La lettre juridique n°945 du 11 mai 2023 : Fiscalité internationale

[Focus] Planification fiscale agressive : quand la lutte est possible sans violer le secret professionnel ou l’histoire d’une leçon luxembourgeoise

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par Thomas Gallice, Élève Avocat au sein du cabinet Sand Avocats ; Sous la direction de Clarisse Sand, avocat associé au sein du cabinet Sand avocats et présidente de l'Institut du droit pénal fiscal et financier (IDPF²)

le 11 Mai 2023

Mots-clés : secret professionnel • avocat • Directive « DAC 6 »

Par un arrêt grande chambre du 8 décembre 2022 [1], la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle la protection conférée par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux à la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients.

La Cour affirme que l’obligation imposée par la Directive « DAC 6 » à l’avocat d’informer les autres intermédiaires impliqués dans le cadre de planifications fiscales transfrontières potentiellement agressives n’est pas nécessaire et viole le droit au respect des communications avec son client.

Par une décision du 14 avril 2023 [2], le Conseil d'État prend acte de cet arrêt et confirme que l'avocat ne peut pas notifier l'obligation déclarative à tout autre intermédiaire qui n'est pas son client, se mettant ainsi en conformité avec la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne.

La haute juridiction française rappelle cependant que l'avocat peut transmettre les informations nécessaires à son client ou être autorisé par celui-ci à procéder à la déclaration sans violer le secret professionnel.

Ces deux arrêts nous donnent ainsi l’occasion de revenir sur les circonstances ayant mené à l’élaboration de la Directive européenne et d’analyser le dévoiement d’un dispositif initialement légitime et bien conçu.


 

Une Directive qui a permis aux États membres de « tordre le cou » du secret professionnel de l’avocat

La Directive 2018/822 du Conseil de l'Union européenne, également connue sous le nom de « Directive DAC 6 » (Directive (UE) n° 2018/822 du Conseil, 25 mai 2018, modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration N° Lexbase : L6279LKR), a été adoptée le 25 mai 2018, et est entrée en vigueur le 25 juin 2018. Elle a pour objectif de lutter contre l'évasion fiscale au sein de l’Union européenne en imposant aux États membres de mettre en place des dispositifs de reporting obligatoire pour certaines transactions transfrontalières qui présentent un risque élevé de fraude fiscale ou de manquement aux obligations fiscales.

La Directive « DAC 6 » s'applique aux intermédiaires (tels que les avocats, les conseillers fiscaux, les comptables, etc.) et aux contribuables qui effectuent des transactions transfrontalières dès lors qu’elles satisfont à certaines conditions.

Les intermédiaires ont l'obligation de déclarer ces transactions à l'autorité fiscale de leur pays d'origine, qui doit alors les transmettre aux autorités fiscales des autres pays concernés.

L’obligation documentaire créée par la Directive doit être effectuée dans les 30 jours suivant la mise à disposition ou la mise en œuvre de tout dispositif transfrontière potentiellement agressif au plan fiscal et contenant certaines caractéristiques, certains « marqueurs ».

Pour tenir compte de la spécificité du secret professionnel de l’avocat, la Directive avait posé un certain nombre d’exceptions :

  • L'exception de secret professionnel : si la déclaration de la transaction mettait en péril le secret professionnel de l'avocat, celui-ci n'est pas tenu de déclarer la transaction.
  • L'exception de défense juridique : si l'avocat est mandaté pour assurer la défense juridique d'un contribuable dans le cadre d'un litige fiscal, il n'est pas tenu de déclarer la transaction.
  • L'exception de conseil fiscal général : si l'avocat donne un conseil fiscal général qui ne concerne pas une transaction spécifique, il n'est pas tenu de déclarer la transaction.

Comme la France, qui a transposé la Directive « DAC 6 » en droit national par une ordonnance adoptée en Conseil des ministres le 21 octobre 2019 (et publiée le 22 octobre au Journal officiel de la République française sous le n° 2019-1068) [3], la Belgique avait fait le choix de transposer la Directive en incluant les avocats dans la catégorie des intermédiaires soumis à l’obligation documentaire dans des conditions telles que la réponse à la question de savoir si la transposition mettait en péril du secret professionnel de l’avocat était devenue impérieuse.

C’est ce qu’est ainsi venue trancher la grande chambre de la Cour dans son arrêt du 8 décembre 2022.

Une Directive issue d’une inspiration d’un dispositif américain galvaudé

Contrairement à l’idée reçue et véhiculée, cette Directive européenne 2018/822 n’est pas la première étape de réflexion autour de l’enjeu de la nécessité d’encadrer une déclaration de dispositifs transfrontières.

En septembre 2006, l’OCDE lançait déjà une étude sur les intermédiaires fiscaux en analysant les systèmes essentiellement anglo-saxons, et ce peu après la troisième réunion du Forum sur l’administration de l’impôt de Séoul (Corée).

Dans le cadre de cette étude, remise en 2009, il était fait une analyse précise du régime américain qui est exactement le régime qu’a choisi l’Union européenne pour créer une telle déclaration au niveau européen.

En effet, le système américain a un dispositif des « transactions soumises à obligation de déclaration » (« reportable transactions ») depuis 2004. Ce dispositif a pour principal objectif d’améliorer la transparence, de dissuader la promotion de dispositifs abusifs d'évasion fiscale et d’assurer une détection rapide de la planification fiscale agressive.

Il requiert la notification à l'IRS :

  • des « transactions répertoriées » – c’est-à-dire celles correspondant totalement ou largement aux opérations d’évasion fiscale identifiées par l’IRS ou le département du Trésor américain dans leurs textes de référence ;
  • des « transactions soumises à obligation de déclaration » – celles qui (en sus des transactions répertoriées) sont potentiellement abusives, mais n’ont pas été désignées comme opérations d’évasion fiscale.

Ces exigences de communication s'appliquent aux contribuables qui recourent à des transactions soumises à une obligation de déclaration et aux conseillers importants (« material advisors ») qui en font la promotion à l’exclusion des avocats.

Suivant ce qui précède, nous ne pouvons que constater que la Directive européenne 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 est donc le fruit non pas d’une construction européenne ex nihilo de ce dispositif, mais d’un « copié collé » d’un dispositif américain dévoyé qui n’a pas été analysé quant à la qualité des intermédiaires visés.

Ainsi, la Directive précitée, voulue afin de renforcer la transparence fiscale au sein de l’Union, n’est donc pas, comme le soulignait l’Assemblée nationale dans son rapport d’information du 17 septembre 2019 [en ligne], une nouvelle Directive qui s’inscrit uniquement dans le cadre de l’action 12 « Règles de communication obligatoire d’informations » du projet BEPS de l’OCDE visant à empêcher les stratégies d’optimisation fiscale des entreprises qui profitent de l’absence d’une harmonisation fiscale au niveau international afin de transférer leurs profits vers les États à fiscalité privilégiée.

Au contraire, elle s’inscrit dans la droite ligne d’un dispositif américain et a choisi, à l’instar du dispositif outre-Atlantique, d’inclure les avocats dans le dispositif malgré le caractère historiquement absolu de leur secret professionnel.

Une Directive intrinsèquement en contradiction avec le droit primaire de l’Union européenne ?

Lorsque les institutions de l’Union européenne adoptent des textes de droit dérivé sur proposition de la Commission, elles sont tenues de respecter le droit primaire c’est-à-dire les Traités de l’Union (TUE et TFUE), la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui a valeur de Traité, comme le précise l’article 6 TUE, et les arrêts de la Cour de justice en vertu de sa compétence exclusive d’interprétation du droit de l’Union, prévue par l’article 19 TUE.

Il en résulte que lorsque la Commission européenne fait une proposition au Conseil, après avis du Parlement européen et du Comité économique et social, elle est tenue de respecter l’ensemble des règles issues du droit primaire et des arrêts de la Cour de justice.

Il n’est pas rare que la Cour de justice annule un texte de droit dérivé en raison d’une atteinte par l’institution concernée, à l’une de ces règles.

Qu’il suffise de penser à l’exemple récent d’une invalidation par la Cour de justice, de la décision de la Commission concernant le « bouclier de sécurité » (Privacy shield), qui ne présentait pas les garanties suffisantes de protection des données personnelles susceptibles d’être transférées vers les États-Unis (CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18, Facebook Ireland Ltd N° Lexbase : A26443RD).

Dans un arrêt de grande chambre du 6 mars 2014 (Commission européenne/Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, affaire C-43/12), la Cour de justice a annulé la Directive 2011/82/UE facilitant l’échange frontalier d’informations concernant les infractions routières, au motif que cette Directive ne se rattachait pas directement aux objectifs qu’elle a fixés.

La Cour de justice exerce donc un contrôle de légalité relatif au choix des bases juridiques retenues pour adopter des textes de droit dérivé et à l’adéquation des solutions retenues par rapport aux objectifs fixés, le tout dans le respect du droit primaire et des principes généraux du droit de l’Union européenne.

Bien qu’il semble que personne n’ait saisi l’opportunité, d’introduire une action tendant à l’annulation de la Directive en ce qu’elle a considéré les avocats comme susceptibles d’être intermédiaires concernés par l’obligation documentaire, l’interprétation des États membres lors de sa transposition, a eu en pratique, pour conséquence, une extension excessive de son champ d’application. Cet élargissement évitable a porté atteinte à l’effet utile du droit de l’Union européenne.

En effet, même lorsqu’ils disposent d’un large pouvoir d’appréciation, les États membres exercent dans ce cadre, une compétence propre, mais encadrée par le droit primaire de l’Union européenne et les principes généraux du droit européen.

Cette dérive fut rendue possible par l’imprécision du texte même de la Directive et par le fait que la version finale constitue le résultat de nombreux débats et rééquilibrages politiques intervenus durant la phase d’adoption du texte.

Certes, il est constant que les États membres conservent le choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés par la directive concernée, mais encore faut-il que ceux soient clairement exprimés et que son champ d’application soit raisonnablement défini.

Force est de constater que les notions « d’intermédiaire », de « dispositif », de « marqueur », de « dispositifs commercialisables » sont très imprécises et que, ce faisant, la Directive elle-même a ouvert le champ des atteintes aux droits fondamentaux des droits de la défense, de la protection de la vie privée et de la garantie du procès équitable, que la Commission doit pourtant elle-même veiller à respecter, comme elle n’hésite pas à l’affirmer dans ses considérants. 

Il faut également observer que dans la Directive (UE) 2018/843 du Parlement et du Conseil, du 30 mai 2018, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux ou du financement du terrorisme, la Commission européenne précise au considérant 45 de cette Directive, que : « Les États membres devraient veiller à ce que toutes les entités assujetties fassent l’objet d’une surveillance efficace et impartiale, de préférence par des autorités publiques par l’intermédiaire d’une autorité nationale de régulation ou de surveillance distincte et indépendante ».

Il est manifeste que la Commission ne vise pas, dans ce considérant, la profession d’avocat, laquelle est soumise depuis des siècles au contrôle de l’autorité créée par la loi, qui est le Conseil de l’Ordre sous l’autorité du bâtonnier.

Face à cette situation, l’éclairage de la Cour de justice s’avérait ainsi nécessaire et indispensable. Il convenait dès lors de l’interroger par la voie préjudicielle organisée par l’article 267 TFUE.

L’obligation pour les États membres d’opérer une transposition de la Directive en conformité avec le droit primaire et les principes généraux du droit de l’Union européenne

La compétence de transposition des Directives par les États membres est donc encadrée par le droit européen primaire, par les principes généraux du droit de l’Union européenne et par les limites que fixe la Directive elle-même en définissant les objectifs à atteindre par les États membres, tout en leur laissant le choix des moyens pour y arriver.

Ces principes étant rappelés, la Cour de justice s’est prononcée à l’égard de situations dans lesquelles, le texte de droit dérivé présentait, comme en l’espèce, des imprécisions et ambigüités.

À l’égard de la Directive 91/208 du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux (modifiée par la Directive 2001/97 du 4 décembre 2001), qui imposait également aux avocats des obligations d’information et de coopération avec les autorités publiques, la Cour a précisé que : «  Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 6, paragraphe 3, second alinéa, de la Directive 91/308 peut se prêter à plusieurs interprétations, de sorte que l’étendue précise des obligations d’information et de coopération pesant sur les avocats n’est pas dépourvue d’ambigüité ».

Elle a ajouté que : «  Il incombe aux États membres, non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme au droit communautaire, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation du texte de droit dérivé qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire ou avec les autres principes généraux du droit communautaire » (CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone c/ Conseil des ministres N° Lexbase : A9284DWR, points 27 et 28).

 

Il est important d’observer que cet arrêt, prononcé en grande chambre, est intervenu en 2007, à une époque où la Charte des droits fondamentaux n’avait pas encore été élevée au rang de Traité par l’article 6 du TUE, entré en vigueur en 2009. Cette valeur de traité, juridiquement contraignante pour les États membres et pour les Institutions européennes, renforce de façon significative la position développée par la Cour de justice dans l’arrêt précité.

Les États membres sont tenus de respecter les arrêts de la Cour de justice, qui ont une force contraignante erga omnes et ils ne peuvent pas porter atteinte à l’effet utile du droit de l’Union européenne.

La Cour de justice, dans l’arrêt précité, ajoute encore que : «  L’avocat ne serait pas en mesure d’assurer sa mission de conseil, de défense et de représentation de son client de manière adéquate, et celui-ci  serait par conséquent privé des droits qui lui sont conférés par l’article 6 de la CEDH, si l’avocat, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou de sa préparation, était obligé de coopérer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations obtenues lors de consultations juridiques ayant lieu dans le cadre d’une telle procédure » (Point 32).

Il ne fait guère de doute que la nécessité de préciser le champ d’application ratione materiae d’un texte de droit dérivé invitant les États membres à prévoir en droit national une obligation de déclaration aux autorités publiques de « montages » ou « constructions contractuelles » s’avère essentielle et appelle à la plus grande prudence.

Il est constant qu’il n’appartient pas aux États membres, malgré leur compétence propre et exclusive de transposition et de la marge d’appréciation dont ils disposent, de s’écarter des objectifs fixés par la Directive et qu’ils doivent, en cas d’imprécisions ou de possibilités d’interprétations diverses, choisir la voie la plus respectueuse du droit primaire et des principes généraux du droit de l’Union européenne.

En d’autres termes, il ne s’agit pas de « profiter » des silences et des insuffisances d’une Directive pour en étendre le champ d’application, quitte à porter atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte annexée aux traités européens.

Il ne pouvait ainsi être sérieusement contesté que l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux s’appliquait à la Directive « DAC 6 ». Cet article dispose ainsi que :

  1. Toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés . Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
  2. Les dispositions de la présente Charte reconnaît des principes peuvent être mis en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de légalité de tels actes
  3. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.

Dans cet arrêt du 8 décembre 2022 de la Cour de justice, nous sommes bien dans une situation dans laquelle l’État belge a mis en œuvre le droit de l’Union en transposant la Directive DAC 6.

Celui-ci est donc bien tenu, dans ce cadre précis, de respecter les droits fondamentaux prévus par la Charte, au rang desquels figure le respect de la vie privée et le droit à un procès équitable, dont le secret professionnel de l’avocat est « une composante essentielle » (voir arrêt n° 114/2020 du 24 septembre 2020, B.9.1 de la Cour constitutionnelle de Belgique).

Il semblait ainsi juridiquement logique de pouvoir soutenir que, en étendant aux avocats l’obligation de déclaration prévue par la Directive DAC 6, tel que développé et précisé par le décret flamand querellé, le législateur belge a violé le droit de l’Union européenne et plus particulièrement les articles 4 paragraphe 3 du TUE et 2 paragraphe 2 du TFUE , les articles 7, 8 et 48 de la Charte des droits fondamentaux ainsi que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le nécessaire respect du secret professionnel de l’avocat sous l’angle du droit de l’Union européenne

Le secret professionnel de l’avocat procède de la spécificité même de la profession d’avocat.

C’est en ces termes que s’exprime l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions rendues sous l’arrêt « OBFG » précité du 26 juin 2007.

Il a considéré que la Directive sous examen dans cette affaire, imposait aux avocats de trahir le      secret professionnel qu’ils ont pour devoir de respecter (Point 53, I-5325 du Recueil de la Cour). Avec beaucoup de nuances, l’avocat général a mis en lumière la raison d’être du secret professionnel de l’avocat, qui réside dans la relation de confiance qui doit exister entre le client et l’avocat, en précisant que cette relation qualifiée de fragile doit être protégée.

Dans ses conclusions, l’avocat général achève son raisonnement en précisant que chaque fois que l’avocat exerce son métier en déployant les activités spécifiques de celui-ci, à savoir la représentation en justice et la fourniture de services juridiques (Point 60, I-5327), le secret professionnel doit être sauvegardé et les principes généraux du droit de l’Union ainsi que les droits fondamentaux garantis par la Charte, pleinement respectés.

Dans son arrêt du 6 juin 2019 (CJUE, 6 juin 2019, aff. C-264/18, P. M. N° Lexbase : A4213ZDE), rendu sur une question préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle de Belgique, la Cour de justice a donné à la relation de confiance nécessaire et caractéristique du rapport entre le client et son avocat, son plein effet en estimant que celle-ci justifie l’exclusion des avocats du champ d’application de la Directive du 16 mars 2010, sur la passation des marchés publics (Directive (CE) n° 2010/24 du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures N° Lexbase : L8286IGY).

Elle a insisté sur la confidentialité de la relation entre l’avocat et son client, en précisant qu’elle a pour objet de : « …sauvegarder le plein exercice des droits de la défense des justiciables (et) protéger l’exigence selon laquelle tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat » (Point 37).

Les principes dégagés par cet arrêt sont parfaitement clairs et il convient dès lors que le législateur national les respecte, sans imposer aux avocats de porter atteinte au secret professionnel qui constitue pour eux un devoir, et pour leurs clients une garantie essentielle.

(Voir Buyle et Van Gerven, Le fondement et la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’intérêt de son client, JT 2012, p 327).

En l’espèce, il était certain que les obligations prévues par le décret belge et qui imposaient aux avocats des déclarations aux autorités publiques, allaient mettre à mal la relation de confiance nécessaire entre l’avocat et son client et produire un effet très négatif sur la liberté garantie aux justiciables de s’adresser librement à l’avocat de leur choix, liberté qui est protégée spécifiquement par la Cour de justice dans l’arrêt précité.

Une décision attendue et juridiquement prévisible

C’est finalement la Cour Constitutionnelle belge, peut-être plus sensible au respect du droit européen qui aura permis en premier l’examen d’une question préjudicielle s’interrogeant sur la conformité de l’obligation d’informer les autres intermédiaires avec l’impératif de respect du secret professionnel auquel sont tenus les avocats.

Suite à la transmission de cette question, la Cour de justice a très justement relevé que cette obligation de notification implique forcément pour les destinataires, le dévoilement de l’identité de l’avocat intermédiaire, mais également la divulgation de son analyse selon laquelle le dispositif fiscal en cause doit faire l’objet d’une déclaration ainsi que du fait qu’il est consulté à son sujet.

Il s’agit donc d’après la Cour de Luxembourg, d’une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux. Mais il s’agit également d’une seconde ingérence dans le droit au secret professionnel, cette fois-ci indirect, du fait de l’obligation pour les autres intermédiaires d’informer les autorités fiscales compétentes de l’identité et de la consultation de l’avocat.

Cependant, le droit de l’Union européenne ne sanctionne pas automatiquement toute ingérence : il n’en sera ainsi que lorsqu’aucune justification ne saurait être apportée à celle-ci.

C’est ce manque de justification qui fait de l’obligation de notification prévue par la directive, une obligation non nécessaire et violant le droit au respect des communications entre l’avocat et son client, puisque ne répondant pas à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne et n’étant pas nécessaires à la poursuite de ces objectifs.

Ainsi, cette obligation de notification pour l’avocat, pas plus que la divulgation, par les tiers intermédiaires notifiés, de l’identité et de la consultation de l’avocat intermédiaire à l’administration fiscale n’est pas considérée par la Cour comme nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt général reconnue par l’Union que constitue la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscale.

Il est ainsi mis en avant par la Cour le fait que tous les autres intermédiaires non soumis au secret professionnel sont tenus de transmettre ces informations aux autorités fiscales compétentes sans pouvoir se décharger sur l’avocat intermédiaire et qu’aucun d’entre eux ne peut prétendre qu’il ignorait les obligations de déclaration, clairement énoncées dans la directive, auxquelles il est directement et individuellement soumis. Il est également rappelé qu’à défaut d’intermédiaire, il incombe au contribuable directement concerné de remplir cette obligation de déclaration.

La Cour de Justice de l’Union européenne, se basant sur l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, procède ainsi à un juste rappel du périmètre de la protection de la confidentialité de toute correspondance entre individus qui est assuré par celui-ci et insiste sur sa protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients.

Protection d’autant plus essentielle et justifiée par le fait, que, comme l’énonce le point 28 de cet arrêt : « les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables (CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, Michaud c/ France N° Lexbase : A3982IY7). Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client (CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes, quest. préj. N° Lexbase : A5944AUP) ».

Ainsi et sauf dans des situations exceptionnelles, les clients doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que, sans leur accord, leur avocat ne divulguera à personne le fait qu’ils le consultent, socle de la relation de confiance liant un client à son avocat…

Une réaction française rapide et bienvenue

Dans sa décision du 14 avril 2023, le Conseil d’État a pris acte de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne de manière diligente et en a tiré les conséquences sur le plan juridique, clôturant ainsi un contentieux suspendu depuis sa décision du 25 juin 2021 [4].

Étaient initialement débattues les dispositions du deuxième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du CGI N° Lexbase : L8506LXC et de l'article 1729 C ter du même Code N° Lexbase : L9977LSC. Ces dispositions prévoient que les intermédiaires soumis à une obligation de secret professionnel doivent notifier à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe s'ils n'ont pas obtenu l'accord de leur client pour souscrire la déclaration.

Le Conseil d’État décide ainsi que ces alinéas, qui réitèrent des dispositions de la Ddu 15 février 2011 modifiée, méconnaissent les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en tant qu'elles imposent à l'intermédiaire, lorsqu'il est un avocat, de procéder à une notification à un intermédiaire qui n'est pas son client.

Par conséquent, les dispositions du quatrième et dernier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du CGI et celles de l'article 1729 C ter du même Code, qui répriment les manquements à l'obligation de notification, sont également invalidées en ce qu'elles concernent l'obligation de notification à un autre intermédiaire qui n'est pas le client de l'avocat intermédiaire.

A contrario, il convient de relever la possibilité pour l'avocat de transmettre les informations nécessaires à son client, ou être autorisé par celui-ci à procéder à la déclaration, sans violer le secret professionnel…

En définitive, si depuis quelques mois le secret professionnel de l’avocat semblait à la peine, il semble encore possible de compter sur la Cour de Luxembourg pour mettre aux pas les États membres, comme l’illustrent très bien ces importants arrêts, marqueurs de la limite à ne pas franchir en matière de secret professionnel des avocats.

 

[1] CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-694/20, Orde van Vlaamse Balies N° Lexbase : A02048Y9.

[2] CE 3° et 8° ch.-r., 14 avril 2023, n° 448486, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A18659Q7.

[4] CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2021, n° 448486, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41334XD.

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