Jurisprudence : CJCE, 05-10-1994, aff. C-404/92, X c/ Commission des Communautés européennes

CJCE, 05-10-1994, aff. C-404/92, X c/ Commission des Communautés européennes

A0030AWZ

Référence

CJCE, 05-10-1994, aff. C-404/92, X c/ Commission des Communautés européennes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1006443-cjce-05101994-aff-c40492-x-c-commission-des-communautes-europeennes
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Cour de justice des Communautés européennes

5 octobre 1994

Affaire n°C-404/92

X
c/
Commission des Communautés européennes



61992J0404

Arrêt de la Cour
du 5 octobre 1994.

X contre Commission des Communautés européennes.

Pourvoi - Agent temporaire - Visite médicale d'embauche - Portée du refus de l'intéressé de se soumettre à un test du sida - Atteinte au droit de tenir son état de santé secret.

Affaire C-404/92P.

Recueil de Jurisprudence 1994 page I-4737

1. Droit communautaire ° Principes ° Droits fondamentaux ° Respect de la vie privée

2. Droit communautaire ° Principes ° Droits fondamentaux ° Restrictions à l'exercice des droits fondamentaux justifiées par l'intérêt général

3. Fonctionnaires ° Recrutement ° Examen médical ° Objet ° Conséquences du refus de l'intéressé d'accepter certaines investigations

(Régime applicable aux autres agents, art. 12 et 13)

4. Fonctionnaires ° Recrutement ° Examen médical ° Test de dépistage d'anticorps VIH ° Refus de l'intéressé ° Recours à d'autres tests permettant d'obtenir les mêmes informations ° Violation du droit au respect de la vie privée

(Régime applicable aux autres agents, art. 12 et 13)

1. Le droit au respect de la vie privée, consacré par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, constitue l'un des droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire. Il comporte notamment le droit d'une personne de tenir son état de santé secret.

2. Des restrictions peuvent être apportées aux droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général et qu'elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit protégé.

3. L'examen médical préalable à l'engagement, prévu par l'article 13 du régime applicable aux autres agents, a pour objet de permettre à l'institution concernée de déterminer si l'agent temporaire remplit les conditions d'aptitude physique exigées pour le recrutement par l'article 12, paragraphe 2, sous d), dudit régime. Or, si l'examen d'embauche sert un intérêt légitime de l'institution, cet intérêt ne justifie pas que l'on procède à un test médical contre la volonté de l'intéressé. Cependant, si celui-ci, après avoir été éclairé, refuse de donner son consentement à un test que le médecin-conseil de l'institution estime nécessaire pour évaluer son aptitude à remplir les fonctions pour lesquelles il s'est porté candidat, l'institution ne saurait être obligée de supporter le risque de l'engager.

4. Une interprétation des dispositions relatives à l'examen médical préalable à l'engagement d'un agent temporaire, en ce sens qu'elles ne comportent l'obligation de respecter le refus de l'intéressé que pour un test spécifique de dépistage du sida, mais permettent de pratiquer tous les autres tests qui peuvent seulement faire naître des soupçons quant à la présence du virus du sida, méconnaîtrait la portée du droit au respect de la vie privée. En effet, le respect de ce droit exige que le refus de l'intéressé soit respecté dans sa totalité. Dès lors que celui-ci a refusé expressément de se soumettre à un test de dépistage du sida, ce droit s'oppose à ce que l'institution concernée procède à tout test susceptible d'aboutir à soupçonner ou à constater l'existence de cette maladie.

Dans l'affaire C-404/92 P,

X, représenté par Mes Gérard Collin, Thierry Demaseure et Michel Deruyver, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

partie requérante,

soutenue par

Union syndicale-Bruxelles, représentée par Me Jean-Noël Louis, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

et par

Fédération internationale des droits de l'homme, représentée par Mes Luc Misson, avocat au barreau de Liège, et Eric Balate, avocat au barreau de Mons, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Jean-Paul Noesen, 18, rue des Glacis,

parties intervenantes,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 18 septembre 1992, X/Commission (T-121/89 et T-13/90, Rec. p. II-2195), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Joern Pipkorn, conseiller juridique, et Sean van Raepenbusch, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida et M. Diez de Velasco, présidents de chambre, C. N. Kakouris, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M. Zuleeg (rapporteur), P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges

avocat général: M. W. Van Gerven,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 8 février 1994, au cours de laquelle la Fédération internationale des droits de l'homme était représentée par Mes Luc Misson, Eric Balate et Marc-Albert Lucas, avocat au barreau de Liège,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 avril 1994,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 décembre 1992, M. X a, en vertu de l'article 49 du statut (CEE) et des dispositions correspondantes des statuts (CECA) et (CEEA) de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 1992, X/Commission (T-121/89 et T-13/90, Rec. p. II-2195), en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 6 juin 1989 par laquelle la Commission des Communautés européennes a refusé de l'engager en qualité d'agent temporaire, pour une durée de six mois, en raison de son inaptitude physique, et, d'autre part, à l'indemnisation du préjudice moral subi.

2 Il ressort de l'arrêt attaqué que les faits à l'origine de l'affaire sont les suivants:

"1 Le requérant a été au service de la Commission des Communautés européennes (ci-après 'Commission'), en tant que free-lance, du 29 août 1985 au 30 mars 1986 et du 1er mai 1986 au 31 août 1987, ainsi qu'en tant qu'agent auxiliaire, du 1er septembre 1987 au 31 janvier 1988. Ayant été admis à participer au concours COM/C/655 pour dactylographes, il a été informé, le 4 juillet 1989, qu'il n'avait pas réussi les épreuves écrites.

2 En vue d'être éventuellement engagé, pour une période de six mois, en qualité d'agent temporaire auprès de la Commission, le requérant a été invité, par lettre de la division 'Carrières' de la direction générale du personnel et de l'administration, du 14 février 1989, à se soumettre, conformément aux articles 12, paragraphe 2, sous d), et 13 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après 'RAA'), à un examen médical.

3 Cet examen a été effectué le 15 mars 1989 par les soins du Dr S., médecin-conseil de la Commission. Le requérant a été soumis à un examen clinique, complété par les tests biologiques. En revanche, il a répondu par la négative à la proposition du service médical de se soumettre à un test de dépistage d'anticorps VIH (sida).

4 Par lettre du 22 mars 1989, le médecin-conseil, après avoir informé le requérant qu'il ne lui était pas possible d'émettre un avis médical favorable en vue de son recrutement, l'a prié de lui communiquer le nom de son médecin traitant pour lui faire part de la teneur des anomalies qu'il avait constatées.

5 Par lettre du 28 mars 1989, le chef de la division 'Carrières' a informé le requérant que, à la suite de l'examen médical, le médecin-conseil avait conclu à son inaptitude physique pour l'exercice des fonctions de dactylographe auprès de la Commission et que, dans ces conditions, son recrutement ne pouvait être envisagé.

6 Par appel téléphonique du 5 avril 1989, le médecin-conseil a communiqué au Dr P., médecin traitant du requérant à Anvers, les résultats de l'examen médical pratiqué sur ce dernier. Par ailleurs, sur demande du Dr P., le médecin-conseil de la Commission lui a transmis, par lettre du 12 avril 1989, copie des analyses de laboratoire effectuées chez le requérant.

7 En réponse à la lettre précitée du chef de la division 'Carrières', le requérant, par lettre du 9 avril 1989, a demandé que son cas soit soumis à l'avis de la commission médicale prévue par l'article 33, deuxième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après 'statut'), applicable aux agents temporaires en vertu de l'article 13 du RAA.

8 Par lettre du 26 avril 1989, le médecin traitant a, d'une part, informé le président de la Commission de ce qu'une erreur de diagnostic avait été commise par le médecin-conseil de l'institution, qui avait conclu que son patient souffrait d'une infection opportuniste impliquant le stade terminal du sida (' full-blown AIDS'), et a, d'autre part, dénoncé le fait que le requérant avait été soumis, sans son accord, à un test biaisé de dépistage du sida.

9 Par lettre du 27 avril 1989, le chef du service médical de la Commission a informé le requérant de la convocation, le 26 mai suivant, d'une commission médicale chargée d'examiner son cas et l'a invité à lui faire parvenir tous rapports ou documents médicaux utiles.

10 Par lettre du 19 mai 1989, le requérant a répondu au chef du service médical qu'il ne disposait d'aucun document médical parce qu'il n'avait jamais été sérieusement malade. Il précisait, en outre, qu'il était soigné pour des problèmes médicaux mineurs par le Dr P.

11 Par lettre du 6 juin 1989, le directeur général du personnel et de l'administration a informé le requérant que la commission médicale, convoquée à sa demande, s'était réunie le 26 mai 1989 et avait confirmé l'avis émis le 22 mars 1989 par le médecin-conseil de la Commission. Sur la base de ces conclusions, l'institution considérait que le requérant ne réunissait pas les conditions d'aptitude physique requises pour être recruté dans ses services.

12 Par lettre du 3 juillet 1989, le requérant a introduit, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la décision du 6 juin 1989 et, pour autant que de besoin, contre l'avis du médecin-conseil du 22 mars 1989 et la décision du 28 mars 1989. Dans cette réclamation, il concluait à l'annulation des actes susmentionnés et demandait également la réparation du préjudice moral qu'il estimait avoir subi, sans préciser la cause ni le montant de celui-ci.

13 En réponse à la lettre du médecin traitant, datée du 26 avril 1989, le directeur général du personnel et de l'administration, par lettre du 26 juillet 1989, a affirmé, au nom du président de la Commission, que le caractère systématique et obligatoire de la pratique de la sérologie VIH avait cessé dans les institutions communautaires depuis plus d'un an, en conformité avec les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé du 15 mai 1987 et du 31 décembre 1988, ainsi qu'avec les décisions de la Commission. Dans cette même lettre, il était précisé que le requérant n'avait pas été soumis à un test camouflé de dépistage du sida, mais à un examen biologique, en l'occurrence le typage lymphocytaire T4/T8, destiné à évaluer l'état immunitaire du patient et nullement spécifique à la recherche d'une affection virale ou bactérienne.

14 Par lettre du 4 septembre 1989, enregistrée au secrétariat général le 8 septembre 1989, le requérant a introduit, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation 'ampliative', tendant à ce que lui soit versée une somme de 10 000 000 BFR, à titre de dommages et intérêts forfaitaires, pour le préjudice matériel et moral causé par les services de la Commission.

15 Les deux réclamations du requérant ont été rejetées par décision de la Commission du 27 novembre 1989, notifiée par note du directeur général du personnel et de l'administration du 28 novembre 1989."

3 Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 juillet 1989, M. X a introduit devant la Cour un premier recours (affaire T-121/89) tendant essentiellement à l'annulation de la décision du 6 juin 1989 par laquelle la Commission a, en raison de son inaptitude physique, refusé de l'engager pour l'emploi de dactylographe en tant qu'agent temporaire pour une durée de six mois.

4 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de première instance, en application de l'article 14 de la décision 85/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1).

5 Par requête introduite au greffe du Tribunal le 3 mars 1990, M. X a introduit un second recours (affaire T-13/90) tendant à la condamnation de la Commission au paiement d'une somme de 10 000 000 de BFR à titre de dommages et intérêts forfaitaires.

6 Dans l'arrêt attaqué, le tribunal a rejeté les deux recours.

7 A l'appui de son pourvoi, le requérant invoque trois moyens tirés respectivement de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la "CEDH"), d'une contradiction entachant les motifs de l'arrêt attaqué et de la violation des droits de la défense.

Sur le moyen tiré de la violation du droit au respect de la vie privée

8 Le requérant reproche au Tribunal d'avoir considéré à tort que la manière dont il a été examiné médicalement et déclaré inapte physiquement à occuper l'emploi pour lequel il s'était porté candidat ne constitue pas une violation de son droit au respect de la vie privée tel qu'il est garanti par l'article 8 de la CEDH.

9 Le premier moyen du requérant est notamment dirigé contre le point 58 de l'arrêt dans lequel le Tribunal a déclaré

"... qu'une prise de sang aux fins de rechercher la présence éventuelle d'anticorps VIH constitue une atteinte à l'intégrité physique de l'intéressé et ne peut être pratiquée sur un candidat fonctionnaire qu'avec le consentement éclairé de celui-ci.... en l'espèce, le requérant n'a pas établi qu'il a été soumis, à son insu, à un test spécifique de dépistage du sida, ni qu'un tel test lui a été demandé par la Commission comme condition préalable à son engagement. Le requérant n'a pas davantage établi qu'il a été soumis à un test biaisé de dépistage d'anticorps VIH, puisqu'il est constant entre les parties que le test hématologique en cause, à savoir la numération des lymphocytes T4 et T8, n'est pas susceptible d'établir la présence d'une éventuelle séropositivité. Enfin, il convient d'ajouter qu'en l'occurrence, compte tenu des anomalies relevées lors de l'anamnèse et de l'examen clinique, le médecin-conseil pouvait légitimement demander que soit pratiqué un tel test."

10 A cet égard, le requérant fait valoir que, contrairement à ce qu'affirme le Tribunal, il est établi qu'il a été soumis à un test de dépistage biaisé normalement utilisé pour contrôler l'évolution de la maladie chez les personnes atteintes du sida.

11 Il reproche également au Tribunal de ne pas avoir constaté qu'une prise de sang pratiquée aux fins de faire procéder, à l'insu du candidat fonctionnaire, à la numération lymphocytaire T4/T8 constitue une atteinte à son intégrité physique, alors que, au début du point 58 de l'arrêt, il a considéré qu'une prise de sang aux fins de rechercher la présence éventuelle d'anticorps VIH constitue une telle atteinte et ne peut être pratiquée qu'avec le consentement éclairé du candidat. Ce serait donc en méconnaissance de l'article 8 de la CEDH que le Tribunal a décidé, dans le même point, que "compte tenu des anomalies relevées lors de l'anamnèse et de l'examen clinique, le médecin-conseil pouvait légitimement demander que soit pratiqué un tel test".

12 Selon la Commission, le premier moyen est irrecevable dans la mesure où, en rejetant l'argumentation du requérant visant à établir qu'il avait été soumis, contre sa volonté et à son insu, à un test biaisé de dépistage du sida, le Tribunal s'est livré à une appréciation des faits qui ne pourrait être remise en cause par le requérant devant la Cour.

13 S'agissant de la question de savoir si la réalisation du test lymphocytaire en cause devait être soumise au consentement éclairé du candidat, sous peine de porter atteinte à son intégrité physique, la Commission souligne qu'un candidat se présentant à une visite médicale d'embauche accepte tacitement, mais certainement, que le médecin-conseil accomplisse sa mission, le cas échéant, en pratiquant certains tests complémentaires pour renforcer la fiabilité de son appréciation médicale. A cet égard, il conviendrait d'établir une distinction entre les différents stades de l'évolution de l'infection par le virus du sida.

14 Ainsi, la Commission relève que le fait d'être porteur asymptomatique du virus n'est pas en soi une cause d'inaptitude, le risque de transmission étant exclu dans les relations normales de travail. Il en résulterait que le test VIH, qui permet, le cas échéant, d'établir la séropositivité, n'est pas nécessaire pour que le médecin-conseil puisse remplir la mission décrite à l'article 12, paragraphe 2, sous d), du RAA et que, dès lors, pour le pratiquer, le consentement préalable et éclairé du candidat est requis.

15 Selon la Commission, la situation est cependant différente, lorsque l'apparition de certains symptômes cliniques permet d'établir médicalement qu'à coup sûr une personne séropositive est atteinte de la maladie et de prévoir des troubles dans un avenir relativement proche.

16 En l'espèce, la Commission observe qu'une numération des lymphocytes T4/T8 est apparue comme indispensable au médecin-conseil pour le bon accomplissement de sa mission. En effet, tant l'anamnèse que l'examen clinique effectué au cours de la visite médicale auraient suggéré l'existence d'une altération immunitaire qui, en elle-même, quelle qu'en soit l'origine, serait un élément important d'appréciation de l'aptitude d'un sujet à l'emploi, étant donné la sensibilité accrue aux infections: à tout moment, l'intéressé pouvait tomber gravement malade. Dès lors que l'examen était nécessaire pour que le médecin-conseil puisse accomplir sa mission, le requérant devrait être considéré comme y ayant consenti tacitement.

17 Selon la jurisprudence de la Cour, le droit au respect de la vie privée, consacré par l'article 8 de la CEDH et qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, constitue l'un des droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire (voir arrêt du 8 avril 1992, Commission/Allemagne, C-62/90, Rec. p. I-2575, point 23). Il comporte notamment le droit d'une personne de tenir son état de santé secret.

18 Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, des restrictions peuvent être apportées aux droits fondamentaux, à condition qu'elles répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général et qu'elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit protégé (voir Commission/Allemagne, précité, point 23).

19 L'article 13 du RAA prévoit que, avant qu'il ne soit procédé à son engagement, l'agent temporaire est soumis à l'examen médical d'un médecin-conseil de l'institution, afin de permettre à celle-ci d'assurer qu'il remplit les conditions d'aptitude physique, exigées par l'article 12, paragraphe 2, sous d). En application de cette dernière disposition, nul ne peut être engagé comme agent temporaire s'il ne remplit pas les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice de ses fonctions.

20 Or, si l'examen d'embauche sert un intérêt légitime des institutions communautaires, qui doivent être en mesure d'accomplir leur mission, cet intérêt ne justifie pas que l'on procède à un test contre la volonté de l'intéressé.

21 Si l'intéressé, après avoir été éclairé, refuse de donner son consentement à un test que le médecin-conseil estime nécessaire pour évaluer son aptitude à remplir les fonctions pour lesquelles il s'est porté candidat, ces institutions ne sauraient être obligées de supporter le risque de l'engager.

22 Le Tribunal a interprété les dispositions mentionnées ci-dessus en ce sens qu'elles ne comportaient l'obligation de respecter le refus de l'intéressé que pour le test spécifique du dépistage du sida, mais qu'elles permettaient de pratiquer tous les autres tests qui peuvent seulement faire naître des soupçons quant à la présence du virus du sida, comme c'est le cas pour le test lymphocytaire T4/T8, tout en constatant que les résultats de ce test ont amené le médecin-conseil à signaler au médecin traitant du requérant que la déficience immunitaire constatée pourrait être liée à la présence du virus du sida, ce qui aurait justifié un test complémentaire non seulement de détection du virus VIH-1, mais également du virus VIH-2 (point 47 de l'arrêt attaqué).

23 Cependant, le droit au respect de la vie privée exige que le refus de l'intéressé soit respecté dans sa totalité. Dès lors que le requérant avait expressément refusé de se soumettre à un test de dépistage du sida, ce droit s'opposait à ce que l'administration procède à tout test susceptible d'aboutir à soupçonner ou à constater l'existence de cette maladie, dont il avait refusé la révélation. Or, il résulte des constatations faites par le Tribunal que le test lymphocytaire en cause avait fourni au médecin-conseil des indications suffisantes pour conclure à la possibilité d'une présence du virus du sida chez le candidat.

24 Dans ces conditions, il convient d'annuler l'arrêt attaqué dans la mesure où il a retenu que, compte tenu des anomalies relevées lors de l'anamnèse et de l'examen clinique, le médecin-conseil pouvait légitimement demander que soit pratiqué un test lymphocytaire T4/T8 et où il a, par conséquent, rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation de la décision de la Commission du 6 juin 1989, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par le requérant.

25 L'affaire étant en état d'être jugée, conformément à l'article 54, premier alinéa, du statut (CEE) de la Cour de justice, il convient d'annuler, au vu de ce qui précède, la décision de la Commission, contenue dans la lettre du 6 juin 1989, par laquelle le directeur général du personnel et de l'administration a fait savoir au requérant qu'il ne satisfaisait pas aux conditions d'aptitude physique requises pour être engagé.

Sur la demande de l'indemnisation d'un dommage moral

26 Dans le recours T-13/90, le requérant a demandé la réparation du dommage moral qu'il a subi du fait des accusations qui ont été portées contre lui par le médecin de la Commission et qui auraient pu avoir des conséquences graves tant sur le plan moral que sur le plan psychologique. De plus, la Commission aurait publié au Journal officiel un résumé des demandes et moyens invoqués par le requérant dans son recours en annulation. Dès lors que le préambule de ce texte mentionnait les initiales et le lieu de résidence du requérant, la Commission aurait violé tant le principe de la stricte confidentialité qu'elle aurait dû respecter dans une affaire aussi délicate que son devoir de sollicitude.

27 Au point 75 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté cette demande au motif, notamment, qu'elle n'a pas fait l'objet d'une procédure administrative régulière au sens de l'article 90 du statut. Le requérant ne contestant pas cette constatation, il convient de rejeter le pourvoi quant à la demande en indemnisation.

Sur les dépens

28 L'article 70 du règlement de procédure prévoit que les frais exposés par les institutions dans les litiges les opposant à leurs agents restent à charge de celles-ci. Cependant, en vertu de l'article 122, du même règlement, cette disposition n'est pas applicable aux pourvois formés par les fonctionnaires ou autres agents des institutions. Il y a donc lieu d'appliquer l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, selon lequel toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens des deux instances. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) L'arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 1992, X/Commission (T-121/89 et T-13/90), est annulé dans la mesure où il a rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation de la décision de la Commission du 6 juin 1989.

2) La décision du 6 juin 1989, par laquelle la Commission des Communautés européennes a refusé d'engager M. X en qualité d'agent temporaire, pour une durée de six mois, en raison de son inaptitude physique, est annulée.

3) Le pourvoi quant à la demande en indemnisation est rejeté.

4) La Commission est condamnée à supporter les dépens des deux instances. Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

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