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par Nicolas Catelan, Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal
le 19 Décembre 2022
Au seuil de 2022, toujours marqué par la pandémie mondiale, deux disparitions ont à nouveau endeuillé la communauté des pénalistes et bien au-delà. Comme si la destinée s’était mue en une tragédie grecque bégayante, ne connaissant ni limite ni fin.
Après les professeurs Pradel et Renucci il y a quelques mois, les professeurs Mireille Delmas-Marty et Frédéric Stasiak nous ont quittés en ce décidément bien triste début d’année.
Pour des raisons différentes, chaque juriste sait ce qu’il doit à ces deux enseignants chercheurs.
Le hasard a voulu que le Pr Stasiak intervienne lors du dernier Congrès de l’AFDP à Aix-en-Provence pour éclairer cette nouvelle autorité de poursuite qu’est le Parquet européen. Avec la sagacité que chacun lui connaissait, il était parvenu en quelques minutes à peine à démontrer en quoi ce projet s’était démarqué du projet initial du Professeur Delmas-Marty proposé il y a plus de vingt ans. Il parvint également à en montrer les limites et défauts qui pourraient à terme nuire à son efficacité.
Les juristes font souvent des rêves. Parfois ils osent les coucher sur le papier voire les révéler à voix haute. Plus rarement, le politique cherche à les entendre. Jamais ou presque il ne les écoute. Mireille Delmas-Marty par la profondeur de ses analyses, sa maitrise intellectuelle et quasi infinie des outils de politique criminelle, et son humanisme chevillé au corps, était une des rares si ce n’est la seule à être réellement écoutée. Ses pensées visionnaires sur le droit administratif répressif, la disparition du juge d’instruction, l’avènement nécessaire des droits de l’Homme, et la création d’un parquet et d’un droit pénal européens ont su fertiliser le champ où pourrait croître le droit pénal contemporain, à l’abri des horreurs du passé et des renoncements du présent.
Ceux qui ont entendu, lu ou connu le Pr Frédéric Stasiak savent également à quel point sa pensée était engageante et stimulante. Par sa rigueur, sa perspicacité et souvent son humour, il était à même de déconstruire et reconstruire une institution pourtant bien établie du droit pénal des affaires. Pour des générations il fut, dans la foulée de sa thèse, celui qui vit le droit répressif des marchés financiers développer un appareil théorique et pratique méritant toute l’attention des juristes pénalistes. Ce fameux droit répressif administratif, que Mireille Delmas-Marty voyait déjà apparaitre il y a trente ans, était devenu le terrain de prédilection du penseur nancéien.
Nous sommes évidemment les héritiers de tous nos prédécesseurs. Ainsi va la science, qui croît par sédimentation. Ce constat, en temps habituels, est à même de nous rasséréner. Il nous rappelle en effet que nos échecs servent à construire les réussites de demain, les nôtres mais également, voire surtout, celles des autres. Ce constat laisse parfois, et au moment même où l’encre numérique noircit cette page virtuelle, un goût amer car il est toujours difficile de dire au revoir à ceux qui nous ont tant inspirés. La peine qui nous affecte restera... encore et encore. Mais une certitude est à même de panser nos plaies : les idées de ces prédécesseurs, exigeantes, rigoureuses et profondément humaines demeureront, pour toujours mieux guider les juristes en général, et les pénalistes en particulier.
Felix qui potuit rerum cognoscere causas
Atque metus omnis et inexorabile fatum
Subjecit pedibus strepitum que Acheruntis avari
Virgile, Géorgiques (II, v. 490 et suiv.)
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