Jurisprudence : CJCE, 12-06-1986, aff. C-1/85, Horst Miethe c/ Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi)

CJCE, 12-06-1986, aff. C-1/85, Horst Miethe c/ Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi)

A8097AUG

Référence

CJCE, 12-06-1986, aff. C-1/85, Horst Miethe c/ Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1003441-cjce-12061986-aff-c185-horst-miethe-c-bundesanstalt-fur-arbeit-office-federal-allemand-de-lemploi
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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 juin 1986 (*)

Dans l'affaire C-1/85,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité, par le Bundessozialgericht et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Horst Miethe

et

Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi), Nuremberg,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 71, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2),

LA COUR (troisième chambre),

composée de MM. U. Everling, président de chambre, Y. Galmot et C. Kakouris,

juges,

avocat général: M. CO . Lenz

greffier : Mme D. Louterman, administrateur

considérant les observations présentées :

- pour la Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi), par M. Müller, agissant sur ordre du président de la Bundesanstalt für Arbeit,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Norbert Koch, membre de son service juridique, en qualité d'agent, assisté de M. Bernd Schulte, Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Sozialrecht, à Munich,

l'avocat général entendu en ses conclusions à l'audience du 27 février 1986,

rend le présent

ARRÊT

(Partie " En fait " non reproduite)

En droit

1. - Par ordonnance en date du 25 octobre 1984, parvenue à la Cour le 3 janvier 1985, le Bundessozialgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 71, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2).

2. - Ces questions sont posées dans le cadre d'un litige qui oppose M. Miethe à la Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral allemand de l'emploi) de Nuremberg.

3. - M. Horst Miethe, de nationalité allemande, a toujours vécu et travaillé en République fédérale d'Allemagne. Tout en poursuivant ses activités de représentant de commerce d'une firme allemande à Aix-la-Chapelle, M. Miethe déménagea le 19 novembre 1976, avec son épouse, à Eynatten (Limbusch), en Belgique, pour des raisons familiales tenant à ce que leurs enfants, qui fréquentaient un pensionnat belge, pouvaient ainsi se retrouver chaque soir en famille.

4. - M. Miethe, qui garda un bureau à Aix-la-Chapelle, où il conservait également une possibilité d'hébergement, fit, le 20 décembre 1977, une déclaration de résidence en cette ville aux fins de conserver sa carte d'identité professionnelle de voyageur de commerce. Son épouse en a fait autant quelques semaines plus tard, mais le couple est resté inscrit au registre de la population en Belgique.

5. - Lorsqu'il perdit son emploi à la fin du mois de septembre 1979, M. Miethe s'est mis à la disposition des services de l'emploi d'Aix-la-Chapelle et a réclamé des prestations de chômage à l'Office de l'emploi de cette ville, qui rejeta sa demande par décision du 17 décembre 1979 au motif qu'il n'avait ni domicile ni résidence habituelle en République fédérale d'Allemagne. La réclamation formée par l'intéressé contre cette décision a été rejetée le 7 décembre 1980. M. Miethe n'introduisit aucune demande d'allocations de chômage auprès des services belges et retrouva un emploi en Allemagne, le 1er mai 1980.

6. - M. Miethe s'est pourvu contre la décision précitée de l'Office de l'emploi devant le Sozialgericht Aachen, qui a rejeté son recours. Saisi en appel, le Landessozialgericht für das Land Nordrhein-Westfalen a, par arrêt du 15 décembre 1982, réformé le jugement du Sozialgericht et condamné l'Office fédéral de l'emploi à verser les allocations de chômage demandées à compter du 3 octobre 1979. Cet arrêt est fondé sur le fait que si, en vertu de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71, précité, l'intéressé a droit aux prestations de chômage de la part de l'institution de droit belge, cette disposition n'exclut pas pour autant l'application du droit national. Or, l'intéressé satisfait aux conditions édictées par la législation allemande pertinente, du fait qu'il est demeuré à la disposition de l'Office allemand de l'emploi et qu'il a conservé une résidence habituelle en République fédérale d'Allemagne.

7. - Saisi d'un recours en révision de cet arrêt par l'Office fédéral allemand de l'emploi, le Bundessozialgericht a, par ordonnance du 25 octobre 1984, décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) La compétence de l'institution du lieu de résidence en ce qui concerne les prestations servies à des travailleurs frontaliers en chômage complet prévue à l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement (CEE) n° 1408/71 exclut-elle le droit pour l'intéressé de réclamer des prestations à l'institution compétente de l'État d'emploi, alors même que, nonobstant une résidence à l'étranger, un tel droit lui est ouvert en vertu de la législation de l'État d'emploi, en raison, notamment, du fait que le frontalier en chômage demeure à la disposition des services de l'emploi de l'État où il a exercé son activité ?

2) Dans l'affirmative :

a) La compétence exclusive de l'institution du lieu de résidence, conformément à l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement (CEE) n° 1408/71, s'applique-t-elle également lorsque le travailleur frontalier :

- a jusqu'à présent constamment travaillé et jusqu'à ces dernières années également résidé dans l'État d'emploi, dont il est d'ailleurs ressortissant ;

- possède, au lieu d'exercice de son activité, un bureau qui lui sert tant à exercer son activité salariée qu'à chercher un emploi en période de chômage, étant entendu que cette recherche se concentre exclusivement dans l'État d'emploi ;

- dispose, parallèlement à son bureau, d'une possibilité d'hébergement, dont il se sert régulièrement une ou deux fois par semaine en période d'activité, et même plus fréquemment encore pendant la recherche d'un emploi ;

- est tenu informé par téléphone, par une tierce personne, des demandes de clients ou du service de l'emploi quand il est absent de son bureau ;

- enfin, tant à partir de son appartement situé près de la frontière que de son bureau, entretient ses relations professionnelles et privées exclusivement dans l'État où il a exercé son activité et où il a également l'ensemble de ses amis et connaissances ?

b) Y a-t-il lieu d'appliquer les dispositions de l'article 71, paragraphe 1, sous b), i), du règlement (CEE) n° 1408/71 à un travailleur frontalier 'atypique' dans le genre du demandeur ? "

Sur la première question

8. - La Bundesanstalt für Arbeit et la Commission s'accordent pour constater que l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71 édicté une règle spéciale dérogeant au principe général énoncé à l'article 13 du même règlement, selon lequel l'assuré est soumis à la législation de l'État membre dans lequel il est occupé, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité. Les dispositions de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), selon lesquelles le travailleur frontalier en chômage complet bénéficie des prestations selon la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside, n'ouvriraient aucune option aux travailleurs qui entrent dans le champ d'application de ce texte et feraient obstacle à ce qu'ils puissent bénéficier de prestations au titre de la législation de l'État membre du dernier emploi.

9. - Il est à relever que les travailleurs en chômage complet autres que frontaliers disposent, en vertu de l'article 71, sous b), du règlement n° 1408/71, précité, d'une option entre les prestations de l'État d'emploi et celles de l'État de résidence.

Ils exercent cette faculté d'option en se mettant à la disposition soit des services de l'emploi de l'État du dernier emploi [article 71, paragraphe 1), sous b), i)], soit des services de l'emploi de l'État de résidence [article 71, paragraphe 1, sous b), ii)].

10. - Cette faculté d'option n'est pas ouverte aux travailleurs frontaliers en chômage complet qui, en vertu des dispositions dépourvues d'ambiguïté de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), bénéficient des seules prestations de l'État de résidence.

11. - La simple circonstance que la législation de l'État membre d'emploi, considérée isolément sans référence aux dispositions du règlement n° 1408/71, précité, ouvrirait un droit à prestations à un travailleur frontalier en chômage complet résidant dans un autre État membre ne saurait conduire à reconnaître, au profit d'un tel travailleur, une faculté d'option qui lui est refusée par l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii). Une telle solution méconnaîtrait la portée du règlement n° 1408/71, qui vise, selon son cinquième considérant, à coordonner les législations nationales de sécurité sociale dans le cadre de la libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres.

12. - Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu'un travailleur frontalier en chômage complet relevant du champ d'application de ces dispositions peut exclusivement prétendre aux prestations de l'État membre de résidence, alors même qu'il remplirait les conditions exigées par la législation de l'État membre du dernier emploi pour l'octroi d'un droit à prestations.

Sur la deuxième question

13. - Par cette question, le Bundessozialgericht vise en substance à savoir si un travailleur en chômage complet qui, tout en répondant aux critères du travailleur frontalier posés par l'article 1er , sous b), du règlement n° 1408/71, précité, a conservé avec l'État du dernier emploi des liens professionnels et personnels particulièrement étroits doit être regardé comme relevant du champ d'application de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), ou de celui de l'article 71, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

14. - Selon la Bundesanstalt für Arbeit, dès lors qu'un travailleur en chômage complet répond aux critères du travailleur frontalier posés par l'article 1er, sous b), il rentre dans le champ d'application de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), et ne peut prétendre qu'aux prestations de l'État de résidence. La distinction suggérée par l'ordonnance de renvoi entre " travailleurs frontaliers véritables ", qui relèveraient de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), et "travailleurs frontaliers atypiques", qui relèveraient de l'article 71, paragraphe 1, sous b), ne trouverait aucun fondement dans le texte de l'article 71. Elle rendrait difficile pour l'administration l'application de l'article 71 du règlement n° 1408/71 et serait susceptible de donner lieu à des abus en imposant une charge financière injustifiée à l'organisme de sécurité sociale de l'État d'emploi chaque fois que les prestations qu'il verse seraient supérieures à celles de l'État de résidence.

15. - Selon la Commission, l'article 71 du règlement n° 1408/71, précité, vise à permettre aux travailleurs migrants concernés de percevoir les prestations de chômage là où celles-ci sont généralement les plus favorables pour eux. Dans le cas normal, un " vrai " travailleur frontalier vit dans l'État de résidence où il a sa famille et ses amis, et où il exerce ses activités sociales et politiques. Il serait donc normal que l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), prévoie qu'en cas de chômage complet il relève des institutions de cet État de résidence. En revanche, il n'en irait pas de même pour certains travailleurs qui entretiennent des relations beaucoup plus étroites avec l'État du dernier emploi qu'avec l'État de résidence et qui sont, en réalité, de " faux travailleurs frontaliers ". Il conviendrait de permettre à de tels travailleurs de bénéficier des dispositions de l'article 71, paragraphe 1, sous b), i), du règlement n° 1408/71, qui leur ouvrent droit aux prestations de l'État du dernier emploi.

16. - Il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l'a déjà jugé (arrêts du 15 décembre 1976, Bestuur der Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid/L. Mouthaan, 39/76, Rec. p. 1901, et du 27 mai 1982, Aubin, 227/81, Rec. p. 1991), les dispositions de l'article 71 du règlement n° 1408/71 visent à assurer au travailleur migrant le bénéfice des prestations de chômage dans les conditions les plus favorables à la recherche d'un nouvel emploi. Ces prestations comportent non seulement des allocations en argent, mais également l'aide au reclassement professionnel qu'apportent les services de l'emploi aux travailleurs qui se sont mis à leur disposition.

17. - Il faut admettre, dans cette perspective, que, en posant la règle selon laquelle, en cas de chômage complet, un travailleur frontalier répondant à la définition de l'article 1er, sous b), bénéficie exclusivement des prestations de l'État de résidence, l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), a présumé implicitement qu'un tel travailleur bénéficiait, dans cet État, des conditions les plus favorables à la recherche d'un nouvel emploi.

18. - L'objectif poursuivi par l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71 ne peut cependant être atteint lorsqu'un travailleur en chômage complet, bien que répondant aux critères fixés par l'article 1er, sous b), du même règlement, a exceptionnellement conservé dans l'État du dernier emploi des liens personnels et professionnels tels que c'est dans cet État qu'il dispose des meilleures chances de réinsertion professionnelle. Un tel travailleur doit alors être regardé comme " autre qu'un travailleur frontalier", au sens de l'article 71, et relève, en conséquence, du champ d'application du paragraphe 1, sous b), de cet article.

19. - Il appartient, dans un tel cas, à la seule juridiction nationale de déterminer si un travailleur qui réside dans un autre État que l'État d'emploi a néanmoins conservé, dans ce dernier État, ses meilleures chances de réinsertion professionnelle et doit, en conséquence, relever du champ d'application de l'article 71, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1408/71.

20. - Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question qu'un travailleur en chômage complet qui, tout en répondant aux critères posés par l'article 1er, sous b), du règlement n° 1408/71, a conservé dans l'État membre du dernier emploi des liens personnels et professionnels tels qu'il y dispose des meilleures chances de réinsertion professionnelle doit être regardé comme un " travailleur autre que frontalier ", relevant du champ d'application de l'article 71, paragraphe 1, sous b). Il appartient à la seule juridiction nationale de déterminer si un travailleur se trouve dans une telle situation.

Sur les dépens

21. - Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

statuant sur les questions préjudicielles à elle soumises par le Bundessozialgericht, par ordonnance du 25 octobre 1984, dit pour droit :

1) L'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu'un travailleur frontalier en chômage complet relevant du champ d'application de ces dispositions peut exclusivement prétendre aux prestations de l'État membre de résidence, alors même qu'il remplirait les conditions exigées par la législation de l'État membre du dernier emploi pour l'octroi d'un droit à prestations.

2) Un travailleur en chômage complet qui, tout en répondant aux critères posés par l'article 1er, sous b), du règlement n° 1408/71, a conservé dans l'État membre du dernier emploi des liens personnels et professionnels tels qu'il y dispose des meilleures chances de réinsertion professionnelle doit être regardé comme un " travailleur autre que frontalier ", relevant du champ d'application de l'article 71, paragraphe 1, sous b). Il appartient à la seule juridiction nationale de déterminer si un travailleur se trouve dans une telle situation.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juin 1986.

Le greffier, P. Heim

Le président de la troisième chambre, U. Everling

* Langue de procédure: l'allemand.

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