Réf. : CJUE, 18 juin 2024, aff. C-352/22, A. N° Lexbase : A85635IY
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par Yann Le Foll
le 25 Juillet 2024
► L’octroi du statut de réfugié dans un État membre s’oppose à l’extradition de l’intéressé vers son pays d’origine.
Faits. La Turquie a demandé à l’Allemagne d’extrader un ressortissant turc d’origine kurde, soupçonné d’homicide. La juridiction allemande devant statuer sur cette demande se pose la question de savoir si le fait que l’intéressé s’est vu reconnaître le statut de réfugié en Italie en 2010, au motif qu’il courrait un risque de persécutions politiques par les autorités turques en raison de son soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), s’oppose à l’extradition.
Cette question relevant du régime d’asile européen ainsi que de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la juridiction allemande a interrogé la Cour de justice à ce sujet.
Position CJUE. Aussi longtemps que l’individu réclamé possède la qualité de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de la Directive (UE) n° 2011/95 du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale N° Lexbase : L8922IRU et de l’article 1er, section A, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP, une extradition de cet individu vers son pays tiers d’origine aurait pour effet de le priver de la jouissance effective du droit d’asile que lui offre l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 N° Lexbase : L0230LGM. Partant, tant que ledit individu remplit les conditions pour jouir de cette qualité, l’article 18 de la Charte s’oppose à son extradition vers le pays tiers qu’il a fui et dans lequel il risque d’être persécuté.
En l’occurrence, cela signifie que tant qu’il subsiste un risque que l’intéressé subisse sur le territoire de son État tiers d’origine, dont émane la demande d’extradition, les persécutions politiques en raison desquelles les autorités italiennes lui ont octroyé le statut de réfugié, son extradition vers cet État tiers est exclue au titre de l’article 18 de la Charte.
En outre, l’article 19, paragraphe 2, de la Charte interdit en des termes absolus l’éloignement d’une personne vers un État où il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (CJUE, 6 juillet 2023, aff. C-663/21 N° Lexbase : A1520998).
Par conséquent, lorsque la personne visée par une demande d’extradition se prévaut d’un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d’extradition, l’État membre requis doit vérifier, avant de procéder à une éventuelle extradition, que cette dernière ne portera pas atteinte aux droits visés à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (CJUE, 2 avril 2020, aff. C-897/19 PPU, I.N. N° Lexbase : A56293KP).
Pour ce faire, cet État membre, conformément à l’article 4 de la Charte, qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l’État tiers requérant ou l’acceptation, par ce dernier État, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux.
L’autorité compétente de l’État membre requis doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, de décisions judiciaires de l’État tiers requérant ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies (CJUE, 2 avril 2020, aff. C-897/19 PPU, I.N., préc).
Or, aux fins d’apprécier le risque de violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Directive 2011/95 ainsi que de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, la circonstance qu’un autre État membre a octroyé à l’individu réclamé le statut de réfugié, conformément aux Directives (UE) n° 2011/95 et n° 2013/32 du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD, constitue un élément particulièrement sérieux dont l’autorité compétente de l’État membre requis doit tenir compte. Ainsi, une décision d’octroi du statut de réfugié doit, pour autant que ce statut n’ait pas été révoqué ou retiré par l’État membre l’ayant octroyé, conduire cette autorité à refuser l’extradition, en application de ces dispositions.
Décision CJUE. Lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un État membre fait l’objet, dans un autre État membre, sur le territoire duquel il réside, d’une demande d’extradition émanant de son pays d’origine, l’État membre requis ne saurait, sans avoir entamé un échange d’informations avec l’autorité ayant octroyé ce statut à l’individu réclamé et en l’absence de révocation dudit statut par cette autorité, autoriser l’extradition.
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