Réf. : CAA Nancy, 1ère ch., 10 juin 2013, n° 11NC01257, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7380KGG)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 11 Juillet 2013
Depuis l'arrêt "Tropic", tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif peut former devant le juge du contrat un recours contestant la validité de ce contrat assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires (CE, S., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW). Les pouvoirs du juge du contrat sont ainsi très étendus : pouvoir de résiliation, de modification, d'annulation totale ou partielle du contrat avec éventuellement une modulation dans le temps de ses effets, pouvoir d'indemnisation et pouvoir d'injonction. Il dispose aussi du pouvoir de ne rien faire si l'intérêt général s'y oppose. On retrouve ici la réaffirmation du principe consacré par l'arrêt "Institut de recherche pour le développement" selon lequel l'annulation d'un acte détachable d'un contrat n'implique pas nécessairement la nullité dudit contrat. (CE 5° et 7° s-s-r., 10 décembre 2003, n° 248950, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4046DA4). Pour obtenir une indemnisation, l'entreprise doit établir devant le juge que son éviction est irrégulière. A défaut, elle ne pourra prétendre à la moindre indemnisation (CE 2° et 7° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 273783, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3642DT3). Pour solliciter la résiliation ou l'annulation du contrat, le concurrent évincé dispose d'un délai de deux mois suivant l'accomplissement des formalités de publicité requises. Un avis de la Haute juridiction administrative en date du 11 mai 2011 a, toutefois, précisé que la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mai 2011, n° 347002, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8775HQ3).
Dans la présente décision, les juges font strictement application du considérant consacré par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 18 juin 2003, "Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, société Biwater, société Aqua TP" (CE 5° et 7° s-s-r., 18 juin 2003, n° 249630, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8725C8N) : "lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché [...] dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité [...] dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique". Dans un arrêt rendu le 20 octobre 2011, la cour administrative d'appel de Lyon reproduit intégralement ce considérant (CAA Lyon, 4ème ch., 20 octobre 2011, n° 10LY02217, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0485HZY), ce qu'elle avait déjà fait auparavant (CAA Lyon, 4ème ch., 9 juin 2011, n° 09LY02354, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3992KIP, CAA Lyon, 4ème ch., 5 janvier 2012, n° 10LY02566, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2850IB8) d'autres cours ayant également adopté une telle position (CAA Marseille, 6ème ch., 4 avril 2011, n° 08MA00004, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3027HRK, CAA Nancy, 1ère ch., 29 septembre 2011, n° 10NC01740, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5421HZS).
II - Dans le cas où l'entreprise n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché, celle-ci a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. La preuve de ces frais engagés peut être rapportée "par la production d'un tableau récapitulant le nombre d'heures consacrées" pour la présentation de la candidature et de l'offre (CE 2° et 7° s-s-r., 1er juillet 2005, n° 263672, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0214DK7). Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché (CE 2° et 7° s-s-r., 8 février 2010, n° 314075, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7558ERD). Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. Il a été jugé qu'alors même que la perte de chance ne relève que de l'appréciation souveraine du juge du fond, est insuffisamment motivé l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui se borne à relever l'absence de chance sérieuse de remporter un marché public, alors que l'entreprise soutenait qu'il n'y avait que deux entreprises en compétition, qu'elle proposait le prix le plus bas et que son offre a été éliminée sans qu'elle puisse faire valoir ses atouts techniques (CE 2° et 7° s-s-r., 27 octobre 2010, n° 318023, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1089GDP).
La jurisprudence "Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe et autres" peut ne pas trouver à s'appliquer si la collectivité renonce, pour un motif d'intérêt général, à conclure le contrat. S'agissant des marchés publics, la collectivité peut toujours, à tout moment, y compris après le choix de l'attributaire, décider de déclarer la procédure sans suite pour un motif d'intérêt général. Une telle faculté est mentionnée dans le Code des marchés publics (aux articles 59 N° Lexbase : L1296INC et 64 N° Lexbase : L1295INB pour les appels d'offres ouverts et restreints). En tout état de cause, elle est ouverte même sans texte (CE 3° et 5° s-s-r., 10 octobre 1984, n° 16234, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5119AL8) ; l'acceptation de son offre ne lui crée aucun droit à la signature du marché (CE 2° et 7° s-s-r., 18 mars 2005, n° 238752, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2752DHE). En revanche, la décision du 17 décembre 2012 n'exclut pas l'indemnisation du préjudice résultant d'un comportement fautif de la collectivité. L'administration qui invite l'entreprise attributaire du marché à exposer des frais en vue son exécution, alors que le marché n'est finalement pas signé, commet, ainsi, une faute de nature à engager sa responsabilité envers la société (CE 3° et 5° s-s-r., 11 octobre 1985, n° 38789, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3278AMD, CE 1° et 4° s-s-r., 10 décembre 1986, n° 46629, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7652B7K). Elle n'est certes pas tenue d'informer l'attributaire en amont d'un risque de renonciation au marché, mais elle doit l'informer dans un délai raisonnable, une fois la décision prise (CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 305287, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0305EQD). Selon cette dernière décision, un retard déraisonnable à informer l'attributaire du contrat de la renonciation de la collectivité à ce dernier constitue une faute engageant la responsabilité du pouvoir adjudicateur, c'est-à-dire (généralement) de la collectivité.
Concernant les bases de calcul retenues pour déterminer l'indemnisation du contenu, le juge administratif retient, depuis l'arrêt "Commune de la Rochelle" (CE 2° et 7° s-s-r., 8 février 2010, n° 314075, publié au recueil Lebon, précité), le bénéfice net qu'aurait procuré le marché à l'entreprise irrégulièrement évincée et non plus, comme auparavant, la marge brute moyenne constatée dans le domaine d'activité pour des prestations identiques, solution reprise depuis y compris par le juge d'appel (CAA Lyon, 4ème ch., 4 novembre 2010, n° 08LY01008, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1440GMB). Dans l'arrêt rapporté, les juges reprennent la même solution : le manque à gagner subi par le candidat irrégulièrement évincé doit être calculé en tenant compte du prix du marché et en précisant que "ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu" (CE 2° et 7° s-s-r., 19 décembre 2012, n° 355139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1358IZC). Or, le critère de la marge nette est beaucoup plus restrictif que celui de la marge brute. En effet, une marge brute se calcule en soustrayant le coût des matières premières au chiffre d'affaires. Quant à la marge nette d'une entreprise, elle correspond à la différence entre la marge brute et l'ensemble des charges afférentes à l'activité. Notons qu'il appartient au candidat d'apporter les justificatifs du montant du bénéfice net attendu dans le cadre du marché. La plupart du temps, le juge procède à une appréciation au cas par cas, prenant en compte, notamment, "la marge bénéficiaire de ce type d'entreprises pour ce type de travaux, qui nécessitent des compétences techniques particulières" (CE 1° et 2° s-s-r., 7 novembre 2001, n° 218221, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2449AXY). Dans l'affaire rapportée, la cour estime qu'il sera fait une juste appréciation du manque à gagner qu'elle a subi en fixant à 30 000 euros le montant du préjudice correspondant à la perte du bénéfice net afférent à ce marché contre 6371,10 euros en première instance.
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