Réf. : Cass. civ. 1, 23 octobre 2024, n° 22-20.367, FS-B N° Lexbase : A76936BK ; Cassation, CA Versailles,14 juin 2022
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par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris
le 19 Décembre 2024
Mots-clés : testament • legs • légataire universel • héritier réservataire • délivrance • action personnelle • prescription
Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Il résulte de l'article 1004 du même code qu'à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires. L'action en délivrance du legs, qui présente le caractère d'une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 de ce code.
Aux termes de l'article 2224 du code civil N° Lexbase : L7184IAC, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il résulte de l'article 1004 du code civil N° Lexbase : L0161HPN qu'à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires.
L'action en délivrance du legs, qui présente le caractère d'une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du même code.
Après avoir relevé que le point de départ de la prescription de l'action en délivrance du legs universel de M. [X] devait être fixé au 8 décembre 2008, date du décès d'[N] [E], la cour d'appel a retenu qu'aucune demande formée par M. [X] lors du litige tendant à l'interprétation du testament, tranché par l'arrêt du 30 janvier 2014, ne pouvait s'analyser en une demande reconventionnelle aux fins de délivrance de son legs, et que cette procédure n'avait pas suspendu la prescription de l'action en délivrance du legs.
Elle en a exactement déduit que la demande de délivrance du legs de M. [X] était prescrite et que son legs était privé de toute efficacité.
Dans la présente affaire, Nicole est décédée le 8 décembre 2008, en laissant à sa survivance son fils, Michel, en l’état d’un testament authentique daté du 13 juillet 2007 instituant Xavier légataire universel. Le 27 août 2009, Michel et Xavier ont saisi conjointement le président du TGI d’une demande de désignation d’un administrateur de la succession. Le 12 mai 2014, Xavier a finalement demandé la délivrance de son legs à Michel, qui refuse. Xavier a donc assigné en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession le 10 mars 2015. Michel a alors opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en délivrance de ce legs. Une cour d’appel fait droit à la demande (arrêt infirmatif de ce chef). Xavier forme un pourvoi, dont le premier moyen soutient en sa première branche que le délai de prescription de l’action en délivrance est de dix ans, par application de l’article 780 du Code civil N° Lexbase : L9853HNA. Ce moyen de cassation est rejeté.
Ce rappel des faits est nécessaire, car la question ici tranchée par la Cour de cassation est discutée en doctrine, et l’arrêt commenté mettra sans doute fin à ce débat. Il est donc décidé par la Cour de cassation que l’action en délivrance d’un legs est une action personnelle qui se prescrit par cinq ans. Voilà qui clôt un débat doctrinal né de l’incertitude des textes. Certains auteurs estiment que la prescription est de dix ans, exactement comme pour l’option successorale (v., M. Nicod, Prescription de l'action en délivrance du legs, Dr. fam. 2015, n° 6, comm. 168). D’autres ont au contraire défendu la prescription trentenaire lorsque le legs porte sur un immeuble (v., Rép. pr. civ., v° Recueil de la succession, par V. Egea, n° 134). Enfin, un troisième courant soutient que la prescription est quinquennale (v., M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, 2020, n° 436 ; P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 10e éd., LGDJ, 2022, n° 419). C’est donc ce dernier courant qui est consacré par la présente décision.
Deux raisons complémentaires (au moins) conduisent à approuver la position retenue par la Cour de cassation.
Le légataire doit donc demander la délivrance ET le paiement de son legs s’il veut exercer ses droits et récupérer les biens objets du legs. Il est donc cohérent que ces deux actions (délivrance et paiement), qui sont liées mais qui demeurent distinctes, soient soumises à la même durée de prescription. Un légataire qui demanderait la délivrance dans le délai, mais qui oublierait de demander, aussi, le paiement, serait titulaire d’un droit qu’il ne pourrait plus exercer (avec le débat sur la nature de la prescription - extinction ou paralysie du droit ? – qu’il ne nous appartient pas de développer ici). On voit donc que les deux actions sont liées, sont complémentaires, mais distinctes. La logique commande qu’elles soient soumises toutes deux au même délai de prescription, car que ferait-on d’une demande de délivrance présentée sept ou quinze ans après le décès dont le paiement serait impossible, puisque celui-ci serait prescrit depuis deux ou dix ans ? La solution est donc pleinement justifiée.
Par ailleurs, on gardera aussi à l’esprit que le fait, pour le légataire, d’être déjà en possession (dès avant le décès) ne dispense pas de demander la délivrance (Cass. civ. 1, 21 juin 2023, n° 21-20.396, FS-B N° Lexbase : A984093T ; AJ fam. AJ Famille 2023 p.464, obs. N. Levillain). Enfin, si la demande de délivrance est prescrite, le droit de demander les fruits l’est aussi (Cass. civ. 1, 21 juin 2023, prec.).
Au total, une seule question n’est pas résolue par la présente décision : le point de départ du délai de prescription de cinq ans ici affirmé. La décision sous examen affirme que le délai de cinq court à compter du décès, ce qui n’est pas nouveau (v., Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n° 19-11.543, FS-P+B N° Lexbase : A68893W3). La solution est donc confirmée. D’ailleurs l’arrêt précise expressément que la demande reconventionnelle portant sur l’interprétation du testament n’est pas suspensive de la prescription de la demande de délivrance. Il faudra donc toujours demander la délivrance, quand bien même une contestation relative au testament serait en cours. Attendre l’issue de cette contestation sera fatal. On peut toutefois être modérément convaincu par ce choix, car cela veut dire que l’on peut prescrit sur le legs alors que l’on ne sait toujours pas si celui-ci est valable ou non. La solution n’est que peu alignée avec ce qui se décide en droit de la responsabilité notariale, où il est jugé que le point de départ de la prescription est la décision de justice définitive statuant sur le droit en cause (v., pour une vente, Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 18-26.390, FS-P+B N° Lexbase : A52973TD ; et pour la nullité d’une donation, v., Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 19-19.409, F-D N° Lexbase : A00067AH). Le commentateur peine à comprendre cette divergence de solutions, alors que la question posée est, fondamentalement, la même. C’est ce point-là que l’avenir devra éclaircir.
Reste le message de l’arrêt : légataires, réclamez votre legs sans attendre. Cinq ans après le décès, la délivrance sera prescrite (et le paiement aussi).
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