonique, statuant en référé, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation du traité CEE, en particulier de ses articles 2, 3, sous f), 9, 30, 36, 85 et 86, ainsi que de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après "convention européenne des droits de l'homme "), en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'un régime national de droits exclusifs en matière de télévision.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre l'Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia (ci-après "ERT "), entreprise hellénique de radio et de télévision, à laquelle l'État hellénique a concédé des droits exclusifs pour l'exercice de ses activités, d'une part, et Dimotiki Etairia Pliroforissis (ci-après "DEP "), société municipale d'information à Thessalonique, et M. S. Kouvelas, maire de cette ville, d'autre part. Malgré l'existence des droits exclusifs dont jouit l'ERT, la DEP et le maire ont créé à Thessalonique, en 1989, une station de télévision qui, dès cette même année, a commencé à diffuser des émissions télévisées.

3 L'ERT a été créée par la loi n° 1730/1987 (Journal officiel de la République hellénique n° 145 A du 18.8.1987, p. 144). Selon l'article 2, paragraphe 1, de cette loi, l'ERT a pour objet l'organisation, l'exploitation et le développement de la radiodiffusion, ainsi que la contribution à l'information, à la culture et au divertissement du peuple hellénique, sans but lucratif. Le paragraphe 2 de cet article dispose que l'État concède à l'ERT un privilège exclusif en matière de radio et de télévision pour toute activité qui concourt à la réalisation de son objectif. Le privilège comprend notamment l'émission de sons et d'images de toute nature à partir du territoire hellénique par les méthodes de la radiodiffusion et de la télévision destinées à la réception soit générale, soit par circuits spéciaux fermés, câblés ou d'une forme quelconque, et l'installation de stations de radiodiffusion et de télévision. En vertu du paragraphe 3 de l'article 2, l'ERT produit et exploite par tout moyen des émissions de radiodiffusion et de télévision. L'article 16, paragraphe 1, de la même loi interdit à toute personne d'entreprendre sans autorisation de l'ERT des activités pour lesquelles l'ERT détient un droit exclusif.

4 Estimant que les activités de la DEP et du maire de Thessalonique relevaient de ses droits exclusifs, l'ERT a engagé une procédure en référé devant le tribunal de grande instance de Thessalonique afin d'obtenir, sur la base de l'article 16 de la loi n° 1730/1987, précité, l'interdiction de diffuser toute émission, la saisie de l'équipement technique et sa mise sous séquestre. Devant le tribunal, la DEP et M. Kouvelas ont principalement invoqué des dispositions de droit communautaire et de la convention européenne des droits de l'homme.

5 Considérant que l'affaire soulevait d'importantes questions de droit communautaire, la juridiction nationale a sursis à statuer pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Une loi autorisant un seul opérateur à détenir le monopole de la télévision sur tout le territoire d'un État membre et à procéder à des transmissions télévisées de toute nature est-elle compatible avec les dispositions du traité CEE et le droit dérivé?

6 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des termes du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7 Il résulte, en substance, du jugement de renvoi que par la première question la juridiction nationale cherche à savoir si le droit communautaire s'oppose à l'existence d'un monopole de la télévision détenu par une seule société à laquelle un État membre a accordé des droits exclusifs à cette fin. Les deuxième, troisième et quatrième questions visent le point de savoir si les règles relatives à la libre circulation des marchandises, en particulier l'article 9 et les articles 30 et 36 du traité, font obstacle à l'existence d'un tel monopole. Étant donné que ces questions concernent un monopole de services, il y a lieu de considérer qu'elles visent non seulement les règles du traité en matière de libre circulation des marchandises, mais également celles relatives à la libre prestation de services et notamment l'article 59 du traité.

8 Les cinquième, sixième, septième et huitième questions portent sur l'interprétation des règles de concurrence applicables aux entreprises. A cet égard, la juridiction nationale cherche à savoir, en premier lieu, si l'article 3, sous f), et l'article 85 du traité s'opposent à l'octroi, par l'État, de droits exclusifs dans le domaine de la télévision. En second lieu, la juridiction nationale s'interroge sur le point de savoir si une entreprise qui jouit d'un droit exclusif en matière de télévision sur tout le territoire d'un État membre détient de ce fait une position dominante sur une partie substantielle du marché, au sens de l'article 86 du traité, et si certains comportements constituent un abus de cette position dominante. En troisième lieu, la juridiction nationale cherche à savoir si l'application des règles de concurrence s'oppose à l'exercice de la mission particulière impartie à une telle entreprise.

9 Les neuvième et dixième questions visent l'examen d'une situation de monopole dans le domaine de la télévision au regard de l'article 2 du traité, d'une part, et de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, d'autre part.

Sur le monopole de la télévision

10 Il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt du 30 avril 1974, Sacchi, point 14 (155/73, Rec. p. 409), la Cour a dit pour droit que rien dans le traité ne s'opposait à ce que les États membres, pour des considérations d'intérêt public, de nature non économique, soustraient les émissions de radiotélévision au jeu de la concurrence, en conférant le droit exclusif d'y procéder à un ou à plusieurs établissements.

11 Toutefois, il découle de l'article 90, paragraphes 1 et 2, du traité que la façon dont ce monopole est aménagé ou exercé peut porter atteinte aux règles du traité, notamment à celles relatives à la libre circulation des marchandises, à la libre prestation des services et aux règles de concurrence.

12 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la juridiction nationale que le droit communautaire ne s'oppose pas à l'attribution d'un monopole de la télévision, pour des considérations d'intérêt public, de nature non économique. Toutefois, les modalités d'organisation et l'exercice d'un tel monopole ne doivent pas porter atteinte aux dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises et des services ainsi qu'aux règles de concurrence.

Sur la libre circulation des marchandises

13 Il y a lieu d'observer, à titre liminaire, qu'il découle de l'arrêt du 30 avril 1974, Sacchi, précité, que les émissions de messages télévisés relèvent des règles du traité relatives aux prestations de services et qu'un monopole en matière de télévision, étant un monopole de prestation de services, n'est pas, en tant que tel, contraire au principe de la libre circulation des marchandises.

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