Réf. : Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 08-43.299, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5751E9U)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé Les juges se doivent de vérifier si l'engagement d'un salarié durant le congé de maternité d'une salariée n'a pas pour objet de pourvoir à son remplacement définitif, de sorte qu'il caractérise une mesure préparatoire à son licenciement. |
Observations
I - L'interdiction de licencier
Rappel des règles légales. L'alinéa 1er de l'article L. 1225-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0854H9I) fait interdiction à l'employeur de rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constatée et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.
Cette interdiction de licencier n'est cependant pas totale. En application de l'alinéa second de ce même texte, l'employeur est, en effet, en droit de procéder à la rupture du contrat de la salariée s'il est en mesure de justifier d'une faute grave, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ces deux hypothèses toutefois la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnée au premier alinéa.
Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen était seulement en cause l'alinéa 1er de l'article L. 1225-4 et plus spécifiquement une interrogation sur le champ d'application de l'interdiction de licencier.
Difficulté posée par l'espèce. En l'espèce, une salariée engagée en qualité de contrôleur de gestion en décembre 2003, avait été placée en arrêt maladie à compter du 1er août 2005, puis en congé de maternité du 15 août au 3 décembre de la même année. Ayant bénéficié de congés annuels entre le 5 et 30 décembre 2005, elle avait repris ses fonctions le 2 janvier 2006. Le 4 janvier suivant, elle était convoquée à un entretien préalable à son licenciement, notifié pour insuffisance professionnelle le 27 janvier 2006. La salariée a alors saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir prononcer la nullité de la rupture et se voir accorder des dommages-intérêts.
Pour débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt attaqué a retenu que le seul fait qu'un éventuel licenciement ait pu être évoqué à l'occasion de la réunion du 18 décembre 2005 avec le directeur des ressources humaines de la société, ne peut valoir licenciement verbal ni même manoeuvre préparatoire. En outre, la présence du nom de son remplaçant dans l'organigramme de la société pendant son congé de maternité ne peut faire davantage la preuve de cette rupture.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1225-4 interprété à la lumière de l'article 10 de la Directive 92/85 du 19 octobre 1992 (N° Lexbase : L7504AUH). Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en se déterminant ainsi, sans vérifier comme elle y était invitée, si l'engagement d'un salarié durant le congé de maternité de l'intéressée n'avait pas eu pour objet de pourvoir à son remplacement définitif, de sorte qu'il caractérisait une mesure préparatoire à son licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".
Ce faisant, la Cour de cassation étend l'interdiction posée par l'article L. 1225-4 aux mesures préparatoires au licenciement, ce qui doit être pleinement approuvé.
II - L'interdiction des mesures préparatoires au licenciement
Fondements de la solution. Si, ainsi que nous le verrons ci-après, la solution retenue pouvait s'inférer des dispositions de l'article L. 1225-4, on ne saurait dire qu'elle y est clairement énoncée. Elle n'apparaît pas plus de manière évidente dans l'article 10 de la Directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 qui se borne à indiquer, "qu'en vue de garantir aux travailleuses [...] l'exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que : 1) les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l'article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu'au terme du congé de maternité visé à l'article 8, paragraphe 1, sauf dans les cas d'exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l'autorité compétente ait donné son accord".
En revanche, dans un arrêt rendu le 11 octobre 2007, la CJCE a considéré qu'"eu égard aux objectifs poursuivis par son article 10, il convient de relever que l'interdiction de licenciement de la femme enceinte, accouchée et allaitante pendant la période de protection ne se limite pas à la notification de la décision de licenciement. La protection accordée par cette disposition auxdites travailleuses exclut tant la prise d'une décision de licenciement que l'adoption de préparatifs de licenciement, tels que la recherche et la prévision d'un remplacement définitif de l'employée concernée en raison de la grossesse et/ou de la naissance d'un enfant" (consid. 33) (1).
On aura compris, à la seule lecture de ce considérant, que l'arrêt sous examen donne simplement l'occasion à la Cour de cassation de se ranger à l'opinion de la CJCE. Il convient de s'en féliciter. Ramener l'interdiction de licencier à la seule notification du licenciement pendant la grossesse ou le congé maternité aurait été grandement contestable. L'interdiction précitée n'a pas seulement pour but de garantir à la salariée qu'elle ne perdra pas son emploi en raison de sa grossesse ou de son congé maternité. Elle concourt aussi à protéger sa sécurité et sa santé en lui évitant tous soucis quant à son avenir professionnel. Quel peut être l'état d'esprit d'une salariée en congé maternité qui, sans être effectivement, licenciée constate que son remplaçant a d'ores et déjà été engagé ?
On ajoutera que, selon nous, la solution pouvait se déduire de l'article L. 1225-4 du Code du travail (2). En effet, alors que le second alinéa vise la prise d'effet et la notification du licenciement, le premier indique seulement que l'employeur "ne peut rompre le contrat de travail". Cette rupture implique par hypothèse une décision de l'employeur précédant sa notification et, de façon générale, son extériorisation. Or cette dernière peut prendre diverses formes. Evidente en cas de convocation à un entretien préalable, elle peut, ainsi qu'en témoignent l'arrêt sous examen et celui précité de la CJCE, découler de certaines circonstances. Il en va ainsi lorsque l'employeur pourvoit au remplacement définitif de la salariée en congé maternité (3), voire prépare celui-ci en faisant paraître des offres d'emploi en ce sens (4).
Portée de la solution. Il faut désormais tenir pour acquis que non seulement l'employeur ne peut pas notifier un licenciement à une salariée en état de grossesse ou en congé maternité, mais il ne peut pas non plus "préparer" son licenciement pendant cette période, remettant simplement sa mise en oeuvre à son terme.
Il convient, à cet égard, de rappeler que la Cour de cassation a récemment décidé que pendant les quatre semaines suivant l'expiration des périodes de suspension du contrat de travail, le licenciement pour faute grave non liée à l'état de grossesse ou pour impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement est possible (5). Or, en l'espèce, l'entretien préalable avait été organisé pendant le congé maternité de la salariée ; ce qui, à l'évidence, caractérisait un acte préparatoire au licenciement. Faut-il par suite considérer que la solution retenue dans l'arrêt sous examen condamne celle-ci ?
Au regard de notre législation, cela paraît difficile. En effet, et ainsi qu'il a été relevé précédemment, l'alinéa second de l'article L. 1225-4 interdit de notifier le licenciement pendant le congé maternité non de le "décider" et de le "préparer". En revanche, la jurisprudence communautaire et l'objectif d'assurer la protection de la santé et de la sécurité de la salariée pourrait laisser à penser que le congé de maternité doit être définitivement "sanctuarisé" (6).
(1) CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-460/06 (N° Lexbase : A7181DYM).
(2) Il aurait sans doute été également possible, dans semblable espèce, de faire application du principe selon lequel la fraude corrompt tout. N'est-il pas au demeurant curieux qu'un employeur attende le retour d'une salariée de congé maternité pour la licencier pour insuffisance professionnelle ?
(3) Ce qui n'est pas avéré dans l'affaire en cause. Cela ne remet évidemment nullement en cause la faculté pour un employeur de faire appel à un salarié en contrat à durée déterminée ou à un travailleur intérimaire pour remplacer la salariée absente.
(4) V. à cet égard, l'arrêt préc. de la CJCE.
(5) Cass. soc., 17 février 2010, n° 06-41.392, F-P+B (N° Lexbase : A0348ESP). Lire Ch. Radé, L'employeur peut anticiper la fin du congé de maternité et convoquer la salariée à l'entretien préalable à son licenciement pour faute grave, Lexbase Hebdo n0385 du 4 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4668BN9).
(6) V. en ce sens, Ch. Radé, op. cit..
Décision Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 08-43.299, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5751E9U) Cassation, CA Angers (chambre sociale), 13 mai 2008 Texte visé : C. trav., art. L.1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I) interprété à la lumière de l'article 10 de la Directive 92/85 du 19 octobre 1992 Mots-clefs : maternité, congé de maternité, interdiction de licencier, portée, interdiction des mesures préparatoires au licenciement. Liens base : |
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