La lettre juridique n°383 du 18 février 2010 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Février 2010

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N2390BNT

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 janvier 2010, tous deux promis aux honneurs du Bulletin : dans le premier arrêt, la Cour régulatrice s'est prononcée sur le nouveau cas de relevé de forclusion fondé sur l'omission volontaire du débiteur ; et, dans le second arrêt, la Chambre commerciale revient sur la distinction entre créances antérieures et créances postérieures et nous livre une très intéressante décision concernant, plus spécifiquement, le fait générateur de la créance contractuelle.
  • Le relevé de forclusion fondé sur l'omission volontaire du débiteur (Cass. com. 12 janvier 2010, n° 09-12.133, F-P+B N° Lexbase : A3121EQN)

Dans les huit jours du prononcé du jugement d'ouverture de la procédure collective, le débiteur doit remettre la liste de ses créanciers au mandataire judiciaire ou liquidateur. Aux termes des dispositions de l'article L. 622-6, alinéa 2 (N° Lexbase : L3379IC7), applicables en redressement judiciaire (cf. C. com., art. R. 631-18 N° Lexbase : L9325ICD), "le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours". En liquidation judiciaire, cette liste est remise au liquidateur (C. com., art. L. 641-14 N° Lexbase : L3319ICW).

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), l'absence de remise de cette liste ou l'omission d'un créancier de celle-ci n'avait pas pour effet de conduire nécessairement au relevé de forclusion du créancier victime de cette omission. La seule possibilité pour le créancier d'être relevé de la forclusion encourue supposait que ce dernier démontre que sa défaillance à déclarer dans les délais n'était pas de son fait. Ce point était laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond, de sorte que les décisions rendues à ce sujet étaient quelque peu disparates. Tantôt le relevé de forclusion était admis (1), tantôt il était refusé au créancier malgré l'omission dont il avait été victime, dans la mesure où l'établissement de cette dernière ne conduisait pas nécessairement à la démonstration selon laquelle la défaillance du créancier n'était pas due à son fait (2). Cette solution sévère pour le créancier était généralement adoptée à l'égard des créanciers institutionnels -au rang desquels figurent les caisses de retraite-, considérés comme des lecteurs obligatoires du BODACC.

Sur le terrain du relevé de forclusion, la situation des créanciers a été très nettement améliorée par la loi de sauvegarde des entreprises. En effet, aux côtés du premier cas de relevé de forclusion tenant à l'établissement par le créancier que sa défaillance n'est pas de son fait, le législateur a placé un deuxième cas de relevé de forclusion tenant "à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste" des créanciers connus "prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6" (cf. C. com., art. L. 622-26, al. 1er N° Lexbase : L2534IEL).

Le 12 janvier 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l'occasion de rendre un arrêt appelé à la publication ayant trait à ce nouveau cas de relevé de forclusion.

Dans l'espèce rapportée, une avocate avait fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. La débitrice n'avait pas établi de liste de ses créanciers prévue à l'article L. 622-6 du Code de commerce. Après l'expiration du délai de déclaration de sa créance, la caisse de retraite à laquelle était affiliée la professionnelle libérale (la Caisse nationale des barreaux français -CNBF-) avait déclaré sa créance puis sollicité un relevé de forclusion. Le juge-commissaire avait relevé la caisse de retraite de la forclusion encourue. Le tribunal de grande instance, dont la décision devait par la suite être confirmée par la cour d'appel de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 23 septembre 2008, n° 08/00645, Mme Catherine Druz c/ Caisse nationale des barreaux français - CNBF), avait déclaré mal fondé le recours formé contre l'ordonnance prononçant le relevé de forclusion. La débitrice s'était alors pourvue en cassation, sans succès dans la mesure où la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté son pourvoi. L'arrêt de rejet revêt un grand intérêt puisqu'il permet d'apporter un éclairage sur trois questions que soulève le nouveau cas de relevé de forclusion. Ce cas revêt-il un caractère autonome ? Que faut-il entendre par "omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste" ? Comment prouver cette omission volontaire ?

- Le caractère autonome du nouveau cas de relevé de forclusion

La question pouvait se poser de savoir si le nouveau cas de relevé de forclusion fondé sur l'omission volontaire est ou non autonome par rapport au premier cas fondé sur l'établissement que la défaillance du créancier n'est pas de son fait. La débitrice soutenait que le nouveau cas posé à l'article L. 622-26 n'était pas autonome et faisait grief à la cour d'appel d'avoir considéré que le relevé de forclusion était de droit, dès lors qu'était établi l'existence d'une omission volontaire de la part du débiteur. En rejetant le pourvoi, la Chambre commerciale se prononce clairement en faveur du caractère autonome du nouveau cas de relevé de forclusion. Ainsi, dès lors que l'omission volontaire est établie, le créancier doit être relevé de la forclusion encourue même si ce dernier n'établit pas que sa défaillance à déclarer n'est pas de son fait. Cette précision est particulièrement importante pour les créanciers institutionnels, considérés comme lecteurs obligatoires du BODACC, qui, de ce fait, seront bien en mal d'apporter la preuve selon laquelle l'absence de déclaration dans les délais n'est pas de leur fait. Toute carence du créancier institutionnel à déclarer sa créance tend ainsi à être réputée de son fait.

La position, confortable pour le créancier, en particulier s'il est institutionnel, adoptée par la Chambre commerciale, est, en outre, en parfaite adéquation avec la lettre de l'article L. 622-26, alinéa 1er, qui fait état de deux motifs alternatifs et non cumulatifs de relevé de forclusion.

- La notion de "liste de ses créanciers" devant être remise au débiteur en application de l'article L. 622-6, alinéa 2

Les caisses de retraite sont régulièrement confrontées à la question du "refus de paiement" (3) . Il s'avère en effet que certains affiliés, comme en l'espèce l'avocate affiliée à la Caisse nationale des barreaux, refusent de payer leurs cotisations motif pris d'une prétendue illégalité de celles-ci. Ces débiteurs ne se reconnaissent donc pas comme tels à l'égard de la caisse de retraite dont ils dépendent.

En l'espèce, l'avocate ne se reconnaissait pas débitrice à l'égard de la CNBF et soutenait, en conséquence, que la cour d'appel ne pouvait retenir une omission volontaire d'établir une liste de créances incluant la CNBF, sans constater objectivement la réalité de sa créance. Cette argumentation est rejetée par la Chambre commerciale qui énonce que "l'arrêt [d'appel] retient que [l'avocate] a volontairement omis d'établir la liste de ses créanciers ; que de ces constatations et appréciation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de vérifier l'existence de la créance [...] en a exactement déduit que la CNBF devait être relevée de la forclusion".

Il semble qu'il faille en déduire que la liste des créanciers que doit remettre le débiteur à l'ouverture de sa procédure n'est pas la liste des personnes dont le débiteur s'estime effectivement débiteur mais la liste des personnes dont le débiteur ne peut pas ignorer qu'elles s'estiment être à son égard créancières. Ces personnes seront alors averties d'avoir à déclarer leurs créances et, à la suite de cette déclaration de créances, celle-ci pourra, le cas échéant, être contestée par le débiteur dans le cadre de la procédure de vérification des créances. Ainsi, le seul fait pour le débiteur, qui sait pertinemment que des sommes lui sont réclamées par certaines personnes, d'omettre ces personnes sur la liste de ses créanciers permettra aux créanciers victimes de cette omission, d'obtenir un relevé de forclusion au motif de l'omission volontaire.

Puisque le relevé de forclusion ne préjuge en rien de l'admissibilité de la créance au passif, la créance doit, dans un premier temps, faire l'objet d'un relevé de forclusion fondé sur l'omission volontaire, le débat sur la créance devant intervenir dans un second temps.

La position adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation doit être pleinement approuvée dès lors que c'est de parfaite mauvaise foi que le débiteur estime ne pas se reconnaître comme tel à l'égard de ses créanciers. A défaut, il suffirait que tous les débiteurs prétendent qu'ils ne se reconnaissent débiteur d'aucune somme à l'égard de quiconque pour être à l'abri du nouveau cas de relevé de forclusion fondé sur l'omission volontaire du débiteur !

Ainsi, il semble ressortir de cet arrêt que le débiteur doit non seulement porter sur la liste de ses créanciers le nom de ceux dont il s'estime effectivement débiteur, mais également le nom des personnes qui se sont manifestées auprès de lui comme étant ses créanciers même si cette qualification sera par la suite contestée en tout ou en partie par le débiteur dans le cadre de la procédure de vérification des créances.

- La preuve de l'omission volontaire du débiteu.

Il appartient au créancier d'apporter la preuve de l'omission volontaire du débiteur. Comme l'a relevé un auteur "la recherche de la volonté d'une partie est toujours divinatoire, et cette difficulté probatoire risque de vider le texte d'une grande partie de sa portée" (4). La preuve du caractère délibéré de l'omission du débiteur ne sera pas toujours aisée à rapporter. En tant que fait juridique, l'omission volontaire pourra être établie par tout moyen. Elle pourra ainsi résulter d'un aveu judiciaire, notamment, ainsi que l'énonce la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, par un "aveu judiciaire contenu dans des conclusions antérieures [qui] n'est pas rétracté du seul fait qu'il n'a pas été repris dans les dernières conclusions". En l'occurrence, la preuve du caractère délibéré de l'omission imputable à la débitrice avait été trouvé dans l'affirmation contenue dans les conclusions de la débitrice selon laquelle cette dernière "ne se [reconnaissait] débitrice d'aucune somme à l'égard de quiconque et ne [reconnaissait] à quiconque la qualité de créancier et que, dès lors, l'établissement d'une liste de créanciers par ses soins [était], de toute façon, sans pertinence aucune". Les juges du fond avaient souverainement appréciés qu'il ressortait de cela que la débitrice s'était volontairement gardée d'établir la liste obligatoire visée à l'article L. 622-6 du Code de commerce.

Sur les trois points qu'il évoque, l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation mérite d'être pleinement approuvé. Est ainsi évité que le nouveau cas de relevé de forclusion créé par la loi de sauvegarde des entreprises ne reste lettre morte.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Déclaration de créance et fait générateur de la créance contractuelle (Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-21.456, FS-P+B (N° Lexbase : A3015EQQ)

La délimitation des créances antérieures et des créances postérieures constitue la base de gestion des créances dans le droit des entreprises en difficulté, même si, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, ce critère distinctif doit être sensiblement affiné, compte tenu du critère téléologique introduit pour rendre éligibles au traitement préférentiel certaines créances postérieures. De cette distinction, dépend l'application d'un certain nombre de règles restrictives de droits, à savoir l'interdiction des paiements, l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'obligation corrélative de déclaration des créances au passif.

A priori, la question de savoir si une créance est antérieure ou postérieure au jugement d'ouverture est résolue facilement. Si le fait générateur de la créance est antérieur au jugement d'ouverture, la créance a elle-même la nature d'une créance antérieure. Si le fait générateur est postérieur audit jugement, la créance est identiquement postérieure. Les difficultés commencent lorsqu'on essaie de déterminer avec précision le fait générateur des créances. En matière contractuelle, deux thèses s'affrontent : la thèse volontariste et la thèse économique.

La doctrine civiliste privilégie la thèse volontariste. Selon celle-ci, le fait générateur de la créance contractuelle serait toujours trouvé dans le contrat, c'est-à-dire dans sa perfection, et non dans son exécution. A partir de la perfection du contrat, pour chacune des parties, naîtraient les obligations réciproques (5).

Selon la thèse économique, dite aussi matérialiste, il serait possible de dissocier la formation du contrat de son contenu "obligationnel". Le fait générateur de la créance ne serait plus trouvé dans la formation du contrat, mais dans son exécution (6). Le fait générateur de la créance contractuelle de somme d'argent serait ainsi, dans les contrats synallagmatiques, la contrepartie attendue de l'autre partie au contrat, c'est-à-dire, pour cette dernière, l'objet de son obligation. Il s'agit plus précisément de la contrepartie caractéristique, c'est-à-dire principale, du contrat sur lequel il est raisonné. La cause de l'obligation, pour celui qui s'engage à payer, constitue, de la sorte, le fait générateur de la créance (7).

Les deux thèses ont trouvé des échos.

C'est ainsi que la Cour de cassation réunie en Chambre mixte, lorsqu'elle statue à propos de la saisie-attribution de créances à exécution successive, considère que les créances futures de loyers, qui correspondent à des périodes postérieures au jugement d'ouverture, peuvent continuer à être saisies parce qu'elles sont nées de la conclusion du bail, et non au fur et à mesure de la jouissance procurée (8). La Chambre commerciale suit cette solution (9), ce qui l'a conduite ensuite à juger identiquement que l'avis à tiers détenteur portant sur des créances à exécution successive continue à produire ses effets après le jugement d'ouverture (10).

La thèse économique ou matérielle connaît également des applications directes. Cette thèse est retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation lorsqu'elle juge que les sommes qui sont réclamées à une entreprise, qui poursuit son activité en utilisant des services communs afin d'assurer l'exécution de ses propres prestations, ont la nature de dettes postérieures, si elles correspondent à des dépenses de fonctionnement d'un compte prorata existant entre diverses entreprises intervenant sur un chantier, réparties au prorata des montants de chaque marché, engagées après le jugement d'ouverture. La Cour de cassation refuse de trouver dans l'ouverture du compte prorata le fait générateur de telles sommes (11).

Cette thèse matérialiste est également retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation lorsqu'elle juge, en présence d'un bail conclu avant jugement d'ouverture, que le bailleur peut être titulaire à la fois d'une créance antérieure au jugement d'ouverture et d'une créance postérieure au même jugement. Le loyer "à cheval" sur une période antérieure au jugement d'ouverture et postérieure audit jugement doit être fractionné en deux créances distinctes, l'une antérieure, l'autre postérieure (12). La même solution est posée pour la créance de fermage due au titre d'une année culturale (13). Les accessoires d'une créance de loyers auront la même nature. La solution a été posée pour une clause pénale assise sur un loyer impayé après jugement d'ouverture et ayant elle-même la qualité de créance postérieure (14).

La question de la délimitation des créances antérieures ou postérieures au jugement d'ouverture revêt une importance de premier plan lorsque le créancier, dont la créance est issue d'un contrat à exécution successive, tel le bail, est confronté à devoir déclarer sa créance. Que devra-t-il déclarer : tous les loyers issus du bail, peu important qu'ils correspondent à une jouissance procurée après le jugement d'ouverture ou seulement les loyers du bail correspondant à une jouissance procurée après le jugement d'ouverture ? C'est la question à laquelle devait, dans un premier temps, répondre la Cour de cassation, pour en tirer ensuite des conséquences précises.

En l'espèce, une société de crédit-bail a conclu avec un preneur un contrat de crédit-bail immobilier. Le preneur est placé en redressement judiciaire. Un préposé de la société de crédit-bail déclare au passif la créance, dont une partie à échoir à titre privilégiée. La société obtient un plan de continuation. Prétendant que la créance avait été irrégulièrement déclarée, le débiteur et son représentant des créanciers la contestent. Les juges du fond font droit à la contestation et la cour d'appel en tire la conséquence que la créance déclarée irrégulièrement est éteinte, ce qui est sa sanction classique, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR) applicable aux faits de l'espèce.

Le crédit-bailleur va se pourvoir en cassation. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si l'extinction de la créance irrégulièrement déclarée pouvait se produire, dès lors que ladite créance n'était pas soumise à déclaration au passif, dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une créance antérieure.

Cassant l'arrêt de la cour d'appel, la Cour de cassation va énoncer que, "en déclarant éteinte pour défaut de justification du pouvoir spécial dans le délai légal la créance de crédit-bail, alors que la créance relative aux loyers du crédit-bail dus pour la période de jouissance suivant l'ouverture du redressement judiciaire constitue une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture, qui n'était pas soumise à l'obligation de déclaration, et ne pouvait donc être éteinte en raison de l'irrégularité de cette dernière, la cour d'appel a violé les textes susvisés [C. com., art. L. 621-32 N° Lexbase : L6884AIS, L. 621-43 N° Lexbase : L6895AI9 et L. 621-44 N° Lexbase : L6706DAM]".

Le crédit bailleur n'a donc pas à déclarer au passif les loyers du contrat correspondant à une jouissance procurée après le jugement d'ouverture. L'affirmation est sans ambiguïté : les loyers du crédit-bail dus pour la période de jouissance suivant l'ouverture du redressement judiciaire sont des créances postérieures, non soumises, comme telles, à déclaration au passif. Indiscutablement, ce faisant, la Cour de cassation adopte la thèse matérialiste qui, en matière de contrat à exécution successive, fixe la naissance des contrats dans la contrepartie de l'obligation financière du débiteur, c'est-à-dire, en matière de bail ou de crédit-bail, dans l'obligation de jouissance due par le bailleur, contrepartie du versement du loyer dû par le locataire.

Le visa des articles L. 621-43 et L. 621-44 du Code de commerce est spécialement lourd de signification. Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, l'article L. 621-43 du Code de commerce pose le principe de soumission des créanciers antérieurs à l'obligation déclaration au passif. L'article L. 621-44 du même code, pour sa part, oblige le créancier à mentionner dans sa déclaration de créance les sommes échues et à échoir. La difficulté pour les crédits- bailleurs et autres locataires financiers provenait précisément de cette disposition, qu'ils avaient interprétée à tort, en l'isolant de son contexte, c'est-à-dire de la disposition posant le principe de déclaration des créances antérieures au passif, l'article L. 621-43. Ils n'avaient pas compris, ce qui explique aujourd'hui encore de graves irrégularités affectant les déclarations de créances de bailleurs financiers, que l'article L. 621-44 du Code de commerce devait être lu à la lumière de la disposition précédente, l'article L. 621-43 : en présence d'une créance antérieure, le créancier, qui doit déclarer celle-ci au passif (C. com., art. L. 621-43) doit mentionner les créances échues avant le jugement d'ouverture et celles à échoir après ledit jugement (C. com., art. L. 621-44). Seuls les créanciers antérieurs sont concernés, non les créanciers postérieurs. Dans ces conditions, comme l'affirme clairement, dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation, le bailleur financier n'a pas à mentionner dans sa déclaration de créance les loyers dus pour une période de jouissance postérieure au jugement d'ouverture, parce qu'ils sont des créances postérieures non soumises à déclaration au passif.

Ces solutions sont parfaitement transposables, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises. Les dispositions ont été reprises, sans grande modification, l'article L. 621-43 étant devenu l'article L. 622-24 (N° Lexbase : L3455ICX) et l'article L. 621-44 étant, pour sa part, devenu l'article L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC).

Il importe désormais de faire attention à l'article R. 622-22, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L0894HZ7), selon lequel "en application du cinquième alinéa de l'article L. 622-24, les créanciers dont les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17, résultent d'un contrat à exécution successive déclarent leurs créances, pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d'une évaluation, dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales". Ce texte ne régit que les seuls créanciers titulaires de créances postérieures non éligibles au traitement préférentiel.

Dans la rédaction d'origine de la loi de sauvegarde des entreprises, certaines créances pouvaient être soumises à cette disposition. Il s'agissait des créances nées de contrats conclus avant jugement d'ouverture, et poursuivis après ledit jugement, mais n'étant pas la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité professionnelle. En clair, il s'agissait de créances contractuelles nées de la continuation de contrats sans rapport avec la poursuite d'activité. Pareille situation ne pouvait se présenter en matière de crédit-bail, puisque, par définition, le contrat de crédit-bail porte sur un bien à destination professionnelle. Il n'est pas conclu pour des besoins extra-professionnels et ne peut donc pas faire naître de créances sans rapport avec l'activité professionnelle. En revanche, la question pouvait se poser pour des contrats de location avec option d'achat, qui portaient, par exemple, sur des véhicules de tourisme destinés aux besoins extra professionnels de débiteurs personnes physiques.

Au demeurant, et bien que le texte de l'article R. 622-22 du Code de commerce, qui ne s'intéresse qu'à des créances contractuelles non éligibles au traitement préférentiel, n'ait pas été modifié par l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), il n'a plus aucune vocation à s'appliquer, puisque, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008, toutes les créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur après le jugement d'ouverture sont éligibles au traitement préférentiel, même si ces créances sont sans rapport avec l'activité professionnelle du débiteur. Cette disposition aurait dû être supprimée et ne constitue qu'une scorie de la législation précédente.

Les choses sont donc aujourd'hui extrêmement claires : les créances issues d'un contrat conclu avant le jugement d'ouverture, qui correspondent à la contrepartie d'une prestation fournie après le jugement d'ouverture, sont nécessairement éligibles au traitement préférentiel et, par voie de conséquence, sont dispensées de déclaration au passif.

La conséquence de la dispense de déclaration au passif des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel est la suivante, selon la Cour de cassation. Ces créances n'ont pas à être déclarées au passif. Si elles le sont irrégulièrement, cela doit rester sans conséquence, et le juge-commissaire ne peut donc prononcer leur extinction sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 et, sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, leur inopposabilité à la procédure collective.

La Cour de cassation ne prend toutefois pas position sur une autre question : quelle conséquence attacher à une admission au passif d'une créance postérieure au jugement d'ouverture ? La réponse semble devoir être apportée au regard de la portée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission d'une créance au passif. Selon la Cour de cassation, l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission au passif d'une créance est triple : elle porte sur l'existence, le montant et la nature de la créance (15). La question prochaine qui se posera à la Cour de cassation sera sans doute de préciser si la notion de "nature de la créance" doit s'entendre seulement de la nature privilégiée ou chirographaire ou si elle doit également s'entendre de sa nature antérieure ou postérieure. La seconde interprétation aurait une portée spécialement importante. En effet, si le créancier déclare une créance postérieure et qu'il est admis au passif au titre de cette créance, il transforme la nature de sa créance pour la faire devenir, juridiquement, une créance antérieure, soumise comme telle aux règles de l'interdiction des paiements, de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et ne pouvant, par voie de conséquence, bénéficier de la règle du paiement à l'échéance ou par privilège, bénéfices réservés aux seules créances postérieures éligibles au traitement préférentiel. Affaire à suivre...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com., 2 novembre 2005, n° 04-16.816, Société Entreprise Miraglia c/ Société Jouberts composants, FS-D (N° Lexbase : A5180DLG) ; CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 29 novembre 2000, RD Banc. et fin., 2001/2, 64, obs. F.-X. Lucas ; CA Nancy, ch. com., 16 octobre 2002, RD banc. et fin., 2004/1, p. 27, n° 26, obs. F.-X. Lucas.
(2) Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-19.257, Société Ambiance club, FS-P+B (N° Lexbase : A1011DTM), Bull. civ. IV, n° 257 ; D., 2007, AJ p. 228, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 47, note E. Le Corre-Broly ; CA Paris, 3ème ch., sect. C, 25 avril 2003, n° 2002/12605, Société Semino SA c/ Maître Bertrand Jeanne, RD banc. et fin., 2003/5, p. 294, n° 195, obs. F.-X. Lucas ; CA Paris, 3ème ch., sect C, 20 juin 2003, n° 2002/17916, SARL Société Prylorn c/ Maître Madonna (N° Lexbase : A3711C9C), RD banc. et fin., 2003/5, p. 294, n° 195, obs. F.-X. Lucas ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 6 juillet 2004, n° 2003/18580, Société Sivantex SARL c/ Maitre Stackler (N° Lexbase : A2828DD4) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 6 juillet 2004, n° 2003/18663, Société Comitex SARL c/ Maître Renaud Stackler  (N° Lexbase : A2827DD3) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 juin 2005, n° 2004/19670, RTDCom., 2006/1, p. 201, n° 2, obs. A. Martin-Serf.
(3) Sur cette question, notamment sur le terrain de l'état de cessation de paiement, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2010/2011, n° 221.23.
(4) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 665.53.
(5) Ainsi, E. Putman, La formation des créances, th., Aix-Marseille, 1987 ; R. Perrot, obs. RTDCiv., 1995, 965 ; C. Larroumet, obs. sous Cass com., 26 avril 2000, n° 97-10.415, Société Westpac Banking Corporation c/ Société Socpresse (N° Lexbase : A5133AWZ), D., 2000, jur. 717.
(6) P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel, RTDCiv., 1999, 772 ; adde, Coquelet, 3ème éd., n° 197.
(7) Ainsi, évoquant les prestations fournies en contrepartie du paiement de cotisations d'adhésion à une association, Cass com., 30 octobre 2000, n° 97-21.372, GAEC de Rocheville et autres c/ Association syndicale autorisée de Giroussens, inédit (N° Lexbase : A6181C73), RJDA, 2001/2, n° 187.
(8) Aussi, sur ce constat, J.-cl. Com., J. Vallansan, fasc. 2352, Déclaration et admission des créances, éd. 2007, n° 17.
(9) Cass. com., 5 novembre 2003, n° 99-20.223, Société civile professionnelle (SCP) Mizon-Thoux c/ Banque nationale de Paris, FS-P+B (N° Lexbase : A0877DAQ), Bull. civ. IV, n° 165, Act. proc. coll., 2003/20, n° 256, RD banc. et fin., 2004/1, p. 33, n° 37, obs. J.-M. Delleci, Dr. et proc., 2004/2, p. 108, note E. Putman, RTDCom., 2004, p. 371, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Cass com., 3 décembre 2003, n° 01-03.803, M. Bernard Soinne c/ Société générale, F-D (N° Lexbase : A3575DAN), D., 2004, somm. comm. p. 1489, obs. G. Taormina.
(10) Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-13.309, M. Jean-Jacques Savenier c/ Receveur principal de la Recette principale des Impôts, FS-P+B (N° Lexbase : A0809C9T), Bull. civ. IV, n° 132, D., 2003, AJ p. 2094, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2003/14, n° 185, obs. C. Régnaut-Moutier, Dr. et proc., 2004/1, p. 31, obs. E. Putman, JCP éd. E, chron. 202, p. 229, n° 16, obs. M. Cabrillac, RD banc. et fin., 2003/6, p. 369, n° 234, obs. F.-X. Lucas, RTDCiv., 2003, p. 708, n° 11, obs. J. Mestre et B. Fages, RTDCom., 2004, p. 371, n° 2, obs. A. Martin-Serf, nos obs., La poursuite des effets d'un avis à tiers détenteur sur des créances de loyers après redressement judiciaire du contribuable, Lexbase Hebdo n° 89 du 9 octobre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8967AAD) ; CA Paris, 8ème ch., sect. B, 9 octobre 2003, n° 2003/02161, Monsieur le receveur principal des impôts de Nogent-sur-Marne c/ Maitre Pierre Ségui (N° Lexbase : A8614C9W).
(11) Cass. com. 27 février 2007, n° 05-19.619, M. Pascal Raynaud, F-D (N° Lexbase : A5946DUR), Bull. Joly, juillet 2007, § 233, p. 833, note J. Vallansan.
(12) Cass com., 28 mai 2002, n° 99-12.275, M. Philippe Martin c/ Société Batinorest, FS-P (N° Lexbase : A7928AYB), Bull. civ. IV, n° 94, D., 2002, AJ 2124, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2002/13, n° 172, obs. J. Vallansan et C. Golhen, JCP éd. E, 2003, chron 231, p. 269, n° 10, obs. Ph. Pétel, RTDCom., 2002, 726, n° 3, obs. A. Martin-Serf, Rev. proc. coll., 2003, p. 146, n° 4, obs. C. Saint-Alary-Houin, LPA, 19 décembre 2002, n° 253, p. 18, note J.-L. Courtier ; CA Paris, 14e ch., sect. B, 19 décembre 2003, n° 02/18466, Société civile Olan c/ SARL Body Form (N° Lexbase : A9728DAK).
(13) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.610, Mme Marie-Thérèse Delvolvé, F-D (N° Lexbase : A6906DUC) ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 144, n° 2, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 164, n° 7, obs. Ch. Lebel.
(14) Cass. com. 25 novembre 1997, n° 95-18.432, Société Dusfour matériel, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et autres c/ Société Case Poclain, société anonyme, inédit au bulletin (N° Lexbase : A3322C3G) ; Rev. proc. coll. 1998, 295, n° 13, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(15) Cass. com., 8 janvier 2002, n° 98-21.745, Société Natexis banque c/ Société financière et foncière Eurobail, F-D (N° Lexbase : A7734AXQ), Act. proc. coll., 2002/8, n° 98 ; Cass com., 18 janvier 2005, n° 02-15.832, Association Instep Midi-Pyrénées c/ Association Instep Formation Aquitaine, F-D (N° Lexbase : A0732DG9), Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 38, n° 3-3, nos obs..

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