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par Vincent Vantighem
le 09 Janvier 2023
Ils se connaissent par cœur. En première instance, ils ont passé plus de cinq cents heures à ferrailler autour d’un petit comprimé blanc qui a fait tant de mal. Les avocats des laboratoires Servier et ceux des victimes du Mediator vont encore passer près de six mois ensemble. Le procès en appel du scandale sanitaire s’est ouvert, lundi 9 janvier. Il doit s’achever le 29 juin et promet d’âpres débats plus de dix ans après l’éclatement de l’affaire.
C’était en 2010. À l’époque, la pneumologue de Brest (Finistère) Irène Frachon révélait le désastre dans un petit livre au titre terrifiant : Mediator, combien de morts ? À l’époque, elle ne pouvait pas répondre à la question, mais redoutait le pire. Elle n’avait pas tort… Mis sur le marché en 1976, le Mediator était censé traiter le diabète. Mais il avait rapidement été détourné de sa fonction première pour être prescrit comme un coupe-faim à environ 5 millions de personnes en France. Problème, il est à l’origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Au total, les études estiment de 1 500 à 2 000 le nombre de personnes décédées des suites de la prise de ces comprimés. Sans compter ceux qui souffrent encore de ses effets indésirables.
Une réalité sur laquelle le tribunal judiciaire de Paris avait mis des mots et des peines. Le 29 mars 2021, à l’issue d’une audience aussi fleuve que technique, il avait fini par condamner les laboratoires Servier à une amende de 2,7 millions d’euros et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à une amende de 303 000 euros. Les deux structures avaient été reconnues coupables de « tromperie aggravée » et « d’homicides et blessures involontaires ». En l’absence de Jacques Servier, le président historique du groupe décédé en 2014 durant l’enquête, c’est son bras droit Jean-Philippe Seta qui avait alors écopé de la peine la plus lourde : quatre ans de prison avec sursis et 90 000 euros d’amende.
Les parties civiles un peu déçues du jugement rendu en première instance
Mais le tribunal avait choisi de relaxer les prévenus des chefs « d’escroquerie » et « d’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché ». Raison pour laquelle le parquet de Paris avait immédiatement interjeté appel du jugement et pour laquelle tout ce petit monde va se retrouver durant des semaines sur l’île de la Cité de Paris où siège la cour d’appel.
Car le compte n’y est pas vraiment pour l’accusation et les 7 500 parties civiles. Et notamment pour Charles Joseph-Oudin, l’un des avocats qui en défend 1 200 depuis des années. En première instance, il avait regretté la « faible » peine d’amende prononcée à l’encontre des laboratoires. « Ils sont condamnés à 2,7 millions d’euros alors qu’ils font 10 millions d’euros de chiffre d’affaires par jour ! », avait-il réagi. Même sentiment quant aux dommages et intérêts décidés par le tribunal. Selon des estimations, les laboratoires Servier ont été condamnés à verser environ 180 millions d’euros aux victimes des effets indésirables qui en réclamaient un milliard… « Le Mediator reste une opération juteuse pour Servier », avait aussi indiqué, à ce propos, Charles Joseph-Oudin.
Le procès devrait également placer l’Assurance maladie au cœur de cette affaire de gros sous. En première instance, les parties civiles avaient en effet réclamé 450 millions d’euros spécifiquement pour la « Sécu », estimant qu’il était anormal qu’elle ait eu à supporter le remboursement d’un médicament avec lequel les laboratoires Servier avaient « trompé » leur monde. Sans parler des traitements pour soigner les conséquences de la prise du médicament litigieux.
Les laboratoires Servier contestent toujours les faits
Sauf que les laboratoires pharmaceutiques le contestent toujours aujourd’hui. Comme en première instance, leur ligne de défense devrait donc consister à dire qu’ils ignoraient la dangerosité du médicament lorsqu’ils l’ont commercialisé, en dépit des nombreuses alertes émises au fil des années. « Cela questionne la façon dont ils ont reçu le jugement et en ont tiré les enseignements », critique déjà Charles-Joseph Oudin. Tout comme son confrère de la partie civile Jean-Christophe Coubris. « Au premier jour de la mise sur le marché de ce médicament, ils avaient parfaitement connaissance des effets secondaires gravissimes », pense-t-il.
Ce sera désormais à la cour d’appel de se faire sa propre idée. Tout au long des six mois, une centaine de témoins sont attendus à la barre, dont une soixantaine spécifiquement à la demande des laboratoires Servier. Les victimes, elles, pourront suivre les débats via une webradio comme cela avait déjà été mis en place lors des procès-fleuves des attentats du 13 novembre et de Nice récemment.
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