La lettre juridique n°956 du 14 septembre 2023

La lettre juridique - Édition n°956

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Code de déontologie des avocats : qu’est-ce qui change ?

Réf. : Décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats N° Lexbase : L0651MIX

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N6641BZY

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par Dominic Jensen, avocat au Barreau de Paris, associé Librato Avocats. Membre expert de la Commission structures professionnelles de l’avocat du CNB, membre référent du Réseau structures du CNB, enseignant à l’EFB.

Le 07 Septembre 2023

Mots-clés : avocats • déontologie • Code de déontologie des avocats •  loi pour la confiance dans l’institution judiciaire •  règlement intérieur national (RIN) •  discipline.

Le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023, entré en vigueur le lendemain de sa publication, crée un Code de déontologie à destination des avocats, magistrats, justiciables et l'ensemble des interlocuteurs des avocats. Pour analyser la portée de ce Code, il faut d’abord en comprendre la genèse. Simple exercice de formatage et de numérotation ou davantage ? Nous chercherons à mesurer les apports réels de ce Code tant pour les avocats que pour leurs clients.


 

L’origine

Le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats a été pris en application de l'article 53, 2° de la loi du 31 décembre 1971[1], dans sa version issue de l'article 42 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire[2]. Cette loi trouve elle-même ses racines dans un rapport de l'Inspection générale de la justice remis au Garde des Sceaux le 15 décembre 2020[3].

La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire repose sur le principe selon lequel la confiance du public dans le travail des professionnels du droit est étroitement liée à la qualité du traitement des réclamations et à l'efficacité des mesures disciplinaires qui les concernent. L'objectif de cette loi était de concrétiser cette idée. Mettant en œuvre une des conclusions du rapport selon laquelle il était nécessaire de renforcer l'accessibilité des règles de déontologie des professionnels du droit, il a donc été décidé de doter chaque profession d'un « Code de déontologie préparé par son instance nationale ».

S’agissant des avocats, malgré l'existence d’un Code de l'avocat[4], les règles régissant cette profession proviennent de différentes sources juridiques, ce qui peut compliquer leur compréhension pour les personnes non initiées. Comme l’explique Jérôme Gavaudan, Président du CNB[5], le Code de déontologie des avocats est avant tout un exercice de compilation et de recensement effectué par le Conseil national des barreaux[6] avec pour objectif d’énoncer les grands principes applicables aux avocats dans leurs relations avec l'ensemble de leurs interlocuteurs.

La création de ce Code s’inscrit aussi dans le prolongement de la réforme de la discipline des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, des commissaires de justice, des greffiers des tribunaux de commerce, des notaires et des avocats, portée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.

On ne peut en effet dissocier l’apparition de ce Code de déontologie des avocats de la réforme de la procédure de discipline de la profession. Le rapport susvisé de l’Inspection générale de la justice, avait relevé la diversité et la complexité des régimes disciplinaires des professions du droit en en soulignant les conséquences préjudiciables pour les justiciables : un traitement insatisfaisant des réclamations des usagers, « esseulés » et particulièrement « désemparés », un contrôle disciplinaire parfois défaillant. Notre sujet n’est pas de commenter la réforme de la discipline. Il s’agit ici de comprendre l’articulation entre la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, la réforme de la discipline des avocats et la création du Code de déontologie. Les lecteurs pourront notamment se reporter à l’analyse faite par Édouard de Lamaze sur le sujet.

Cette articulation est parfaitement expliquée lorsque le rapport de l’Inspection générale de la justice fait le constat suivant concernant les règles déontologiques des professions concernées : « des valeurs déontologiques soutenant l’image et le bon fonctionnement de la profession plutôt qu’encadrant la prestation au client »[7]. Ce dernier point est essentiel dans la compréhension de la genèse du Code de déontologie portée par le récent décret. Il s’agit de changer de prisme dans la présentation des règles qui régissent la profession pour passer d’une approche autocentrée à une démarche explicative davantage axée sur le client.

Le fond et la forme

L’effet d’annonce de l’arrivée d’un Code de déontologie des avocats pouvait donner l’impression de la création d’un nouveau corpus de règles qui s’imposerait dorénavant à la profession d’avocat. Ce n’est pas le cas.

La mission du CNB, en application des instructions et consignes de la DACS a consisté à recenser et à compiler les principes déontologiques figurant dans les textes existants pour qu’ils puissent être plus facilement portés à la connaissance du public. Il faut y voir un double objectif : celui d’éclairer le justiciable sur ses droits lorsqu’il a recours aux services d’un avocat et, plus important encore, donner au public une information accessible sur les principes et règles déontologiques qui gouvernent la profession d’avocat. Cet objectif pédagogique dépasse le simple cadre de la relation client- avocat et s’inscrit pleinement dans la volonté d’améliorer la relation globale de confiance du citoyen avec tous les rouages de l’appareil judiciaire.

La commission des règles et usages du CNB a constitué un groupe de travail composé de certains de ses membres ainsi que de représentants du barreau de Paris et de la Conférence des Bâtonniers[8]. Il en a résulté une codification à droit constant organisée en six titres et 54 articles organisés de la manière suivante :

Titre 1er : Principes essentiels de la profession d'avocat (art. 1 à 5) ;

Titre II : Devoirs envers les clients (art. 6 à 15) ;

Titre III : Devoirs envers la partie adverse et envers les confrères (art. 16 à 20) ;

Titre IV : Incompatibilités (art. 21 à 35) ;

Titre V : Conditions d'exercice de la profession (art. 36 à 50) ;

Titre VI : Dispositions diverses (art. 51 à 54).

Quelques nuances minimes

Le Code de déontologie ne vient pas remplacer les textes existants. Ceux-ci continuent à s’appliquer. Dans leurs rapports entre eux comme avec les tiers, les avocats continueront à se référer au Règlement Intérieur National ou aux règlements intérieurs de leurs Ordres ainsi qu’à la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ou au décret n° 91-1190 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID.

Si rien ne change donc sur le fond, la rédaction de certains articles du Code constitue néanmoins une clarification dans la mesure où l’exercice de compilation a aussi été un exercice de synthèse et parfois de pédagogie.

Dans sa méthode de travail, le groupe constitué par le CNB est parti du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA, désormais abrogé. Le travail a alors consisté à compléter les textes du décret avec les principes énoncés dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans le décret n° 91-1190 du 27 novembre 1991 et enfin dans le Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) N° Lexbase : L4063IP8.

Le CNB a ainsi établi un tableau de concordance entre les articles du décret du 12 juillet 2005 et les articles du nouveau code.   

Quelques différences peuvent être relevées entre les textes du décret de 2005, les dispositions figurant actuellement dans le RIN et le nouveau Code de déontologie. Ces différences, toutefois minimes, sont essentiellement à destination du public. Elles rappellent certains principes et jettent aussi une lumière plus ouverte et moins corporatiste sur certains aspects du fonctionnement de la profession. Dans leur esprit, elles s’inscrivent dans le prolongement de la réforme de la procédure disciplinaire : plus lisible et transparente.

Les différences suivantes peuvent être relevées :

L’article 4 concernant le secret professionnel est complété par la phrase : « L’avocat ne peut en (ndlr : le secret professionnel) être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi ».

Article 7 apporte une précision sur les conflits d’intérêts en intégrant le dernier alinéa de l’article 4.1 du RIN : « Les mêmes règles (ndlr : celles des conflits d’intérêts) s’appliquent entre l’avocat collaborateur, pour ses dossiers personnels, et l’avocat ou la structure d’exercice avec lequel ou laquelle il collabore ».

Article 17 concernant la recherche de solutions amiables est une transposition de l’article 8.2. du RIN : « Avant toute procédure ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction, l’avocat peut, sous réserve de recueillir l’assentiment de son client, prendre contact avec la partie adverse ou la recevoir afin de lui proposer un règlement amiable du différend ».

Article 20 concernant la confraternité retient une rédaction plus simple que celle de l’article 21.5.1.1 « confraternité » - issu du Code de déontologie des avocats européens :

« La confraternité exige des relations de confiance entre avocats, dans l’intérêt du client et pour éviter des procès inutiles ainsi que tout autre comportement susceptible de nuire à la réputation de la profession. Elle ne doit cependant jamais mettre en opposition les intérêts de l’avocat et ceux du client ». Celui-ci devient : « Dans l’intérêt du client et d’un exercice professionnel de qualité, la confraternité exige des relations de confiance entre avocats. Elle ne doit cependant jamais mettre en opposition les intérêts de l’avocat et ceux du client ».

La portée du nouveau Code

Comme indiqué ci-dessus, à l’exception du décret du 12 juillet 2005 maintenant abrogé, les textes existants continuent à s’appliquer et le RIN reste le corpus de règles auquel les avocats vont continuer à se référer. Pour autant, l’apparition de ce Code soulève des interrogations sur l’articulation de la norme déontologique.

La question se pose notamment de savoir comment le Code de déontologie va évoluer alors que le CNB conserve bien entendu son pouvoir normatif d’élaboration du RIN.  

Comme le rappelle Jérôme Gavaudan[9], la publication du décret du 30 juin 2023 n'affecte pas cet ordre juridique. Le CNB conserve son pouvoir normatif défini par la loi, et le Règlement intérieur national (RIN), applicable à l'ensemble des avocats dans tous les ressorts des barreaux, continue de s'imposer, leur règlement intérieur propre ne pouvant y déroger. Le Président du CNB y voit même un renforcement des pouvoirs du CNB puisque c’est à ce dernier que la loi a confié la mission de préparer le Code de déontologie des avocats, conformément aux dispositions de l'article 53, 2° de la loi du 31 décembre 1971, qui attribue au pouvoir réglementaire la compétence pour établir les règles de déontologie.

Dans les années à venir, le Conseil national des barreaux (CNB) sera habilité à soumettre des modifications au Code de déontologie, dépassant ainsi le cadre de son Règlement intérieur national (RIN), pour s'ajuster aux réalités de l'exercice professionnel des avocats, aux évolutions du marché juridique et aux besoins des justiciables.

Le Code de déontologie est donc une compilation normative conçue pour simplifier l'accès et la compréhension des règles, tant pour les justiciables que pour les professionnels. Cependant, il est primordial de souligner que cette codification ne modifie en rien la valeur normative des règles, celles-ci conservant leur poids et leur portée d'origine. En d'autres termes, le Code n'accorde aucune supériorité aux règles qu'il recense, mais vise plutôt à les rendre plus accessibles dans la pratique professionnelle et pour le public.

Au-delà de ce constat technique, il est indéniable que la création du Code de déontologie est un progrès pour le justiciable, client de l’avocat, qui jusqu’à présent devait se tourner vers des textes (le Règlement Intérieur National, la loi de 1970 ou le décret de 1991) dont aucun n’avait été rédigé pour sa compréhension. S’agissant des avocats, eux-mêmes, gageons que les instances, et le CNB en particulier, sauront faire en sorte d’éviter les différences entre le Code de déontologie et l’ensemble des règles applicables à la profession d’avocat. Les avocats sont friands d’interprétations et de nuances. Il ne faudrait pas, qu’au fil du temps, de petits décalages entre le RIN et le Code viennent créer des zones de flou qui desserviraient à la fois les avocats et leurs clients. Pour l’heure, saluons l’initiative… même si sur le fond elle ne change pas grand-chose.

 

[1] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ.

[2] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T.

[3] Inspection générale de la justice, Rapport Mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre octobre 2020, n° 074-20 Ω N° 2019/00287.

[4] Code de l’avocat, commenté et annoté, Dalloz.

[5] La Semaine Juridique Edition Générale n° 28, 17 juillet 2023, 889

[6] CNB, AG, réso., 10 juin 2022.

[7] Rapport Inspection générale de la justice, précité, p. 18.

[8] CNB Actualités, Le CNB pilote la création du Code de déontologie des avocats, 14 juin 2022.

[9] La Semaine Juridique Edition Générale n° 28, 17 juillet 2023, 889, précité.

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Baux d'habitation

[Brèves] Location meublée touristique : précision concernant l’amende civile pour défaut de communication du décompte annuel

Réf. : Cass. civ. 3, 7 septembre 2023, n° 22-18.101, FS-B N° Lexbase : A81891EZ

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N6718BZT

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 14 Septembre 2023

► L'amende civile prévue par l'article L. 324-1-1, V, alinéa 2, du Code du tourisme, qui vise à sanctionner le défaut de communication, par le loueur en meublé touristique lorsqu’il en est sollicité par la commune, du décompte annuel de jours de location, est applicable aux seules personnes offrant à la location un meublé de tourisme déclaré comme leur résidence principale.

Les textes. Pour rappel, aux termes de l'article L. 324-1-1, IV, alinéa 1er, du Code du tourisme N° Lexbase : L2291LRB, dans les communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement de la déclaration préalable mentionnée au III, toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale ne peut le faire au-delà de cent vingt jours au cours d'une même année civile, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure.

Aux termes de l'alinéa suivant du même article, la commune peut, jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle un meublé de tourisme a été mis en location, demander au loueur de lui transmettre le nombre de jours au cours desquels ce meublé a été loué. Le loueur transmet ces informations dans un délai d'un mois, en rappelant l'adresse du meublé et son numéro de déclaration.

Selon l'article L. 324-1-1, V, alinéa 2, du même code, toute personne qui ne se conforme pas aux obligations résultant du IV est passible d'une amende civile.

Question soulevée. Dans la présente affaire soumise à la Cour de cassation, la question s’est posée de savoir si l’obligation de transmission des informations visée par l’article L. 324-1-1, IV, et la sanction de l’amende civile en découlant, s'appliquait :

  • à tout loueur d’un meublé de tourisme soumis à déclaration préalable, qu'il constitue ou non sa résidence principale ?
  • ou bien uniquement au loueur de meublé constituant sa résidence principale ?

La Ville de Paris soutenait la première interprétation. Elle avait assigné la propriétaire d'un appartement devant le président du tribunal judiciaire statuant en la forme des référés, pour obtenir son retour à l'habitation et la condamnation de la défenderesse au paiement de plusieurs amendes civiles dont une pour ne pas avoir transmis à la commune, dans le mois suivant sa demande, le nombre de jours au cours desquels il avait été loué, en violation de l'article L. 324-1-1, IV, du Code du tourisme. Elle faisait grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris d’avoir rejeté cette demande, faute pour l’appartement de constituer la résidence principale du loueur.

Réponse. Mais la Haute juridiction s’en tient à l’application littérale des textes. Elle relève que, l’amende constituant une sanction ayant le caractère d'une punition (Cass. civ. 3, 26 janvier 2022, QPC, n° 21-40.026, publié N° Lexbase : A53067KQ), son champ d'application est, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte.

Il en résulte que l'amende civile prévue par l'article L. 324-1-1, V, alinéa 2, est applicable aux seules personnes offrant à la location un meublé de tourisme déclaré comme leur résidence principale, qui omettent de transmettre à la commune l'ayant demandé depuis plus d'un mois, l'information relative au nombre de jours de l'année précédant la demande, au cours desquels ce meublé a été loué.

Ayant constaté que le logement mis en location par l’intéressée ne constituait pas sa résidence principale, la cour d'appel en a exactement déduit que les dispositions de l'article L. 324-1-1, IV, du Code du tourisme ne lui étaient pas applicables.

On rappellera que, dans l’arrêt précité du 26 janvier 2022, la Haute juridiction avait été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité qui tentait de dénoncer cette sanction de l'amende civile encourue par le loueur de meublé de tourisme pour ne pas avoir transmis à la commune, dans le délai d'un mois, le nombre de jours au cours desquels le meublé de tourisme a été loué l'année précédant la demande de la commune.

Mais elle avait estimé que la question ne présentait pas un caractère sérieux et donc jugé qu’il n'y avait pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.

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Douanes

[Focus] Le droit du commerce international : levier d’action contre la déforestation importée au sein de l’Union européenne

Lecture: 40 min

N6672BZ7

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par Ellena Brunetti, Juriste en droit douanier et de l'environnement et ancienne avocate au Barreau de Paris et Marie Gemaehling, Avocate au Barreau de Paris

Le 02 Octobre 2023

Mots-clés : déforestation importée • forêts • droit douanier  


 

La perte de forêt primaire tropicale s’est élevée à 4,1 millions d'hectares en 2022 [1], soit l'équivalent de la perte de 11 terrains de football de forêt par minute. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (ci-après « FAO ») a quant à elle souligné qu’entre 1990 et 2020, ce sont 420 millions d’hectares qui ont disparu, soit une superficie plus vaste que l’Union européenne.

Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que l’on détient une connaissance de la valeur et des services rendus par les forêts. Outre son intérêt social, sur le plan environnemental, la forêt joue un rôle aussi bien dans la protection de la biodiversité  ̶  sa disparition concourant au phénomène de perte d’habitats, facteur majeur dans l’érosion de la faune et dans une moindre mesure, pouvant être à l’origine de risque sanitaire, en augmentant la probabilité de contact entre animaux et humains   ̶    que dans la lutte contre le changement climatique (les deux problématiques n’étant au demeurant pas déconnectées l’une de l’autre).

La déforestation – définie dans le langage commun comme l’« action de détruire la forêt », [2] constitue un phénomène mondialisé, qui s’étend notamment de l’Amérique latine à l’Asie du Sud-Est, en passant par l’Afrique, bien que les activités qui en sont à l’origine soient de nature variée. Comme souligné par le ministère de la transition écologique et solidaire [3], il existe une dualité de conceptions de la notion de « déforestation », qui fait l’objet de débats. Ainsi, alors que la déforestation brute correspond à la déforestation de massifs à partir d’une date donnée, la déforestation nette désigne quant à elle la différence entre les surfaces de forêts qui disparaissent chaque année et celles qui se régénèrent naturellement ou replantées.

Face au constat du rôle joué par l’Union européenne en tant que marché de consommation de marchandises issues de ce phénomène [4], les institutions européennes ont décidé de légiférer.

Ce processus législatif, initié en novembre 2021 lors de la publication de la proposition de règlement, s’est achevé près d’un an et demi plus tard, avec la publication le 9 juin 2023 du Règlement (UE) n° 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023, relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le Règlement (UE) n° 995/2010 (ci-après le« Règlement déforestation importée ») N° Lexbase : L8774MHG.

Il vient s’intégrer dans le paysage législatif préexistant relatif à la forêt et aux produits qui en sont issus, et en particulier :

  • au niveau international, les Objectifs de développement durable des Nations-Unies (ci-après « ODD ») (cible ODD 15.2 :  un terme à la déforestation d’ici à 2020), ainsi que la Déclaration de New York sur les forêts du 23 septembre 2014 ;
  • au niveau européen, le Règlement (UE) n° 995/2010, du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché (plus communément désigné par l’acronyme « RBUE ») N° Lexbase : L8337IN4, qui interdit la mise sur le marché de l’Union de bois et produits dérivés issus d’une récolte illégale. Le Règlement déforestation importée va au-delà du Règlement RBUE, en ce qu’il permet d’étendre la protection des forêts des activités illégales aux activités légales. Par ailleurs, un Règlement (CE) n° 2173/2005, du Conseil 20 décembre 2005, concernant la mise en place d'un régime d'autorisation FLEGT relatif aux importations de bois dans la Communauté européenne N° Lexbase : L3916HIU, régit la mise en place d'un régime d'autorisation d'importation de certains bois et produits dérivés dans l'UE, dans le cadre des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (FLEGT).  Peut également être cité le Règlement (CE) n° 338/97, du Conseil du 9 décembre 1996, relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce N° Lexbase : L4987AUA, qui prévoit des règles et contraintes particulières pour l’importation et l’exportation de certaines essences. De manière plus prospective, doit également être signalée [5] la proposition 2022/0051 de Directive du Parlement et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la Directive (UE) n° 2019/1937, qui est actuellement en cours d’examen ;
  • au niveau national, outre la Stratégie nationale de déforestation importée (SNDI) adoptée le 14 novembre 2018, les dispositions issues de l’article 272, de la loi n° 2021-1104, du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, ainsi que de son décret d'application n° 2022-641 du 25 avril 2022, ont pour ambition de mettre en place une politique d’achats publics « zéro déforestation ».

Le Règlement vise à lutter contre la déforestation importée par le biais du droit douanier. Au-delà de ses prescriptions, il conviendra de s’attarder sur son Préambule, lequel n’ayant pas une force contraignante en tant que telle, constitue néanmoins une avancée sans précédent pour une reconnaissance officielle au niveau européen, de la nécessité de protéger les forêts au niveau international et du rôle joué par les populations autochtones dans le maintien de cette ressource, en l’absence d’un texte juridique officiel international à cet effet [6].

En outre, le nouveau Règlement déforestation importée abroge et remplace le RBUE [7], rompant dès lors avec une vision uniquement productiviste de la forêt, laquelle a pu être importante, voire prédominante, notamment en Europe durant quelques siècles jusqu’à récemment.

Relevons ainsi que la Commission commence par affirmer le rôle multifonctionnel des forêts :  environnemental, économique et social [8]. Le caractère économique des forêts est donc toujours présent, mais n'est plus le seul à fonder la nécessité de protéger et préserver ces espaces.

I. Présentation du Règlement

Le Règlement définit les règles qui pour les « produits à risque pour les forêts », régiront l’entrée de ces derniers dans le marché de l’Union européenne ou leur sortie. Ainsi, lorsqu’ils entrent dans le champ d’application du Règlement déforestation importée (A), les acteurs concernés devront se conformer à un certain nombre d’obligations (B).

A. Champ d’application du Règlement  

1) Ratione materiae 

Notions de forêt, déforestation et dégradation

Si « l’histoire écologique de nos forêts nous aide à comprendre que « rien n’est permanent, sauf le changement » (Héraclite, 500 AD) » [9], il n’était dès lors pas aisé d’arrêter une définition juridique unique et figée de ce que serait la forêt. À titre d’exemple, en droit français, la forêt n’est pas définie juridiquement de manière stricte, la définition ayant été retenue pour déterminer le champ d’application du code forestier étant la suivante : « sont considérés comme des bois et forêts au titre du présent code les plantations d'essences forestières et les reboisements ainsi que les terrains à boiser du fait d'une obligation légale ou conventionnelle » [10].

Le Règlement déforestation importée, reprend les termes de la FAO et définit la forêt comme ci-après : « une étendue de plus de 0,5 hectare caractérisée par un peuplement d'arbres d'une hauteur supérieure à 5 mètres et par un couvert forestier de plus de 10 %, ou par un peuplement d'arbres pouvant atteindre ces seuils in situ, à l'exclusion des terres dédiées principalement à un usage des terres agricole ou urbain ».

Le terme de « déforestation » est entendu quant à lui, comme « la conversion, anthropique ou non, de la forêt pour un usage agricole ».

Au sein de la définition de ce qui est considéré comme « forêt » au sens du Règlement, une sous-catégorisation est faite entre « forêts primaires », « forêts naturellement régénérées », « forêts plantées » et « forêts de plantation », permettant dès lors de définir également ce qui sera considéré comme une « dégradation des forêts ».

Il s’agit pour cette dernière notion de « modifications structurelles apportées au couvert forestier, prenant la forme de la conversion :

  • a) de forêts primaires ou de forêts naturellement régénérées en forêts de plantation ou en d'autres surfaces boisées ; ou
  • b) de forêts primaires en forêts plantées ».

Le Règlement déforestation importée  ne vise donc pas seulement à enrayer le processus de conversion de surfaces boisées en surfaces non boisées, et ne pouvant dès lors plus être considérées comme de la « forêt » en l’absence de boisement (phénomène de « déforestation » au sens du Règlement), mais s’étend aussi au processus consistant à intervenir pour transformer des surfaces forestières naturellement boisées, en des surfaces boisées - qui demeureront donc « forestières » - par plantation et/ou semis délibérés, la plupart du temps à des fins d’exploitation (phénomène de « dégradation » au sens du Règlement).

Notons toutefois que le Règlement  déforestation importée prévoit sa propre réévaluation selon le calendrier échelonné suivant :

1 an après la date de son entrée en vigueur : extension à d’autres surfaces boisées (la définition de la forêt retenue ayant été jugée trop restrictive par certains commentateurs) ;

2 ans après la date de son entrée en vigueur : extension à d’autres écosystèmes naturels présentant un intérêt écologique semblable à celui de la forêt (en particulier, stockage de carbone en grande quantité et grande valeur du point de vue de la biodiversité). À ce titre, sont notamment visées les prairies, les tourbières et les zones humides. Sur ce dernier point, si la savane est mentionnée dans le préambule, elle n’est pas intégrée dans la liste des écosystèmes pour lesquelles une extension éventuelle est envisagée, malgré son rôle dans la culture du soja destiné à l’alimentation du bétail [11].

Il sera intéressant de voir si la définition de la « forêt » sera modifiée en raison de ces extensions. En effet, une telle extension à d’autres écosystèmes, si elle pourrait être la bienvenue en termes de protection, pourrait néanmoins engendrer un risque de confusion sur les définitions de ce qui est considéré comme « forêt » et le phénomène de « déforestation », et nécessiterait alors une redéfinition du champ d’application du Règlement et de son titre.

Délimitation stricte des produits concernés par référence à la nomenclature combinée (NC)

Le Règlement opère une distinction entre deux types de produits. Entrent ainsi dans son champ d’application, d’une part les « produits de base en cause » [12] définis comme les bovins, le cacao, le café, le palmier à huile, le caoutchouc, le soja, mais également le bois. Ainsi, sur le champ des produits concernés, le Règlement déforestation importée est plus ambitieux que le Règlement RBUE qu’il remplace, l’abrogation de ce dernier étant ainsi prévue pour le 30 décembre 2024. D’autre part, il englobe également les « produits en cause », soit certains produits qui alternativement contiennent/ont été nourris/ont été fabriqués avec des « produits de base en cause ». La liste limitative de ces produits est établie à partir de codes correspondant aux subdivisions de la nomenclature combinée (ci-après « NC ») [13], qui constitue un système de classification des marchandises et de détermination du tarif douanier qui leur est respectivement applicable. En pratique, les produits de base en cause ne semblent pas correspondre véritablement à une réalité douanière concrète, puisque ce sont bien les produits en cause qui feront l’objet des échanges (la notion de produits de base en cause s’apparentant plutôt à une sorte de qualification générique permettant d’identifier de quelle « famille » de produits relèvent les produits en cause, étant précisé que ces derniers peuvent au demeurant être répartis au sein de chapitres distincts de la NC [14]).

Produits de base en cause

Exemples de produits en cause

(assortis de leur code NC)

 

Bovin

Viande, cuir

Cacao

Fèves de cacao, chocolat et beurre de cacao

Café

Café torréfié ou non, qu’il soit ou non décaféiné

Palmier à huile

Huile de palme, glycérol, acide oléique, alcool gras industriels

Caoutchouc

Pneumatiques, gants, mitaines et moufles en caoutchouc vulcanisé, chicle (pouvant notamment servir à la fabrication du chewing-gum)

Soja

Tourteaux de soja, fèves de soja

Bois

Bois de chauffage, bois de mobilier, papier, livres imprimés

Ainsi, compte tenu des produits visés, les secteurs concernés par le Règlement sont variés et concernent à titre non exhaustif les industries non seulement agroalimentaires, mais aussi du luxe et automobile.

Lorsque les produits entrent dans la liste de ceux inclus dans le Règlement, ils peuvent néanmoins faire l’objet d’une exclusion dans plusieurs cas. D’une part, lorsque la date de leur production est antérieure à la date d’entrée en vigueur au 29 juin 2023 [15] (à l’exception du bois, en raison de la survivance du RBUE à titre transitoire jusqu’au 30 décembre 2024) [16]. D’autre part, afin de promouvoir l’économie circulaire voire de garantir la cohérence entre les différentes politiques publiques, sont également exclus les produits de base et usagés recyclés [17] qui seraient, sinon, éliminés en tant que déchets [18] (relevons toutefois que cette exclusion ne s’étend pas à certains sous-produits du procédé de fabrication). Enfin, sont exclus les produits destinés à une consommation privée sur le territoire douanier de l’Union.

Si l’on peut regretter l’absence de prise en compte par le Règlement déforestation importée de certains produits pourtant décriés en raison du rôle qu’ils jouent dans la déforestation (notamment l’avocat, l’or ou encore les hydrocarbures), il convient de noter que son champ d’application matériel a vocation à être remodelé sous un délai de 2 ans à compter de son entrée en vigueur. En effet, celui-ci prévoit une évaluation sur la nécessité et la faisabilité d’étendre le champ d’application à d’autres produits de base (notamment les biocarburants relevant du code SH 382600) ainsi que le réexamen de la liste des codes NC des produits en cause figurant à l’annexe I du Règlement.

2) Ratione personae 

Afin de permettre d’atteindre la transparence de la chaîne d’approvisionnement, le Règlement prend soin de soumettre plusieurs catégories d’acteurs du commerce international aux obligations qu’il prévoit :

  • d’une part, l’opérateur est défini comme toute personne physique ou morale qui, dans le cadre d’une activité commerciale, met les produits relevant du champ d’application sur le marché de l’Union, que ce soit à titre gratuit ou onéreux – importateur ou manufactureur - ou les exporte ;
  • d’autre part, le commerçant. Il s’agit d’une catégorie résiduelle intégrant toute personne faisant partie de la chaîne d’approvisionnement, autre que l’opérateur, qui, dans le cadre d’une activité commerciale, met des produits en cause à disposition sur le marché.

Par conséquent, le Règlement déforestation importée va au-delà du Règlement RBUE en étendant l’emprise de la réglementation en la matière sur la chaîne d’approvisionnement, puisqu’au-delà des acteurs qui interviennent en amont (importateurs), sont désormais également concernés les acteurs qui interviennent plus en aval (grands commerçants).

À l’ère du numérique, la difficulté de mise en cause de la responsabilité des acteurs de chaînes d’approvisionnement complexes peut être considérablement accrue, puisque le contrôle des entreprises établies hors UE, qui ne relèvent pas de la juridiction des États membres, n’est pas toujours possible [19]. Pour remédier à cette difficulté considérable dans un marché mondialisé, le Règlement déforestation importée prévoit également le cas de figure dans lequel les produits concernés sont mis sur le marché de l'Union européenne par des opérateurs établis en dehors de l’Union, en traitant comme un opérateur à part entière la première personne physique ou morale établie dans l'Union européenne qui met les produits concernés à disposition sur le marché. Ainsi, si en théorie, le Règlement déforestion importée impose principalement des interdictions et des obligations aux personnes physiques ou morales dans l'Union européenne, en pratique, les producteurs des matières premières et des produits concernés, y compris ceux en dehors de l'Union, seraient également touchés car leurs produits devraient répondre aux exigences du Règlement.

Enfin, si les petites et moyennes entreprises (PME) entrent dans le champ d’application du Règlement déforestation importée, elles bénéficient d’obligations allégées et de délais plus longs pour se mettre en conformité.

3) Ratione loci

Le Règlement déforestation importée est applicable à la fois aux importations de produits (qui entrent sur le marché de l’Union via la mise en libre pratique) sur le territoire douanier au sens du Règlement et aux exportations de produits (qui quittent le marché de l’Union sous le régime douanier de l’exportation).

S’agissant du champ d’application territorial, le Règlement est applicable sur le territoire douanier tel que défini par le droit communautaire douanier à l’article 4 du Règlement (UE) n° 952/2013, du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013, établissant le Code des douanes de l'Union N° Lexbase : L4115I3S (ci-après CDU) [20].

Ainsi, le territoire douanier tel que défini par le CDU est constitué par les territoires des États membres ainsi que par la mer territoriale, les eaux intérieures maritimes et par l'espace aérien de chacun de ces territoires.

Néanmoins, le territoire douanier de l’Union peut se révéler plus étendu ou plus restreint que certains territoires des États membres. À titre d’exemple, alors que la France inclut dans son territoire la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, et les Iles de Wallis-et-Futuna, ces territoires ne font pourtant pas partie du territoire douanier de l’Union. À l’inverse, le territoire douanier de Monaco fait partie intégrante du territoire douanier de l'Union en raison de la convention que cette principauté a conclue avec la France le 18 mai 1963 et qui l’intègre dans le territoire douanier français.

On peut cependant regretter qu’au stade de la définition du territoire au sens du Règlement déforestation importée, le législateur européen ne semble pas avoir tiré de conséquences de la situation géographique particulière de certaines régions d’outre-mer (telle que la Guyane, recouverte en majeure partie par la forêt amazonienne), les produits en provenance de ce territoire qui pénètre le continent européen n’étant dès lors pas susceptibles d’être juridiquement qualifiées d’importations.

Par ailleurs, ce Règlement contient une limite intrinsèque due à son caractère seulement régional – et non international – dans un marché pourtant mondialisé. En effet, si le marché européen constitue un marché d’écoulement majeur pour les produits moteurs de déforestation, il n’est néanmoins pas l’unique ni même le plus important. Par ailleurs, même dans le cas où le territoire de consommation est bien l’UE, il existe un risque de contournement de ce Règlement, puisque ces produits peuvent, au terme d’une chaîne d’approvisionnement (et donc de traçabilité) complexe, être transformés dans un pays tiers avant d’être réexportés vers le territoire de l’Union.

Ainsi, face au risque de relativisation de l’effort contre la lutte contre la déforestation que l’Union européenne tente d’impulser à travers cette règlementation, deux leviers pourraient être mobilisés. Sur le plan diplomatique, un renforcement de la coopération internationale sur ce point afin d’influencer le marché mondial, y compris, les principaux pays consommateurs est souhaitable, afin d’encourager l’adoption de mesures nationales similaires. Surtout, l’intégration de clauses sur la déforestation et la dégradation des forêts dans les accords commerciaux à venir pourrait également inciter les États tiers concernés à se doter d’une règlementation semblable, afin de pouvoir bénéficier de régimes préférentiels sur leurs exportations, voire conquérir de nouveaux marchés.

Une autre exclusion, plus débattue, concerne les entreprises du secteur financier. En effet, certains observateurs ont soulevé le paradoxe résidant dans l’absence de soumission aux obligations du Règlement déforestation importée de ces entités, alors même qu'elles jouent un rôle prépondérant, quoiqu’indirecte, à travers le financement d’activités pouvant être à l’origine du phénomène de déforestation. À ce titre, il convient de préciser que la Commission devra dans le délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur du Règlement déforestation importée se livrer à une évaluation, et, le cas échéant, présenter une proposition législative, du rôle des institutions financières pour ce qui est de prévenir les flux financiers contribuant directement ou indirectement à la déforestation et à la dégradation des forêts, ainsi que sur la nécessité de prévoir dans les actes juridiques de l’Union des obligations spécifiques applicables aux institutions financières à cet égard.

B. Des obligations au service d’une meilleure prévention de la déforestation

Lorsqu’ils sont soupçonnés de ne pas respecter les obligations qui leur incombent (1), les opérateurs ou commerçants pourront faire l’objet de sanctions (2)

Pour se conformer au Règlement déforestation importée, trois conditions doivent être vérifiées.  

Dans le cadre de leurs obligations de diligence raisonnable, les personnes identifiées en supra au titre du champ d’application personnel devront non seulement prouver que les produits sont à la fois « sans déforestation », mais également que leur production est issue d’un processus qui respecte les lois applicables en vigueur dans le pays de production. En outre, les entreprises seront également tenues de collecter des informations géographiques précises sur les terres agricoles où les produits qu'elles achètent ont été cultivés, afin que ces produits puissent être vérifiés pour leur conformité.

1) Obligations prévues par le Règlement déforestation importée

Produits garantis « zéro déforestation »

La notion de déforestation au sens du Règlement est prévue à l’article 2§13. Comme indiqué en supra, le Règlement vise assez large, puisqu’il n’est pas limité au simple processus de déforestation, mais s’étend également, pour les seuls produits qui contiennent du bois ou ont été fabriqués à partir du bois, à la dégradation (voir ces deux notions définies supra).

Outre l’aspect technique, les notions de déforestation et dégradation comprennent une dimension temporelle.
En effet, en application du principe de précaution, et afin de prévenir et de dissuader la potentielle déforestation ayant pu résulter d’une accélération anticipée des activités à l’origine de celle-ci et de la dégradation des forêts entre l’annonce faite dans la proposition de la Commission et la date d’entrée en vigueur du Règlement, les activités de déforestation survenues même avant la date d’adoption peuvent malgré tout se voir soumises aux obligations prévues par ce dernier, et le cas échéant, se voir refuser l’accès au marché UE. Une limite a néanmoins été fixée, puisque cela trouve à s’appliquer seulement pour les activités postérieures au 31 décembre 2020.

Respect de la législation pertinente du pays de production

La deuxième condition est relative au respect de la législation pertinente du pays de production. En d’autres termes, pour se conformer au Règlement, devront être respectées les lois applicables dans le pays de production relatives au statut juridique de la zone de production. Il peut s’agit aussi bien des législations environnementales, fiscales et douanières, ou encore sociales, mais également les règles de lutte contre la corruption, ainsi que de protection des droits de l’homme et des peuples autochtones.

Enfin, le Règlement déforestation importée permet une avancée importante en matière de reconnaissance du rôle joué par les populations autochtones dans la préservation des forêts. Il convient de s’attarder sur ce point qui est fondamental.

Focus sur l’avancée permise par le Règlement déforestation importée en matière de droits des populations autochtones

Éléments de contexte : À l’heure actuelle, principalement deux textes juridiques à portée internationale reconnaissent des droits aux populations autochtones :

  • la convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail [21] qui reconnaît en particulier les droits des autochtones à l’utilisation, la propriété et la possession des terres devant être reconnues aux peuples intéressés, notamment celui de participer à la participation, à la gestion et à la conservation de ces ressources, laquelle n’a été ratifiée que par 24 États (notamment certains États membres de l’Union européenne) ;
  • la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des personnes autochtones [22] .

Pourtant, ces textes ont une portée limitée en raison la faiblesse du nombre des États l’ayant ratifiée pour l’une, et du caractère juridiquement non-contraignant de l’autre.

Or, les populations autochtones font partie des populations les plus vulnérables de la planète ; le préambule du Règlement déforestation importée ne passe pas sous silence les persécutions et attentats meurtriers subis par les défenseurs des droits de l’Homme liés à l’environnement. Il reconnaît que ces actes de violence touchent en particulier « les populations autochtones de manière disproportionnée », et rappelons à cet égard les chiffres révélés par l’ONG Global Witness, quatre défenseurs des droits à la terre et de l’environnement tués en moyenne chaque semaine depuis la création de l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015. Le secteur de l’exploitation forestière est ainsi un des plus touchés [23] .

Reconnaissance par le règlement du rôle joué par les populations autochtones et de la nécessité de préserver leurs droits :

La reconnaissance par le Règlement du rôle joué par les populations autochtones dans la préservation de la forêt et de la nécessité de respecter leurs droits constitue donc une avancée importante pour ces populations.

Il est ainsi affirmé que :

« Le respect des droits des populations autochtones en ce qui concerne les forêts et le principe du consentement préalable, libre et éclairé, tels qu'ils sont notamment énoncés dans la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, contribue à protéger la biodiversité, à atténuer le changement climatique et à répondre aux préoccupations en matière d’intérêt public qui y sont liées. Les populations autochtones possèdent des savoirs traditionnels concernant les richesses naturelles et médicales et offrent très souvent un modèle d'utilisation durable des ressources forestières […]. En outre, d'après certaines études, les populations autochtones vivant en forêt jouent un double rôle dans la lutte contre le changement climatique: d'une part, ils résistent en général à l'occupation et à la déforestation des terres qu'ils habitent depuis des générations et, d'autre part, certaines communautés autochtones considèrent qu'il est de leur responsabilité de protéger les forêts afin d'atténuer le changement climatique ».

Le Règlement déforestation importée reconnaît également le caractère central du renforcement « des communautés locales, des petits exploitants et des micros, petites et moyennes entreprises (PME), en améliorant la gouvernance et le régime foncier, en renforçant les mesures d’application de la loi et en promouvant la gestion durable des forêts, en mettant l'accent sur des pratiques forestières plus proches de la nature ».

Ainsi, au sein de l’article 10 du Règlement consacré à « l’évaluation des risques » devant être faite par les opérateurs afin d’identifier s'il existe un risque que les produits en cause destinés à être mis sur le marché ou exportés ne sont pas conformes au Règlement, trois critères sont relatifs à la présence de populations autochtones au sein du pays d’où proviennent les produits, et notamment à l’existence de processus de consultation et de coopération de bonne foi avec ces personnes, et de revendications motivées et fondées sur des informations objectives et vérifiables quant à l’utilisation ou la propriété de la zone utilisée pour la production de ces produits.

Cette disposition permettra de donner une effectivité à la reconnaissance qui est faite par le préambule du règlement, de l’importance des populations autochtones dans la préservation de la forêt.

Accès à la justice des populations autochtones ?

Il est prévu des dispositions spécifiques relatives à l’accès à la justice aux fins de contrôler la légalité des décisions, actes ou du défaut d’agir des autorités compétentes en vertu du règlement, sans préjudice des dispositions du droit national.

L’accès aux juridictions est ainsi ouvert aux « personnes physiques ou morales ayant un intérêt suffisant, déterminé conformément aux systèmes de recours nationaux existants, notamment lorsque de telles personnes satisfont aux critères éventuels prévus dans le droit national, y compris les personnes qui ont présenté des préoccupations étayées conformément à l'article 31 ». La formule est donc assez large, et l’appréciation de l’intérêt à agir doit se faire selon les règles prévues par les droits nationaux.

Étant donné les difficultés d’accès à la justice notamment environnementale des populations autochtones, aggravant de fait leur vulnérabilité face à la violation de leurs droits et à l’accaparement de leurs terres, on peut se demander dans quelle mesure l’adoption d’un tel règlement européen aurait pu être ou pourrait être l’occasion de prévoir des mécanismes de renforcement de l’accès à la justice spécifique à ces populations, par exemple via la reconnaissance d’une présomption d’intérêt à agir pour de telles communautés en matière de contrôle de la légalité des décisions, actes ou défaut d’agir des autorités compétentes en vertu du Règlement.

Respect des droits des populations autochtones par les États :

Une autre limite à l’efficacité du Règlement déforestation importée sur ce point sera liée naturellement à l’absence de reconnaissance de statut de « populations autochtones » à certaines communautés d'habitants de la forêt par les États dans l’exercice de leur pouvoir souverain.

En effet, certains États reconnaissent un tel statut auquel sont souvent rattachées des garanties, plus ou moins importantes, de protection des terres de ces populations. C'est notamment le cas en Amérique du sud. 

À titre d’exemple, la Constitution brésilienne [24] protège les terres indigènes en reconnaissant le droit des peuples autochtones à la délimitation de leurs terres par l’État, à leur inaliénabilité et indisponibilité ainsi que l'usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et des lacs qui s'y trouvent, et à l’encadrement des activités d’exploitation de ces ressources, ainsi que l’interdiction de déplacement des groupes indigènes.

Toutefois, l'absence de reconnaissance du statut de « populations autochtones » est de nature à limiter fortement la protection des terres au sein desquelles elles vivent, et par là même les droits qui y sont rattachés et notamment celui de participer au processus décisionnel quant à l’usage de ces terres.

C'est par exemple le cas pour les Amérindiens vivant dans la forêt primaire recouvrant à 96 % la Guyane française, lesquels ne bénéficient pas d’un statut de « populations autochtones » en France, l’État se refusant à reconnaître un tel statut afin de ne pas porter atteinte aux principes constitutionnels d’invisibilité et d’égalité de la République [25].

Ils sont néanmoins mentionnés au sein du code forestier en tant que « communautés d'habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt », ce qui constitue une reconnaissance de leur existence, mais ne leur permettrait pas de bénéficier des dispositions prévues par le Règlement [26].

Mise en place d’un système de diligence raisonnée

Une obligation de réaliser une diligence raisonnée pèse sur l’opérateur ou le commerçant, afin de vérifier que les conditions exposées en supra sont bien vérifiées. Celui-ci se décompose en trois étapes, qui s’articulent de la manière suivante [27] :

  • La première étape consiste en une collecte d’informations sur la conformité du processus de production aux dispositions du Règlement déforestation importée. Ces informations devront notamment porter à la fois sur le produit, le pays de production, les zones de production spécifiques et la chaîne d'approvisionnement (identité des fournisseurs), et être de nature à permettre d’identifier un risque éventuel ;
  • La seconde étape prend la forme d’une évaluation du risque de mise sur le marché ou d’exportation de produits non conformes, qui varie en fonction de plusieurs critères, à savoir, d’une part de la nature du produit, et d’autre part, du pays d’origine (l’origine étant ici entendue au sens d’origine non préférentielle, telle que définie à l’article 60 du Règlement n° 952/2013) et de production ou de parties de ces pays. Parmi ces critères figurent notamment, outre la présence de forêts (et le cas échéant l’ampleur de la dégradation ou déforestation) et de populations autochtones (et le cas échéant, l’existence de revendications motivées et vérifiables de ces populations, sur l’utilisation ou la propriété de la zone, ainsi que leur consultation), le niveau de corruption, la complexité de la chaîne d’approvisionnement, ou encore le risque de contournement du Règlement déforestation importée ou de mélange avec des produits en cause d’origine inconnue ou produits dans des zones qui étaient ou sont concernées par la déforestation ou la dégradation des forêts.

En l’absence de liste préétablie dans les dispositions du Règlement déforestation importée de classement des pays en fonction du niveau risque, tous les pays se voient attribuer un niveau de risque standard. Les débiteurs de cette obligation devront donc faire preuve d’une diligence toute particulière lors de l’évaluation du risque, afin que celle-ci soit la plus fidèle possible.

Si l'opérateur ou le commerçant ne peut pas démontrer que ce risque est inexistant ou négligeable, il ne peut pas mettre sur le marché de l'UE ni exporter à partir du marché de l'UE les matières premières ou produits concernés, et doit passer à la troisième étape.

En troisième lieu, atténuation du risque

Au terme de cet exercice, une déclaration permettant de témoigner de la réalisation en bonne et due forme du processus de diligence raisonnée devra le cas échéant être établie. Si le Règlement ne contient pas de modèle à proprement parler de déclaration type de diligence raisonnée, il apporte néanmoins en son annexe II des indications sur le contenu attendu, en listant les éléments devant y figurer.

Concernant l’identification des territoires pour lesquels la collecte de données devra être réalisée, si le cas dans lequel un produit brut est entièrement obtenu dans un même pays ou territoire ne pose guère de difficultés – puisqu’il sera alors considéré comme originaire de ce pays ou territoire – le choix de procéder par renvoi à l’origine non préférentielle au sens du CDU comporte en revanche des limites dans les hypothèses de chaînes d’approvisionnement complexes. En effet, en vertu de l’article 60 du CDU, les marchandises dans la production de laquelle interviennent plusieurs pays ou territoires sont considérées comme originaires de celui où elles ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle. Cette notion de « dernière transformation ou ouvraison substantielle » diffère substantiellement selon le code attribué au produit dans la nomenclature combinée, et peut conduire à retenir comme pays d’origine un autre État que l’État de production où existe le risque de déforestation, un risque de contournement du Règlement sur ce point ne pouvant dès lors être ignoré [28]. Il est par exemple possible d’imaginer que des constructions préfabriquées en bois relevant du code douanier 940610, transformées dans un État tiers à l’Union européenne, pourront, si le critère selon lequel la fabrication dans laquelle la valeur de toutes les matières utilisées ne doit pas excéder 50 % du prix départ usine des produits [29] est vérifié [30], acquérir l’origine non préférentielle de cet État de transformation, et pourra ainsi lui permettre de passer sous les radars au stade de la diligence raisonnée.

2) Des obligations assorties d’une palette de sanctions

Outre le risque de ne pas pouvoir pénétrer le marché européen en cas de non-conformité, des sanctions proportionnées sont prévues [31], dont une amende pouvant atteindre 4 % du chiffre d'affaires annuel à l'échelle de l'UE, la confiscation des revenus tirés du traitement de produits non conformes, ainsi que l'exclusion des marchés jusqu'à 12 mois.

II. L’effort de lutte contre la déforestation importée au niveau européen confronté au droit de l’OMC

A. Règlement déforestation importée versus droit de l’OMC

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la mission vise à faciliter le commerce international en encourageant les échanges entre les différents États du globe, est à l’origine de plusieurs accords. Deux de ces accords feront successivement l’objet de développements, à savoir, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (ci-après « GATT »), ainsi que l'Accord sur les obstacles techniques au commerce (ci-après « OTC »).

Concernant tout d’abord le GAAT, celui-ci contient des dispositions visant à prévenir toute discrimination entre les membres de l’OMC, au moyen de l'abaissement progressif des barrières tarifaires (droits de douane susceptibles de frapper les produits à l’importation), mais aussi de la prohibition des barrières non tarifaires (tous les autres obstacles mis à l'entrée de marchandises étrangères dans un pays, y compris l'ensemble de la réglementation et des formalités afférentes aux importations ou aux exportations). Ainsi, conformément aux dispositions de cet accord (et en particulier la clause de la nation la plus favorisée) [32], tous les partenaires commerciaux doivent bénéficier de privilèges identiques : tout avantage ou accordé par un État membre à un produit originaire ou à destination d'un autre État membre doit par conséquent être étendu aux produits similaires de tous les autres États membres. À l’inverse, un désavantage ne peut peser sur un seul partenaire. À ce titre, on pourrait imaginer que les formalités administratives et obligations que le Règlement déforestation importée va faire peser sur les personnes qui entrent dans son champ d’application personnel, tel qu’exposé en supra – dont les importateurs –, répondent à la qualification de barrière non tarifaire, puisqu’elles sont susceptibles de faire obstacle à l’importation.

Néanmoins, malgré ce principe de non-discrimination, des exceptions sont prévues par le texte afin de prendre en compte certains impératifs susceptibles d’entrer en conflit avec la libéralisation du commerce [33]. Au rang de ces impératifs, une attention particulière est portée à la protection de l’environnement, puisqu’il peut être dérogé sous certaines conditions[34] au principe de non-discrimination aussi bien lorsque ces barrières non tarifaires ont pour objectif la protection de la faune et de la flore [35], que lorsqu’elles visent à protéger des ressources naturelles épuisables [36]. Or, les obligations du Règlement déforestation importée qui conditionnent toute mise en libre pratique sur le territoire douanier de l’Union ont précisément pour objectif affiché de protéger la forêt (qui peut être qualifiée de ressource naturelle épuisable) ainsi que la biodiversité qu’elle abrite.

Quant à l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), celui-ci a pour objet de garantir que les règlements techniques, les normes et les procédures d'évaluation de la conformité soient non discriminatoires et ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce. Ainsi, par écho au GAAT, il prévoit également un principe de non-discrimination ayant pour objet non pas les barrières tarifaires et non tarifaires, mais les règlements techniques [37], qu’il définit comme tout document qui énonce les caractéristiques d'un produit ou les procédés et méthodes de production s'y rapportant, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont le respect est obligatoire [38]. La règlementation européenne déforestation importée paraît pouvoir s’inscrire dans ce cadre, puisqu’elle conduit à faire usage du critère du mode de production associé ou non à la déforestation, pour déterminer à fois les produits entrant dans son champ d’application matériel, et le degré de diligence et de reporting à mettre en œuvre.

Toutefois, à l’instar du GAAT, l’Accord OTC prévoit également des objectifs légitimes permettant de prévoir de tels obstacles sous certaines conditions, au rang desquels on retrouve la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de l'environnement.

Ainsi, la validité du Règlement déforestation importée ne semble pas de premier abord poser de difficulté particulière, bien qu’une vigilance particulière doive être portée sur ce point aux éventuelles jurisprudences de l’OMC à venir, et notamment dans le contexte de la plainte de l’Indonésie contre l’Union européenne au sujet de certaines mesures imposées par l'Union européenne et ses États membres concernant l'huile de palme et les biocarburants dérivés du palmier à huile en provenance d'Indonésie.

Outre cette consécration d’obligations de vigilance spécifiquement conçues pour répondre au risque de déforestation, on peut également s’interroger sur l’opportunité d’autres leviers dans l’effort européen de lutte contre la déforestation (2.).

B. Éléments de réflexion sur l’instauration de droits de douane différenciés comme piste complémentaire de solution

Outre certaines mesures déjà existantes telles que l’intégration de clauses sur la déforestation et la dégradation des forêts dans les accords commerciaux à venir (qui pourrait être utilement mobilisées dans le cadre du futur accord commercial envisagé entre l’Union européenne et l’Indonésie), ou encore le retrait du statut de biocarburant à l’huile de palme, certains experts se sont également interrogés sur l’opportunité d’instaurer des droits de douane différenciés (qui se traduirait pour le produit, selon que la production est ou non certifiée zéro déforestation, par une augmentation ou une baisse du tarif douanier par rapport au tarif actuel) [39]. Relevons que la Banque mondiale a envisagé cette option, qui a également été abordée lors des discussions de préparation de la SNDI, avant d’être finalement écartée.

Toutefois, la pertinence de cette piste doit être relativisée en raison de l’existence à l’heure actuelle de tarifs préférentiels pour certains produits suite à la conclusion par l’Union européenne d’accords commerciaux et l’octroi de préférence unilatérales avec les pays et régions abritant les zones concernées par le risque déforestation [40]. Un retour en arrière sous forme d’augmentation de ces tarifs semble ainsi difficilement envisageable, voire juridiquement porteur de risque, compte tenu des règles de l’OMC évoquées en supra.

III. Une mise en œuvre différée dans le temps

Une distinction est opérée entre la date d’entrée en vigueur (29 juin 2023) et la date d’application (au 30 décembre 2024, voire au 30 juin 2025 pour certaines dispositions).

Dans l’intervalle, les États membres devront désigner les autorités compétentes au niveau national, et en informer la Commission européenne au 30 décembre 2023.

D’ici le 24 décembre 2024, la Commission européenne devra avoir mis en place un système d’évaluation comparative qui devrait se fonder sur un système à trois niveaux, classant les pays comme présentant alternativement un risque faible, standard ou élevé. À cette fin, une liste de pays assortie du niveau de risque qui les caractérise sera publiée.

Puis, au 30 décembre 2024, La Commission devrait mettre en place et gérer un système d’information contenant les déclarations de diligence raisonnée, aussi bien pour les autorités compétentes et douanières, voire des opérateurs pour les seules données qui ne sont pas commercialement sensibles, et qui seront anonymisées au préalable.

 

[1] World Resources Institute, Global Forest Review [en ligne].

[2] Dictionnaire Larousse [en ligne].  

[3] MTE « Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée » 2018-2030 ?

[4] Entre 1990 et 2008, l’Union a importé et consommé un tiers des produits agricoles associés à la déforestation qui sont échangés mondialement, considérant (18) du Règlement.

[5] Le Règlement déforestation importée prévoyant d’ailleurs en son considérant 60 que « les opérateurs relevant du champ d’application d’autres actes juridiques de l’Union établissant des exigences en matière de diligence raisonnée dans la chaîne de valeur en ce qui concerne les incidences négatives sur les droits de l’homme ou sur l’environnement devraient avoir la possibilité d’honorer les obligations de faire rapport au titre du présent règlement en incluant les informations requises par ce dernier lorsqu’ils font rapport au titre d’autres actes juridiques de l’Union ».

[6] M. Torre-Schaub, Quelle protection juridique pour les forêts ?, The Conversation, 3 septembre 2019, (accès le 1er juillet 2023) [en ligne].

[7] Règlement (UE) n° 995/2010, du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché.

[8] Trois fonctions par ailleurs déjà reconnues dans le code forestier français et devant être assurées par les politiques forestières nationales. C. for., art. L. 121-1 N° Lexbase : C02677QX : « La politique forestière a pour objet d'assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois écologique, sociale et économique, des bois et forêts ».

[9] Ch. Carcaillet, B. Talon, « La forêt en France depuis la dernière glaciation » in Livre blanc sur la protection des forêts naturelles en France, sous la coordination de D. Vallauri, coll. Tec & Doc, éd. Lavoisier, 2003, pp. 19-31.

[10] C. for., art. L. 111-2 N° Lexbase : L7301MDR.

[11] En témoigne l’exemple de la savane du Cerrado au Brésil.

[12] Article 1 et Annexe I du Règlement.

[13] Annexe I du Règlement (CEE) n° 2658/87, du Conseil du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, dans sa dernière version consolidée du 17 juin 2023.

[14] Tel est par exemple le cas pour les produits issus du palmier à huile, puisque si les noix et amandes de palmiste relèvent du Chapitre 12 (« graines et fruits oléagineux ; graines, semences et fruits divers ; plantes industrielles ou médicinales ; pailles et fourrages »), on retrouve l’huile de palme au sein du Chapitre 15 (« graisses et huiles animales, végétales ou d’origine microbienne et produits de leur dissociation; graisses alimentaires élaborées; cires d'origine animale ou végétale »), alors que le glycérol et certains acides (palmitique, stéarique, monocarboxylique) sont quant à eux intégrés au Chapitre 29 (« produits chimiques organiques »).

[15] Article 1§2.

[16] Article 37.

[17] Considérant 40 et Annexe I.

[18] Au sens de l’article 3, point 1), de la Directive « cadre déchets » (Directive (CE) n° 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines Directives N° Lexbase : L8806IBR).

[19] Considérant 30 et article 7.

[20] Auquel l’article 2, §34 du Règlement déforestation importée, consacré à la définition de la notion de « territoire douanier », renvoie expressément.

[21] C169 - Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.

[22] Adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 13 septembre 2007 à la majorité de 143 voix contre 4.

[23] L’ONG dévoile ainsi que « L'exploitation forestière est le secteur qui a connu la plus forte augmentation des meurtres dans le monde depuis 2018, avec 85 % d'attaques supplémentaires contre les défenseurs qui s'opposent à l'industrie. Plus des deux tiers des meurtres ont eu lieu en Amérique latine, qui a toujours été classée comme le continent le plus touché depuis que Global Witness a commencé à publier des données en 2012 ». Communiqué Global Witness, « Le nombre d'assassinats de militants pour la défense de la terre et de l'environnement en une année a été plus élevé que jamais », 29 juillet 2020 [en ligne]

[24] Article 231 de la Constitution brésilienne de 1988, qui peut être consulté ici [en ligne].

[25] QE n° 09601 de M. Jean-Etienne Antoinette, JO Sénat 5 décembre 2013 p. 3459, réponse publ. 26 décembre 2013 p. 3716, 14ème législature N° Lexbase : L1099KKW.

[26] L’impact du Règlement pour la Guyane devant selon nous être néanmoins être relativisé, puisque la Guyane semble actuellement davantage concernée par les problématiques d’orpaillage, activité hors du champ d’application du règlement qui ne porte que sur la problématique du commerce international.

[27] Articles 8, 9, 10, 11 du Règlement déforestation importée.

[28] Notons toutefois que des garde-fous existent contre ce risque, puisqu’il est exigé par le CDU que cette dernière transformation ou ouvraison devra être économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important.

[29] Annexe 22-01 du Règlement délégué (UE) 2015/2446, de la Commission du 28 juillet 2015, complétant le règlement (UE) n° 952/2013, du Parlement européen et du Conseil, au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union N° Lexbase : L3629KWC (dans sa version consolidée au 7 juillet 2023 issu du Règlement délégué (UE) n° 2023/398 de la Commission du 14 décembre 2022).

[30] Et sous réserve que les autres conditions évoquées en note de bas de page n° 31 soient également vérifiées.

[31] Article 25 du Règlement déforestation importée.

[32] Article I.

[33] Article XX.

[34] Ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international.

[35] Article XX, b.

[36] Article XX, g.

[37] Article 2.

[38] Annexe I.

[39] Sur ce point, voir « Géopolitique des forêts du monde Quelles stratégies de lutte contre la déforestation ? » Alain Karsenty, juin 2021.

[40] Par exemple, l’Accord commercial UE-Colombie-Pérou-Équateur, l’Accord de partenariat 2000/483/CE entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, ou encore le Règlement (UE) n° 978/2012, du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012, appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées et abrogeant le règlement (CE) n° 732/2008 du Conseil N° Lexbase : L4855IUD.

newsid:486672

Douanes

[Brèves] Droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre d’une infraction douanière

Réf. : Cass. com., 30 août 2023, n° 20-14.727, F-B, Cassation N° Lexbase : A31291EM

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N6680BZG

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par Marie-Claire Sgarra

Le 13 Septembre 2023

La personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n'est pas placée en retenue douanière ne peut être entendue sur ces faits qu'après avoir été informée, le cas échéant, du droit d'être assistée par un interprète, lequel ne peut être choisi parmi les agents des douanes chargés du dossier.

En l’espèce, les agents de l'administration des douanes ont procédé à l'audition du requérant sur des faits d'importation sans déclaration d’un navire de pêche et ont procédé à sa saisie. Le requérant a consenti à l’abandon du navire saisi et au paiement d’une amende.

Le requérant a assigné l’administration des douanes en annulation du procès-verbal et de la transaction en dommages et intérêts soutenant qu’il n’avait commis aucune infraction, n’avait pas bénéficié d’un interprète neutre et que son consentement avait été vicié.

En appel, pour rejeter la demande d'annulation du procès-verbal, portant audition du requérant du chef d'importation d'une marchandise prohibée, l'arrêt retient que ce procès-verbal, rédigé par l'inspecteur des douanes et le contrôleur des douanes ce dernier ayant servi d'interprète au requérant en shimaoré, langue comprise par l'intéressé, n'est pas vicié, dès lors que les infractions douanières peuvent être constatées par un seul agent des douanes ou de toute autre administration et que rien ne permet de contester la sincérité du concours apporté par ces deux agents de l’administration.

Solution de la Chambre commerciale. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 67 F du Code des douanes N° Lexbase : L1666MAX et les articles 61-1 N° Lexbase : L7280LZN et D. 594-16 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4089MCG.

En effet, il résulte de la combinaison de ces textes que la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n'est pas placée en retenue douanière ne peut être entendue sur ces faits qu'après avoir été informée, le cas échéant, du droit d'être assistée par un interprète, lequel ne peut être choisi parmi les agents des douanes chargés du dossier.

 

newsid:486680

Droit des personnes

[Brèves] Anonymat du don de gamètes en cas d’AMP antérieure à 2021 : la CEDH valide le dispositif français issu de la loi de bioéthique

Réf. : CEDH, 7 septembre 2023, Req. 21424/16, Gauvin-Fournis Et Silliau c/ France N° Lexbase : A17651GH

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N6741BZP

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 14 Septembre 2023

► La France n’a pas méconnu son obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée des requérants, nés dans les années 80 d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, en rejetant leurs demandes d’accéder aux informations relatives au donneur.

L’affaire. L’affaire concernait l’impossibilité pour la requérante et le requérant nés dans les années 80 d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, d’avoir accès à des informations relatives au donneur. Cette situation a perduré jusqu’au 1er septembre 2022, date à laquelle le nouveau dispositif d’accès aux origines est entré en vigueur. Ce dernier met en place un système d’accès aux origines pour les personnes nées de dons antérieurs à son entrée en vigueur, sous réserve cependant du consentement des donneurs.

Le dispositif français issu de la loi bioéthique 2021. La loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C, tout en maintenant le principe d’anonymat du don de gamètes, a consacré le droit d’accès aux origines, dans un cadre bien structuré (v. A. Gouttenoire et C. Siffrein-Blanc, L’accès aux origines des personnes issues d’une PMA, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021, Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8825BYI).

S’agissant des personnes qui ont été conçues avant la date de mise en œuvre de la loi, l’accès à leurs origines est soumis au consentement des tiers donneurs. La commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur joue un rôle d’intermédiaire entre les personnes conçues dans le cadre d’une AMP avant la loi et les tiers donneurs (CSP, art. L. 2143-6 1° N° Lexbase : L4580L7R). Ainsi est-elle chargée de contacter les tiers donneurs qui n'étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu'elle est saisie de demandes au titre de l'article L. 2143-5 N° Lexbase : L4579L7Q, émanant de personnes issues d’une AMP, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu'à la transmission de ces données à l'Agence de la biomédecine.

Validation par la CEDH. La Cour relève que la situation dénoncée par la requérante et le requérant découle des choix du législateur. Chaque loi de bioéthique a été précédée d’un débat public sous forme d’états généraux, afin de prendre en considération l’ensemble des points de vue. Aux yeux de la Cour, le législateur a bien pesé les intérêts et droits en présence au terme d’un processus de réflexion riche et évolutif sur la nécessité ou non de lever l’anonymat du donneur. Rappelant qu’il n’existe pas de consensus clair sur la question de l’accès aux origines mais seulement une tendance récente en faveur de la levée de l’anonymat du donneur, elle considère que le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation. On ne saurait dès lors reprocher à l’État défendeur son rythme d’adoption de la réforme et d’avoir tardé à consentir à une telle réforme.

La Cour considère que l’État défendeur n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait en la matière, y compris dans le choix qu’il a fait lors de l’adoption de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique pour les personnes se trouvant dans la situation de la requérante et du requérant de subordonner l’accès à leurs origines au consentement des donneurs.

Enfin, la Cour constate que le principe d’anonymat du don de gamète ne faisait pas obstacle, au moment de l’introduction des requêtes devant elle, à ce qu’un médecin accède à des informations médicales et qu’il les transmette à la personne née du don, en cas de nécessité thérapeutique qui couvre la prévention du risque de consanguinité dénoncé par la requérante et le requérant comme une atteinte au droit à leur santé. En ce qui concerne les informations médicales non identifiantes, la Cour considère que l’État a ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence.

La Cour conclut que l’État défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir à la requérante et au requérant le respect effectif de leur vie privée.

 

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L’admission au passif, miroir de la déclaration de créance

Réf. : Cass. com., 5 juillet 2023, n° 22-10.104, F-B N° Lexbase : A366998E

Lecture: 9 min

N6693BZW

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

Le 14 Septembre 2023

Mots-clés : admission des créances au passif • date d’appréciation de la créance • jugement d’ouverture • indifférence des événements postérieurs au jugement d’ouverture sur la créance à admettre au passif

Le montant de la créance à admettre au passif est celui existant au jour du jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel se prononçant sur la contestation d'une telle créance doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur.


 

Les créanciers titulaires d’une créance antérieure au jugement d’ouverture sont soumis aux règles de la discipline collective. Fondamentalement, ces règles ont pour objet la protection du gage commun. Le montant de l’actif distribuable, qui existe au jour du jugement doit exister encore lorsque l’heure des paiements collectifs interviendra. Un organe est là pour veiller à ce qu’il en soit ainsi : l’organe de défense de l’intérêt collectif des créanciers.

Privés du droit d’accès individuel aux actifs saisissables du débiteur, les partenaires contractuels ou institutionnels du débiteur doivent se faire reconnaître comme créanciers par la déclaration de créance. Celle-ci représente une photographie de la créance, telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture, quant à son existence, sa nature et son montant.

Le droit d’entrée du créancier dans la procédure collective, laquelle est comparable à un château fort muni d’un pont-levis, prendra la forme d’une admission de leur créance au passif. Rendant leur créance opposable à la procédure collective, l’admission entrainera la baisse du pont-levis. Le créancier entrera dans le château et se verra dire : « créancier, vous êtes des nôtres. Prenez place à table, vous avez le droit de partager le repas », c’est-à-dire de participer aux répartitions liquidatives ou aux dividendes du plan.

Cependant, ce droit de participer au partage du repas, l’actif distribuable, dépendra du montant et de la nature de la créance. À quelle date faut-il se placer pour apprécier le droit à paiement du créancier ? Trois dates peuvent en théorie être proposées : la date du jugement d’ouverture, la date de la déclaration de créance, celle de l’admission au passif.

La Cour de cassation a déjà eu, à de nombreuses reprises, l’occasion de la préciser. Elle le fait ici une nouvelle fois, sans modifier sa solution désormais bien classique.

En l’espèce, la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle est venue la Société générale (la banque), a déclaré une créance à la procédure collective au titre de la garantie d'achèvement des travaux consentie le 26 juin 2012 à la société Capnor Invest pour un programme immobilier réalisé par la société débitrice sous le régime de la vente d'immeubles à rénover.

Le liquidateur a contesté cette créance en soutenant que la garantie d'achèvement n'était plus susceptible d'être engagée par les acquéreurs des différents lots, dès lors qu'il avait réalisé les immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective par voie d'adjudication et que l'action susceptible d'être exercée par les acquéreurs des autres lots, en raison de l'inachèvement des travaux, était nécessairement prescrite.

La cour d’appel [1]ne va pas faire droit aux prétentions du liquidateur en admettant la créance de la banque, créance de recours de la caution avant paiement sur le fondement de l’article 2309 du Code civil N° Lexbase : L1208HIL, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D.

Le liquidateur pouvait-il se fonder sur des évènements postérieurs à la déclaration de créance pour prétendre au rejet de la créance de la banque ?

Reprenant une solution désormais très classique, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi du liquidateur en jugeant qu’ « Il résulte des articles L. 622-24, alinéa 1 N° Lexbase : L8803LQ4, et L. 622-25 N° Lexbase : L9126L77 du Code de commerce, qu'au titre des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel se prononçant sur la contestation d'une telle créance doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur. Il s'ensuit que l'admission de la créance déclarée par la banque au titre de la garantie d'achèvement des travaux en application de l'article 2309 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2021-1192 du 15 septembre 2021, applicable au cautionnement consenti par la société Crédit du Nord, permettait à la caution, même avant d'avoir payé, d'agir contre le débiteur pour être indemnisée, lorsque ce dernier était en procédure collective, ne peut être tributaire des conditions de la réalisation des immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective pendant le cours de cette procédure ou d'une prescription de l'action en garantie prétendument acquise cinq ans après l'ouverture de cette procédure ».

Le premier principe rappelé par la Cour de cassation est très classique : la créance à admettre au passif est celle qui existe au jour du jugement d’ouverture [2]. L’admission au passif, comme la déclaration de créance, est une représentation de la créance telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture. Par conséquent, des évènements postérieurs au jugement d’ouverture ne peuvent être pris en compte [3]. C’est ainsi que les paiements postérieurs au jugement d’ouverture ne peuvent être pris en compte pour venir minorer le montant de l’admission au passif.

La prescription, en supposant qu’elle puisse jouer après le jugement d’ouverture, ne peut davantage empêcher l’admission au passif, puisque la créance doit être admise dans les conditions de la créance au jour du jugement d’ouverture. Si la prescription n’a pas joué à cette date, elle ne peut faire obstacle à l’admission de la créance.

Au demeurant, la déclaration de créance est interruptive de la prescription en application de l’article L. 622-25-1 N° Lexbase : L7238IZ4 et cette interruption de prescription perdure jusqu’à la clôture de la procédure.

Est-ce à dire que le créancier, admis au passif, sera payé dans les conditions de l’admission de sa créance ? On serait tenté de le soutenir en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’admission au passif, laquelle porte sur l’existence, la nature et le montant de la créance. Mais ce serait oublier un élément important : l’admission de la créance intervient au regard de la créance telle qu’elle existe au jour du jugement d’ouverture. Des évènements postérieurs à l’ouverture de la procédure peuvent donc être pris en compte sans venir contrarier l’autorité de la chose jugée attachée à l’admission, laquelle n’existe qu’au regard de ce qui existe au jour de l’ouverture de la procédure collective. Et cela justifie que le montant à payer au créancier ne soit pas nécessairement celui admis au passif. C’est bien ce que précise ici la Cour de cassation. « Le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture […] sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur ». La Cour de cassation considère donc clairement qu’il est possible pour le liquidateur de distribuer moins au créancier que ce qui a été admis au passif, pour tenir compte d'événements postérieurs influant sur le montant à verser au créancier.

La solution avait déjà été posée par la Cour de cassation à propos des intérêts à échoir à admettre au passif, en cas de continaution du cours des itnérêts. Le créancier est autorisé à déclarer les mensualités à échoir d’un prêt, lesquelles intégrent capital et intérêts [4]. Or la durée du cours des intérêts conditionne en réalité ce qui sera dû par le débiteur.

La Cour de cassation a cependant réussi à éviter que le créancier ne puisse toucher, sur le fondement d’une admission au passif des intérêts courant jusqu’au jour du terme du contrat, plus que ce qui lui est dû. Elle juge que le montant de la créance à admettre au passif est celui existant au jour de l’ouverture de la procédure collective. C’est donc à cette date que le juge-commissaire, qui admet une créance d’intérêts dont le cours n’est pas arrêté doit se placer pour déterminer, soit les modalités de calcul des intérêts, soit leur montant, si celui-ci peut être calculé, sans qu’il ait, au moment de l’admission, à tenir compte d’événements postérieurs pouvant influer sur le cours des intérêts à échoir. Mais l’admission de la créance déclarée étant distincte de son règlement, le paiement du capital de la créance aura pour effet d’arrêter le cours des intérêts non encore échus à la date de ce paiement. Par conséquent, seul le montant des intérêts courus jusqu’à la date de ce paiement doit être réglé par le liquidateur, le trop versé représentant les intérêts courus jusqu’au terme des prêts devant lui être restitué [5].

C’est une solution reposant sur un fondement identique qui est ici à nouveau appliquée : le montant du paiement pourra être différent du montant de l’admission au passif, dès lors que des évènements postérieurs au jugement d’ouverture conduisent à minorer le montant des sommes qui restent dues, et spécialement des paiements postérieurs au jugement d’ouverture.

Les mandataires judiciaires doivent retenir la leçon : l’admission au passif n’est que le miroir de la déclaration de créance, laquelle est elle-même une photographie de la créance au jour du jugement d’ouverture. En revanche, lorsqu’il s‘agira de répartir, il faudra prendre en compte ce qui reste effectivement dû, et tenir compte, par voie de conséquence, de tous les évènements postérieurs au jugement d’ouverture d’où résulterait une diminution de ce qui reste dû au créancier.

 

[1] CA Douai, 4 novembre 2021, n° 20/04199 N° Lexbase : A02707BM.

[2] Cass. com., 8 juin 2010, n° 09-14.624, FS-P+B N° Lexbase : A0130EZT, Gaz. Pal. entr. diff., 15-16 octobre 2010, p. 32, note E. Le Corre-Broly ; JCP E, 2010, Chron. 1742, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 2011, comm. 39, p. 46, note F. Legrand et M.-N. Legrand – Cass. com., 26 février 2020, n° 18-20.321, F-D N° Lexbase : A77803GA.

[3] Sur le détail de cette question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2023/2024, 12ème éd., n° 682.241.

[4] Cass. com. 8 mars 2017, n° 15-22.722, F-D N° Lexbase : A4542T3M.

[5] Cass. com., 1er Juillet 2020, n° 19-10.331, F-P+B N° Lexbase : A56893QR, D., 2020 chron. 1857, note F.-X.Lucas ; Rev. sociétés, 2020, 511, note L.-C. Henry ; BJE, septobre/octobre 2020, p. 29, note G. Jazottes ; Act. proc. coll., 2020/16, comm. 214, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., mai/juin 2021, comm. 57, note Legrand ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, juillet 2020, n° 644  N° Lexbase : N4179BYG.

newsid:486693

Libertés publiques

[Jurisprudence] Abaya et qamis, des vêtements religieux par destination ?

Réf. : CE référé, 7 septembre 2023, n° 487491 N° Lexbase : A28361G7

Lecture: 18 min

N6687BZP

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par Ghislain Poissonnier, Magistrat

Le 13 Septembre 2023

Mots clés : école • laïcité • abaya • signes religieux • qamis

Par une ordonnance en date du 7 septembre 2023, le Conseil d’État, statuant en référé, a jugé que l’interdiction du port de l’abaya et du qamis dans les établissements scolaires ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.


 

Voilà une nouvelle décision qui fera date et s’inscrira dans la longue série de celles rendues par la plus Haute juridiction administrative sur le thème du respect du principe de laïcité à l’école. Les sujets du voile ou des tenues liées à l’appartenance religieuse reviennent régulièrement dans l’actualité depuis 1989 et l’affaire de Creil, lorsque trois jeunes filles voilées avaient été exclues de leur collège et qui a donné lieu à un célèbre avis [1]. Le Conseil d’État s’est ensuite prononcé au fond sur la question [2]. La loi du 15 mars 2004 a, en vertu du principe de laïcité, interdit le port dans les écoles de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse sous peine de sanction disciplinaire [3]. Sont donc proscrits dans l’enceinte des établissements scolaires publics, le port par les élèves de signes ou tenues manifestant de façon ostensible, soit par eux-mêmes, soit en raison du comportement de l’élève, une appartenance à une religion. Le Conseil d’État en a tiré les conséquences, en jugeant que si les élèves continuent de pouvoir porter des signes discrets, ils ne peuvent arborer des signes qui traduisent ostensiblement une appartenance religieuse, « tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix » [4]. Il n’existe cependant ni dans la loi, ni de la jurisprudence administrative une liste de vêtements autorisés ou interdits dans les écoles au regard de leur origine ou destination religieuse.

Le 1er septembre 2023, une association dénommée « Action droits des musulmans » a saisi en urgence le Conseil d’État contre la règle de l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics. Le juge des référés a été saisi sur le fondement de la procédure dite de référé-liberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT. Le référé-liberté est une procédure particulière permettant de faire sanctionner un texte ou une pratique administrative qui porte atteinte à une liberté fondamentale. L’association demandait ainsi à la plus haute juridiction administrative de suspendre l’exécution d’une note de service du 31 août 2023 du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse interdisant le port de tenues de type abaya ou qamis dans les écoles, collèges et lycées publics.

Une audience s’est tenue dans l’enceinte du Palais-Royal le 5 septembre 2023. Par ordonnance du 7 septembre 2023, le juge des référés du Conseil d’État, statuant en urgence, a rejeté la requête contre la règle posée de l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics. En l’état de l’instruction, le juge des référés a estimé que l’interdiction du port de ces vêtements ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, plus précisément au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination. L’ordonnance rendue le 7 septembre 2023 ne permet pas d’estimer que le Conseil d’État rendra nécessairement une décision allant dans le même sens lorsqu’il sera (sûrement) saisi au fond. Toutefois, un changement de positionnement reste, en l’état, assez peu probable, sauf à ce que la mise en œuvre de la note de service du 31 août 2023 produise des effets indésirables ou absurdes, ce qui n’est pas à exclure.

I. La circulaire du 31 août 2023 interdisant le port de l’abaya et du qamis

Le 31 août 2023, le bulletin officiel de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports a publié une note de service du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse [5], intitulée « Respect des valeurs de la République ». Cette note de service - juridiquement une circulaire [6] - adressée aux chefs d’établissement, aux inspecteurs et directeurs d’établissement, interdit le port de tenues de type abaya ou qamis dans les écoles, collèges et lycées publics [7]. La circulaire indique que le port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics constitue une manifestation ostensible d’appartenance religieuse prohibée par l’article L. 145-5-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L3320DYM, issu de l’article 1er de la loi du 15 mars 2004. Elle s’appuie ainsi sur un dispositif législatif déjà ancien qui a été considéré comme respectant les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme [8].

Une fois cette règle d’interdiction posée, la note de service précise la démarche à suivre en cas de non-respect de la règle : dialogue avec l’élève concerné, puis échange approfondi avec les parents (au besoin avec le soutien des équipes académiques Valeurs de la République), et si le port d’un des vêtements concernés se poursuit, au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, procédure disciplinaire. Elle s’appuie, s’agissant de la démarche à suivre, sur la nouvelle version de l’article R. 421-10 du Code de l’éducation N° Lexbase : L5172MIE qui prévoit qu’une procédure disciplinaire est systématiquement engagée par le chef d’établissement « lorsque l’élève commet un acte portant une atteinte grave aux principes de la République, notamment au principe de laïcité »[9].

La circulaire a été adoptée pour répondre à un souci de clarification et d’harmonisation des règles en la matière et des réponses y apporter. Elle indique que « dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abaya et qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire ». Et force est de constater que cette note de service ne manque ni de clarté ni de rigueur. Il a souvent été reproché aux différents ministres de l’Éducation nationale de refuser de s’engager sur ces sujets sensibles, les proviseurs indiquant que les conflits avec les élèves se nourrissent du flou des règles et procédures à appliquer dans les établissements scolaires. Pour le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, M. Gabriel Attal, l’interdiction des vêtements comme l’abaya ou le qamis doit permettre aux chefs d’établissements « d’avoir une ligne plus claire au niveau national » [10]. Jusqu’à présent, ils disposaient d’une marge d’interprétation, l’abaya et le qamis étant tolérés dans certains collèges et lycées, et bannis dans d’autres [11].

La circulaire a été également adoptée pour faire mieux respecter le principe de laïcité. Comme l’a indiqué le ministre, l’abaya ou le qamis présente une dimension religieuse et dès que ce vêtement est porté, son caractère ostentatoire est évident. Ainsi une interdiction s’impose. S’appuyant sur l’article 1er de la loi du 15 mars 2004, la note de service indique que « le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré ». M. Gabriel Attal n’y voit aucune « police du vêtement » mais « une police du prosélytisme à l’école ». Ce que mentionne la note de service, en indiquant que le principe de laïcité, principe cardinal, protecteur de la liberté de conscience, « protège l’élève de tout comportement prosélyte ».

II. Des critiques sur la légalité et l’opportunité de la circulaire

L’adoption de la circulaire du 31 août 2023 a suscité plusieurs critiques, tenant tant à sa légalité qu’à son opportunité.

Dans sa requête, l’association « Action droits des musulmans » soutenait tout d’abord que la note de service est discriminatoire, la discrimination étant de nature raciale et sexiste. Raciale en ce que l’interdiction viserait une partie de la population d’origine étrangère, essentiellement d’origine arabe ou maghrébine, population portant l’abaya ou le qamis comme vêtement traditionnel. La requête évoque un risque de ciblage des jeunes en raison de leurs origines ethniques ou de « profilage » ethnique. Sexiste en ce que l’interdiction viserait essentiellement des jeunes filles (à travers l’interdiction de l’abaya), le port du qamis chez les garçons étant de nature totalement résiduel. Ce faisant, la note de service violerait le principe de non-discrimination.

La requête alléguait ensuite que la note de service porte atteinte au respect de la vie privée et familiale des élèves en réduisant leur liberté de se vêtir et en leur interdisant le port d’une tenue vestimentaire leur permettant d’exprimer leur attachement à une culture ou une région géographique et en incitant les personnels de l’Éducation nationale à exiger des élèves qu’ils divulguent leurs convictions ou origines. Une partie du personnel politique a relayé cet argument selon lequel l’initiative du ministre revient à établir une sorte de police des vêtements et des corps, à rebours des principes d’une société de liberté devant reconnaître la diversité vestimentaire et culturelle et les origines et l’identité culturelle de chacun.

La requête soutenait en outre que la circulaire portait atteinte à la liberté de culte en ce qu’elle qualifie un vêtement de religieux sans que les autorités cultuelles de ladite religion le qualifient comme tel. L’argument ne manque pas de poids, alors que l’abaya ne semble pas être un vêtement religieux. Le Conseil français du culte musulman a affirmé que cette longue robe traditionnelle couvrant le corps et portée par certaines élèves musulmanes n’était pas un signe religieux musulman mais un vêtement traditionnel [12]. Il en est de même du qamis, version masculine sous forme de tunique de l’abaya. Ce que semble confirmer l’étymologie du mot, abaya signifiant « toge », « robe » ou « manteau ». Ce type de longs vêtements amples, qui ne couvre pas le visage et les mains, est d’ailleurs porté y compris par des personnes d’obédience chrétienne dans le monde arabe ou encore en Afrique [13]. En France et en Europe, plus généralement, il est souvent bien difficile de distinguer une abaya d’une longue robe que peuvent, selon les tenues à la mode, parfois porter les femmes. L’Éducation nationale, elle-même, a d’ailleurs écrit dans une circulaire de 2022 que l’abaya n’était pas - tout comme le bandana ou la juge longue - une tenue religieuse par nature [14]. La preuve de la portée religieuse de ces deux vêtements s’annonce donc difficile. Et dans la mesure où l’abaya et le qamis ne sont pas spécifiquement religieux, cela ne va-t-il pas inciter les professeurs à tenter de déterminer les orientations religieuses de leurs élèves afin de savoir si lesdits vêtements sont portés dans une démarche prosélyte ou simplement par goût esthétique ou attachement culturel ? Le risque d’atteinte à la vie privée et familiale des élèves semble ici également présent.

La requête faisait enfin valoir que, par ses conséquences (l’exclusion inévitable de certains élèves au terme de la procédure disciplinaire engagée), la circulaire porte atteinte au droit de l’enfant à l’éducation.

Le Conseil français du culte musulman, sans s’associer à la procédure en référé, s’est lui aussi inquiété des risques élevés de discriminations que recèlent l’application de ce texte, en précisant dans un communiqué qu’il se réserve le droit de saisir à ce sujet le Conseil d’État (au fond).

Le caractère inopportun de la circulaire - un argument de nature non juridique mais qui colore inévitablement l’affaire - a également été avancé par l’association lors de l’audience et relayé par une partie du personnel politique dans le cadre du débat public. 12 millions d’élèves sont scolarisés en France et le ministre, à l’heure de la rentrée, estime que le sujet de l’interdiction de port de vêtements est prioritaire, alors que de nombreuses autres questions pourraient l’être (notamment celles des moyens et des effectifs de son ministère). Une note de service intervenant sur un sujet résiduel vient ainsi, regrettent certains syndicats et responsables politiques, occulter médiatiquement les difficultés de l’Éducation nationale. Ce que les chiffres semblent effectivement confirmer. Le jour de la rentrée, sur les 6,4 millions d’écoliers, 3,4 millions de collégiens et 2,2 millions de lycéens, 298 élèves se sont présentées dans leur établissement en abaya malgré l’interdiction, selon M. Gabriel Attal, et « 67 n’ont pas accepté » de la retirer et « sont rentrées chez elles » [15]. Il n’a pas été question du qamis dans les propos du ministre.

Si les arguments pointant l’incohérence et la possible illégalité de la note de service ne manquaient pas de pertinence, aucun ne paraissait permettre de conclure qu’elle viole manifestement et gravement une liberté fondamentale.

III. Une ordonnance en forme d’adhésion à la position du ministère de l’Éducation nationale

Dans son ordonnance du 7 septembre 2023, le juge des référés commence par relever que « les signalements d’atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du Code de l’Éducation dans les établissements d’enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, avec 1.984 signalements contre 617 au cours de l’année scolaire précédente ». Or, selon lui, il résulte des éléments versés à l’instruction et des indications données à l’audience que « ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d’écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya (…) ou qamis ».

Voilà le décor planté. Ce faisant, le Conseil d’État s’appuie sur chiffres fournis par le ministère de l’Éducation nationale, chiffres fiables et incontestables. Toutefois, la plus haute juridiction administrative ne prend pas le soin d’analyser la nature et les causes de cette augmentation. Il semble pourtant assez évident que cette augmentation des atteintes à la laïcité, sans exclure le possible « durcissement » des revendications vestimentaires de certains jeunes, est à porter à la mise en place de procédures plus rigoureuses et systématiques de signalement de ces atteintes depuis l’assassinat du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020. Quel serait le nombre réel d’atteintes à la laïcité sans la mise en place de cette remontée systématique ? En outre, parmi les atteintes à la laïcité signalées, quelle est la proportion concernant le port de vêtements ? Et parmi cette dernière, quelle est la part concernant le port d’abaya et de qamis ? Autant de questions restées sans réponse [16]. Le juge des référés reprend en somme le contenu de la note de service selon lequel, il est constaté « dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis ». Ce n’est ni dans la note de service, ni dans l’ordonnance du juge des référés mais dans la presse que l’on apprend que la présence de ce type de vêtements serait constatée dans 150 établissements sur les 10 000 lycées et collèges existant en France [17].

Le raisonnement du juge des référés, qui part de ce constat peu documenté, peine à convaincre.

Premièrement, il ne donne aucune définition de ce qu’est une abaya et un qamis. Le juge des référés se contente de reprendre mot pour mot la définition qui en est proposée par l’administration : l’abaya est un « terme dont les représentants de l’administration ont indiqué au cours de l’audience qu’il doit s’entendre d’un vêtement féminin couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains » et le qamis est « son équivalent masculin ». Non seulement le juge ne définit pas ce type de vêtements mais en plus, il se contente d’en reprendre la définition - bien pauvre - qu’en fournit l’administration.

Deuxièmement, la dimension religieuse desdits vêtements n’est pas plus définie ou caractérisée. Selon le juge des référés, il résulte des éléments versés à l’instruction et des indications données à l’audience que « le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse ». À l’audience de référé, le directeur des affaires juridiques du ministre de l’Éducation nationale avait d’ailleurs indiqué que « l’abaya fait immédiatement reconnaître celui qui le porte comme appartenant à la religion musulmane ». De même, indique le juge des référés, le ministre fait valoir que le port de ces vêtements s’accompagne en général de la part des élèves faisant le choix de les porter - ainsi que cela ressort notamment des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves - « d’un discours mettant en avant les motifs liés à la pratique religieuse ». Les vêtements ne sont pas vraiment définis mais ils ont pour autant une dimension religieuse, sans que cela soit relié à un élément objectif allant au-delà d’un discours qui serait tenu par l'élève concerné, alors que la jurisprudence exige traditionnellement que cet élément objectif tienne au comportement de l’élève [18]. L’argumentaire - là encore assez pauvre - de l’administration ou du ministre est repris intégralement - mot pour mot - et le juge ne s’efforce même pas de décrire la dimension religieuse desdits vêtements et de préciser la religion ou la pratique religieuse qui serait concernée.

En conséquence, indique l’ordonnance « le port de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme étant discrets, constitue une manifestation ostensible de l’appartenance religieuse des élèves concernés méconnaissant l’interdiction posée par les dispositions de l’article L. 145-5-1 du Code de l’Éducation ».

Ainsi, la note de service du ministre de l’Éducation nationale entre donc dans le cadre de la loi du 15 mars 2004, sur l’interdiction de signes religieux ostensibles à l’école. Or, la loi interdit, dans l’enceinte des établissements scolaires publics, le port par les élèves de signes ou tenues manifestant de façon ostensible, soit par eux-mêmes, soit en raison du comportement de l’élève, une appartenance à une religion. Le juge de référés en déduit que l’interdiction posée n’a pas porté « une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination ». Pour ces raisons, le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande de l’association Action droits des musulmans.

Voici donc en somme une décision peu convaincante qui valide, en référé, une circulaire peu précise, dont il est estimé cependant, sans doute à raison, qu’elle ne viole aucune liberté fondamentale. La question sera manifestement soumise à nouveau au Conseil d’État, cette fois-ci au fond. Et le débat pourrait alors être serré. Le principal point de faiblesse de la circulaire tient à ce qu’elle présume, sans le démontrer, que le port de l’abaya ou du qamis, par lui-même, manifeste une appartenance religieuse qui, compte tenu de la dimension du vêtement, est alors ostentatoire. Cette présomption et l’absence de précision du texte risquent en outre de générer des difficultés d’application, notamment par le prononcé de sanctions disciplinaires qui se révèleront discriminatoires. En clair, soit des écolières non musulmanes seront sanctionnées pour le port de robes jugées trop longues. Soit seules les écolières, perçues comme musulmanes, seront privées de porter une robe ou un vêtement long et ample, contrairement à leurs camarades non musulmanes. Le ministre a sans doute préféré envoyer un message fort aux chefs d’établissement, aux inspecteurs et directeurs d’établissement sur le terrain du respect du principe de laïcité, quitte à ce que, ponctuellement, quelques difficultés d’application se produisent. Une manière de tabler sur le bon sens de ces responsables de terrain qui se comprend mais qui n’est pas forcément en harmonie avec la cohérence souhaitable des règles.

 

[1] CE, avis, Ass. Gén., 27 novembre 1989.

[2] CE, 2 novembre 1992, n° 130394 N° Lexbase : A8254AR7, éclairée par les conclusions du commissaire du Gouvernement David Kessler.

[3] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics N° Lexbase : L1864DPQ, JORF n° 65 du 17 mars 2004.

[4] CE, 5 décembre 2007, n° 295671 N° Lexbase : A0214D3C.

[5] M. Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, depuis le 20 juillet 2023.

[6] La circulaire est un texte transmis par une autorité administrative (ministre, recteur, préfet, etc.) aux services placés sous son autorité hiérarchique, voire aux administrés, pour les informer d'une nouveauté législative ou réglementaire.

[7] La décision d’interdiction a été prise par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse le 27 août 2023 (déclaration sur la chaîne TF1) et formalisée par la note de service du 31 août 2023.

[8] CEDH, 30 juin 2009, Req. n° 43563/08, Aktas et autres c/ France N° Lexbase : A1803ER9.

[9] Issu du décret n° 2023-782 du 16 août 2023, relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l'Éducation nationale N° Lexbase : L4981MIC, JORF n°0189 du 17 août 2023.

[10] Interdiction de l’abaya à l’école : les politiques divisés, Le Monde-AFP, 28 août 2023.

[11] S. Lecherbonnier, Les abayas et les qamis sont-ils des signes religieux ostensibles à l’école ? Les chefs d’établissements veulent des consignes claires », Le Monde, 4 octobre 2022.

[12] Port de l’abaya : pour le Conseil français du culte musulman, ce vêtement n’est pas un signe religieux musulman, Le Monde-AFP, 12 juin 2023.

[13] W. Audureau, Qu’est-ce que l’abaya, le vêtement que Gabriel Attal veut faire interdire à l’école ?, 28 août 2023 ; S. Pierre, Qamis et abaya, des vêtements religieux, Orient XXI, 6 septembre 2023.

[14] Annexe 1 de la circulaire du 9 novembre 2022, intitulée « Plan laïcité dans les écoles et établissements scolaires », bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 10 novembre 2022.

[15] Rentrée scolaire : 298 élèves se sont présentées en abaya, 67 ont refusé de l’enlever, a annoncé Gabriel Attal, Le Monde - AFP, 5 septembre 2023.

[16] M. Battaglia, Atteinte à la laïcité : un chiffrage délicat, Le Monde, 17 juin 2022.

[17] S. Lecherbonnier et E. Pommiers, Gabriel Attal précise l’interdiction de l’abaya à l’école dans une note de service, Le Monde, 31 août 2023.

[18] CE, 5 décembre 2007, n° 295671 N° Lexbase : A0214D3C, s’agissant du port permanent du bandana.

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Licenciement

[Brèves] Recevabilité de la preuve apportée par un « client mystère » dans le cadre d’une procédure de licenciement

Réf. : Cass. soc., 6 septembre 2023, n° 22-13.783, F-B N° Lexbase : A77741EN

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N6668BZY

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par Charlotte Moronval

Le 14 Septembre 2023

► Constitue un moyen de preuve licite, dans le cadre d’une procédure de licenciement, le compte rendu d’intervention d’une société mandatée par l’employeur pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère », dès lors qu’il est établi que le salarié a été expressément informé de cette méthode d’évaluation professionnelle avant sa mise en œuvre.

Faits et procédure. Un employé d’un restaurant libre service sert, sans le savoir, un client mystère, mandaté par l’employeur pour effectuer des contrôles. La fiche d'intervention du client mystère relève notamment qu'aucun ticket de caisse n'a été remis par le salarié après l'encaissement de la somme demandée.

Au fait de cet agissement, l’employeur licencie le salarié pour faute.

Le salarié conteste le bien-fondé de son licenciement, au motif notamment que le moyen de preuve utilisé par l'employeur était illicite et contraire aux dispositions de l'article L. 1222-3 du Code du travail N° Lexbase : L0811H9W, en vertu desquelles le salarié doit être expressément et préalablement informé par des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard par l'employeur.

Pour juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 1er juillet 2021, n° 18/19333 N° Lexbase : A11044YK) considère que la preuve du non-respect par le salarié des procédures d'encaissement mises en place au sein de l'entreprise était rapportée.

Le salarié forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle relève que l'employeur établit avoir préalablement informé le salarié de l'existence de ce dispositif d'investigation comme en atteste la production :

  • d'un compte rendu de réunion du comité d’entreprise, faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages ;
  • d'une note d'information des salariés sur le dispositif dit du « client mystère », qui porte la mention « pour affichage » et qui explique son fonctionnement et son objectif.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel ayant ainsi constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d’évaluation professionnelle, l'employeur pouvait dès lors en utiliser les résultats au soutien de la procédure de licenciement.

Pour aller plus loin : v. notamment ÉTUDE : L’évaluation professionnelle du salarié, Le respect des droits et libertés fondamentales du salarié dans le cadre de l’évaluation professionnelle du salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2250Z8T.

 

newsid:486668

Marchés publics

[Brèves] Publication de l’ordonnance relative à l'accélération de la reconstruction des équipements publics détruits lors des émeutes

Réf. : Ordonnance n° 2023-660, du 26 juillet 2023, portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 N° Lexbase : L2868MI3

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N6529BZT

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par Yann Le Foll

Le 13 Septembre 2023

► L'ordonnance n° 2023-660, du 26 juillet 2023, portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, publiée au Journal officiel du 27 juillet 2023, a pour but de proposer différentes mesures temporaires ayant pour objectif d'accélérer et de simplifier les procédures de passation des marchés publics afin de faciliter le retour au fonctionnement normal des services publics dans les meilleurs délais.

Rappel. L’ordonnance est prise sur le fondement de la loi n° 2023-656, du 25 juillet 2023, relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 N° Lexbase : L2702MIW.
Afin de faciliter les opérations de reconstruction ou de réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, le Parlement a autorisé le Gouvernement à prendre toute mesure relevant du domaine de la loi permettant aux maîtres d'ouvrage soumis au Code de la commande publique, pour une durée limitée, d'une part, de conclure un marché public ou des lots d'un marché public sans publicité préalable mais avec mise en concurrence pour des marchés inférieurs à un seuil défini par l'ordonnance et, d'autre part, de déroger au principe d'allotissement et de recourir aux marchés globaux.

L'article 1er a pour objet de déroger aux règles normales de passation des marchés publics en autorisant les maîtres d'ouvrages à recourir à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'appel à la concurrence mais avec mise en concurrence pour l'attribution des marchés nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments endommagés dès lors que leur montant est inférieur à 1,5 millions d'euros hors taxes.

Cette mesure est également applicable aux lots dont le montant est inférieur à 1 million d'euros hors taxes, à la condition que le montant cumulé de ces lots n'excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots d'un marché alloti. Si le droit de la commande publique permet déjà de conclure sans publicité ni mise en concurrence préalable des marchés nécessaires pour faire face à des situations relevant d'une urgence impérieuse et, jusqu'au 31 décembre 2024, des marchés publics de travaux de moins de 100 000 euros hors taxes, ces procédures dérogatoires ne peuvent pas être appliquées à l'ensemble des opérations visées par l’ordonnance.

En proposant de retenir un plafond de 1,5 millions d'euros, le Gouvernement réserve le recours à la nouvelle procédure négociée sans publicité préalable mais avec mise en concurrence à des marchés exclus du champ d'application des Directives européennes sur les marchés publics et des règles générales du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne.

L'article 2 permet aux maîtres d'ouvrage, pour l'attribution des marchés nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments mentionnés à l'article 1er, quel que soit leur montant estimé, de s'affranchir du principe d'allotissement posé à l'article L. 2113-10 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4431LRK (selon lequel « les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes ») sans avoir à démontrer qu'ils se trouvent dans l'une des exceptions prévues à l'article L. 2113-11 du même code N° Lexbase : L4357LRS.

Enfin, l'article 3 crée un nouveau cas de recours au marché de conception-réalisation mentionné à l'article L. 2171-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L7088LQL afin d'autoriser les maîtres d'ouvrages soumis aux dispositions du même code relatives à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, de confier à un opérateur économique, quel que soit le montant estimé des travaux, une mission globale portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments mentionnés à l'article 1er.

newsid:486529

Procédure civile

[Textes] L’audience de règlement amiable et la césure du procès civil : deux nouvelles procédures au service de la « politique de l’amiable »

Réf. : Décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire N° Lexbase : L3217MIY

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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique Lexbase de la revue « Droit privé » et de l’ouvrage de procédure civile

Le 27 Septembre 2023

Mots-clés : procédures amiables • politique de l’amiable • conciliation • interruption d’instance • péremption d’instance • confidentialité (principe) • césure du procès • clôture de l’instruction • sursis à statuer • mise en état • jugement partiel

Le décret du 29 juillet 2023 crée deux nouvelles procédures visant à accélérer le traitement de certains litiges en ayant recours à un règlement amiable. Ce décret s’insère dans le plan d’action pour la justice, et plus particulièrement, dans la nouvelle « politique de l’amiable » engagée par le ministère de la Justice. Le premier dispositif est l’audience de règlement amiable (ARA). Les parties sont convoquées devant un juge (qui ne siège pas dans la formation de jugement) afin de tenter de résoudre leur litige à l’amiable. En cas de succès, un procès-verbal d’accord est établi et il a force exécutoire. Le second dispositif est la césure du procès civil. Lorsque la nature du litige le permet, le juge de la mise en état peut scinder le litige en deux parties : d’une part, le principe de l’obligation civile, d’autre part le montant de cette obligation. À la suite d’une clôture partielle de l’instruction, un jugement est rendu sur le principe de l’obligation. Les parties ont alors la possibilité de définir à l’amiable le montant d’obligation.


 

La politique de l’amiable

La « politique de l’amiable » et le plan d’action pour la justice ont été présentés par le garde des Sceaux au mois de janvier 2023 à la suite des états généraux de la justice. Les deux instruments nouveaux de cette politique ont ainsi été exposés. Il s’agit de l’audience de règlement amiable et de la césure du procès. Ces deux procédures, nettement distinctes, sont inspirées de procédures étrangères (Québec, Pays-Bas, Allemagne) où elles semblent avoir fait leurs preuves. En France, la pratique de l’amiable demeure très marginale, malgré les tentatives répétées du législateur et du ministère de les développer depuis la fin des années 90. Les causes sont nombreuses, diverses et controversées, mais elles n’ont pas détourné les pouvoirs publics de leur volonté de développer le règlement amiable des litiges, de sorte que le ministère entend aujourd’hui adopter une « politique de l’amiable ».

L’enjeu du développement des procédures amiables est marqué par une certaine ambiguïté. D’un côté, on souhaite rapprocher les parties, de favoriser la discussion plutôt que le conflit. On cherche à améliorer le sentiment de justice issu d’un accord, plutôt que d’un procès. Pour le garde des Sceaux, les choses sont assez différentes. Il s’agit essentiellement de réduire les délais de traitement des affaires. Ce dernier a affirmé, dans la présentation de son plan d’action, « mon objectif est clair : réduire par deux les délais de nos procédures civiles d’ici 2027 ». À plusieurs reprises, il a signalé que dans les pays étrangers, l’usage des procédures amiables permettait de diviser par deux les délais de traitement des affaires [1].

Les modalités de la politique de l’amiable sont, elle-même, ambiguës. Depuis 2010, la tendance était plutôt à la déjudiciarisation des procédures. On a vu ainsi se développer les décrets permettant au juge d’envoyer le dossier devant des conciliateurs et des médiateurs. On a encore observé le retour du préalable obligatoire de règlement amiable, qui trouvait son origine au 19e siècle, mais avait été abandonné en raison de son inefficacité. Enfin, les pouvoirs publics ont tenté d’externaliser la mission de régler le litige en la confiant aux avocats, à travers la procédure participative. Toutes ces initiatives n’ont pas eu les effets escomptés et le décret du 29 juillet 2023, applicable à compter du 1er novembre 2023 [2], constitue un véritable tournant dans la politique de l’amiable. Il replace le juge au centre du règlement amiable. En effet, les nouvelles procédures créées se situent, non pas en marge du procès civil, mais en son sein. Ainsi, l’audience de règlement amiable résulte d’une convocation des parties par un juge les obligeant à comparaître devant un autre juge. De même, la césure du procès civil résulte d’une ordonnance de clôture partielle rendue par le juge de la mise en état. Autrement dit, dans chacune de ces procédures, le juge tient une position centrale.

Pour terminer cette rapide présentation de la politique de l’amiable incarnée par le décret du 29 juillet 2023, il faut souligner que l’ambition initiale affichée par le garde des Sceaux a été revue à la baisse. En effet, il était prévu initialement de regrouper l’ensemble des dispositions relatives aux procédures amiables dans un même chapitre du code de procédure civile, afin de leur donner plus de lisibilité. Cette ambition n’a pas été suivie d’effet, bien au contraire. Les mesures du décret sont limitées au tribunal judiciaire et la césure du procès civil n’est applicable qu’à la procédure écrite ordinaire. On se retrouve donc face à deux nouveaux mécanismes spéciaux, plutôt qu’à une refonte complète des textes sur les procédures amiables.

C’est cette perspective spéciale et technique du décret qui nous conduit à étudier chacune de ces procédures successivement.

I. L’audience de règlement amiable (ARA) : replacer le juge au cœur des procédures amiables

L’audience de règlement amiable est une procédure particulière qui figure dans un chapitre au sein des dispositions communes à la procédure devant le tribunal judiciaire. Cela signifie qu’elle peut être mise en œuvre en procédure écrite et orale, en référé et au cours de la mise en état.

Le constat peut être assez sévère, mais il faut reconnaître que les efforts déployés par le législateur et le pouvoir réglementaire au cours des quinze dernières années n’ont pas véritablement porté leurs fruits. Le déploiement des procédures amiables conventionnelles devant toutes les juridictions (conciliation, médiation, procédure participative) et la création d’un livre V dans le Code de procédure civile sur la « résolution amiable des différends » n’ont pas suffi à convaincre les parties et leurs conseils de se lancer massivement dans les procédures amiables. Dès lors, avec l’ARA, le ministère se tourne vers les magistrats, afin de les inciter à prendre pleinement en main leur mission de conciliateur. Plus précisément, le décret confie ce rôle à deux magistrats distincts : d’une part, le juge en charge du litige et d’autre part, un juge en charge de l’ARA. Les missions de concilier et de trancher le litige sont ainsi clairement scindées, comme nous le verrons ci-dessous.

La finalité de l’ARA est définie précisément par le décret (CPC, art. 774-2 al. 1 N° Lexbase : L3367MIK) : elle a pour but « la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ». Détaillé, le texte est également ambivalent, car il mêle résolution amiable et énonciation du droit applicable. Or, on sait que l’amiable peut conduire à mettre de côté les règles de droit applicables, puisque les droits en jeu sont disponibles. L’esprit de cette ARA est donc mixte. Le cadre juridique étant fixé, les parties sont incitées à trouver un accord sur la base (ou en tenant compte) de ce cadre juridique. Toutefois, rien n’interdit aux parties de s’en écarter, pourvu qu’elles parviennent à régler leur différend.

A. La décision de convocation à l’audience de règlement amiable

Le juge compétent pour initier l’audience de règlement amiable. L’ARA occupe une place particulière dans les procédures amiables, car elle suppose qu’une action a déjà été introduite et un juge saisi. C’est le juge saisi du litige qui peut décider d’ouvrir la procédure d’ARA (CPC, art. 774-1 N° Lexbase : L3366MII). Le décret énumère ainsi les différents juges compétents pour prendre la décision de convocation à l’ARA [3]. Il s’agit du juge des référés [4], du juge chargé de l’audience d’orientation (en procédure écrite), du juge du fond (on pense à la procédure orale) et du juge de la mise en état [5]. L’audience de règlement amiable peut être initiée à chaque étape de la procédure de première instance. La décision prend la forme d’une convocation des parties à une audience de règlement amiable. Elle peut être prise dans tous les litiges qui concernent des droits dont les parties ont la libre disposition. La décision est prise, soit à la demande de l’une des parties, soit d’office par le juge. Le code précise qu’il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire, qui n’est donc pas susceptible de recours et qui ne dessaisit pas le juge (CPC, art. 774-1 al.2).

La décision de convocation à l’ARA interrompt l’instance, et donc également le délai de péremption de l’instance (CPC, art. 369 N° Lexbase : L3363MIE et 392 N° Lexbase : L3364MIG). Le nouveau délai de péremption court alors à compter de la première audience fixée postérieurement devant le juge saisi du litige.

La décision de convocation à l’ARA est plus contraignante que les autres mesures judiciaires prises par le juge en matière amiable. En particulier, elle va plus loin que l’injonction de rencontrer un médiateur. Dans ce dernier cas, le médiateur a pour seule mission d’informer les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation. Les parties peuvent ensuite refuser la médiation. S’agissant de l’ARA, la convocation emporte une obligation pour les parties de comparaître en personne à une audience devant un juge (CPC, art. 774-3 N° Lexbase : L3368MIL). S’il n’est pas possible de les contraindre à s’entendre, le caractère obligatoire de l’ARA est donc plus marqué. Il s’agit d’une obligation de participer à la procédure amiable. Toutefois, en pratique, si une partie refuse de s’impliquer activement dans l’ARA, il sera impossible de prolonger la phase amiable. L’audience risque alors de tourner court.

La convocation des parties est communiquée par le greffe par tout moyen (CPC, art. 774-3).

B. Le déroulement de l’audience de règlement amiable

La procédure de l’ARA n’est pas limitée dans le temps. Le code ne prévoit pas de délai pour s’entendre, comme c’est le cas en matière de conciliation ou de médiation judiciaire. Le code ne prévoit pas non plus un nombre limité d’audiences. Bien que le décret évoque « une audience de règlement amiable », rien n’empêche d’imaginer que cette procédure se poursuive et que des « renvois » à d’autres ARA soit ordonnés. Seul le juge chargé de l’ARA peut y mettre fin à tout moment par une mesure d’administration judiciaire (CPC, art. 774-3 in fine).

Les parties étant convoquées en personne, la question de leur représentation ne se pose pas. Toutefois, dans les cas où la représentation est obligatoire, les parties doivent comparaître avec l’assistance de leur avocat. Lorsque la représentation est facultative, elles peuvent être assistées par toutes les personnes autorisées à le faire (renvoi à l’article 762 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9303LTQ).

Le juge qui tient l’ARA ne peut siéger dans la formation de jugement (CPC, art. 774-1). L’idée consiste ici à scinder la fonction de conciliation du juge et sa fonction juridictionnelle qui consiste à trancher le litige. À première vue, cette scission n’est pas évidente, puisque le code de procédure civile intègre la conciliation dans les missions confiées au juge, au même titre que les missions juridictionnelles. Ainsi, la conciliation judiciaire peut être proposée par le juge en charge de juger l’affaire « tout au long de l’instance » (CPC, art. 128 N° Lexbase : L1450I89). En pratique, l’imperium du juge joue un rôle important dans la conciliation judiciaire et celui qui va trancher le litige peut, dans la phase amiable, donner des indications générales sur la manière dont il perçoit la solution ou les règles applicables. Mêler la fonction de concilier et de juger offre donc un véritable avantage. Toutefois, le cumul de ces deux fonctions pose d’autres problèmes. D’une part, le caractère confidentiel de la phase amiable, sur lequel nous reviendrons, s’accorde mal avec la présence du même juge au cours de l’ARA puis du jugement. D’autre part, ajouter une tâche de conciliation à l’emploi du temps du juge alourdit sa charge et ne l’incite pas à initier une ARA. C’est pour cette raison que le ministère de la Justice envisage de confier l’audience de règlement amiable à un magistrat honoraire ou à un magistrat à titre temporaire. On voit ainsi renaître la fonction de l’ancien juge de paix, conciliateur des parties. En pratique, il n’est pas certain que cette décharge de l’amiable sur les magistrats non titulaires soit possible dans toutes les juridictions, et particulièrement dans les petits tribunaux. La mise en œuvre de l’ARA risque donc de varier d’un tribunal à un autre.

L’ARA est couverte par le principe de confidentialité. Ce principe s’applique à toutes les formes de médiation en vertu de l’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 N° Lexbase : L1139ATD [6]. Plus spécifiquement le décret prévoit que « tout ce qui est dit, écrit ou fait au cours de l’audience de règlement amiable, par le juge et par les parties, est confidentiel » (CPC, art. 774-3 al 6). Le domaine de la confidentialité demeure ambigu et mériterait d’être précisé [7]. Si la confidentialité s’applique aisément à un aveu ou à la reconnaissance d’un fait par une partie durant l’ARA, elle ne s’étend ni aux prétentions et moyens des parties, ni aux preuves qu’elles possèdent. Ce sont uniquement les échanges des parties et leurs éventuelles concessions qui sont couverts par la confidentialité.

Les exceptions au principe de confidentialité énoncées par le décret sont celles du droit commun. La confidentialité cesse, soit avec l’accord des parties, soit en présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne, soit enfin lorsque la divulgation de l’accord ou de son contenu est nécessaire à sa mise en œuvre ou à son exécution.

Pour garantir la confidentialité, il est prévu que l’audience se tienne en chambre du conseil, hors la présence du greffe. Cette mise à l’écart du greffier ne manquera pas de poser des difficultés au moment de la rédaction du procès-verbal, lorsque le greffier aura pour rôle d’assister le juge.

Le juge chargé de l’ARA dispose de pouvoirs d’instruction limités. Le juge chargé de l’ARA peut prendre connaissance des pièces et des écritures échangées par les parties. Il peut procéder à des constatations, des évaluations, des appréciations ou des reconstitutions. Il peut se transporter sur les lieux. Il peut, enfin, entendre les parties séparément. L’énumération des pouvoirs d’instruction du juge est marquée d’une certaine ambiguïté. Rien n’est dit, par exemple, sur l’usage des évaluations ou des appréciations par le juge. En particulier, la question se pose de savoir s’il peut désigner un expert amiable avec l’accord des parties pour procéder à ces évaluations.

On sait que, traditionnellement, le pouvoir d’instruction du conciliateur ou du médiateur dans une procédure amiable est assez limité. Mais on sait également que, depuis l’institution de la procédure participative, le code de procédure civile ouvre de nouvelles possibilités en matière probatoire, particulièrement en donnant la possibilité de désigner un technicien. Pour l’ARA, le mystère demeure. Si une mesure d’instruction s’avère nécessaire pour régler le différend à l’amiable, il est probable qu’il faudra revenir devant le juge saisi du litige.

C. L’issue de l’audience de règlement amiable

Lorsque les parties sont parvenues à un accord total ou partiel, elles peuvent demander au juge chargé de l’ARA de constater leur accord. L’acte dressé par le juge est alors un procès-verbal similaire à celui qui est établi lors d’une conciliation judiciaire. Le juge est alors assisté de son greffier lors de cette étape de rédaction du procès-verbal. Des extraits de ce procès-verbal peuvent être délivrés aux parties. Ils valent titre exécutoire (CPC, art. 774-4 N° Lexbase : L3369MIM qui renvoie vers CPC, art. 131 al. 1 N° Lexbase : L8492K7N). Le juge chargé de l’ARA transmet alors le procès-verbal au juge saisi du litige.

Le décret est silencieux sur la suite de la procédure. Il faut alors s’en référer au droit commun ou aux solutions applicables à d’autres procédures amiables. Ainsi, lorsque les parties sont parvenues à un accord total, on imagine que le juge peut constater l’extinction de l’instance et prendre une décision de dessaisissement (CPC, art. 384 N° Lexbase : L2272H4W).

Si les parties sont parvenues à un accord partiel, ou si l’ARA a échoué totalement, une partie du litige reste à trancher. Dans le silence du décret, le juge chargé de l’ARA est donc contraint d’y mettre fin et la procédure retourne devant le juge saisi du litige pour suivre la voie contentieuse. Si une partie du litige a été réglée par un procès-verbal d’accord, elle est nécessairement exclue du procès et le juge ne demeure saisi que du « différend persistant » [8].

II. La césure du procès civil : diviser pour mieux juger ?

A. Qu’est-ce que la césure du procès civil ? À quoi sert-elle ?

La procédure de césure du procès civil repose sur l’idée de distinguer dans un litige, ce qui relève du contentieux et ce qui relève de l’amiable. L’exemple typique est celui des actions en responsabilité en droit de la construction. Si la répartition des responsabilités entre les différents défendeurs soulève généralement des difficultés juridiques qui doivent être tranchées par le juge, l’évaluation des préjudices peut relever d’une expertise amiable et d’une négociation. En partant d’un tel exemple, et en s’inspirant de modèles étrangers, les auteurs du décret ont imaginé un mécanisme permettant de scinder le procès civil en deux étapes : la première consiste à trancher la part du litige qui donne lieu à contestation et la seconde consiste à laisser les parties régler à l’amiable les conséquences de la décision de justice. Lors de la conférence de presse du 5 janvier 2023 [9], le garde des Sceaux a présenté ces deux étapes en distinguant, d’une part, le jugement sur le « principe de la responsabilité » et, d’autre part, la « liquidation des préjudices » à l’amiable. De façon plus générale, on peut appliquer la césure du procès civil à l’égard de toutes créances. Le litige peut ainsi concerner, d’une part, le principe de l’obligation (principe de la dette ou de la créance) et, d’autre part, le montant de l’obligation.

Si elle est séduisante sur le papier, cette distinction suscite de nombreuses interrogations. Prenons le cas particulier des actions en responsabilité. D’abord, le « principe de la responsabilité » repose sur la constatation de préjudices. La séparation entre le « principe » et les préjudices est artificielle et elle est loin d’être évidente dans tous les contentieux. Ensuite, affirmer de façon générale que la question de l’évaluation des préjudices ne suscite pas de difficulté juridique relève de la fiction. La nomenclature des préjudices et plus spécifiquement le droit du dommage corporel sont des matières hautement techniques, qui donnent lieu à une jurisprudence fournie et à des débats doctrinaux. Enfin, dans de nombreuses procédures, le principe de la responsabilité ne fait pas débat. En revanche, les parties focalisent le contentieux sur l’évaluation des préjudices. C’est ainsi qu’en matière d’accidents de la circulation, les assureurs prennent fréquemment le parti de ne pas contester la responsabilité de leur assuré, mais de discuter point par point chaque poste de préjudice.

Si la césure du procès civil s’est focalisée sur les actions en responsabilité, on observe qu’elle est déjà utilisée en France pour contourner certaines difficultés. Ainsi, le récit d’expériences menées au tribunal judiciaire de Paris montre que la césure du procès permet de séparer le jugement d’une question préalable et d’une question secondaire. Par exemple, dans un litige en contrefaçon, la juridiction peut statuer d’abord sur la validité du brevet et remettre à plus tard l’examen des actes de contrefaçon. Si le brevet est annulé, l’examen de la contrefaçon n’est plus nécessaire[10]. Dans le prolongement de cette idée, il est possible de concevoir une césure du procès pour trancher en amont des questions relatives à la licéité des preuves, avant d’examiner le fond du dossier, en ne tenant pas compte des preuves qui auront été écartées des débats. En d’autres termes, la césure d’un procès civil s’inspire de ce qui existe déjà en matière d’exceptions de procédures ou de fin de non-recevoir, questions qui sont tranchées en amont par le juge de la mise en état.

Vue sous cet angle, la césure du procès civil n’est pas une procédure amiable. Il est d’ailleurs frappant de constater que, dans les dispositions du décret relatives à cette procédure, il n’est jamais fait allusion au règlement amiable. Dans l’esprit du décret, il s’agit donc d’un outil d’accélération de la procédure, mais pas d’une technique de règlement amiable. Son principe repose sur un séquençage du procès destiné à réduire la part du litige qui sera traité dans une procédure contentieuse.

B. Domaine d’application de la césure du procès civil

Les dispositions relatives à la césure du procès civil ont été insérées dans la section relative à la clôture de l’instruction. Cela signifie que la césure n’est applicable que dans la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire. Dans l’esprit de la Chancellerie, l’idée serait de limiter la césure aux procédures complexes. Cette idée n’est pas traduite dans le décret du 29 juillet 2023, mais elle indique que la césure n’est pas conçue comme un mécanisme généraliste, à l’inverse de l’ARA.

C. Initiative de la césure et acte provoquant la césure

L’initiative de la césure est confiée aux parties. À tout moment de la mise en état, « l’ensemble des parties constituées » peut demander au juge de la mise en état (JME) de procéder à cette césure (CPC, art. 807-1 N° Lexbase : L3382MI4). Elles doivent alors produire à l’appui de leur demande un acte contresigné par avocats qui mentionne les prétentions à l’égard desquelles elles sollicitent un jugement partiel.

Cela constitue une importante limite puisque dans les textes, le juge n’a pas de pouvoir d’initiative [11].  De plus, la césure doit correspondre à l’intérêt commun des parties, ce qui est loin d’être évident. Non seulement les parties peuvent être réticentes vis-à-vis d’une procédure qui a pour effet de retarder une partie du procès, mais encore, le demandeur pourrait ne pas comprendre son intérêt de voir sa demande divisée en deux parties alors que ses prétentions sont liées entre elles. Dans son rapport, le CNB a ainsi signalé que la césure risquait de « complexifier davantage la procédure et d’engendrer un contentieux supplémentaire et de rallonger les délais » tout en ajoutant que « le goulot d’étranglement dans la pratique judiciaire se situe souvent au stade de l’expertise judiciaire, souvent indispensable pour statuer sur la responsabilité » [12].

La césure implique donc une forte coopération entre les parties, comme c’est le cas de la procédure participative. Or, on peut penser que l’échec durable de la procédure participative augure un avenir très incertain à la césure du procès.

Si les parties en sont d’accord, la décision de césure est prise par le JME sous la forme d’une ordonnance de clôture partielle [13]. Cela signifie concrètement que la mise en état s’achève pour une part du litige et qu’elle se poursuit pour l’autre part. Ainsi, le procès se scinde en deux. Les prétentions sur le « principe de la dette » sont dirigées vers la formation de jugement alors que les prétentions sur le montant de la dette restent au stade de la mise en état, qui, de fait, se trouve mise en sommeil. Pour bien comprendre cette scission, nous renvoyons à l’infographie présentée ci-dessous qui montre les deux chemins distincts qui sont empruntés.

D. Déroulement de la procédure après la césure

Phase 1 : Le jugement partiel sur le principe de la dette

La scission des prétentions possède un premier effet. Le « principe de la dette » est orienté vers l’audience des plaidoiries et elle donne lieu à un « jugement partiel » (CPC, art. 807-1). Le JME qui prononce la clôture partielle renvoie ainsi l’affaire devant le tribunal pour qu’il statue au fond sur la part du litige qui lui a été soumis. L’exécution provisoire de ce jugement partiel est facultative et le décret précise que le juge « peut » la prononcer (CPC, art. 807-2 N° Lexbase : L3383MI7). Cette solution peut surprendre, tant il est difficile d’imaginer l’exécution d’un jugement sur le principe de la responsabilité si les préjudices n’ont pas été évalués. À ce sujet, on attendra avec impatience la circulaire d’application du décret qui donnera peut-être des indications sur les exemples de jugements partiels susceptibles d’être exécutés provisoirement.  Sur le fond du litige, si le juge fait droit à la prétention du demandeur (en totalité ou en partie) le jugement partiel a autorité de la chose jugée et les parties sont renvoyées à la mise en état pour la part du litige qui n’a pas été tranchée. En revanche, si le juge rejette la prétention du demandeur, la procédure s’achève, car il n’y a plus rien à juger. Le jugement partiel est susceptible d’un appel immédiat dans le délai de droit commun (CPC, art. 544 N° Lexbase : L3365MIH). Cet appel relève de la procédure à bref délai (CPC, art. 905 al. 7 N° Lexbase : L3386MIA).

Phase 2 : l’évaluation de la dette

La seconde part du litige, qui porte sur l’évaluation du montant de la dette, elle, demeure « en attente » au stade de la mise en état. Le décret précise ainsi que la clôture (totale) de l’instruction ne peut avoir lieu tant que le jugement de première instance n’est pas devenu définitif ou que l’arrêt de la Cour d’appel n’a pas été prononcé (CPC, art. 807-3 N° Lexbase : L3384MI8). En pratique, la mise en état ne peut reprendre son cours et aboutir qu’à partir du moment où le jugement partiel a été rendu et qu’il n’est plus susceptible d’appel [14]. Si les textes n’interdisent pas la poursuite des mesures d’instruction, il est difficile d’imaginer que la mise en état progresse effectivement, tant que le jugement sur le principe de la dette n'a pas été rendu. L’esprit de la césure du procès indique en effet que l’on achève la première partie du procès avant d’entamer la seconde. C’est pour cette raison que nous parlons d’une mise en sommeil, et non d’une suspension de l’instance.

La mise en état en sommeil et la péremption d’instance

Le temps d’attente dans cette mise en état est indéterminé. Il faut que l’affaire partiellement clôturée soit plaidée, puis jugée, puis éventuellement jugée une seconde fois en appel. Durant cette période, le délai de péremption d’instance court puisque le décret ne prévoit ici aucune interruption ou suspension de l’instance. En d’autres termes, si les parties ne réalisent pas de diligences au cours de la mise en état, elles sont menacées par la péremption d’instance. Une telle solution serait toutefois absurde. Durant cette mise en état en sommeil, les parties réalisent des diligences dans l’autre partie du procès (elles plaident, forment des recours, etc.). Mais ces diligences sont réalisées dans une autre instance et la Cour de cassation juge que lorsque deux instances sont distinctes, les diligences faites dans l’une n’interrompent pas la péremption de l’autre [15]. Toutefois, dans un arrêt plus ancien, la haute juridiction semble avoir admis que lorsqu’il existe un lien direct et nécessaire entre deux instances, un acte interruptif peut propager son effet d’une instance à l’autre [16]. La question reste donc entière et on peut conseiller aux plaideurs de solliciter un sursis à statuer en même temps que leur demande de clôture partielle.

Conseil pratique : demander un sursis à statuer

En l’absence de texte protecteur qui interrompt ou suspend l’instance, on peut conseiller aux plaideurs de solliciter un sursis à statuer au juge de la mise en état jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur l’affaire partiellement clôturée. Une telle décision aura alors pour effet sur suspendre l’instance, et donc le délai de péremption (CPC, art. 377 N° Lexbase : L2241H4R).

Sur l’effet suspensif du sursis : Cass. civ. 2, 16 mai 1990, n° 89-11.160 N° Lexbase : A4327AHQ; Cass. civ. 2, 17 juin 1998, n° 96-14.800 N° Lexbase : A5114ACE.

La mise en état après le jugement partiel

Lorsque le jugement partiel (ou l’arrêt d’appel) a été rendu, l’instruction redémarre devant le juge de la mise en état. Le décret est totalement silencieux sur la suite de la procédure, en particulier sur la question du règlement amiable. Il n’est même pas prévu que le jugement partiel soit transmis au juge de la mise en état. En l’absence de précision, on doit se tourner vers les règles communes applicables à la mise en état. La procédure peut suivre deux voies. Soit les parties demeurent sur une position conflictuelle et la procédure suit son cours normalement. Soit les parties s’accordent sur le principe d’un règlement amiable et les différentes voies s’offrent alors à elles : médiation, conciliation, procédure participative.

On comprend ici que l’objectif de l’amiable est totalement ignoré par le décret qui institue la césure du procès civil. Il s’agit ici d’un objectif implicite, mais concurrencé par un autre : le gain de temps qui est attendu de la césure du procès. Pour les parties, il est toutefois peu probable que ce gain soit réel. En effet, après avoir combattu sur une première question de fond, elles doivent prendre l’initiative de relancer la procédure pour régler ce qui n’a pas encore été jugé. La question se pose dès lors de savoir s’il faut attendre une réelle efficacité de cette césure du procès. Le rêve du garde des Sceaux de voir les délais de jugement réduits par deux est-il vraiment réaliste ?


[1] Ministère de la Justice, Lancement de la politique de l’amiable, 24 avril 2023.

[2] Pour toutes les instances introduites à compte du 1er novembre 2023 – art. 6 du décret.

[4] Il s’agit du président du tribunal judiciaire ou du juge des contentieux de la protection.

[5] Le juge de la mise en état peut convoquer les parties à une ARA à tout moment de la mise en état. Il est même prévu que l’ordonnance de clôture de l’instruction peut être révoquée pour permettre au JME de convoquer les parties à une ARA (CPC, art. 803 in fine). 

[6] L’ARA peut être assimilé à une forme particulière de médiation au sens de cette loi, c’est-à-dire un « processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ».

[7] On lit ainsi dans l’avis rendu par l’Union syndicale des magistrats que « les éléments débattus lors d’une ARA ne peuvent pas être invoqués au fond », ce qui constitue une interprétation erronée du principe de confidentialité.

[8] La formule est ici inspirée de la procédure participative et particulièrement de la « procédure de jugement du différend persistant » (CPC, art. 1558 N° Lexbase : L6779LES à 1564 N° Lexbase : L6108LTE).

[9] Conférence de presse : présentation du plan issu des États généraux de la Justice, 5 janvier 2023.

[10] N. Sabotier, La césure du procès, présentation orale.

[11] En pratique, on peut imaginer que le juge interagisse avec les parties.

[12] Le CNB livre ses conclusions sur le projet d’introduire dans le Code de procédure civile l’audience de règlement amiable et la césure du procès, 10 mars 2023.

[13] Le juge est ici souverain. Il peut faire droit ou non à la demande de clôture partielle.

[14] Si un appel est interjeté, il faudra attendre que la cour d’appel se prononce au fond. En revanche, un pourvoi en cassation ne possède aucun effet sur la clôture de l’instruction.

[15] Cass. civ. 13 janvier 1988, n° 86-15.922 N° Lexbase : A6935AA4.

[16] Cass. civ. 16 novembre 1978, n° 76-14.663 N° Lexbase : A7737CHZ.

newsid:486662

Procédure pénale

[Brèves] Adjonction d’une circonstance aggravante non visée à la prévention : le prévenu doit pouvoir se défendre

Réf. : Cass. crim., 6 septembre 2023, n° 22-86.045, FS-B N° Lexbase : A77781ES

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N6683BZK

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par Adélaïde Léon

Le 20 Septembre 2023

► Une circonstance aggravante constitue un élément accessoire au fait principal, qui ne s'en trouve pas modifié. L'adjonction à laquelle il est procédé n'excède pas la saisine de la juridiction. La juridiction de jugement peut, sans l’accord du prévenu, retenir une telle circonstance non visée à la prévention, mais résultant de la procédure ou des débats. Une telle adjonction n'est toutefois possible qu'à la condition d'avoir été mise dans le débat, de sorte que le prévenu en ait été préalablement avisé, qu'il soit invité à s'en expliquer et qu'il lui soit permis d'organiser sa défense, au besoin en sollicitant un renvoi.

Rappel de la procédure. Poursuivi du chef d’aide au séjour irrégulier d’étrangers dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, un individu avait été condamné à trois ans d’emprisonnement, 10 000 euros d’amende et dix ans d’interdiction du territoire français par le tribunal correctionnel, qui a retenu la circonstance aggravante que les faits ont été commis en bande organisée.

Le prévenu a fait relevé appel de ce jugement, suivi par le ministère public qui formait un appel incident.

En cause d’appel. Au cours des débats, la cour d’appel a informé le prévenu qu’elle envisageait de relever la circonstance aggravante de commission en bande organisée, non visée dans l’acte de poursuite, et l’a invité à s’expliquer sur celle-ci.

La cour d’appel a finalement, pour infractions à la législation sur les étrangers aggravées, condamné l’intéressé à six ans d’emprisonnement et l’interdiction définitive du territoire français.

Le prévenu a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir ajouté aux faits poursuivis en retenant la circonstance aggravante de bande organisée alors que s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, ils ne peuvent en revanche y ajouter ou y substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse du prévenu d’être jugé sur des faits et ou circonstances aggravantes non compris dans la poursuite.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi au motif que les circonstances aggravantes constituant un élément accessoire du fait principal, lequel ne s’en trouve pas modifié, l’adjonction d’une telle circonstance n’excède pas la saisie de la juridiction et il peut y être procédé sans l’accord du prévenu.

La Cour souligne que la possibilité pour le juge d’adjoindre une circonstance aggravante est subordonnée à la condition qu’elle ait été mise dans le débat afin qu’il soit permis au prévenu de s’en expliquer et d’organiser sa défense, au besoin en sollicitant un renvoi. En l’espèce, la cour d’appel avait informé le prévenu et l’avait mis en mesure d’organiser sa défense.

Au regard de cet arrêt de la Chambre criminelle, les conditions de l’adjonction d’une circonstance aggravante sont semblables aux conditions fixées par la CEDH pour la requalification des faits ou la modification de la cause de l’accusation par les juridictions de jugement : ces dernières peuvent y procéder sans l’accord du mis en  cause, mais celui-ci doit être dûment et pleinement informé et disposer du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense sur ces nouveaux éléments (CEDH, 25 mars 1999, Req. 25444/94, Pélissier et Sassi c. France N° Lexbase : A7531AWT).

Pour aller plus loin : « traditionnellement la Cour de cassation estime que ce magistrat est saisi, non seulement des faits visés dans l’acte de saisine, mais aussi de toutes les circonstances aggravantes applicables à la commission desdits faits, qu’elles soient ou non connues au moment de l’ouverture de l’information judiciaire (Cass. crim., 27 juillet 1970, n° 69-92.968 N° Lexbase : A2267CK8 et 10 mars 1977, n° 75-91.224 N° Lexbase : A8880CGY) » in, O. Bachelet, Panorama : l’audience pénale (1er janvier 2021 au 30 juin 2021), Lexbase Pénal, juillet 2021 N° Lexbase : N8466BY9.

newsid:486683

Responsabilité médicale

[Jurisprudence] Confirmation de la valeur de l’avis de la commission de conciliation et d’indemnisation : la liaison du contentieux est simplifiée

Réf. : CE, 5e-6e ch. réunies, 7 juin 2023, n° 464883, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A80189YM

Lecture: 16 min

N6690BZS

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par Caroline Hussar, avocate au barreau de Clermont-Ferrand

Le 14 Septembre 2023

Mots-clés : commission de conciliation et d’indemnisation • requête préalable • contentieux • demande d’indemnisation

Dans cet arrêt du 7 juin 2023, le Conseil d’État confirme son avis du 29 mai 2019 (CE Avis, 29 mai 2019, n° 426519, Blard N° Lexbase : A5851ZIK) en jugeant que la demande d’indemnisation formée devant la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) vaut requête préalable indemnitaire. Il précise que la preuve du dépôt de la requête résulte de la production de l’avis de la CCI aux débats.


En matière de responsabilité hospitalière publique, comme en matière de responsabilité administrative générale, s’impose la règle de la décision préalable prévue à l’article R. 421-1 du Code de la justice administrative N° Lexbase : L4139LUT en ces termes : « lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

En application de ce principe, lorsqu’à l’issue de la procédure devant la CCI [1], le requérant entend saisir le tribunal administratif d’un recours, soit lorsque l’assureur d’un établissement de santé garde le silence, ou refuse de suivre un avis ayant retenu une faute de l’établissement, soit parce que l’offre indemnitaire formée par l’ONIAM ou l’assureur est jugée insuffisante, il devrait, en toute logique, respecter son obligation de lier le contentieux en formant une demande préalable indemnitaire.

Toutefois, le Conseil d’État a jugé que la saisine de la CCI (en indemnisation ou en conciliation) valait demande préalable à l’établissement : « Il résulte de l'ensemble des dispositions rappelées ci-dessus que la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation, dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable ou de la procédure de conciliation, par une personne s'estimant victime d'un dommage imputable à un établissement de santé identifié dans cette demande, laquelle doit donner lieu dès sa réception à une information de l'établissement mis en cause, doit être regardée, au sens et pour l'application du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, comme une demande préalable formée devant l'établissement de santé » [2].

Cet avis, qui assouplit les conditions de saisine de la juridiction administrative, parait dans une première lecture favorable aux victimes. Ainsi, une réclamation préalable ne prend pas nécessairement la forme d’une demande chiffrée adressée à l’établissement hospitalier mis en cause. Si le patient, ou ses ayant droits, font le choix de saisir la commission de conciliation et d’indemnisation dans le cadre d’une procédure d’indemnisation amiable ou d’une procédure de conciliation, la saisine de la Commission a pu être considérée comme liant le contentieux. L’usager n’a donc pas à doubler sa saisine par l’envoi à l’établissement d’une demande préalable, la saisine d’une CCI venant se substituer à l’obligation d’adresser à l’établissement de santé concerné ladite demande préalable. Reste que l’avis du Conseil d’État présente une conséquence redoutable pour les justiciables : la mise en branle de délais de recours contentieux, et de modalités de preuve, engendrant l’apparition de multiples chausse-trappes procéduraux pour les praticiens.

Dans un arrêt du 7 juin 2023, en confirmant la position de principe adoptée dans son avis de 2019, la Haute Juridiction soulève à nouveau des critiques relatives aux difficultés procédurales qui en découlent (I). En précisant que la production de l’avis de la CCI par le requérant dans le cadre de la procédure mise en œuvre devant le tribunal administratif suffit à lier le contentieux, elle encourage les justiciables à privilégier cette procédure amiable (II).

I. La simplification de la liaison du contentieux rendant plus technique le recours à la CCI 

Dans un arrêt de ses cinquième et sixième chambres réunies en date du 7 juin 2023, qui sera mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État, en sa formation contentieuse, est venu rappeler la position qu’il avait adoptée dans l’avis du 29 mai 2019 précité.

Pour motiver sa décision, le Conseil d’État a, tout d’abord, rappelé les termes de l’article L. 1142-7 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4879LWM, prévoyant les conditions dans lesquelles la CCI peut être saisie : « La commission peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal lorsqu'il s'agit d'un mineur. Elle peut également être saisie par les ayants droit d'une personne décédée à la suite d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Si la victime est un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation, la personne chargée de cette mesure peut également saisir la commission ».

Le Conseil d’État cite, ensuite, les dispositions du Code de la santé publique régissant les deux procédures d’indemnisation amiable et de conciliation [3] pour en déduire que « la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation, dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable ou de la procédure de conciliation, par une personne s'estimant victime d'un dommage imputable à un établissement de santé identifié dans cette demande, laquelle doit donner lieu dès sa réception à une information de l'établissement mis en cause, doit être regardée, au sens et pour l'application du second alinéa de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative, comme une demande préalable formée devant l'établissement de santé. »

Le caractère de requête préalable octroyé à la demande tendant à saisir la CCI résulte ainsi du fait que l’établissement public hospitalier mis en cause par la personne qui s’estime victime d’un dommage est obligatoirement informé de la procédure introduite à son encontre, par l’envoi d’un courrier recommandé. Rappelons ici que le formulaire CERFA permettant de saisir la CCI est intitulé « demande d’indemnisation ». La requête préalable n’a pas à comporter les demandes indemnitaires chiffrées de la victime, mais peut se limiter à la formulation d’une demande générale d’indemnisation, difficilement chiffrable à ce stade, en l’absence de dépôt d’un rapport d’expertise constatant les manquements commis et évaluant les postes de préjudices. Ses effets sont donc les mêmes qu’en matière de responsabilité administrative générale, à savoir, d’une part, lier le contentieux, d’autre part, faire courir le délai de recours contentieux.

Sur ce point, dans l’avis de 2019 précité, le Conseil d’État avait précisé les modalités de computation des délais de recours contentieux, à la suite d’une décision implicite, ou explicite, de rejet, qu’il convient de rappeler brièvement. Ainsi, la date de réception de la requête de la personne mettant en cause un établissement hospitalier devant la CCI, valant requête préalable obligatoire, fait courir le délai de deux mois au terme duquel le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet [4]. Dans le cas d’une procédure de conciliation devant la CCI, la décision de rejet de la demande préalable peut résulter du refus de l’établissement, ou de son assureur agissant en qualité de mandataire de ce dernier, de prendre part à cette procédure ou de conclure un accord avec le demandeur.

Pour autant, le délai de recours contentieux ne se déclenche pas immédiatement dans ces deux cas puisque l’article L. 1142-7 du Code de la santé publique prévoit que la saisine de la CCI suspend les délais de recours contentieux. Ainsi, le délai de deux mois court à compter, soit de la notification au demandeur de l’avis de la commission mettant fin à la procédure d’indemnisation, soit de la réception du courrier de la commission l’informant de l’échec de la conciliation ou de la signature par les deux parties du procès-verbal de conciliation partielle [5].

Rappelons ici que la forclusion de la demande indemnitaire dans un délai de deux mois ne concerne que le cas où l’administration a dûment informé l’administré des voies et délais de recours qui s’ouvrent à lui à l’issue du délai de deux mois prévu à l’article R. 421-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4150LUA [6]. Le Conseil d’État avait indiqué, dans un arrêt du 5 juin 2009 [7], qu’il ne revenait pas à la CCI de mentionner les voies et délais de recours dans ses avis d’incompétence, puisqu’il ne s’agit pas de décisions administratives entrant dans le champ d’application de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3025ALM.

Reste la question du délai raisonnable consacré dans l’arrêt « Czabaj » [8] du Conseil d’État. Ce délai a été fixé à un an [9], mais à la condition que l’intéressé ait eu connaissance de la décision implicite de rejet. Or, il a été jugé par le Conseil d’État, dans un arrêt du 17 juin 2019, que la jurisprudence « Czabaj » ne s’appliquait pas aux offres ou refus d’offres des établissements hospitaliers et de leurs assureurs, auxquels le Conseil d’État a rappelé que la règle relative au délai raisonnable d’un an ne trouvait pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés [10]. En 2020, le Conseil d’État est venu préciser que cette solution était applicable aux offres ou refus d’offres de l’ONIAM, « que ce soit à titre partiel ou à titre global et définitif » [11]. Dans l’arrêt du 17 juin 2019 précité, le Conseil d’État a précisé qu’il convient, pour que le délai de deux mois faisant suite à une décision explicite de l’administration soit opposable à l’administré, d’informer ce dernier non seulement des voies et délais de recours, mais également du fait que le délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif est interrompu en cas de saisine, dans ce délai, de la CCI. À défaut, le délai de deux mois n’est pas opposable au requérant. 

La procédure d’indemnisation amiable devant les CCI n’en devient que toujours plus technique sur le plan procédural, surtout en matière de responsabilité hospitalière, allant de ce fait à l’encontre de l’esprit de la loi de 2002 (loi n° 2002-303, du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA qui, en les instituant, cherchait à simplifier l’indemnisation du préjudice des patients. Il n’en demeure pas moins que cela traduit une volonté du Conseil d’État de simplifier les règles de liaison du contentieux, comme en atteste la lecture de la seconde partie de l’arrêt rendu le 7 juin 2023.

II. La simplification de la liaison du contentieux rendant plus attractif le recours à la CCI 

Au-delà de la réitération de sa position de principe en matière de recours préalable obligatoire devant la CCI, l’arrêt du 7 juin 2023 vient apporter au demandeur une garantie procédurale supplémentaire. En effet, à peine d’irrecevabilité de sa requête, au sens des dispositions de l’article R. 412-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1656LKK, le requérant doit, pour rapporter la preuve de la liaison du contentieux prévue à l’article R. 421-1 du même code, verser aux débats l’acte attaqué, ou, en application de l’article R. 421-2 du Code de justice administrative, la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation.

En application de ces dispositions, lorsqu’un requérant saisit le tribunal administratif, à la suite d’une procédure devant la CCI, la preuve de la liaison du contentieux au sens des dispositions des articles R. 421-1 et 2, et R. 412-1 du Code de justice administrative, devrait logiquement conduire la victime à verser aux débats la requête déposée devant la CCI – formulaire CERFA enregistré à la réception du recours par le secrétariat de la CCI, accompagné le cas échéant de la requête détaillée rédigée par la victime ou, le plus souvent, son avocat.

Or, ici, le Conseil d’État adopte une solution favorable aux victimes en les dispensant d’une telle obligation, se contentant d’une preuve indirecte. Ainsi, les juges de la Haute juridiction sont venus préciser que le fait de produire aux débats l’avis rendu par la CCI suffit à rapporter la preuve de la liaison du contentieux, sans qu'il soit besoin pour le requérant d'apporter en outre la preuve de la date de dépôt de sa réclamation. Cette solution résulte du fait que la requête devant la CCI est obligatoire, qu’elle est qualifiée de « demande d’indemnisation » sur son formulaire CERFA, et qu’elle est adressée à réception par son secrétariat à l’administration mise en cause. Elle est d’ailleurs visée dans l’avis final de la CCI. L’office du juge consiste à vérifier l’existence d’une décision préalable au sens des dispositions de l’article R. 412-1 du Code de justice administrative précité. En l’espèce, il s’agissait d’adopter une solution favorable à la victime qui, si elle n’avait pas gardé trace de sa requête, ou, en tout état de cause, ne l’avait pas versée aux débats, justifiait bien l’avoir déposée, comme il en résultait de la mention en ce sens figurant dans l’avis de la CCI. Rejeter sa demande aurait équivalu à adopter une position très sévère, pouvant s’apparenter à un déni de justice.  

Bien entendu, si le requérant, quelle qu’en soit la raison, devait saisir le tribunal administratif avant que la CCI ait rendu un avis – par exemple, parce qu’il s’estime insatisfait des conclusions du rapport d’expertise, et n’attend pas la décision finale de la CCI avant de former son recours contentieux, notamment si l’expert a considéré son état de santé comme non consolidé – le requérant doit alors produire son courrier de saisine de la CCI, accompagné de son accusé de réception.

En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que le juge du fond, ainsi que la cour administrative d’appel, qui avaient successivement rejeté la requête déposée entre leurs mains par une patiente qui avait pourtant versé aux débats l’avis rendu par la CCI dans son dossier, avaient commis une erreur de droit justifiant l’annulation de l’ordonnance de rejet.

La simplification de la preuve de la liaison du contentieux devant le juge administratif peut s’expliquer selon deux axes d’analyse.

En premier lieu, le Conseil d’État simplifie les liens existants entre recours amiable, devant la CCI, et recours judiciaire, vraisemblablement pour inciter davantage les justiciables à utiliser cette commission qui a vocation à désengorger les tribunaux du contentieux du droit de la santé, tout en offrant aux victimes une procédure plus rapide et moins coûteuse, sans pour autant les priver de la possibilité ultérieure d’un recours judiciaire.

En second lieu, cette solution s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence administrative en matière de responsabilité hospitalière, à la lecture de sa volonté constante de créer un rapprochement entre les procédures judiciaire et administrative. Rappelons ici que la liaison du contentieux n’est pas une condition de recevabilité de la procédure civile, sauf pour les procédures dont l’enjeu n’excède pas 5 000 euros [12], sans pour autant que cela fasse naître un délai de forclusion. Seul le délai de prescription de dix ans à la consolidation doit faire l’objet d’une surveillance particulière pour la victime et son conseil [13]. Raison pour laquelle, jusqu’alors, les praticiens de la responsabilité médicale étaient plus enclins à saisir la CCI pour former une demande d’indemnisation dans le cadre d’un litige faisant suite à une prise en charge dans un établissement privé, dès lors qu’outre l’économie des frais d’huissier, et d’expertise, ils ne tombent pas sous le joug des délais de procédure inhérents à la responsabilité hospitalière… Ces derniers, devant les nombreuses chausse-trappes résultant des dernières évolutions de la jurisprudence administrative en matière de responsabilité hospitalière, sont bien souvent amenés à privilégier la procédure contentieuse « classique » : requête en référé expertise, suivie, après dépôt du rapport d’expertise définitif, d’une requête préalable indemnitaire, puis d’une saisine du juge du fond, afin d’éviter toute forclusion de l’instance. L’assouplissement du formalisme vers lequel tend le Conseil d’État dans l’arrêt objet du présent commentaire incitera peut-être les praticiens à saisir plus volontiers la CCI dans le cadre d’un litige impliquant un établissement public.

L’intrication des procédures devant la CCI et le tribunal administratif peuvent être source d’écueils procéduraux qui vont nécessairement influencer le choix de la stratégie adoptée dans l’ouverture d’un dossier, par la saisine de la CCI ou du tribunal administratif. La saisine de la CCI est la voie souvent privilégiée par les requérants qui agissent seuls, sans le concours d’un avocat. Ces derniers pourraient ne pas saisir les enjeux de la computation des délais qui résultent de la jurisprudence du Conseil d’État, et on ne pourrait les blâmer, au regard des difficultés que cela représente déjà chez les praticiens coutumiers de cette procédure.

Il conviendrait sans doute, pour pallier ces difficultés procédurales, de procéder à une unification des procédures administrative et judiciaire, comme cela a déjà été le cas, notamment, en matière de délais de prescription, et ce, dans un souci d’une bonne administration de la justice. Cela pourrait passer par l’adoption d’un texte prévoyant expressément les modalités de computation des délais après dépôt d’une requête devant la CCI, afin d’éviter les effets délétères de ce mille-feuille jurisprudentiel. La prochaine étape pourrait être, a minima, de prévoir la mention des voies et délais de recours dans l’avis de la CCI, ce qui permettrait de clarifier la situation.

 

[1] Commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales

[2] CE Avis, 29 mai 2019, n° 426519, Blard. 

[3] CSP, art. R. 1142-13 N° Lexbase : L1570LBR et R. 1142-19 N° Lexbase : L3129ISP.

[4] CJA, art. R. 421-2.

[5] CSP, art. R. 1142-22 N° Lexbase : L4432DKD.

[6] CRPA, art. L. 112-6 N° Lexbase : L1774KNZ et R. 112-5 N° Lexbase : L1966KN7.

[7] CE 5e-6e ch. réunies, 5 juin 2019, n° 424886, Cissoko, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4281ZDW.

[8] CE, 13 juillet 2016, n° 387763, Czabaj, publié au recueil Lebon [LXB=A2114RXL].

[9] CE 5e-6e ch. réunies, 18 mars 2019, n° 417270, Ounda Nguegoh, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1779Y4N.

[10] CE 5e-6e ch. réunies, 17 juin 2019, n° 413097, CH Vichy, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6638ZEL.

[11] CE 5e-6e ch. réunies, 8 juillet 2020, n° 426049, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A81793QY.

[13] CSP, art. L. 1142-28 N° Lexbase : L2945LC3.

newsid:486690

Retraite

[Brèves] Cumul emploi-retraite et retraite progressive : modalités de calcul de la pension et plafond

Réf. : Décret n° 2023-751, du 10 août 2023, relatif au cumul emploi retraite et à la retraite progressive N° Lexbase : L4536MIT et n° 2023-753 N° Lexbase : L4533MIQ

Lecture: 1 min

N6699BZ7

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par Laïla Bedja

Le 13 Septembre 2023

►Deux décrets en date du 10 août 2023, publiés au Journal officiel du 11 août 2023, précisent les modalités de calcul de la pension de vieillesse due au titre des nouveaux droits à pension constitués dans le cadre du cumul emploi retraite, les obligations des assurés et des organismes chargés de la liquidation de cette seconde pension dans les différents régimes, ainsi que le plafond annuel du montant de la seconde liquidation de pension à la suite de la constitution de nouveaux droits à pension.

Le décret n° 2023-753 détermine également les modalités d’élargissement et d’assouplissement de l’accès à la retraite progressive et étend ce dispositif aux fonctionnaires civils de la fonction publique de l'État, ainsi qu'aux professionnels libéraux et avocats.

Les textes sont pris en application des dispositions de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L4410MHS (art. 26 N° Lexbase : Z47844US), relatives au cumul emploi-retraite et à la retraite progressive.

Retraite progressive. Le décret détermine, par ailleurs, les modalités d’élargissement et d’assouplissement de l’accès à la retraite progressive. Il adapte ce dispositif aux régimes des non-salariés agricoles, des clercs et salariés de notaire, de l'Opéra national de Paris et des mines, et l'étend aux fonctionnaires de la fonction publique territoriale et hospitalière, aux ouvriers de l'État ainsi qu'aux professionnels libéraux et avocats.

Entrée en vigueur. Le texte entre en vigueur pour les pensions prenant effet à compter du 1er septembre 2023. Toutefois, les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers ainsi que les ouvriers des établissements industriels de l'État peuvent présenter dès le lendemain de la publication du décret leur demande de retraite progressive.

newsid:486699

Rupture du contrat de travail

[Questions/Réponses] Régime social de l’indemnité de rupture conventionnelle individuelle (RCI) : où en est-on ?

Lecture: 5 min

N6646BZ8

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par Marion Robert et Andréa Azaïs, Avocats à la Cour, Actance Avocats

Le 13 Septembre 2023

Mots-clés : rupture conventionnelle individuelle • réforme des retraites • indemnité de rupture conventionnelle • régime social unique

Jusqu’ici, le régime social de l’indemnité versée au salarié signataire d’une convention de rupture conventionnelle individuelle (RCI) différait, selon que ce dernier soit ou non éligible à une pension de retraite. L’article 4 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023, de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L4410MHS, portant réforme des retraites, crée un régime social unique quelle que soit la situation du salarié à l’égard de la retraite. Ces nouvelles dispositions entrent en vigueur le 1er septembre 2023.

Zoom sur les conséquences pratiques de ces nouvelles dispositions pour les entreprises.


1. Quel est le régime social de l’indemnité de RCI appliqué jusqu’à présent ?

L’indemnité de RCI versée à un salarié dans l’incapacité de bénéficier d’une pension de retraite relevait d’un régime social de faveur, se trouvant ainsi :

  • exonérée de cotisations sociales [1], pour sa part non imposable, dans la limite de 2 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS), soit 87.984 € pour 2023 ;
  • exonérée de CSG/CRDS [2] dans la limite du montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et du montant exclu de l’assiette de cotisations sociales ;
  • soumise à forfait social [3] (20 %) pour la part exclue de l’assiette de cotisations sociales.

En cas d’atteinte du plafond de 10 PASS (439.920 € pour 2023), cette indemnité est intégralement soumise à cotisations sociales, ainsi qu’à la CSG/CRDS.

De son côté, le régime social de l’indemnité versée à un salarié éligible à une pension de retraite était nettement moins avantageux, cette indemnité étant soumise en totalité à cotisations de Sécurité sociale, ainsi qu’à la CSG/CRDS.

2. Qu’en est-il du régime social de l’indemnité de RCI au 1er septembre 2023 ?

Lors du débat sur la réforme des retraites, les députés à l’origine de l’amendement ayant conduit à l’évolution du régime social de l’indemnité de RCI ont mis en exergue la forte hausse du recours aux ruptures conventionnelles trois ans avant l’âge légal de départ à la retraite, du fait du traitement social de faveur précité.

Constatant ainsi un frein au maintien dans l’emploi des seniors, les députés ont souhaité :

  • unifier le régime social de l’indemnité de RCI sans prise en compte de la situation du salarié au regard de la retraite,
  • tout en maintenant un traitement social de faveur bien que moins avantageux.

D’autres mesures de la loi portant réforme des retraites poursuivent d’ailleurs le même objectif de maintien dans l’emploi des seniors : l’assouplissement des conditions de la retraite progressive, le renforcement des droits des salariés en cumul emploi-retraite, etc.

La nouvelle loi prévoit ainsi que les seuils d’exonération de cotisations de Sécurité sociale et de CSG/CRDS, jusqu’alors réservés aux seuls salariés n’étant pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite, sont applicables à tous ceux qui s’engagent dans la rupture conventionnelle de leur contrat de travail, quelle que soit leur situation vis-à-vis de la retraite.

La loi instaure en outre une contribution patronale de 30 % sur la part de l’indemnité de RCI exclue de l’assiette de cotisations de Sécurité sociale. Cette nouvelle contribution remplace le forfait social de 20 %.

En revanche, la fiscalité demeure à ce stade inchangée : lorsque le salarié peut prétendre à une pension de retraite, l’indemnité est intégralement assujettie à l’impôt sur le revenu (IR).

3. Et en synthèse ?

4. Comment procéder en pratique ?

À titre d’illustration, un salarié dont la rémunération annuelle brute de l’année civile précédant la rupture est égale à 50.000 €, perçoit une indemnité de RCI de 120.000 € (le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement étant normalement de 80.000 €). Il n’est pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite.

Étape 1 : déterminer la part de l’indemnité exonérée d’IR

Le plafond d’exonération d’IR à retenir est le plus élevé parmi les trois suivants :

  • 2 fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat (dans la limite de 6 PASS = 263.952 € en 2023) = 100.000 €
  • 50% de l’indemnité versée (dans la limite de 6 PASS) = 60.000 €
  • Montant de l’indemnité de légale ou conventionnelle = 80.000 €

Le plafond à retenir est = 100.000 €.

L’indemnité de RCI est donc exonérée d’IR à hauteur de ce plafond.

Étape 2 : déterminer la part de l’indemnité exonérée de cotisations de Sécurité sociale

La part exonérée d’IR (en l’espèce 100.000 €) est exclue de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale dans la limite de 2 PASS (87.984€ en 2023).

L’indemnité de RCI est :

  • exonérée de cotisations de Sécurité sociale jusqu’à 87.984 €
  • soumise à cotisations de Sécurité sociale pour la part restante.

La contribution patronale de 30 % s’applique donc sur la part exonérée de cotisations de Sécurité sociale (87.984 €).

Étape 3 : déterminer la part de l’indemnité exonérée de CSG/CRDS

L’indemnité de RCI est exonérée à hauteur du plus petit montant suivant :

  • montant de l’indemnité légale ou conventionnelle = 80.000 €
  • montant exclu de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale = 87.984€  

L’indemnité de RCI est donc soumise à CSG/CRDS au-delà de 80.000 €.

5. Quelle est la date de rupture à retenir pour l’application du nouveau régime ?

L’article 4 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023, unifiant le traitement social de l’indemnité de RCI, est applicable « aux indemnités versées à l'occasion des ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er septembre 2023 ».


[1] CSS, art. L. 242-1 N° Lexbase : L4677MHP.

[2] CSS, art. L. 136-1-1 N° Lexbase : L1757LZ4.

[3] CSS, art. L. 137-15 N° Lexbase : L4661MH4.

newsid:486646

Sociétés

[Brèves] Cession de contrôle : présomption de solidarité entre cédants

Réf. : Cass. com., 30 août 2023, n° 22-10.466, F-B N° Lexbase : A31321EQ

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N6658BZM

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par Perrine Cathalo

Le 13 Septembre 2023

► Les conventions qui emportent cession de contrôle d'une société commerciale présentant un caractère commercial, encore qu'elles ne soient pas conclues entres commerçants, les obligations contractées par les vendeurs s'exécutent solidairement.

Faits et procédure. Le 19 janvier 2017, six actionnaires, qui détenaient ensemble la totalité des trois mille parts d’une société, les ont cédées à une SAS moyennant un prix de 380 000 euros, sur lequel le cessionnaire a payé un acompte de 300 000 euros.

Il était stipulé que, défini sur la base de la société cédée clos au 29 février 2016, le prix pourrait faire l’objet d’une variation à la baisse, en fonction de la situation comptable intermédiaire de cette société arrêtée au 31 décembre 2016.

La situation comptable établie par une société d’expertise comptable ayant fait apparaître des capitaux propres négatifs de 963 999 euros, la SAS a soumis aux cédants un projet de prix définitif à hauteur de 1 euro et a sollicité le remboursement de la somme de 299 999 euros.

Par décision du 16 novembre 2011, la cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 16 novembre 2011, n° 18/05854 N° Lexbase : A01917C3) a condamné solidairement les actionnaires de la société cédée à payer à la SAS la somme de 299 999 euros assortie de l’intérêt au taux légal à compter du 9 septembre 2017 jusqu’à parfait paiement, aux motifs que l’acte de cession litigieux était un acte de commerce impliquant la solidarité entre cédants.

Les cédants ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Haute juridiction rejette le pourvoi.

La Chambre commerciale rappelle que les conventions qui emportent cession de contrôle d’une société commerciale présentant un caractère commercial, encore qu'elles ne soient pas conclues entres commerçants, les obligations contractées par les vendeurs s’exécutent solidairement.

Dès lors, les juges de la Cour de cassation concluent que c’est à bon droit que la cour d’appel a déduit que l’acte de cession du 19 janvier 2017 était un acte de commerce (C. com., art. L. 110-1 à L. 110-4 N° Lexbase : L0093L8X) et que, par conséquent, l'obligation de restitution d'une partie de l'acompte versé par le cessionnaire, qui pèse sur l'ensemble des cédants en application de la clause de prix figurant dans cet acte, est une obligation solidaire.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La cession de contrôle, in Droit des sociétés, (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E0927AE3.

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