Lexbase Avocats n°322 du 3 février 2022 : Avocats

[Le point sur...] Histoire critique et origines de la suppression des avoués près les tribunaux de grande instance

Réf. : Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ

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par Pierre-Louis Boyer, Doyen de la Faculté de Droit, des sciences économiques et de gestion du Mans, Maître de conférences HDR (ThémisUM EA4333 – IODE UMR CNRS 6262)

le 02 Février 2022


Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Loi du 31 décembre 1971, 50 ans après » et publié dans l’édition n° 322 du 3 février 2022 de la revue Lexbase Avocats. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N0147BZH.


 

À  Maître Paul Dupuy,

ancien avoué près le tribunal de grande instance de Toulouse

Si les années qui suivent la fin de Seconde Guerre mondiale sont des années de reconstruction humaine et politique, voire de reconstruction de l’Ordre pour les avocats (la CNBF, Caisse Nationale des Barreaux Français, regroupement des caisses de retraite régionales des avocats, fut créée de manière unifiée en 1948), celles qui suivront l’avènement de la Vème République en 1958 vont conduire à des bouleversements conséquents, et même jamais vus, dans la profession d’avocat.

Tout commença avec deux décrets, l’un sur la plaidoirie et les droits de plaidoirie [1], promulgué en 1965, l’autre revenant indirectement sur les conditions d’accès à la profession d’avocat, promulgué en 1967. Ces deux textes furent suivis par l’édition du « Livre bleu » sur la « profession juridique de demain », intitulé Au service de la justice, paru en 1967 sous la direction des avocats Alain Tinayre, président de l’ANA entre 1971 et 1973, et Denis de Ricci. Ce livre, dont nous reparlerons par la suite, ouvrait le chemin de la « grande profession du droit » en prônant « l’unité de la défense » [2]. Les deux textes susvisés de 1965 et 1967, adjoints à la Commission de réforme du Code de procédure civile présidée dès 1969 par Jean Foyer, ainsi que divers décrets et réformes des années 1968-1972, ont été mis en œuvre afin d’amorcer, ou du moins de faciliter, l’érection d’un Nouveau Code de procédure civile, qui conservera sa dénomination de NCPC jusqu’en 2007.

Or, la principale réforme qui toucha la profession d’avocat dans ces années 70 fut la suppression des avoués près les tribunaux de grande instance en 1971. On visait l’un pour servir l’autre. Mais la finalité restait claire et ouvertement affirmée par les avocats :

« Le regroupement des professions judiciaires et juridiques en une seule profession nous paraissait conforme au bon sens. […] La pluralité des professions est génératrice de désordres, de pertes de temps, de complications inutiles, qu’un regroupement permettrait de restreindre, dans de très larges proportions » [3].

Comment cette absorption des avoués près les tribunaux, prémices d’un mouvement d’homogénéisation judiciaire et d’anglo-saxonisation professionnelle, a-t-elle été mise en œuvre ?

L’avant-projet de loi « instituant la protection des usagers du droit, portant création et organisation de la nouvelle profession d’avocat, suppression de la vénalité des charges d’avoués près les tribunaux de grande instance, indemnisation des titulaires de ces charges, ainsi que la réglementation des sociétés fiduciaires et de l’usage du titre de conseil juridique », rendu public en 1971, abordait quatre points distincts. En premier lieu, il y avait l’impossibilité pour une personne non-autorisé d’effectuer des consultations juridiques. Seuls les avocats, les notaires, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, (feu) les avoués près les cours d’appel, les huissiers, les professeurs et les maîtres de conférences agrégés pouvaient, selon cet avant-projet, réaliser des consultations. Toute autre personne qui aurait réalisé des consultations ou des actes juridiques sans y avoir été autorisée était susceptible de sanctions pénales. Il y avait aussi, dans l’article 5 de cet avant-projet, la création, par la disparition des avoués près les TGI et des agréés près les tribunaux de commerce, d’une nouvelle profession d’avocat dont le caractère libéral était de plus en plus affirmé [4]. Était ensuite abordée l’indemnisation des préjudices consécutifs à la suppression de la vénalité des charges d’avoués près le TGI. Et, enfin, était traitée la réglementation de l’usage du titre de conseil juridique, avec l’idée que cette profession serait par la suite fusionnée à celle d’avocat par le législateur, comme cela fut le cas vingt années après [5]. Le politique avait une vision à long terme.

Le projet de loi, après trois présentations devant l’Assemblée nationale entre le 14 octobre 1971 et le 20 décembre 1971, fut finalement adopté et la loi n° 71-1130 promulguée le 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judicaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ. Concernant les modifications de la procédure instaurée par cette loi, la fin du monopole des avoués relatif à la représentation devant le TGI entraîna, en conséquence, la possibilité pour l’ensemble de la nouvelle profession de représenter la partie devant le TGI et, intrinsèquement et conséquemment par l’ampleur de l’accès désormais accordé à la nouvelle profession d’avocat aux TGI, le renversement de la mise en état par le passage d’une procédure accusatoire, dans laquelle les avoués près les TGI se faisaient parvenir leurs « à venir d’audience », vers une procédure inquisitoire dans laquelle le magistrat demeure le grand ordonnateur de la mise en état.

La profession est donc passée, avec la réforme de 1971, d’une situation qui, scindant les professions en fonction de leurs prérogatives, mettait en lien les parties et leurs représentants, à une situation dans laquelle les directives du magistrat s’imposent à une unité, à cette nouvelle profession d’avocat.

Toutefois, on notera que le décret n° 71-740 du 9 septembre 1971, texte initiateur et « fixateur » des principes directeurs du procès du Nouveau Code de procédure civile (ses articles 1 à 17 étant similaires à leurs homologues dudit Code) avait préalablement engendré la suppression des offices d’avoués près les TGI. En effet, dans ses articles 22 et suivants, ce décret fait du seul avocat la personne qui va diriger la procédure et la plaidoirie, que ce soit pour les affaires soumises à une procédure rapide ou pour celles nécessitant la procédure de mise en état. Il est aussi à souligner que l’ordonnancement illogique entre promulgation du NCPC et disparition des avoués près les TGI n’était pas du goût de tous, comme en témoigne les mots du président Philippe Bertin en 1972 : « on arrive à ce résultat que, contre toute logique, la fusion des professions intervient avant la promulgation définitive d’un Code simplifié alors que celle-ci passait généralement pour une condition sine qua non de celle-là » [6].

Dans un article de l’éminent Henri Motulsky, remanié par le professeur Cornu, consacré au décret du 9 septembre 1971 et intitulé « Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile » [7], on perçoit toute la mutation d’une procédure accusatoire en une procédure plus inquisitoire, notamment dans les articles 3, et 6 à 13, du décret, articles qui confèrent au juge des prérogatives autrement plus importantes que ceux qui lui étaient accordés dans le précédent code. Par ce décret, avant même la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, la réforme de la procédure était déjà amorcée, annonçant le renversement ontologique de la procédure et du monde procédural, la première glissant vers un caractère inquisitoire, le second vers son propre aspect libéral, entraînant la profession d’avocat dans des conceptions autrement plus économiques qu’elle ne l’avait été. Le décret n° 72-468, du 9 juin 1972, organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L4055IRM reflète exactement cela, en particulier dans ses articles 70 à 82 sur les dispositions relatives aux associations et aux collaborations.

Ce qui demeure fondamental dans l’observation de l’histoire et de l’évolution de la profession d’avocat, c’est cette mise en marche, dès 1958, de la libéralisation économique d’une profession préalablement fondée sur la notion de désintéressement. L’unification des professions judiciaires, sur le modèle anglo-saxon, et donc la suppression des avoués près les tribunaux de grande instance (puis des conseils juridiques et des avoués près les cours d’appel et, prospectivement, des notaires, commissaires-priseurs et huissiers déjà réunis dans la prochaine profession de commissaires de justice, et de toutes les professions dites « réglementées ») est prévue et anticipée depuis les premiers instants de la Vème République. Cette unification souhaitée, en vue de la création d’une unique profession du droit que serait la nouvelle et messianique profession d’avocat, s’appuie curieusement et sophistiquement sur l’affirmation de la nécessité d’un monopole, idée contre laquelle elle s’érige cependant… idéologiquement :  

« La nécessité du monopole apparaît comme une évidence. […] Le monopole apparaît une nécessité absolue. Il est la contrepartie de l’unicité de la profession et la garantie indispensable de son élargissement. […] L’idée de protéger par un monopole – et par les sanctions que comporterait sa violation – l’exercice des fonctions dévolues à la profession nouvelle – ou telle ou telle d’entre elles – n’a de quoi effrayer personne. Elle doit être pour le public un sujet d’apaisement » [8].

Étudier distinctement les réformes de 1965, 1967, 1971, 1991, 2011 ou 2015 est impensable tant l’on sait qu’elles sont toutes intrinsèquement liées et qu’elles procèdent d’un même mouvement de libéralisation de la justice. Il est inutile de revenir ici sur les principaux rapports du XXIème qui montrent, sous une apparente, mais factice originalité, toute la continuité existante entre les années post-conflit mondial et 2022. Ce n’est pas Maître Darrois qui contredira cela.

Déjà, en 1951, le professeur Pierre Hébraud, dans un article sur l’élément écrit et l’élément oral en matière de procédure civile publié au sein du Recueil de l’Académie de législation de Toulouse, annonçait les temps futurs d’une justice sans avoué, et l’on ne peut ici que le citer pour s’apercevoir du discernement dont était capable, en ce temps, certains universitaires :

« Parmi les raisons pour lesquelles ont, jusqu’à présent, si rapidement, avorté les propositions, souvent faites, de suppression des avoués, il faut sans doute faire une large place au sentiment de profonde incertitude dans laquelle jetterait la recherche d’un nouvel équilibre de la procédure. C’est pourquoi les avocats sont, dans l’ensemble, partisans du maintien des avoués, qui les déchargent d’une partie ingrate de la procédure, et, en leur permettant de s’adonner pleinement à leur mission propre, favorisent indirectement la prédominance de l’oralité dans la procédure ; si la suppression des avoués devait être un jour réalisée, ce serait sans doute, lorsque l’évolution professionnelle de l’avocat vers une certaine commercialisation, déjà amorcée, aurait été poussée assez loin pour y préparer le terrain » [9].

Hébraud l’avait annoncé, augure aveuglé, héritier de la tradition des processualistes languedociens [10] ! Non pas la suppression des avoués, mais bien la cause politique et économique de celle-ci, à savoir un libéralisme accru favorisant « la commercialisation » de la profession d’avocat.

Le cœur même de la profession d’avocat avait été, de la Rome antique cicéronienne au XIXème siècle, la notion de désintéressement. C’est de cette abnégation, de ces sacrifices, que viennent les termes d’ « honoraires », dans cette idée que le client restait libre dans les émoluments qu’il conférait à son avocat, ce dernier travaillant avant toute chose pour « l’honneur ». Déontologiquement, un avocat ne pouvait pas même abandonner un client si celui-ci n’était en mesure de le payer. Les temps ont bien changé [11]. Les avoués près les tribunaux de grande instance supprimés, la profession d’avocat entrait dans cette ère de la « commercialisation », l’ère de la démultiplication du nombre de praticiens, de l’accroissement de leurs honoraires et de l’ultra-spécialisation juridique née de l’accumulation des normes. Le nombre d’avoués près les tribunaux de grande instance atteignait plus de 1 500 officiers l’année de leur suppression, et la réforme de 1971 vint donc multiplier par 25 % les rangs d’une profession préalablement détachée des soucis de la concurrence libérale. Les avocats, devenus 7941 en 1972 pour toute la France, passèrent à 14 480 sept ans après, et à environ 16600 en 1987. De surcroît, la nouvelle profession née de la loi de 1971 N° Lexbase : L6343AGZ a totalement évincé la profession d’avoué : on promettait une fusion, ce fut une absorption. Elle fut « intégralement celle d’avocat » [12].

Notons aussi que, si les avocats parisiens étaient favorables à cette réforme, ceux de province y étaient principalement hostiles, les mois précédents le vote de la loi ayant révélé une « grande peur des barreaux de France » quant à l’érection de cette nouvelle profession. Ainsi, le député du Haut-Rhin, Raymond Zimmermann, président de la Commission des Lois en remplacement de René Capitant, s’exprimait-il ainsi au cours des débats qui précédèrent le vote :

« Il est évident que mis à part le problème de la postulation auprès des tribunaux nouvellement créés de Créteil, Nanterre et Bobigny, l’accession des avoués à la plaidoirie ne posera aucun problème concurrentiel aux avocats de la capitale. En revanche, la situation est très différente dans les petits et moyens barreaux. Elle est conjoncturelle et variable suivant le nombre d’avoués encore en exercice auprès d’un tribunal de grande instance donné. Elle est variable suivant les usages existant dans les circonscriptions judiciaires et suivant le courant d’activité qui se déplace soit de l’avoué vers l’avocat correspondant, soit de l’avocat vers l’avoué correspondant. Ce que j’ai eu l’occasion d’appeler, au cours des auditions auxquelles j’ai procédé pendant tout l’été, la grande peur du barreau de France, vient en particulier du fait que, dans un certain nombre de ressorts, les avocats se trouveront en présence d’avoués dont ils disent qu’ils auront été préalablement indemnisés et mis en mesure de leur faire une concurrence accrue lors de l’extension de leurs attributions judiciaires » [13].

Et André Tisserand, tel Platon fustigeant le tirage au sort en politique, s’inquiétait de cette confusion des professions et de cette uniformisation qu’allait engendrer la loi de 1971 :

« Que vont faire ensemble ces diverses personnes et pourquoi procéder à cette grande fusion ? Je répondrai à cette question par une observation médicale : je ne voudrais pas confier une opération de la cataracte à un gynécologue. Et pourtant, l’ophtalmologue et le gynécologue sont tous deux médecins ; ils ont sans doute acquis des compétences semblables grâce à un tronc commun d’études ; ils sont l’un et l’autre des spécialistes exerçant la même profession » [14].

Cette loi de 1971, qui fut donc « intégralement celle d’avocat », vient affirmer, outre la disparition d’une profession spécifique, le caractère indépendant et libéral de celle d’avocat qui recherche « l’absence de lien de subordination par rapport à l’État ou par rapport à un client ». Le Livre bleu (pourrions-nous l’appeler « Le programme » ?) mettait en exergue, quelques années avant, ces caractéristiques recherchées :

« Dans le siècle où nous vivons, la profession nouvelle doit, pour remplir intégralement son rôle et pour conserver la confiance du public – exercer son activité en toute indépendance. Et celle-ci n’est concevable que si ses membres assument leurs fonctions sous la forme libérale. Il s’agit là d’un impératif absolu, dont l’abandon – ou seulement la mise en question – ferait crouler tout l’édifice » [15].

Et cette phrase du professeur Giverdon faisait ainsi écho aux souhaits des avocats et aux dispositions des articles 7 à 10 de la loi de 1971 N° Lexbase : L6343AGZ :

« L’indépendance de cette profession et son caractère libéral en ont été les plus beaux fleurons » [16].

Il faut bien avoir conscience que ce programme de libéralisation progressive de la profession d’avocat est prévu plusieurs années avant la loi de 1971, le Livre bleu déjà évoqué étant le symbole de cette marche forcée, et souvent incontrôlée, vers l’anglo-saxonisation effective du barreau français. Ce livre complet et technique est le programme, pour initiés, des réformes à réaliser pour parvenir à la « grande profession du droit », qui n’est en rien une création ou un hobby du XXIème siècle, mais bien une volonté lancinante - et principalement jacobine aujourd’hui - d’une partie de la profession d’avocat. On peut y lire, pour preuve de nos propos, que « la pierre angulaire du système proposé était la profession unique, judiciaire et juridique, libérale et monopolisée » [17]. Jean-Baptiste Sialelli le reconnaît lui-même quand il écrit, à propos de cet ouvrage controversé et confidentiel, que « s’il constitue un manifeste, c’est à coup sûr en faveur de la profession libérale contre l’office ministériel » [18], et cette assertion se vérifie parfaitement à la lecture du livre bleu dans lequel on trouve cette sentence qui présageait des réformes de 1971, de 2011 et des années à venir :

« Il serait souhaitable que l’on vaccine définitivement les professions judiciaires du mal de la vénalité des charges » [19].

Toutefois, on notera que cette libéralisation est limitée, dans un premier temps, par deux éléments liés à la postulation : l’impossibilité pour un avocat non-inscrit au barreau du tribunal devant lequel se déroulera le procès de postuler - celui-ci, alors qualifié de dominus litis, doit s’adjoindre les services d’un avocat postulant inscrit, lui, au barreau du tribunal de grande instance en question -, et la continuité de la tarification pour la postulation. Ainsi, l’avoué semble avoir été substitué, à cette époque, par l’avocat, sans que les conditions de postulation n’aient changé, la tarification conservée pour la postulation devant le TGI limitant de facto la libéralisation de la profession d’avocat, mais laissant augurer, déjà en 1971, une évolution observée depuis sur ces deux points.

Concernant les mesures transitoires relatives à l’adjonction des avocats, avoués et agréés près les tribunaux de commerce à cette « nouvelle profession d’avocat », c’est le décret n° 72-468, du 9 juin 1972, organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L4055IRM qui en exposait les modalités définitives. L’inscription sur le tableau de l’Ordre pour les membres des professions supprimées fut régie par les articles 43 à 47 dudit décret, et l’on observe que deux renonciations s’offrent dès lors aux anciennes professions judiciaires concernées : une renonciation à l’incorporation dans la nouvelle profession, et une renonciation à l’exercice d’activités professionnelles non pratiquées avant cette incorporation. De même, les avocats pourraient renoncer à exercer les fonctions antérieurement dévolues aux avoués. Avocats et avoués ont ainsi eu la possibilité, en 1972, de conserver l’ancienne dualité professionnelle qui existait avant la loi du 31 décembre 1971, en renonçant à franchir les limites de leurs anciennes activités, ce qui ne fut pas le cas quelques années après concernant la loi de suppression des avoués près les cours d’appel.

La fusion entre la profession d’avoué près le tribunal de grande instance et celle d’avocat issue de la loi du 31 décembre 1971 entraîna, au-delà de la création d’une nouvelle profession, une réflexion sur les institutions qui devaient représenter cette dernière. Les discussions commencèrent dès 1972 et, le 2 décembre 1977, l’assemblée constitutive d’une nouvelle institution, la Confédération syndicale des avocats, ou CSA, était créée, regroupant l’ANA et le Rassemblement des nouveaux avocats de France, ou RNAF, qui avaient été créés par les anciens avoués devenus, dès lors, avocats.

En 1974, un vieux fantôme revint hanter les couloirs de l’Assemblée, et l’on suggéra de créer un Ordre national en remplacement de la multiplicité des ordres qui existaient sur le territoire français. La machine jacobine semblait continuer dans sa lancée… certains avocats parisiens considérant même que la question du barreau national était déjà tranchée et qu’il fallait se pencher sur celle du barreau européen [20]. Si le RNAF, encore indépendant à l’époque, soutenait cette idée, l’ANA s’y opposa, tout comme la Conférence des bâtonniers, ou encore, pour des raisons autres, le Syndicat national des avocats qui refusait « toute création de cet Ordre qui signifierait obligatoirement la mise en tutelle de la profession sous l’égide d’un mandarinat conservateur » [21]. On ne pouvait pas s’attaquer ainsi aux ordres locaux, à leur indépendance et à leurs Bâtonniers, alors que Bâtonnier Roger Merle évoquait d’ailleurs :

« En parcourant la loi du 31 décembre 1971 et le décret du 9 juin 1972, qui sont aujourd’hui la charte des avocats, on a l’impression que presque tout le pouvoir est détenu par le Conseil de l’Ordre, ou plus généralement par l’Ordre, dont le Bâtonnier est l’organe représentatif et exécutif » [22].

Il n’en fallait pas plus pour que cette profession d’avocat, pourtant si encline aux réformes (mais peut-être uniquement à celles faites en sa faveur ?), ne se fige face au nouveau dessein du pouvoir politique. Le 5 janvier 1976, le barreau de Nantes se mettait en grève, suivi par le barreau de Toulouse puis celui de Paris à compter du 17 janvier, et enfin des autres avocats de France. Les 12 000 avocats que comptait alors le pays étaient en grève. On crut être revenu au temps des crises parlementaires de l’Ancien Régime, à la fameuse « affaire des avocats » de 1730.

Concluons avec les propos du Bâtonnier d’Évreux Jacques Montouchet, président d’honneur de la Conférence des Bâtonniers [23], qui regrettait au sujet de cette réforme « que la loi de 1971 ait transformé des artisans et des artistes en entrepreneurs haletant sous le double joug de la procédure et de la rentabilité » [24].

 

[1] Décret, du 19 mai 1965, n° 65-379, relatif aux droits de plaidoirie des avocats.

[2] A. Tinayre et D. De Ricci, Au service de la justice. La profession juridique de demain, Paris, Dalloz, 1967.

[3] A. Tinayre et D. de Ricci, Au service de la justice…, op. cit., p. 504-505.

[4] L’article 1.1 du RIN, « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d’exercice », ne fait que reprendre le troisième alinéa de l’alinéa 1er de la loi de 1971 qui dispose que « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante ».

[5] P.-L. Boyer, Aequitas fons et mater. La persistance du droit naturel, HDR, Université de Rennes I, 2016.

[6] P. Bertin, Un feuilleton à suivre : le nouveau Code de procédure civile [Décret du 28 août 1972], La Gazette du Palais, 1972, t. 2, Doctrine, p. 554-561 et 669-676.

[7] H. Motulsky, Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile : la consécration des principes directeurs du procès civil par le décret du 9 septembre 1971, Dalloz-Sirey, 1972, Chronique XVII, p. 91-102.

[8] A. Tinayre et D. de Ricci, Au service de la justice…, op. cit., p. 508, puis p. 567-615.

[9] P. Hébraud, L’élément écrit et l’élément oral dans la procédure civile, Recueil de l’Académie de législation de Toulouse, 1951, p. 39-46, publié à nouveau dans le Rapport au IIIème Congrès international de droit comparé, Travaux de l’Institut de droit comparé de Paris, t. 15, 1959, p. 341 sq.

[10] L. Cadiet, Pierre Hébraud, doctrine vivante ?, in L. Miniato et J. Theron (dir.), Pierre Hébraud, doctrine vivante ?, Toulouse, Presses de l’université Toulouse 1-Capitole, 2018, p. 211-231.

[11] J.-L. Halpérin (dir.), Avocats et notaires en Europe, Droit et société, n° 19, Paris, LGDJ, 1996.

[12] J.-B. Sialelli, Les avocats de 1920 à 1987 (ANA – RNAF – CSA), Paris, Litec, 1987, p. 163.

[13] « Débats de l’Assemblée nationale », Gaz. Pal., « Réforme des professions judiciaires et juridiques », 1971.2.9.

[14] « Débats de l’Assemblée nationale », Gaz. Pal., « Réforme des professions judiciaires et juridiques », 1971.2.11.

[15] A. Tinayre et D. de Ricci, Au service de la justice…, op. cit., p. 507.

[16] C. Giverdon, Observations sur une réforme (A propos de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques), Dalloz-Sirey, 1972, Chronique XVIII, p. 103-114.

[17] A. Tinayre et D. de Ricci, Au service de la justice…, op. cit., p. 721.

[18] J.-B. Sialelli, Les avocats de 1920 à 1987 (ANA – RNAF – CSA), Paris, Litec, 1987.

[19] A. Tinayre et D. de Ricci, Au service de la justice…, op. cit., p. 675.

[20] J. Mauro, Représentation nationale des avocats et des barreaux français. Un point de vue communautaire, Gaz. Pal., 1975.2.484.

[21] Gaz. Pal., 26-27 novembre 1975. Cité par J.-B. Sialelli, Les avocats de 1920 à 1987…, op. cit., p. 196.

[22] R. Merle, Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats. Une forme de présidence originale, Mélanges offerts à Pierre Hébraud, Toulouse, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 1981, p. 560.

[23] Il avait été élu président de la Conférence des Bâtonniers en 1971.

[24] J.-B. Sialelli, Les avocats de 1920 à 1987…, op. cit., p. 159-160. Ces propos font écho à ceux d’un certain « G.M. » qui prophétisait, au lendemain du vote de la loi de 1971, cette disparition des « artistes du droit » : « Il est probable par contre que l’éthique de la nouvelle profession sera différente. Si les hommes nouveaux conserveront les vertus traditionnelles communes des avocats et des avoués, leur manière d’agir, de penser ne sera plus celle de l’avocat d’aujourd’hui. Préoccupés par des problèmes d’administration, d’efficacité et de rendement, l’homme de demain risque de perdre ce trait caractéristique de l’avocat d’aujourd’hui : il ne sera probablement plus un artiste au sens propre et figuré ». G.M., Esquisses sur l’avocat de demain, Gaz. Pal., « Réforme des professions judiciaires et juridiques », 1971.2.1.

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