La lettre juridique n°933 du 2 février 2023

La lettre juridique - Édition n°933

Peines

[Brèves] Propositions sexuelles à mineur sur internet : validité de la confiscation du véhicule ayant permis l’aggravation de l’infraction

Réf. : Cass. crim., 25 janvier 2023, n° 22-83.997, F-B N° Lexbase : A06559AI

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N4143BZH

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par Adélaïde Léon

Le 02 Février 2023

► Dans le cadre d’une condamnation pour propositions sexuelles faites à mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique aggravées, peut être confisquée la voiture qui a permis la commission de l’infraction en ce que celle-ci est aggravée par la circonstance selon laquelle les propositions ont été suivies d’une rencontre avec la personne se présentant comme un mineur ; rencontre permise par l’usage du véhicule confisqué. Il importe peu que l’usage du bien confisqué n’ait pas été déterminant dans la commission des faits.

Rappel des faits et de la procédure. Un individu est entré en relation, sur un site internet, avec un enquêteur cyber-infiltré dans le cadre d’une opération de lutte contre la pédophilie en ligne et se faisant passer pour une mineure âgée de douze ans.

Après avoir fixé un rendez-vous avec cette dernière dans le but d’avoir un relation sexuelle, l’individu a été interpellé puis convoqué au tribunal des chefs de propositions sexuelles faites à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique aggravées, consultation habituelle de site présentant des images à caractère pornographique de mineurs, et détention de représentations pornographiques de mineurs.

Le tribunal a déclaré l’intéressé coupable et l’a condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, dix ans d’interdiction professionnelle, et a ordonné la confiscation, notamment, de son véhicule. Le prévenu a relevé appel de jugement, limitant son recours à la confiscation. Le parquet a formé un appel incident.

En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé la mesure de confiscation du véhicule estimant que la voiture avait permis la rencontre projetée et qu’il existait un lien entre le déplacement par le véhicule et l’incitation à commettre des actes de nature sexuelle, que la rencontre avait pour objet de concrétiser. Selon les juges d’appel, la voiture du prévenu lui avait donc servi à commettre l’infraction.

L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Le prévenu soutenait que c’était à tort que les juges d’appel avaient retenu que le véhicule avait servi à commettre l’infraction alors que le texte la réprimant vise les faits « propositions sexuelles à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique, et non la rencontre ».

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi formé par le prévenu. La Haute juridiction constate que la cour d’appel a établi que la voiture avait permis la commission de l’infraction poursuivie, en ce que cette infraction était en l’espère aggravée par la circonstance selon laquelle les propositions litigieuses ont été suivies d’une rencontre avec une personne se présentant comme un mineur de quinze ans (motif d’aggravation mentionné à l’alinéa 2 de l’article 227-22-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2648L4T).

Les hauts magistrats ajoutent enfin qu’il importe peu que l’usage du bien confisqué n’ait pas été déterminant dans la commission des faits.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Un revirement de jurisprudence salutaire : la rente AT/MP ne répare plus le déficit fonctionnel permanent

Réf. : Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y et n° 20-23.673 N° Lexbase : A962688Z, B+R

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N4223BZG

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par Dominique Asquinazi-Bailleux, Professeur des Universités, Université Jean Moulin-Lyon 3

Le 02 Février 2023

Mots-clés : AT/MP • faute inexcusable • rente • indemnisation • victimes • réparation • déficit fonctionnel permanent • revirement • jurisprudence

Par deux arrêts rendus le 20 janvier 2023, l’Assemblée plénière opère un revirement de jurisprudence substantiel en excipant de la rente AT/MP, la réparation du déficit fonctionnel permanent. De ce fait, les souffrances physiques et morales ne sont plus réparées par la rente. Il en résulte un alignement sur la position historique du Conseil d’Etat qui juge que la rente a pour objet exclusif de réparer les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité. C’est également la fin d’une jurisprudence contra legem en cas de faute inexcusable de l’employeur. Plus encore, c’est l’espérance d’une meilleure indemnisation des victimes, spécialement devant le FIVA ou en cas de recours contre un tiers responsable.  


Depuis la loi du 9 avril 1898 N° Lexbase : L2970AIT, la réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles obéit à un régime spécial d’indemnisation qui se caractérise par le caractère forfaitaire de la réparation en échange d’une présomption d’imputabilité au travail du risque professionnel [1]. Néanmoins, en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, la victime bénéficie alors d’une majoration de rente mais également de la possibilité de demander l’indemnisation de préjudices complémentaires de nature extra-patrimoniale. Si leur énumération dans l’articles L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5302ADQ présentait un caractère limitatif, la décision du Conseil Constitutionnel en date du 18 juin 2010 [2] a autorisé un élargissement de la réparation aux préjudices non couverts par le Livre IV de la Sécurité sociale. Plus encore, soumise à la réforme des tiers payeurs- issue de l’article 25 de la loi du 21 décembre 2006 N° Lexbase : L8561HTA - qui encadre le recours subrogatoire des caisses contre un tiers responsable, la rente servie a fait l’objet d’appréciations diverses des préjudices qu’elle répare [3]. Ainsi, saisie pour avis sur l’application de cette réforme à la législation professionnelle, la Cour de cassation a, dans un premier temps, retenu que la rente devait « s'imputer prioritairement sur les pertes de gains professionnels, puis sur la part d'indemnité réparant l'incidence professionnelle », sans interdire une imputation sur un préjudice personnel si la caisse rapporte la preuve que cette prestation en cause a pour objet de l’indemniser [4].

Cette position jurisprudentielle, d’abord confirmée [5], a encore évolué au détriment des victimes et notamment du fait d’un renversement de la charge de la preuve. Par un arrêt de la Chambre criminelle [6] puis une série d’arrêts de la deuxième chambre civile, du 11 juin 2009, il est jugé que la rente accident du travail ou maladie professionnelle indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent (DFP). « En l’absence de perte de gains professionnels et d’incidence professionnelle, la rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du DFP » [7].  La même solution joue pour la pension temporaire d’invalidité ou la pension militaire servies par l’Etat [8]. Confrontée à cette présomption, la victime est alors invitée à démontrer que la rente n’indemnise pas ce dernier poste de préjudice. Seule certitude, la rente ne s’impute pas sur un poste de préjudice temporaire [9]. Cette « hypertrophie » [10] de la rente s’est encore aggravée avec l’intégration dans le DFP des souffrances morales et physiques, tout en procurant au préjudice d’agrément un caractère distinct au sein des préjudices personnels [11]. Ce dernier consiste désormais dans « l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive et de loisir » [12]. Il perd ainsi son caractère généreux [13] et ce, en conformité avec la nomenclature Dintilhac [14] pour s’aligner sur la définition retenue consécutivement à un accident de droit commun. En revanche, plus ambigüe est la dilution des souffrances physiques et morales dans le DFP [15]. C’est ce que nous allons vérifier avec l’appréciation de ce revirement de jurisprudence.

Dans une des espèces (n° 20-23.673 N° Lexbase : A962688Z), la cour d’appel de Caen a refusé aux ayants droit la réparation des souffrances physiques et morales endurées par la victime aux motifs que cette dernière, étant retraitée lors de la première constatation de sa maladie, n’avait subi aucune perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle. En conséquence, la rente indemnisait bien le poste de préjudice personnel de déficit fonctionnel permanent. Quoi que cette position des juges du fond s’inscrive en conformité avec la jurisprudence de la deuxième chambre civile, une demande de QPC a été formulée mais n’a pas été transmise [16]. A l’inverse, dans l’autre espèce (n° 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y), la cour d’appel de Nancy, sur renvoi d’un arrêt de la deuxième chambre civile [17],  a refusé de s’aligner, ce que la doctrine n’a pas manqué de relever [18]. Elle juge que les souffrances physiques et morales doivent être indemnisées distinctement de la rente AT/MP.

Dans ce contexte, le renvoi à l’Assemblée plénière s’imposait.

L’arrêt de la cour d’appel de Caen est cassé alors que les juges de Nancy voient leur position validée. La Haute assemblée juge après l’exposé de différentes considérations que « la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ». Ce revirement de jurisprudence est salutaire en ce qu’il consacre la fin d’une divergence de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat (I.), qu’il met fin à une jurisprudence contra legem (II.) pour offrir une meilleure indemnisation aux victimes d’AT/MP (III.).

I. La fin d’une divergence de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat

Interrogé sur l’assiette du recours subrogatoire de la caisse de Sécurité sociale, le Conseil d’Etat a, dans un premier mouvement, retenu que « l'objet exclusif de la rente est de contribuer à la réparation du préjudice subi par l'intéressé dans sa vie professionnelle du fait du handicap » [19]. Il permet alors d'imputer cette rente sur l'indemnité réparant l'incidence professionnelle du handicap. En revanche, les préjudices extra-professionnels n’entrent pas dans l’assiette du recours des tiers payeurs. Dans le même sens, la rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et l’allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité fixent « forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique », sans interdire la demande de réparation des préjudices extrapatrimoniaux [20]. L’analyse de l’objet de la rente par le Conseil d’Etat est demeurée constante, même s’il faut reconnaître que la position différente de la Cour de cassation n’a pas manqué de l’interroger. Ainsi, à propos d’une rente d’accident du travail, servie à un agent de la SNCF, lui a été posé la question de savoir si lorsque la rente d'accident du travail ne peut être rattachée à un quelconque préjudice patrimonial, le juge doit-il nécessairement imputer cette rente sur le poste des préjudices personnels ? Sa réponse est sans ambiguïté : « la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité » [21]. Le recours exercé par une caisse de Sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice [22]. Une telle rente ne saurait s’imputer sur un poste de préjudice personnel. Il résulte du contentieux administratif, que l’incidence professionnelle n’est pas définie, ce qui ne manquera pas d’interroger à l’avenir.

Plus certainement, le déficit fonctionnel permanent (DFP), sur lequel la deuxième Chambre civile impute la rente, n’est pas défini par le conseil d’Etat puisqu’il récuse qu’il puisse - même en l’absence de perte de gains - être réparé par la rente. La Cour de cassation, après avoir limité son imputation aux hypothèses d’absence de pertes de gains professionnels futurs, juge que « le reliquat éventuel de la rente […]  peut s’imputer sur le poste de préjudice personnel extra-patrimonial du DFP » [23]. L’imputation successive sur des postes de préjudices supposés réparés par la rente AT/MP acquiert alors un caractère systématique. Il est vrai que si la victime ne perd pas son traitement de fonctionnaire ou son salaire du fait de son maintien dans l’emploi, on pouvait légitimement se demander ce que répare la rente. Le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime était implicitement convoqué pour justifier l’imputation de la rente sur le préjudice personnel de DFP. Selon la nomenclature Dintilhac, « le poste de DFP cherche à indemniser un préjudice extra-patrimonial qui touche la sphère personnelle de la victime ». Il s’agit d’indemniser tout à la fois les atteintes aux fonctions physiologiques mais également la douleur permanente que la victime ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien. Plus encore, la deuxième chambre civile jugeait que le préjudice d’établissement - défini comme la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap - relevait dans une première intention du DFP. La preuve de son caractère distinct ne pouvait résulter de la seule difficulté qu’avait la victime de remplir son rôle d’époux, de père et de grand-père du fait de ses séquelles et des souffrances engendrées [24].

Par ce revirement de jurisprudence, l’assemblée plénière s’aligne sur la position du Conseil d’Etat. La rente ne répare plus le déficit fonctionnel permanent. On ne peut qu’approuver cette réponse qui met fin à une divergence inacceptable entre les deux ordres de juridictions.

II. La fin d’une jurisprudence contra legem

Reconnaître que la rente répare partiellement un préjudice extra-patrimonial est pour le moins étonnant lorsque l’on s’emploie à apprécier ses modalités de calcul exposées aux articles L. 434-15 N° Lexbase : L5269ADI et suivants du Code de la Sécurité sociale. Sont pris en compte le salaire de la victime et son taux d’incapacité lesquels font l’objet de corrections en l’absence de faute inexcusable de l’employeur et ce, pour respecter la règle du forfait.  Le taux d’incapacité est déterminé « d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité » (CSS, art. L. 434-2, al. 1er [LXB= L8917KUS]). Ce barème indicatif - ne liant pas le médecin conseil - est consultable à l’annexe 1 de l’article R. 434-32 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9477IG4. Il précise que les quatre premiers éléments d’appréciation sont purement médicaux. Les deux derniers portant sur l’aptitude et la qualification professionnelle impliquent une analyse des répercussions des séquelles sur l’exercice d’une profession et sur la pratique du métier. Aucune référence n’est faite au ressenti de la victime. Dès lors, on ne peut que critiquer la jurisprudence qui estimait que la rente répare le préjudice personnel extra-patrimonial de déficit fonctionnel permanent. Au mieux, il était possible de convenir que le DFP possède une composante objective lorsqu’il s’agit d’apprécier les séquelles fonctionnelles [25]. Le calcul du taux d’invalidité prend bien en compte la nature des infirmités. En revanche, le DFP a pour l’essentiel une part subjective puisqu’il s’agit d’apprécier la perte de qualité de vie, les troubles ressenties par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales. Cette deuxième composante du DFP requiert une appréciation in concreto de nature éminemment subjective. L’Assemblée plénière aurait pu faire le choix de redéfinir les contours du DFP même si cela aurait été source inutile de complexité.

En excipant de la rente le déficit fonctionnel permanent, elle met fin également à une jurisprudence contra legem en présence d’une faute inexcusable de l’employeur. Même si le calcul de la rente est amélioré en ce que sa majoration est calculée à partir du taux réel d’IPP multiplié par le salaire réel de la victime, il n’est pas certain que l’indemnisation de la perte de gains futurs, de l’incidence professionnelle (et du DFP) devienne intégrale. Pour autant, la deuxième Chambre civile interdit à la victime indemnisée par le tiers responsable de son accident du travail - via le juge civil - de réclamer la majoration de rente [26]. Il lui appartient d’établir que les sommes reçues au titre de son préjudice corporel ne couvraient pas intégralement la rente majorée. Quoi qu’il en soit, le caractère contra legem résulte de l’intégration dans le DFP des souffrances physiques et morales endurées par la victime. Comme il a été souligné par différents auteurs, à quoi servirait la mention, dans l’énumération des préjudices complémentaires de l’article L. 452-3, des souffrances physiques et morales si la victime en a été indemnisée par la rente majorée ? S’il est possible de voir - via le déficit fonctionnel permanent - la réparation des séquelles motrices, il est difficile de considérer que le calcul de la rente prend en compte de manière spécifique les souffrances morales. N’est-il pas vrai que, par l’effet mécanique de son calcul, les souffrances d’une victime sont directement proportionnelles au montant de son salaire.  Certes, il n’y avait aucun automatisme d’intégration mais une invitation à démontrer que les souffrances morales et physiques n’avaient pas été réparées au titre du DFP [27] ; preuve impossible à rapporter en pratique.

L’abandon de l’intégration du DFP dans la rente conduit automatiquement à restituer au poste « souffrances physiques et morales » un caractère distinct de la rente.  Pour autant, rien n’interdira à l’avenir au juge de fusionner le DFP et les souffrances physiques et morales, du moins en cas de faute inexcusable de l’employeur. Quoi qu’il en soit, s’ouvre au profit des victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle l’espérance d’une meilleure indemnisation.

III. L’espérance d’une meilleure indemnisation des victimes

Exciper le DFP de la rente est une belle avancée dans la réparation dans la mesure où la victime va pouvoir cumuler l’indemnisation pour perte de gains futurs et perte des qualités de vie du fait du handicap. Quoique la faute inexcusable de l’employeur ait été retenue dans les deux espèces, curieusement l’Assemblée plénière ne distingue pas entre la rente et sa majoration. Autrement dit, le DFP n’est plus réparé par la rente forfaitaire ou celle majorée. En raison de l’immunité civile de l’employeur, la victime n’aura pas plus d’action contre ce dernier pour réclamer un complément de réparation au titre du DFP. En revanche, sa réparation sera améliorée si elle peut agir contre un tiers responsable. Dans ce cas, la caisse ne sera plus autorisée à imputer sur le poste DFP, une partie de la rente servie.

Les victimes d’une maladie professionnelle liée à l’amiante, bien que profitant d’une réparation dite intégrale devant le FIVA [28], verront également leur réparation améliorée. La Cour de cassation validait l’imputation de la rente sur le DFP [29], parfois au détriment des victimes qui se retrouvaient débitrices d’un indu auprès du FIVA [30].  A l’avenir, ces dernières pourront cumuler la rente servie par l’organisme social et le DFP réparé par le FIVA.

En cas de faute inexcusable de l’employeur, la situation de la victime est également améliorée. D’abord, elle pourra, sur le fondement de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5302ADQ, demander, en sus de la majoration de rente, la réparation des préjudices complémentaires énumérés dans le texte au nombre desquels figurent les souffrances physiques et morales. Désormais non réparé par la rente, ce chef de préjudice acquiert un caractère autonome. Ensuite, conformément à l’interprétation donnée par le Conseil Constitutionnel de l’article L. 452-3, la victime pourra solliciter la réparation des préjudices non couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale. A cet égard, le DFP n’étant plus réparé par la rente majorée, sa demande d’indemnisation devient légitime que ce soit pour la période antérieure ou celle postérieure à la consolidation.

Il n’en demeure pas moins qu’avec le souci affiché « d’éviter des situations de double indemnisation du préjudice », les juges du fond seront invités à revenir sur les contours de certains préjudices extra-patrimoniaux. On peut regretter que la Cour, réunie en Assemblée plénière, n’ait pas pris la peine de définir le DFP pour le confronter aux souffrances physiques et morales. On peut aussi s’émouvoir du peu d’intérêt qu’elle porte sur ce que répare la rente AT/MP. La formule traditionnelle selon laquelle la rente indemnise les gains professionnels futurs et l’incidence professionnelle de l’incapacité n’est pas reprise ici - sauf pour citer le passé. Dès lors, il n’est pas interdit de s’interroger sur l’incidence professionnelle - supposée réparée par la rente.

La nomenclature Dintilhac souligne que ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle (dévalorisation sur le marché du travail, perte d’une chance professionnelle, nécessité de changer d’emploi, frais de reconversion professionnelle, de reclassement). Il vient en complément de la perte de gains professionnels futurs sans pour autant aboutir à une double indemnisation du même préjudice. Ce contour de l’incidence professionnelle justifie que ce poste soit réparé par la rente. Néanmoins, la deuxième Chambre civile y intègre parfois une composante extra-patrimoniale lorsque la victime ne peut plus travailler [31]. Elle l’a récemment qualifié « de préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle » [32]. L’incidence professionnelle présente dès lors un caractère hybride [33] en ce qu’elle intègre des préjudices patrimoniaux (frais de reclassement, diminution des droits à la retraite…) et des préjudices extra-patrimoniaux (précarisation sur le marché du travail, sentiment de déclassement professionnel).

Dès lors, on mesure que l’Assemblée plénière aurait dû préciser clairement que la rente ne répare aucun préjudice extra-patrimonial. Contrairement à l’espérance de certains auteurs [34], l’Assemblée plénière n’a pas manifesté une « volonté de trancher définitivement le débat de l’objet de la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ».  Ce débat risque de se déplacer sur les contours des différents préjudices personnels.


[1] J.-J. Dupeyroux, Centenaire de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail et les maladies professionnelles : un deal en béton ?, Droit social, 1998, p. 631.

[2] Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK, JCP S, 2010, 1361, note G. Vachet ; Resp. civ. et assur., 2010, étude 8, note H. Groutel ; JCP G, 2010, 1015, obs. C. Bloch ; JCP E, 2010, 2090, n° 15, obs. A. Bugada ; D., 2011, p. 459, S. Porchy-Simon ; RDT, 2011, p. 186, note G. Pignarre ; RDSS, 2011, p. 76, note S. Brimo ; X. Prétot, L'indemnisation de la faute inexcusable de l'employeur est-elle conforme à la Constitution ?, Droit social, 2011, p. 1208 ; G. Viney, L'évolution du droit de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, Droit social, 2011, p. 964.

[3] P. Sargos, AT-MP - Trois ans d’application de la réforme des tiers payeurs : de l’amélioration à la régression, JCP G, 2010, n° 4, act. 75.

[4] Cass. avis, 29 octobre 2007, n° 0070015P N° Lexbase : A2872DZE, n° 0070016P N° Lexbase : A2873DZG et n° 0070017P N° Lexbase : A2874DZH, Droit social, 2008, p. 209, rapp. S. Grignon-Dumoulin ; JCP E, 2008, 1565, n° 1, obs. A. Bugada.  

[5] Cass. civ. 2, 23 octobre 2008, n° 07-18.819, FS-P+B N° Lexbase : A9429EAH, D., 2009, p. 203, note P. Sargos ; JCP S, 2009, 1059, note D. Asquinazi-Bailleux.

[6] Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86.050 N° Lexbase : A0773EIH, n° 08-86.485 N° Lexbase : A0774EII et n° 08-82.666 N° Lexbase : A0770EID, RTD civ., 2009, p. 545, obs. P. Jourdain.  

[7] Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.768 N° Lexbase : A0512EIS, n° 08-17.581 N° Lexbase : A0518EIZ et n° 08-16.089 N° Lexbase : A0516EIX, FS-P+B+R+I, JCP G, 2009, 195, note S. Porchy-Simon ; D., 2009, jurispr., p. 1789, note P. Jourdain ; JCP S, 2009, 1469, note D. Asquinazi-Bailleux ; JCP G, 2009, I, 248, n° 9, obs. C. Bloch ; H. Groutel, Recours des tiers payeurs : enfin des règles sur l’imputation des rentes d’accidents du travail, RCA, 2009, chr. 10 ; Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-18.019, FS-D N° Lexbase : A1557EPD. P. Sargos, AT/MP : le chaos des incohérences et des inégalités, JCP S, 2009, act. 495.

[8] Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.816 N° Lexbase : A0513EIT et n° 08-11.853 N° Lexbase : A0515EIW, FS-P+B+R+I.

[9] Cass. civ. 2, 14 octobre 2021, n° 19-24.456, FS-B N° Lexbase : A3328497, JCP S, 2022, 1022, note X. Aumeran.

[10] Expression empruntée à Morane Keim-Bagot : M. Keim-Bagot, Les atteintes à la santé - Réflexions sur l’ordonnancement des préjudices, Droit ouvrier, 2015, n° 805, p. 476.

[11] Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8812I8U, RTD civ., 2013, p. 383, obs.  P. Jourdain ; Droit social, 2013, 658, obs. S. Hocquet-Berg ; RDSS, 2013, 359, obs. M. Badel ; JCP S, 2013, note G. Vachet ; M. Keim-Bagot, Dommage corporel du travailleur : plaidoyer pour une approche cohérente et unitaire des préjudices réparables, Bull. Joly Travail, février 2021, p. 50.

[12] Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-16.829, FS-P+B N° Lexbase : A3927EHW ; JCP S, 2009, 1461, note D. Asquinazi-Bailleux ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-16.120, F-P+B N° Lexbase : A1215IQ3.

[13] Ass. plén., 19 décembre 2003, n° 02-14.783 N° Lexbase : A4684DAQ :  le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence.

[14] J.-P. Dintilhac, Rapport du Groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005 [en ligne].

[15] Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126, F-D N° Lexbase : A33503XD, Droit social, 2021, p. 93, note M. Keim-Bagot.

[16] Cass. QPC, 8 juillet 2021, n° 20-23.673, F-D N° Lexbase : A63674YH, Bull. Joly Travail, octobre 2021, p. 34 ; Gaz. Pal., 21 septembre 2021, n° 426h5, p. 55, note C. Bernfeld.

[17] Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126, F-D N° Lexbase : A33503XD, Droit social, 2021, p. 93, note M. Keim-Bagot. Selon la Cour, sont réparables les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du DFP. Il appartient aux juges du fond de justifier la double indemnisation.

[18] CA Nancy, 7 septembre 2021, n° 21/00095 N° Lexbase : A659243K et Cass. QPC, 8 juillet 2021, n° 20-23.673, F-D N° Lexbase : A63674YH, Bull. Joly Travail, octobre 2021, p. 34, note M. Keim-Bagot.

[19] CE, 5 mars 2008, n° 272447, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3441D7L, JCP S, 2008, 1359, note G. Vachet.

[20] CE, 25 juin 2008, n° 286910, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3502D9L.

[21] CE, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3225I9C, JCP S, 2013, 1220, note P. Sargos.

[22] CE, 18 octobre 2017, n° 404065 N° Lexbase : A0292WWQ.

[23] Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-21.936, F-D N° Lexbase : A9374NNI, Gaz. Pal., 17 novembre 2015, n° 321, note J. Bourdoiseau.

[24] Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B N° Lexbase : A9941TRM, JCP S, 2017, 1120, note D. Asquinazi-Bailleux.

[25] V. en ce sens, P. Jourdain, préc. ; RTD civ., 2012, p. 316.

[26] Cass. civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-14.502, FS-B N° Lexbase : A48447HU, JCP S, 2022, 1036, note D. Asquinazi-Bailleux.

[27] V. en ce sens : Cass. civ. 2, 28 février 2013, préc. ; CA Nancy, 7 septembre 2021, préc..

[28] Loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, de financement de la Sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : L5178AR9, art. 53, I.

[29] Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-17.884, F-P+B N° Lexbase : A8767ELB, JCP S, 2009, 1600, note D. Asquinazi-Bailleux.

[30] Cass. civ. 2, 12 décembre 2019, n° 18-20.457, FS-P+B+I N° Lexbase : A1630Z8U, JCP S, 2020, 1018, note D. Asquinazi-Bailleux.

[31] A. Cayol, Chronique de droit du dommage corporel (avril 2021- décembre 2022), BJDA, 2022, n° 84.

[32] Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-23.173, FS-P+R N° Lexbase : A32544RX, RTD civ., 2021, p. 649, obs. P. Jourdain ; BJDA, 2021, n° 75, obs. A. Cayol.

[33] J. Bourdoiseau, Les préjudices professionnels, Gaz. Pal., 27 décembre 2014, p. 32.

[34] E. Jeansen, Contributions à la détermination de l’objet de la rente AT/MP, Droit social, 2023, p. 88.

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] La clause fixant les honoraires d’un avocat sur la base d’un tarif horaire, sans autre précision, n’est ni claire ni compréhensible

Réf. : CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21, D.V. N° Lexbase : A644187P

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par Benoît Chaffois, Maître de conférences à CY Cergy Paris Université, Membre du Laboratoire d'études juridiques et politiques (LEJEP) - EA n°4458

Le 08 Février 2023

Mots-clés : jurisprudence • CJUE • avocat • honoraires • convention • clauses abusives 

L’arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la CJUE fournit un précieux éclairage sur l’appréciation du caractère abusif d’une clause de fixation des honoraires d’un contrat de prestation de services juridiques. Deux enseignements doivent être retirés de l’arrêt, premièrement, la clause fixant les honoraires sur la base d’un tarif horaire, sans autre précision, n’est ni claire ni compréhensible au sens du régime des clauses abusives. Deuxièmement, conséquence logique de cette analyse, ce type de clause peut être soumis au contrôle des clauses abusives, posant alors la question des sanctions y afférentes.


 

Comme nous l’évoquions dans un ancien numéro de cette revue [1], le droit de l’Union européenne étend chaque jour d’avantage son influence [2], au point de désormais recouvrir la déontologie des avocats d’un « capuchon gris » consumériste. Après avoir reconnu la compétence du juge de l’honoraire en matière de contrôle des clauses abusives [3], il était logique que le contenu des conventions d’honoraires soit examiné. C’est justement l’objet d’un arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) [4].

En l’espèce, cinq contrats de services juridiques sont conclus en Lituanie entre une personne physique, autrement qualifiée de consommateur, et un avocat c’est-à-dire un professionnel, chacun des contrats stipulant, sans autre précision, d’un honoraire de diligences au taux horaire de cent euros. Des factures sont émises par l’avocat en 2019 au titre des services fournis depuis 2018. L’avocat n’étant pas réglé de l’intégralité des honoraires réclamés, il saisit d’abord une juridiction lithuanienne de première instance, laquelle fait partiellement droit à sa demande de paiement tout en estimant que certaines clauses de la convention d’honoraires sont abusives pour réduire de moitié les honoraires réclamés. Un appel est ensuite formé par l’avocat qui saisit finalement la Cour suprême lithuanienne à la suite du rejet de ses demandes.

Dans ce contexte, la CJUE est interrogée par la juridiction suprême lithuanienne sur une série de questions traitant principalement de, premièrement, l’application et l’interprétation des dispositions du droit de l’Union européenne contre les clauses abusives, précisément, le respect de l’exigence de clarté et compréhension de la clause d’un contrat de prestation de services juridiques portant sur l’objet principal ou sur l’adéquation du prix et de la rémunération au service, deuxièmement, les conséquences à tirer du caractère abusif d’une telle clause, notamment à l’égard de la rémunération du professionnel.

Dans son arrêt du 12 janvier 2023, la CJUE précise d’abord que la clause de fixation des honoraires de l’avocat concerne l’objet principal du contrat ainsi que l’adéquation du prix ou de la rémunération au service [5], ce qui autorise de la contrôler sur le fondement des clauses abusives lorsqu’elle n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible pour le consommateur [6].

S’agissant ensuite de l’appréciation de la clause au regard de l’exigence de clarté et compréhension, « la Cour souligne qu’en vertu du droit de l’Union, cette exigence doit être entendue de manière extensive » [7] à l’égard des contrats de prestation de services juridiques, ce qui implique de fournir des indications permettant au client consommateur d’apprécier le coût total des services. Dans ces conditions, la CJUE considère que la clause de fixation des honoraires comportant un taux horaire, sans autres précisions, n’est ni claire ni compréhensible. Si cette déficience de la clause permet de la contrôler sur le fondement de la législation sur les clauses abusives, la CJUE indique qu’il ne faut pas pour autant la réputer automatiquement abusive, sauf si la réglementation nationale le prévoit expressément.

S’attaquant finalement aux conséquences du caractère abusif de la clause, les juges précisent, qu’à rebours de l’objectif de maintien du contrat qui anime le droit de la consommation [8], le réputé non écrit de la clause est susceptible d’entraîner l’invalidation du contrat puisqu’elle porte sur « l’essence » du contrat, autrement dit, l’objet principal.

Reste alors l’épineuse question de la rémunération du professionnel au titre des services déjà fournis. À cet égard, la Cour raisonne en deux temps. Premièrement, une mise en garde est formulée : la Directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que l’invalidation du contrat aboutisse à une absence de rémunération pour les services réalisés. Deuxièmement, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure [9], la Cour tempère son propos en précisant qu’à certaines conditions « la juridiction de renvoi dispose de la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition de droit national à caractère supplétif si l’invalidation du contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables » [10].

Cet arrêt, extrêmement riche d’enseignements, mérite une attention particulière et doit, pour une compréhension parfaite, être lu à l’aune des dispositions internes. Dès lors que la CJUE scinde son raisonnement entre l’appréciation du caractère abusif de la clause et les conséquences qu’il faut en tirer, nous retiendrons cette subdivision pour étudier l’arrêt.

Sur cette base, voyons, en premier lieu, l’appréciation du caractère abusif de la clause fixant les honoraires d’un contrat de prestation de services juridiques (I), en second lieu, la portée du caractère abusif de la clause (II).

  1. L’appréciation du caractère abusif de la clause fixant les honoraires d’un contrat de prestation de services juridiques

Aux termes de l’article 4§2 de la Directive 93/13 « l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».

Cette règle, retranscrite en droit interne à l’article L. 212-1, al. 3 du Code de la consommation pose un principe assorti d’une exception : la clause portant sur l’objet principal ou sur l’adéquation du prix et de la rémunération au service n’entre pas dans le champ d’application du dispositif sur les clauses abusives, sauf si elle n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible.

Les raisons justifiant ce principe sont nombreuses. On songe, d’abord, à l’interdiction générale du contrôle de la lésion qui ne doit pas être contournée par le régime des clauses abusives [11], ensuite, à l’importance des clauses portant sur l’objet principal et le prix, ce qui suppose une attention particulière du consommateur [12], enfin et surtout, à l’incidence du réputé non écrit de ce type de clause sur le contrat, lequel devrait logiquement disparaître alors que le droit de la consommation vise au contraire à le maintenir [13].

Pour ce qui est de l’exception, l’exigence de clarté et d’intelligibilité est un pilier du droit de la consommation [14], de sorte que l’irrespect de ce principe doit logiquement conduire à une sanction. À cet égard, il en existe deux, premièrement, l’interprétation in favorem pour le consommateur du contrat [15], deuxièmement, le réputé non écrit issu des clauses abusives [16].

En l’espèce, le conflit était concentré sur le caractère abusif de la clause fixant les honoraires de l’avocat. Aussi, le contrôle de la clause supposait, d’abord, d’identifier si elle portait sur l’objet principal ou le prix, pour ensuite analyser sa clarté et son intelligibilité, et enfin, en cas déficience, apprécier l’abus.

S’agissant de l’objet principal ou du prix, la CJUE considère que la clause litigieuse définit « l’essence même du rapport contractuel » et concerne en outre l’adéquation du prix ou de la rémunération au service. L’analyse n’appelle aucune remarque, la fixation d’un prix en regard d’un service constitue bien l’objet principal - « l’essence » - d’un contrat de prestation de services juridiques. On rapprochera du reste cette analyse avec un arrêt de la Cour de cassation posant une solution similaire à propos de la commission d’un mandataire [17].

S’agissant de la clarté et l’intelligibilité de la clause, le lecteur habitué des décisions rendues par la CJUE ne s’étonnera guère de lire que, d’une part, l’exigence de clarté « ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de ces clauses », d’autre part, cette exigence « doit être entendue de manière extensive » [18]. Ceci implique que le consommateur soit mis en mesure d’apprécier le risque et la portée de son engagement [19].

À titre d’exemple, la saga des « prêts toxiques » illustre parfaitement cet impératif  [20] : l’absence de communication d’éléments permettant au consommateur moyen d’apprécier le risque et la portée d’un prêt indexé sur une monnaie étrangère implique une obscurité de la clause d’indexation.

S’agissant d’un contrat de prestation de services juridiques, le raisonnement est en tout point similaire : le client doit être en mesure d’évaluer les conséquences financières de son engagement. Partant, une clause précisant uniquement le taux horaire ne remplit pas cette condition en ce que le client ne peut pas apprécier « le montant total à payer » [21]. Si la Cour tempère son propos en admettant qu’un professionnel du droit ne puisse pas forcément indiquer un volume horaire absolument précis, il n’en demeure pas moins qu’une information du client est possible. À suivre le raisonnement des juges, il suffit d’indiquer un volume minimal d’heures et d’envoyer périodiquement un rapport ou des factures au titre des services réalisés pour que le client soit suffisamment informé [22]. Il faut ici souligner la simplicité du mode d’emploi fourni par la CJUE. Par ailleurs, rappelons qu’aux termes de l’article 10 alinéa 1 et 2nd du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 « L'avocat informe son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles et de l'ensemble des frais, débours et émoluments qu'il pourrait exposer », « au cours de sa mission, l'avocat informe régulièrement son client de l'évolution du montant de ces honoraires, frais, débours et émoluments ». Au regard de cet article, la rigueur est de mise à l’égard des professionnels n’ayant pas déjà pour réflexe d’indiquer un volume horaire minimal et de fournir un relevé périodique. Ceux-ci sont invités à revoir leur convention avec urgence [23].

Restait enfin à apprécier l’abus. À cet égard, la Cour rappelle la marge de liberté des États lors de la transposition de la Directive 93/13. Si la Directive n’impose pas qu’une présomption d’abus découle du défaut de clarté et de compréhension, les droits nationaux peuvent cependant prévoir une telle conséquence. Il faut ici noter une différence entre le droit lithuanien et le droit français. Alors que chez nos voisins le législateur a prévu une présomption d’abus en cas d’absence de clarté et de compréhension de la clause, il n’en va pas de même chez nous.[24]

Dans ces conditions, le juge français confronté à une hypothèse similaire à l’espèce commentée ne pourra pas se contenter du défaut de clarté. Certes, il y a là un critère de l’abus [25], mais ce n’est pas le seul [26].

  1. La portée du caractère abusif de la clause fixant les honoraires

Si le premier volet de l’espèce commentée est riche d’informations, le deuxième volet concernant la portée du caractère abusif de la clause ne manquera pas de susciter un élan d’interrogations.

La CJUE commence par rappeler qu’en principe, la sanction afférente aux clauses abusives, à savoir le réputé non écrit, n’affecte pas nécessairement l’existence du contrat. Au contraire, en matière de clauses abusives le législateur a pour dessein le maintien du contrat. Pour autant, le réputé non écrit d’une clause portant sur l’objet principal ou l’adéquation du prix et de la rémunération au service est par principe incompatible avec la survivance du contrat. Dans une telle hypothèse, le contrat devrait disparaître puisque la clause litigieuse constitue normalement un élément de sa validité [27], de sorte que la disparition du contrat place le professionnel dans une situation inconfortable lorsque des prestations ont déjà été réalisées. La difficulté est simple à saisir, en l’absence de contrat, le professionnel peut-il réclamer des honoraires pour les prestations fournies ?

À cet égard, la réponse de la CJUE est d’apparence rigoureuse. Selon les juges, « la Directive 93/13 ne s'oppose pas » à la disparition du contrat en cas de réputé non écrit de la clause « même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services » [28]. La solution tranche radicalement avec la position de la Cour de cassation ayant eu à juger de l’absence de conclusion écrite d’une convention d’honoraires en dépit de son caractère impératif [29]. Pour rappel, la Cour considère qu’en l’absence de convention, un honoraire peut néanmoins être réclamé, étant précisé qu’il appartient au juge de l’apprécier sur la base des critères légaux [30]. Faut-il alors s’alarmer et considérer que l’avocat ayant fourni un service ne pourra pas réclamer d’honoraires si la convention disparaît ou, en étendant la solution, si aucune convention n’a été conclue ?

Autant le préciser d’emblée, selon la CJUE une rémunération au titre des services fournis est possible à condition que « l'invalidation des contrats dans leur ensemble » expose « le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé » [31]. S’agissant des « conséquences préjudiciables », la Cour envisage trois hypothèses. Premièrement, les conséquences économiques, deuxièmement, « l'hypothèse où le droit national permettrait au professionnel de réclamer une rémunération de ces services sur un fondement différent de celui du contrat annulé », troisièmement, l’« incidence sur la validité et l'efficacité des actes accomplis en vertu » du contrat annulé.

Dans ces conditions, en cas de conséquences préjudiciables pour le consommateur, le juge interne pourra « substituer à la clause relative au prix une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d'accord des parties auxdits contrats » [32], étant précisé qu'une telle disposition doit avoir « vocation à s'appliquer spécifiquement aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur » et ne doit pas avoir « une portée à ce point générale que son application reviendrait à permettre, en substance, au juge national de fixer à l'aune de sa propre estimation la rémunération due pour les services fournis ». Enfin, une mise en garde est formulée ; « la juridiction de renvoi ne saurait compléter les contrats en cause au principal par sa propre estimation portant sur un niveau de rémunération qu'elle considère raisonnable pour les services fournis ».

Précisons enfin que la CJUE suggère à la juridiction de renvoi d’étudier une disposition lithuanienne portant sur la rémunération des avocats pour [33], sous réserve que les conditions précitées soient remplies, « remplacer la clause relative au prix par une rémunération fixée par le juge » [34].

 

À l’étude de la jurisprudence antérieure, il n’y a là rien de surprenant [35]. Aussi, convient-il d’explorer les pistes formulées par la CJUE pour déterminer si le juge français placé dans une situation similaire peut puiser dans le droit interne pour rémunérer l’avocat.

 

À notre opinion, il est probable que l’annulation de la convention d’honoraires porte en elle les germes « de conséquences préjudiciables » pour le client.

Premièrement, sans considération des aspects économiques évoqués dans l’arrêt, il y a tout lieu de penser que le droit national autorise l’avocat à obtenir « une rémunération de ces services sur un fondement différent de celui du contrat annulé ». Si la CJUE raisonne à l’aune de la Directive 93/13, il ne faut pas oublier que, sur la base du droit commun des contrats, d’une part, « le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé ; Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 » [36], d’autre part, « la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur » [37]. Sauf à considérer que le droit commun ne s’applique pas, ce qui est douteux dans la mesure où la Directive 93/13 ne contient pas de dispositions générales ou spécifiques aux contrats de service sur les restitutions, il semble envisageable d’invoquer le droit des restitutions pour que le professionnel obtienne une somme en considération des prestations fournies.

            Deuxièmement, s’agissant d’une « incidence sur la validité et l'efficacité des actes accomplis en vertu » du contrat annulé, certes, les actes conclus avec un tiers de bonne foi pourront être sauvés [38], mais entre les parties la nullité aboutie à ce que le contrat soit censé n’avoir jamais existé. Partant, l’avocat pourrait invoquer la nullité pour se désintéresser totalement des actes accomplis. S’il faut concéder que le couperet d’une action en responsabilité civile dissuadera l’avocat, reste qu’il existe un risque pour le client qu’il est préférable d’éluder en rémunérant l’avocat pour les services accomplis.

Sous réserve d’adhérer à l’hypothèse de conséquences préjudiciables pour le client, le juge interne devra rechercher s’il existe une disposition « de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d'accord des parties auxdits contrats » ayant spécifiquement pour objet de s’appliquer au contrat en cause. Or, c’est justement l’objet des articles 10, alinéa 4, de la loi du 31 décembre 1971 et 11.2 du RIN que d’indiquer des critères de fixation des honoraires d’avocat. Il faut d’ailleurs signaler qu’en l’absence de convention le juge utilise l’article 10 pour apprécier les honoraires [39]. Reste alors à déterminer si les articles précités sont des dispositions « de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d'accord des parties auxdits contrats ».

S’agissant, d’une part, de l’application en cas d’accord des parties. Au plan strictement juridique, rien ne s’y oppose. D’autre part, pour ce qui est du caractère supplétif, la réponse est moins tranchée. Rappelons que le caractère supplétif est opposé à l’impératif, autrement dit à l’impossibilité de suppléer à la règle. Sur cette base, deux arguments peuvent être invoqués pour considérer que les parties disposent d’une liberté dans l’application des dispositions en causes. Premièrement, aux termes des articles précités, les honoraires sont fixés « selon les usages » [40] en fonction d’une liste de critères. Aussi, ne pourrait-on pas considérer que les usages confèrent aux parties une liberté quant aux choix des critères ? Deuxièmement, au sein de l’article 11.2 du RIN, il est fait emploi de l’adverbe « notamment » lors de l’exposé des éléments de rémunération, ce qui suggère que la liste puisse être complétée par les parties.

Dans ces conditions, si l’on qualifie les articles 10, al. 4, de la loi du 31 décembre 1971 et 11.2 du RIN de supplétifs, ces dispositions pourront servir de base à la rémunération de l’avocat pour les services rendus en dépit de l’annulation de la convention, dès lors qu’elles n’autorisent pas le juge à « fixer sur le fondement de sa propre estimation la rémunération due » [41].

Finalement, la solution rendue dans l’espèce commentée pourrait être d’une incidence relative pour le juge taxateur. Aujourd’hui, comme demain, l’absence de convention ne devrait pas interdire d’évaluer les honoraires sur la base des critères légaux.


[1] B. Chaffois, Compétence du juge de l’honoraire en matière de contrôle des clauses abusives, Lexbase Avocats, janvier 2023, com. sous : Cass. civ. 2, 27 octobre 2022, n° 21-10.739, F-B N° Lexbase : A21068RG

[2] J. Calais-Auloy, H. Temple, M. Depincé, Droit de la consommation, Dalloz, 10e éd., préface.

[3] Cass. civ. 2, 27 octobre 2022, n° 21-10.739. V. aussi : CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Gyõrfi N° Lexbase : A9620EHR ; C. Aubert de Vincelles, note, RDC, 2009, p. 1467 ; CJUE, 9 novembre 2010, aff. C-137/08, VB Pénzügyi Lízing Zrt c/ Ferenc Schneider N° Lexbase : A2073GEI ; C. Aubert de Vincelles, note, RDC, 2011, p. 504.

[4] CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21, D.V. N° Lexbase : A644187P.

[5] Pt. 32.

[6] Directive (CE) 93/13 DU CONSEIL du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, art. 4  N° Lexbase : L7468AU7 ; C. cons. art. L. 212-1, al. 3 N° Lexbase : L3278K9B.

[7] Communiqué de presse n° 10/23 rendu à propos de : CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21.

[8] Rappr. C. cons. L. 241-1, al. 2nd.

[9] CJUE, 30 avril 2014, aff. C-26/13, Arpad Kasler c/ OTP Jelzalogbank Zrt N° Lexbase : A6003MKK pt 85 ; RTD eur., 2014, 715 et 724, obs. C. Aubert de Vincelles ; CJUE, 14 mars 2019, aff. C-118/17, Zsuzsanna Dunai c/ Erste Bank Hungary Zrt. N° Lexbase : A6929Y3Z, pt 54.

[10] Communiqué de presse n° 10/23, préc..

[11] G. Chantepie ; N. Sauphanor-Brouillaud, Rép. civ., « Déséquilibre significatif », Janvier 2022, n° 71 (actualisation : novembre 2022).

[12] G. Paisant, Les clauses abusives et la présentation des contrats, D., 1995, p. 99 ; J. Rochfeld , Les clairs-obscurs de l’exigence de transparence appliquée aux clauses abusives, in Mélanges en l’honneur de Jean Calais-Auloy, 2004, p. 981.

[13] C. cons. L. 241-1, al. 2nd ; J. Julien, note sous : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.575, F-D N° Lexbase : A3438Z44, RDC, mars 2020, n°116t2, p. 62 et s..

[14] Directive 93/13, art. 5 ; C. cons., art. L. 211-11 N° Lexbase : L9656G87.

[15] C. cons., art. L. 211-11.

[16] C. cons., art. L. 241-1, al. 2nd.

[17] Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.575, F-D N° Lexbase : A3438Z44.

[18] Pt 36. Rappr. CJUE, 30 avril 2014, aff. C-26/13, Arpad Kasler c/ OTP Jelzalogbank Zrt N° Lexbase : A6003MKK pts 71 et s. ; CJUE, 20 septembre 2017, aff. C-186/16, Ruxandra Paula Andriciuc e.a. c/ Banca Româneasca SA N° Lexbase : A1685WS9, pt 44 ; CJUE, 20 septembre 2018, aff. C-51/17, OTP Bank Nyrt. c/ Teréz Ilyés N° Lexbase : A6897X7L, pts 73 et s..

[19] CJUE, 20 septembre 2017, aff. C-186/16, Ruxandra Paula Andriciuc e.a. c/ Banca Româneasca SA N° Lexbase : A1685WS9, §45 ; CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-224/19, CY c/ Caixabank SA N° Lexbase : A52833R4, § 67.

[20] CJUE, 10 juin 2021, aff. C-609/19, BNP Paribas Personal Finance SA c/ VE N° Lexbase : A00894W9 ; CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19, VB c/ BNP Paribas Personal Finance SA N° Lexbase : A00904WA, note. G. Cattalano, RDC, septembre 2021, n° 200f8, p. 73.

[21] Pt. 40.

[22] Pt. 44.

[23] Signalons en outre que la plupart des modèles de convention d’honoraires au temps passé contiennent déjà une clause mentionnant l’obligation pour l’avocat de communiquer périodiquement un relevé des diligences effectuées comprenant le temps qui y a été consacré : Convention d'honoraires sur la base d'un tarif horaire avec éventuellement un honoraire de résultat. Guide de rédaction n° 2 (CNB, 11 février 2020).

[24] C. Hélaine, Dalloz actualité, 17 janvier 2023, note sous : CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21.

[25] CJUE, 28 juillet 2016, aff. C-191/15, Verein für Konsumenteninformation c/ Amazon EU Sàrl N° Lexbase : A0121RY7.

[26] Pour un exposé exhaustif : G. Chantepie ; N. Sauphanor-Brouillaud, Rép. com. « Déséquilibre significatif », Janvier 2022 (actualisation : Novembre 2022), n°45 et s. ; M. Poumarède ; P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats 2021-2022, Dalloz action, 3221.54.

[27] Rappr. s’agissant de la commission d’un mandataire : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.575, F-D N° Lexbase : A3438Z44, note. J. Julien, préc..

[28] Pts. 59 et 68.

[29] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ, art. 10.

[30] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-19.709, F-P+B+I N° Lexbase : A9312XQX. S’agissant des critères : loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 10 ; décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, art. 10, 11 et 12 N° Lexbase : L6025IGA ; décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 174 et s. N° Lexbase : L8168AID.

[31] Pt. 60.

[32] Pt. 63.

[33] Décret n° 1R-85 du ministre de la Justice de la République de Lituanie du 2 avril 2004.

[34] Pt 64.

[35] CJUE, 30 avril 2014, aff. C-26/13, Arpad Kasler c/ OTP Jelzalogbank Zrt N° Lexbase : A6003MKK, pt 85 (RTD eur., 2014. 715 et 724, obs. C. Aubert de Vincelles) ; CJUE, 14 mars 2019, aff. C-118/17, Zsuzsanna Dunai c/ ERSTE Bank Hungary Zrt N° Lexbase : A6929Y3Z, pt 54.

[36] C. civ., art. 1178, al. 2, 3 N° Lexbase : L0900KZD.

[37] C. civ., art. 1352-8 N° Lexbase : L0742KZI.

[38] Y. Picod, Rép. civ. « Nullité », Juillet 2019 (actualisation : Octobre 2022), n° 177 et s..

[39] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-19.709, F-P+B+I N° Lexbase : A9312XQX.

[40] Souligné par nos soins.

[41] Selon la Cour de cassation ces critères sont « suffisamment précis et objectivables » : Cass. civ. 2, 25 janvier 2022, n° 21-40.024, F-D, QPC autres N° Lexbase : A86397K8. Il faut par ailleurs noter que le juge ne peut pas fixer les honoraires par des motifs généraux sans faire références aux critères de l’article 10 : Cass. civ. 2, 18 juin 2009, n° 08-15.375, F-D N° Lexbase : A3018EIM.

newsid:484148

Chômage

[Brèves] Assurance chômage : publication du décret organisant la modulation de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi

Réf. : Décret n° 2023-33, du 26 janvier 2023, relatif au régime d'assurance chômage N° Lexbase : L6647MGB

Lecture: 1 min

N4183BZX

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par Laïla Bedja

Le 01 Février 2023

► En application de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, et publié au Journal officiel du 27 janvier 2023, un décret du 26 janvier 2023 détermine les mesures réglementaires régissant l'indemnisation des demandeurs d'emploi, les contributions des employeurs au régime d'assurance chômage, et l'ensemble des autres mesures portant règlement d'assurance chômage.

Modulation de la durée d’indemnisation. Il introduit notamment une modulation de la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi en fonction de la situation du marché du travail, à l'exception de ceux des départements et collectivités d'outre-mer, ou relevant des régimes spécifiques des intermittents du spectacle, des marins pêcheurs, des ouvriers dockers occasionnels et des expatriés pour lesquels les règles actuelles relatives à leur durée d'indemnisation sont maintenues.

Cette modulation s'appliquera aux droits ouverts au titre des fins de contrat de travail intervenues à compter du 1er février 2023 (modification de l’article 9 du Règlement d’assurance chômage N° Lexbase : Z295748Q).

Modulation des contributions d’assurance chômage. Le texte prolonge également jusqu'au 31 août 2023 la première modulation des contributions d'assurance chômage (bonus-malus) qui a débuté le 1er septembre 2022 et établit la seconde deuxième période de modulation du 1er septembre 2023 au 31 août 2024.

newsid:484183

Contrats et obligations

[Brèves] Action rédhibitoire et action estimatoire : à défaut de décision passée en force de chose jugée, la liberté de choix

Réf. : Cass. civ. 1, 18 janvier 2023, n° 19-10.111, F-B N° Lexbase : A6066888

Lecture: 2 min

N4178BZR

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 30 Juin 2023

► Tant qu’il n’a pas été statué en garantie des vices cachés, l’acheteur a le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire ; l’acheteur peut donc modifier l’objet de sa demande en appel.

Jusque quand l’acquéreur mettant en œuvre la garantie des vices cachés peut-il opter pour l’action estimatoire ou pour l’action rédhibitoire ? Une fois le choix fait, est-il irrévocable ? C’est sur la question, consécutive à la liberté de choix entre ces deux actions consacrée par l’article 1644 du Code civil N° Lexbase : L9498I7W, que la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt du 18 janvier 2023.

Faits et procédure. En l’espèce, était en cause une voiture de luxe qui, après son achat, avait fait l’objet d’un échange. Appelé en garantie, le vendeur avait d’abord exercé l’action rédhibitoire avant d’opter pour l’action estimatoire devant la cour d’appel de renvoi (CA Caen, 1re ch. civ., 6 novembre 2018, n° 17/02969 N° Lexbase : A0942YK4), changement auquel s’était opposé le vendeur, mais qui fut admis par les juges du fond. Le vendeur a formé un pourvoi, considérant que ce changement constituait une nouvelle demande, et était par conséquent irrecevable en appel.

Solution. Le pourvoi est rejeté. « Dès lors qu’il résulte de l’article 1644 qu’en cas de défaut de la chose vendue, l’acheteur a le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire et peut, après avoir exercé l’une, exercer l’autre tant qu’il n’a pas été statué sur la demande par une décision passée en force de chose jugée ». Ainsi, l’abandon d’une voie au profit de l’autre ne constitue pas une nouvelle demande et peut donc être opéré en appel. La solution n’est pas nouvelle, mais le rappel est toujours utile (Cass. civ. 2, 11 juillet 1974, n° 73-10.415, publié au bulletin N° Lexbase : A0642CHA).

newsid:484178

Contrat de travail

[Brèves] Les chauffeurs Uber sont des salariés

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2023, n° 21-11.273, F-D N° Lexbase : A44209AX

Lecture: 5 min

N4196BZG

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par Lisa Poinsot

Le 01 Février 2023

Les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail ;

L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre ;

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

Faits et procédure. Contractuellement lié à la société Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat et enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, un chauffeur exerce son activité de transport de voyageurs par taxis en recourant à la plateforme numérique Uber.

Toutefois, la société Uber BV suspend son compte pendant 2 semaines au motif d’un taux d’annulation très élevé de ses courses avant de le réactiver.

Le chauffeur saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber BV en contrat de travail.

La cour d’appel  (CA Lyon, 15 janvier 2021, n° 19/08056 N° Lexbase : A63364CN) retient, tout d’abord, que certaines dispositions du contrat pourraient s’apparenter à l’exercice d’un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs :

  • celles relatives à la mise en place d’un itinéraire défini ;
  • celles relatives à l’obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu’ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur ;
  • celles relatives à l’obligation pour les chauffeurs d’attendre au moins 10 minutes qu’un utilisateur se présente sur le lieu convenu ;
  • celles relatives à l’engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d’utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l’hypothèse où ils seraient d’accord ;
  • celles relatives à l’obligation de ne pas transporter d’autre personne que l’utilisateur et à s’engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés ;
  • celles relatives à l’engagement du chauffeur de s’abstenir d’afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s’abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l’effigie ou aux couleurs d’Uber.

Néanmoins, ces dispositions du contrat pourraient s’apparenter à la préconisation de règles qui relèvent plus de la fixation d’un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d’une prestation plutôt que de la mise en œuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction.

Ensuite, la cour d’appel retient que la mention d’un tarif utilisateur fixé au moyen des algorithmes de la plateforme et sur lequel le chauffeur n’a aucune prise n’est que la conséquence découlant de la politique tarifaire de la société. En outre, cette situation n’est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d’une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d’ajuster le tarif, notamment si le chauffeur choisi un itinéraire inefficace.

Enfin, les juges du fond retiennent que la désactivation du compte du chauffeur pendant deux semaines ne résulte pas de l’exercice d’un pouvoir disciplinaire de la société dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu’il le souhaite en cliquant sur un bouton.

Sur ce point, ils relèvent que la société Uber possède cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive en vertu des conditions générales. Ils considèrent que cet élément non discuté par la société Uber, s’il peut certes constituer un indice de l’exercice d’un pouvoir de disciplinaire par un employeur, s’assimile tout aussi bien à la faculté d’un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu’il n’aurait pas respecté les termes de leur convention. Cet élément est alors insuffisant à caractériser de manière incontestable l’exercice d’un pouvoir disciplinaire.

En conséquence, la cour d’appel dit que le chauffeur n’est pas lié par un contrat de travail à la société Uber et le déboute de ses demandes.

Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant les solutions susvisées, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement de l’article L. 8221-6 du Code du travail N° Lexbase : L8160KGC, prévoyant une présomption de non-salariat en faveur des personnes immatriculées au RCS, et de la définition jurisprudentielle du lien de subordination.

La Haute juridiction considère que les éléments relevés par les juges du fond caractérisent l’existence d’un pouvoir de direction, d'un pouvoir de contrôle de l’exécution de la prestation ainsi que d’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, élément caractérisant un lien de subordination.

Pour aller plus loin :

  • confirmation : Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0887YN8 ; Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A95123GE et récemment Cass. crim., 5 avril 2022, n° 20-81.775, FS-B N° Lexbase : A21527SI et Cass. soc., 13 avril 2022, n° 20-14.870, FS-B N° Lexbase : A41167TM ;
  • v. aussi : ÉTUDE : Les critères du contrat de travail, Les présomptions de salariat et de non-salariat, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5006YZG.

newsid:484196

Droits d'enregistrement

[Jurisprudence] La cession d’usufruit de droits sociaux relève du seul droit fixe d’enregistrement de 125 euros

Réf. : Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-18.884, FS-B N° Lexbase : A45488WD

Lecture: 9 min

N4171BZI

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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA

Le 01 Février 2023

Mots-clés : droits d’enregistrement • usufruit • SCI • parts sociales • cession de participations

La Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois en faveur de la non application des droits d’enregistrement au taux proportionnel dans une affaire où la cession en cause portait sur l’usufruit de droits sociaux.

La Cour de cassation a souligné qu’une telle cession ne caractérise pas une mutation de la propriété de droits sociaux et qu’en conséquence, elle ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux au sens de l'article 726 du Code général des impôts (CGI) pour l’application des droits d’enregistrement. Cet arrêt est publié au bulletin de la Cour de cassation, marquant l’importance qu’elle entend lui conférer.


 

I. L’exposé du litige devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation

Au cas d’espèce, des associés d’une SCI avaient cédé en 2012, par actes sous seing privé, l’usufruit temporaire de parts sociales de cette SCI qu’ils détenaient, à une SAS. Cette cession était réalisée pour une durée fixe de vingt ans. À cette occasion, la SAS s’était acquittée du seul droit fixe de 125 euros prévu à l’article 680 du CGI N° Lexbase : L4356IXM. Précisons qu’à cette époque, les dispositions prévues à l’article 13,5 du CGI N° Lexbase : L9162LNN  en cas de première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire n’étaient pas encore applicables.

En 2015, l’administration fiscale a proposé une rectification en matière de droits d’enregistrement, soutenant que cette opération devait être soumise au droit d'enregistrement proportionnel de 5 % prévu à l'article 726, I, 2° du CGI N° Lexbase : L5598MAL. Pour l’administration, il ne faisait aucun doute que l’acte enfermait en réalité une cession de participation dans une personne morale à prépondérance immobilière.

Une réclamation contentieuse est formée par la SAS. Rejeté partiellement, le litige est porté devant les juridictions judiciaires. Le TGI de Paris a rendu un jugement le 8 novembre 2018 (TGI Paris, 8 novembre 2018, n° 16/08454), aux termes duquel il confirme l’application des droits d’enregistrement au taux proportionnel. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 juin 2020 (CA Paris, 29 juin 2020, n° 18/27154 N° Lexbase : A77473PM), a refusé de prononcer la décharge des impositions supplémentaires et a donc confirmé le jugement rendu en première instance dans toutes ses dispositions. La cour d’appel précise que le terme « cession », au sens de l’article 726 du CGI, comprend toutes les opérations de transmission, qu’elles soient temporaires ou définitives, portant sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci. Elle retient que l’opération a eu pour conséquence la perte pour les cédants, de leur droit au bénéfice des dividendes et de leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées.

II. La motivation de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, confirmant la position de la troisième chambre civile

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle en premier lieu que selon l’article 726 du CGI, « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement proportionnel ».

Elle rappelle également, au visa de l’article 578 du Code civil N° Lexbase : L3159ABM, « que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ».

Elle indique ensuite, tranchant une fois encore l’ancestral débat sur la reconnaissance de la qualité d’associé : « Il en résulte que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ».

La démonstration de la Cour de cassation s’achève ainsi, très sommairement. Nous retiendrons donc, pour l’application des droits d’enregistrement :

  • un usufruitier de parts sociales n’est pas un associé,
  • il n’est pas propriétaire de droits sociaux,
  • la cession d’un usufruit de parts sociales n’est donc pas une cession de droits sociaux,
  • les droits d’enregistrement aux taux proportionnels ne sont pas applicables en l’absence de cession de droits sociaux.

Cette décision intervient dans le prolongement d’un avis du 1er décembre 2021 de cette même chambre commerciale, sollicité le 23 juin 2021 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Avis, 1er décembre 2021, n° 20-15.164, FS-D N° Lexbase : A63597GM). Aux termes de cet avis, « La chambre commerciale est d'avis que : […] L'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé ».

Fort de cet avis, la troisième chambre civile souligne dans un arrêt du 16 février 2022 que « l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire » (Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-15.164, FS-B N° Lexbase : A33527NH).

Dans son arrêt du 30 novembre 2022, la Cour de cassation tire ainsi les conséquences, sur le plan fiscal, de ces décisions qui ont dénié la qualité d’associé à l’usufruitier de droits sociaux.

III. La portée de cet arrêt

En tout état de cause, l’arrêt tranche le cas de la cession du seul usufruit, qu’il soit viager ou consenti pour une durée fixe à notre avis. La solution ne serait toutefois aucunement transposable à la cession isolée de la nue-propriété, qui rappelons-le, confère la qualité d’associé aux termes des arrêts précités.

Au surplus, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt en la matière, le 4 janvier 2023 (Cass. com., 4 janvier 2023, n° 20-10.112, F-D N° Lexbase : A3566879).

Dans son nouvel arrêt du 4 janvier 2023, la Cour de cassation conclut pareillement, selon une rédaction strictement identique : « Il en résulte que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ».

A. Portée de l’arrêt pour les cessions réalisées antérieurement

Les arrêts du 30 novembre 2022 et du 4 janvier 2023 sont applicables immédiatement. Ces arrêts ouvrent une réelle opportunité pour fonder des demandes de restitution, pour tous les actes de cession d’usufruit de droits sociaux réalisés dans le délai général de réclamation où des droits d’enregistrement ont été indûment acquittés.

Précisons que le délai général de réclamation est prévu par l’article L. 196-1 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1919DAC. Les réclamations sont alors recevables jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant le versement des droits d’enregistrement. Toutes les opérations intervenant depuis 2021 et portant sur une cession d’usufruit de droits sociaux sont donc concernées.

En réalité, cela concernerait principalement les contribuables qui cèdent des usufruits viagers. L’article 13,5 du CGI, depuis son adoption, a réduit considérablement le nombre de cessions d’usufruit temporaire : en cas de première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire, la loi prévoit que le produit de cession, ou si elle est supérieure, la valeur vénale totale, ne relève plus du régime des plus-values mais de la catégorie de revenu à laquelle se rattache le revenu (exemple : revenu foncier pour une cession d’usufruit temporaire portant sur des titres de SCI). L’article 13,5 du CGI entraine donc dans de nombreux cas, des coûts fiscaux plus importants.

B. Portée de l’arrêt pour les cessions à venir

Malgré les arrêts précités des 16 février 2022, 30 novembre 2022 et 4 janvier 2023, l’administration fiscale n’a pas modifié, pour le moment, sa doctrine publiée au bulletin officiel des finances publiques.

Elle souligne toujours en effet, pour les besoins de la liquidation des droits d’enregistrement calculés au taux de 3 % sur les cessions de parts sociales, que « l’abattement de 23 000 euros s’applique aux cessions démembrées de droits sociaux » (BOI-ENR-DMTOM-40-10-20, §100 N° Lexbase : X3892ALQ).

Bien que cette position de l’administration fiscale ne concerne que la cession démembrée de parts sociales de sociétés qui ne sont pas à prépondérance immobilière, il est fort à parier que les services locaux appliqueront des droits d’enregistrement aux taux proportionnels aussi longtemps que la doctrine ne sera pas modifiée et pour toutes les cessions de droits sociaux démembrés relevant de l’article 726 du CGI (actions de sociétés, parts sociales de SCI ou d’autres sociétés).

Dans cette attente, le rédacteur d’actes devra observer la plus grande prudence et procéder à l’enregistrement des actes en prenant le soin d’appliquer les droits proportionnels à notre avis. Il appartiendra aux redevables d’adresser aux services fiscaux une réclamation contentieuse pour solliciter le dégrèvement et le remboursement des droits d’enregistrement, sous déduction du droit fixe de 125 euros. La contestation pourrait être portée par suite devant le tribunal judiciaire en cas de rejet de la réclamation. 

IV. Un regain d’intérêt pour les cessions d’usufruit viager ?

Bien évidemment, nous ne pouvons pas exclure l’intervention prochaine du législateur, qui pourrait opportunément modifier la loi afin de prévoir expressément une taxation aux droits d’enregistrement aux taux proportionnels des cessions d’usufruit de droits sociaux.

Avant une éventuelle et future modification de la loi et/ou de la doctrine de l’administration fiscale, les arrêts précités pourraient redonner un intérêt à réaliser de telles opérations, pourvu qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 13,5 du CGI et que les opérations ne révèlent pas un but exclusivement ou principalement fiscal au sens des articles L. 64 N° Lexbase : L9266LNI et L. 64 A N° Lexbase : L9137LNQ du LPF.

Il en serait ainsi des opérations suivantes, notamment, lesquelles ne seraient assujetties plus qu’à un droit fixe de 125 euros (après le succès d’une demande de restitution le cas échéant) :

  • les cessions sans terme fixe d'usufruit viager de droits sociaux, réalisées au bénéfice de personnes physiques,
  • les cessions sans terme fixe d'usufruit de droits sociaux préconstitué sur la tête du cédant antérieurement à la cession, réalisées au bénéfice de personnes morales (BOI-IR-BASE-10-10-30, §90 N° Lexbase : X5364APD). À noter que la cour d’appel de Paris a estimé que les cessions d’usufruit viager consenties pour une durée fixe de 30 ans ne relèvent pas du champ d’application de l’article 13,5 du CGI (CAA Paris, 5 octobre 2021, n° 20PA01257 N° Lexbase : A8034483). L’administration fiscale a toutefois une position contraire dans sa doctrine (BOI précité).

newsid:484171

Droit des personnes

[Brèves] Refus des autorités françaises de créer un « sexe neutre » à l’état civil : validation par le CEDH

Réf. : CEDH, 31 janvier 2023, Req. 76888/17, Y c/ France N° Lexbase : A95199AS

Lecture: 4 min

N4227BZL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 03 Février 2023

► Le refus des autorités françaises de remplacer la mention « sexe masculin » par la mention « sexe neutre » ou « intersexe » sur l’acte de naissance du requérant n’a pas violé l’article 8 de la CESDH.

Pour rappel, dans un arrêt largement médiatisé rendu le 4 mai 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation a relevé que la loi française ne permettait pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin, et donc de créer un sexe neutre comme le lui demandait l'auteur du pourvoi (Cass. civ. 1, 4 mai 2017, n° 16-17.189, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4276WBY ; v. A. Gouttenoire, Lexbase Droit privé, juin 2017, n° 700 N° Lexbase : N8491BWE).

L’intéressé, personne biologiquement intersexuée, a alors saisi la Cour européenne, qui a examiné l’affaire au regard de l’obligation positive de l’État défendeur de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée, et vérifié si étaient dûment mis en balance l’intérêt général et les intérêts de celui-ci. Il n'obtiendra pas gain de cause.

La Cour relève tout d’abord qu’un aspect essentiel de l’intimité de la personne se trouve au cœur même de l’affaire, dans la mesure où l’identité de genre y est en cause, et reconnaît que la discordance entre l’identité biologique du requérant et son identité juridique est de nature à provoquer chez lui souffrance et anxiété.

La Cour reconnaît ensuite que les motifs tirés du respect du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et de la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil, ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français, avancés par les autorités nationales pour refuser la demande du requérant, sont pertinents. Elle prend également en considération le motif tiré de ce que la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.

Après avoir relevé que la cour d’appel a considéré qu’accueillir la demande du requérant reviendrait à reconnaître l’existence d’une autre catégorie sexuelle et donc à exercer une fonction normative, qui relève en principe du pouvoir législatif et non du pouvoir judiciaire, la Cour note que le respect du principe de séparation des pouvoirs, sans lequel il n’y a pas de démocratie, se trouvait donc au cœur des considérations des juridictions internes.

Reconnaissant que, même si le requérant précise qu’il ne réclame pas la consécration d’un droit général à la reconnaissance d’un troisième genre mais seulement la rectification de son état civil, faire droit à sa demande aurait nécessairement pour conséquence que l’État défendeur serait appelé, en vertu de ses obligations au titre de l’article 46 de la Convention, à modifier en ce sens son droit interne, la Cour considère qu’elle doit elle aussi faire preuve de réserve en l’espèce.

En effet, lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle de décideur national. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’une question qui relève d’un choix de société. En l’absence de consensus européen en la matière, il convient donc de laisser à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, telles que le requérant, en matière d’état civil, en tenant dûment compte de la difficile situation dans laquelle elles se trouvent au regard du droit au respect de la vie privée en particulier du fait de l’inadéquation entre le cadre juridique et leur réalité biologique.

La Cour conclut que l’État défendeur, compte tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, n’a pas méconnu son obligation positive de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée, et qu’il n’y a donc pas en violation de l’article 8 de la Convention N° Lexbase : L4798AQR.

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Conformité à la Constitution des dispositions sur l’exonération d’IR des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1033 QPC, du 27 janvier 2023 N° Lexbase : A18689AG

Lecture: 2 min

N4151BZR

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par Marie-Claire Sgarra

Le 07 Février 2023

Les dispositions relatives à l’exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics sont conformes à la Constitution.

Que prévoient les dispositions en cause au litige ? Aux termes de l’article 80 duodecies du CGI N° Lexbase : L5199MAS, toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve de certaines dispositions. Une exonération d'impôt sur le revenu des indemnités perçues par les agents publics à raison de la rupture de leur relation de travail est prévue en cas de rupture conventionnelle de leur relation de travail, et non en cas de licenciement.

En l’espèce, le requérant soutenait devant le Conseil d’État que le dernier alinéa du 6° du 1 de l'article 80 duodecies du CGI, méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il limite, pour ce qui concerne les agents publics, le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu qu'il prévoit aux seules indemnités de rupture conventionnelle à l'exclusion des indemnités de licenciement (CE, 3°-8° ch. réunies, 16 novembre 2022, n° 467518, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A28208TM).

En premier lieu, en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé.

Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement.

Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

En second lieu, le législateur a défini les indemnités qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération. Les salariés du secteur privé et les agents publics étant, au regard des règles de licenciement, soumis à des régimes juridiques différents, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, réserver le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés.

Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

 

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Procédure administrative

[Panorama] Panorama de procédure administrative – année 2022 (seconde partie)

Lecture: 36 min

N4149BZP

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences en droit public, Université de Lorraine, directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 01 Février 2023

Pour consulter la permière partie de ce panorama, lire N° Lexbase : N4067BZN.

Sommaire

I. Le jugement

A. Les formes et formation de jugement

1) L’intervention du rapporteur public est une garantie fondamentale qui relève du domaine de la loi de l’article 34 de la Constitution 

B. Les pouvoirs du juge

1) L'injonction d'enlever une statue de la Vierge Marie implantée irrégulièrement par des personnes privées sur le domaine privé de la commune

2) L’entretien personnel d’un demandeur d’asile est une garantie essentielle insusceptible d'être compensée par l’office de plein contentieux de la CNDA 

3) La confirmation du glissement, en cassation, du contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires

C. Le contenu et les effets de jugement

D. L’exécution des décisions

1) Le pouvoir d'injonction du juge administratif ne peut, en matière de responsabilité, s'exercer de manière autonome par rapport à la demande d’octroi d'indemnités 

2) Nouvelle liquidation de l’astreinte pour l’inaction répétée de l’État en matière de pollution de l’air

II. Les voies de recours

A. Les voies de recours ordinaires : appel et cassation

1) Précisions sur les règles relatives à l’office du juge d’appel s’agissant de l’effet dévolutif de l’appel (n°455195) et de l’évocation (n°461418)

B. Les voies de recours extraordinaires

III. Les référés

A. Les référés ordinaires

1) Précisions sur l’articulation entre référé et QPC

2) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (au sens de CJA, art. L. 521-2)

B. Les référés extraordinaires

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er de la Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale 

IV. Le dialogue des juges

A. Le dialogue avec le juge constitutionnel

1) Ajustement de la jurisprudence du juge constitutionnel sur celle du juge administratif sur le contrôle des ordonnances non ratifiées

2) Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée et contraindre ainsi le législateur à légiférer 

B. Le dialogue avec le juge de l’Union

1) La méconnaissance de l’obligation de renvoi préjudiciel ne constitue pas une cause autonome de responsabilité de l’État


I. Le jugement

A. Les formes et formation de jugement


1) L’intervention du rapporteur public est une garantie fondamentale qui relève du domaine de la loi de l’article 34 de la Constitution (CE, 3°-8°ch. réunies, 12 mai 2022, n° 444994, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A82967W8)

L’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif N° Lexbase : L5719LWQ [1], a mis en place, dans le cadre du procès administratif et dans le contexte de la crise sanitaire, une dérogation temporaire pour l’intervention du rapporteur public [2]. Cette dispense temporaire concerne, non seulement, tous les contentieux mais aussi toutes les juridictions de l’ordre juridictionnel administratif. Il n’y avait, jusque-là, que des cas limitatifs en période de droit commun, le rapporteur public étant dispensé de prononcer ses conclusions lorsque des dispositions législatives le prévoyaient expressément [3] ou dans certains domaines fixés par décret en Conseil d’État [4]. De même, le Conseil d’État n’était pas concerné par ces dispenses ce qui est pourtant le cas dans la dispense temporaire en l’espèce [5]. Enfin, hors des cas limitativement prévus, le jugement est entaché d’irrégularité [6] s’il n’y a pas de prononcé des conclusions du rapporteur public même si l’irrégularité en question ne peut être relevé d’office par le juge [7]. Au-delà de ses éléments, les requérants, dans l’arrêt d’espèce, ont soulevé le moyen tiré de l’inconstitutionnalité des dispositions visant cette dispense générale et temporaire de rapport public en ce qu’elles seraient contraires au principe d’égalité devant la justice. Alors que, jusque-là, le Conseil d’État avait toujours admis implicitement que la dispense de conclusions relevait du pouvoir réglementaire [8], il va alors effectuer un revirement de jurisprudence en disposant que l’article L. 7 du Code de justice administrative N° Lexbase : L5749ICW prévoyant l’intervention du rapporteur public relève des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques au sens de l’article 34 de la Constitution N° Lexbase : L1294A9S [9]. Faisant application des évolutions récentes relatives au régime contentieux des ordonnances non ratifiées, le Conseil d’État en déduit qu’à défaut d’avoir présenté un mémoire distinct tendant à la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel, les requérants n’étaient pas recevables à soutenir que les dispositions litigieuses, de nature législative, étaient contraires au principe constitutionnel d’égalité devant la justice.

B. Les pouvoirs du juge


1) L'injonction d'enlever une statue de la Vierge Marie implantée irrégulièrement par des personnes privées sur le domaine privé de la commune (CE, 3°-8°ch. réunies, 11 mars 2022, n° 454076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A38327QY)

Dans la commune de Saint-Pierre d’Alvey, en Savoie, des particuliers ont fait réaliser, sur des fonds privés, une statue de la vierge Marie. D’une hauteur de 3,60 mètres, elle a été installée au sommet d’une colline sur le domaine privé de la commune. Estimant ce monument religieux attentatoire à la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation de l’Eglise et de l’État N° Lexbase : L0978HDL, des particuliers ont demandé au maire de la commune la dépose de cette statue. Ces particuliers ont saisi le tribunal administratif de Grenoble aux fins de faire annuler la décision de refus implicite du maire de faire droit à leur demande et l’enjoindre à déposer cette statue. Dans un tel cas de figure, les juridictions administratives constatent le plus souvent, eu égard à la loi de séparation de l’Eglise et l’État, l’illégalité des croix ou statues implantées sur les propriétés publiques (domaine public comme domaine privé). Ils ordonnent, par la suite et le plus souvent, leur enlèvement [10]. Les signes ou emblèmes religieux sur les emplacements publics sont interdits par la loi de séparation sauf pour les édifices servant au culte. Pour les juges, cette dérogation ne s’applique, dans le cas d’espèce, même si le terrain est, depuis le XVIIIe siècle, un lieu traditionnel de processions. La commune a soutenu devant les juges du fond que l’emplacement en question pouvait aussi être qualifié de « dépendance immobilière nécessaire » de l’Eglise. Argument également rejeté par le juge. L’interdiction ne se limite pas, enfin aux dépendances du domaine public mais s'applique aussi à celles du domaine privé (cas en l’espèce) sans forcément donner compétence au juge judiciaire puisque l’acte en cause (refus du maire) est un acte administratif. Restait l’injonction à enlever la statue appartenant non pas à la commune mais à des personnes privées. Si le maire a refusé estimant que le juge ne pouvait lui enjoindre d’enlever une statue appartenant à des personnes privées, il faut noter que les règles posées par le Code civil, s’appliquent à toute propriété, privée ou publique.  Selon, ces règles la commune est bien propriétaire de la statue [11] tout comme elle a le droit de faire enlever l’objet du litige [12]. Comme le résume le Conseil d’État, qui reprend ces deux points, « la commune, propriétaire de la parcelle, est devenue propriétaire de la statue édifiée par des tiers sur celle-ci » et peut « la déplacer elle-même ou requérir de ces tiers qu’ils la déplacent » (point 9). Le juge administratif semble, ainsi, s’orienter vers une interprétation plus stricte des exceptions au principe de séparation [13] alors qu’il faisait jusque-là et semble-t-il, preuve plutôt de souplesse [14].


2) L’entretien personnel d’un demandeur d’asile est une garantie essentielle insusceptible d'être compensée par l’office de plein contentieux de la CNDA (CE, 9°-10° ch. réunies, 24 février 2022, n° 453615 N° Lexbase : A03297PU et n° 453267 N° Lexbase : A05377PL, mentionnés aux tables du recueil Lebon)

Le juge de l’asile est un juge du plein contentieux [15]. Même si le directeur général de l’OFPRA établit des décisions reconnaissant la qualité de réfugié [16], octroyant la protection subsidiaire [17] ou déboutant le demandeur, la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) ne statue pas, en principe, sur la légalité de cette décision. Saisie d’un recours de plein contentieux, il lui appartient seulement « de se prononcer elle-même sur le droit de l’intéressé à la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire d’après l’ensemble des circonstances de fait et de droit qui ressortent du dossier soumis à son examen et des débats à l’audience » [18]. Pour autant, lorsque le droit de l’étranger à un entretien personnel a été méconnu, le juge peut annuler la décision administrative plutôt que d’exercer son pouvoir de substitution [19] dans la mesure où le demandeur d’asile est, dans ce cas, privé d’une garantie fondamentale [20]. C’est la décision « Office français de protection des réfugiés et apatrides contre Yarici » [21] qui est venu consacrer cet état du droit alors que, jusque-là, il était impossible, pour le juge, d’annuler la décision de l’OFPRA lorsque l’entretien personnel n’avait pas eu lieu. L’annulation permet, au contraire de la réformation, à ce que la procédure soit de nouveau mise en œuvre avec toutes les garanties qui s’y trouvent attachées.

Les trois arrêts commentés viennent préciser la portée de la décision de 2013. La première espèce (n° 453267) concerne l’hypothèse dans laquelle l’entretien préalable n’a pas eu lieu du fait d’un dysfonctionnement des services postaux : la convocation à l’entretien est bien adressée mais elle n’est pas reçue du fait de ce dysfonctionnement. Le juge estime qu’une telle défaillance doit être regardée comme imputable à l’OFPRA, tout comme le défaut d’audition qui en résulte. La seconde espèce (n° 453615) concerne l’absence d’enregistrement sonore de l’entretien qui s’est déroulé devant l’OFPRA. Le juge opère, ici, une gradation dans les vices et indique que tout vice n’est pas opérant, il faut, pour pouvoir avoir cette qualité, que la « substance » même de la garantie soit atteinte [22]. La troisième espèce (n° 449012) concerne l’hypothèse dans laquelle un mineur n’a pas bénéficié de l’assistance de son représentant pour un entretien personnel. Très logiquement, cette situation est regardée par le Conseil d’État comme une atteinte grave au droit à un entretien personnel [23] et, par suite, comme une irrégularité justifiant l’annulation de la décision prise par l’OFPRA et le renvoi de l’intéressé devant cet organisme. Et, ceci, dans le sens ou peu importe que le mineur soit très proche de la majorité et qu’il aura l’âge de 18 ans avant qu’une décision ne soit prise en première instance.


3) La confirmation du glissement, en cassation, du contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires (CE, Sect., 30 décembre 2022, n° 465304 N° Lexbase : A152487L)

Un professeur des universités a été révoqué de la fonction publique par la juridiction disciplinaire de première instance des enseignants-chercheurs [24] en raison de son implication dans une affaire ayant défrayé la chronique en 2018 qui concernait une évacuation violente d’étudiants occupant un amphithéâtre de l’université de Montpellier en 2018.  Sa sanction a été allégée en appel et ramenée à une interdiction d’exercer ses fonctions pendant quatre ans, avec privation de son traitement. Le Conseil d’État, saisi en cassation, juge cette dernière sanction trop faible au regard des fautes commises par cet enseignant-chercheur lors de ces événements. Il annule la sanction et renvoie l’affaire à la juridiction disciplinaire d’appel [25] pour qu’elle se prononce à nouveau sur les agissements du professeur. L’arrêt d’espèce confirme, en cassation, le glissement vers ce qu’on peut appeler un contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires. Ce glissement a débuté par suite de la décision d’assemblée « Bonnemaison » en 2014 [26] où, si le Conseil d’État rappelle que le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise.

Ce nouveau contrôle avait été très difficilement apprécié en doctrine. On a pu parler de « contrôle intermédiaire entre dénaturation et qualification juridique » [27] ou « d’un contrôle de l'erreur manifeste dans la qualification juridique des faits opérée par le juge du fond » [28]. Une nouvelle jurisprudence s’est dégagée à la suite de cette décision. Plusieurs sanctions ont été jugées comme n’étant pas disproportionnées comme la sanction de la révocation d’un instituteur qui a été condamné pénalement pour des faits d’appel téléphonique malveillants et répétés [29], comme celle d’un agent s’étant livré à du harcèlement moral durant une longue période sur plusieurs agents placés sous son autorité [30] ou encore comme celle d’un professeur des universités ayant eu un comportement inapproprié à l’égard de jeunes étudiantes en particulier sur des réseaux sociaux [31]. Des sanctions ont également été jugées comme étant hors de proportion avec les fautes commises en raison de leur caractère insuffisant comme la mise à la retraite d’office d’un enseignant condamné à deux ans de prison avec sursis pour l’agression sexuelle de deux mineurs, âgés de quatorze ans, commise en dehors de son activité d’enseignant [32]. En l’espèce la sanction est jugée trop faible en raison de la condamnation pénale de l’intéressé par le tribunal correctionnel, condamnation eu égard à sa participation directe et au caractère prémédité des violences commises par l’enseignant et eu égard à certains antécédents ayant faits l’objet, par le passé, d’une condamnation pénale pour des faits de violences.

C. Le contenu et les effets de jugement

(…)

D. L’exécution des décisions


1) Le pouvoir d'injonction du juge administratif ne peut, en matière de responsabilité, s'exercer de manière autonome par rapport à la demande d’octroi d'indemnités (CE, avis, 12 avril 2022, n° 458176, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A41537TY)

Le juge administratif a admis, en 2015 [33], que le juge du plein contentieux, lorsqu’il est saisi d’un recours en responsabilité, a le pouvoir d’ordonner à l’administration de mettre fin à un comportement fautif ou d’en pallier les effets si ce comportement et le préjudice qu’il génère perdurent à la date à laquelle il se prononce. Ce pouvoir a été reconnu dans la mesure où le recours en responsabilité relève de la pleine juridiction et il apparaissait que les conclusions à fin d'injonction pouvaient être présentées à titre autonome, donc sans demande de dommages et intérêts dans la mesure où l’idée première du juge était d’offrir à la victime du dommage deux moyens d’y remédier. Dans l’avis contentieux d’espèce, le Conseil d’État a, paradoxalement et sur conclusions contraires de son rapporteur public, considéré qu’il n’était pas possible d’envisager les deux actions de manière autonome. Les conclusions à fin d’injonction ne peuvent être présentées à titre principal alors qu’aucune demande indemnitaire n’est formée. Comme certains l’ont fait remarquer, « juridiquement, cette solution ne s’imposait pas car, du point de vue de sa nature, une injonction de faire cesser un préjudice ne constitue pas le complément du versement de dommages et intérêts. L’indemnisation du préjudice et la cessation de celui-ci constituent deux modalités distinctes ; la première ne représente pas une conséquence ni même un prolongement de la seconde » [34]. En tout état de cause, le demandeur doit donc prendre soin, après demande préalable, de présenter au juge une demande indemnitaire, même si son objectif premier est d’obtenir de l’Administration qu’elle fasse cesser l'origine du dommage.

2) Nouvelle liquidation de l’astreinte pour l’inaction répétée de l’État en matière de pollution de l’air (CE, 5°-6° ch. réunies, 17 octobre 2022, n° 428409, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A60008PW)

Les dispositions de la Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe N° Lexbase : L9078H3M [35] prévoient  des obligations à l’égard des États membres en matière de prévention de la pollution de l’air. A cet égard, elle fixe des valeurs limites de polluants dans l’air qui ne doivent pas être dépassées. En cas de dépassement, elle impose, alors, aux États membres de prendre des mesures de nature à faire cesser les pollutions. Dans ce cadre, il leur revient d’établir, pour les zones concernées, des plans de nature à réduire les pollutions en deçà des seuils limites dans un délai qu’ils fixent. Au-delà de ce délai, les plans doivent alors prévoir des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit « la plus courte possible ». Dans une décision en date du 12 juillet 2017 [36], le Conseil d’État a, dans le prolongement de l’arrêt du juge de l’Union, « Client Earth » [37], jugé que les dispositions de la directive imposent une obligation de résultat à l’État en matière de respect des valeurs limites de polluants dans l’air. Il a alors enjoint au Premier ministre ainsi qu’au Ministre chargé de l'Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par la directive, et ce, dans plusieurs zones en particulier. Si la France a aussi été condamné par le juge de l’Union, deux ans plus tard, en 2019, pour méconnaissance de la directive-cadre sur l’air s'agissant du dioxyde d'azote [38], le Conseil d’État a pris acte, au surplus, de l’inexécution complète de la décision de 2017 et a enjoint de nouveau à l’Etat d’agir en prononçant, cette fois, une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date d’exécution complète de sa décision [39]. Le 4 août 2021, le Conseil d’Etat procède à la liquidation de l’astreinte et condamne l’État à payer les 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021, observant que les seuils limites restaient dépassés dans cinq zones [40].

C’est à une seconde condamnation que procède l’arrêt d’espèce à hauteur de 20 millions d’euros cette fois, cinq ans après la première décision, le juge estimant que celle-ci n’a toujours pas été complètement exécutée. Avec la précédente condamnation du 4 août 2021 et alors que la France a, de nouveau, été condamné par le juge de l’Union pour méconnaissance de la directive-cadre de 2008 mais, cette fois, à propos des particules fines PM10 [41], l’État a donc déjà été condamné à débourser 30 millions d’euros au total. La liquidation de l’astreinte de 20 millions est répartie entre les mêmes bénéficiaires qu’en 2021. Comme en 2021, seule la requérante initiale se voit attribuer une fraction de la somme (50 000 € pour 2 semestres au lieu de 100 000 € pour un semestre en 2021). Comme l’astreinte n’a pas de fonction indemnitaire, les autres requérants ne perçoivent rien, le solde restant étant versé à quatre établissements publics de l’État [42]. Si cette nouvelle étape du contentieux est marquante, d’autres décisions sont à venir puisque le Conseil d’État a déjà annoncé, dans son communiqué de presse, qu’il réexaminera en 2023 les actions de l’État menées de juillet 2022 à janvier 2023. De plus, dans un arrêt du 29 janvier 2021 [43], la cour administrative d’appel de Versailles a demandé au juge de l’Union si les particuliers pouvaient solliciter une indemnisation de l’État pour des préjudices de santé résultant de dépassements des valeurs limites de concentration en NO2 et en PM10 fixées par les normes du droit de l’Union. Dans son arrêt rendu le 22 décembre 2022 [44], la CJUE répond par la négative, les directives européennes fixant des normes pour la qualité de l’air ambiant n’ayant pas, comme telles, pour objet de conférer des droits aux particuliers dont la violation serait susceptible de leur ouvrir un droit à réparation. Affaire à suivre.

II. Les voies de recours

A. Les voies de recours ordinaires : appel et cassation


1) Précisions sur les règles relatives à l’office du juge d’appel s’agissant de l’effet dévolutif de l’appel (n°455195) et de l’évocation (n°461418) (CE, 1°-4° ch. réunies, 7 novembre 2022, n° 455195, N° Lexbase : A01258SG et n° 461418 N° Lexbase : A01228SC, mentionnés aux tables du recueil Lebon)

Dans son contrôle, le juge d’appel est susceptible d’exercer deux techniques : celle de l’évocation ou celle de l’effet dévolutif. Le juge d’appel procède à l’évocation, dans le premier cas, quand, après l’annulation d’un jugement, il décide, lui-même, de régler le litige. L’évocation lui permet de ne pas se prononcer en tant que juge d’appel et de se transformer en juge de première instance dans le but de procéder à nouvel examen du litige, il peut être amené à annuler le jugement et, en conséquence, à « reprendre » le litige dans l’état où celui-ci s’est présenté aux juges de première instance. Son office dans l’évocation est, cependant, encadré puisque, pour évoquer, le juge doit être saisi par l’une des parties, soit de conclusions à fin d’évocation, soit de conclusions relatives au fond du litige. L’arrêt d’espèce (n° 461418) vient ajouter une limite supplémentaire dans la mesure où le Conseil d’État décide que, dès lors qu’un jugement de première instance a été annulé pour défaut de réponse à un moyen, cette irrégularité n’affecte qu’une partie divisible du jugement, ce qui implique l’impossibilité d’annuler, pour ce motif, une partie du jugement non affectée par cette irrégularité, ou de l’examiner par la voie de l’évocation.

Dans le second cas sur la question de l’effet dévolutif, il faut rappeler que l’office du juge d’appel est doublement limité par ce qui a été jugé et par ce qui est appelé. Sous ces réserves, l’effet dévolutif permet de saisir le juge d’appel de l’ensemble du litige. Ce dernier doit statuer sur l’ensemble des moyens tels que les parties les lui présentent. La mise en œuvre de ces principes n’est toutefois pas évidente lorsque les juges de première instance ont rejeté un recours après une neutralisation de motifs. L’arrêt d’espèce (n° 455195) répond à cette difficulté en disposant que lorsqu’une décision administrative repose sur plusieurs motifs, le juge d’appel, s’il remet en cause le ou les motifs qui n’ont pas été censurés en première instance, doit apprécier la légalité des autres motifs fondant cette décision. La présente décision confirme le caractère élastique de la dévolution, tout en préservant sa cohérence. Si le juge d’appel ne doit pas systématiquement réexaminer les motifs neutralisés par les premiers juges, il en a cependant l’obligation lorsqu’il entend remettre en cause les motifs que ces derniers ont validés.

B. Les voies de recours extraordinaires

         (…)

III. Les référés

A. Les référés ordinaires

1) Précisions sur l’articulation entre référé et QPC (CE, 5°-6° ch. réunies, 28 janvier 2022, n° 457987, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A97567KK ; CE, 5°-6° ch. réunies, 1er février 2022, n° 457121, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A12747LR)

La QPC peut être soulevée à l’occasion d’un référé [45] mais le juge saisi n’est pas tenu de l’examiner lorsque le référé auquel est annexée cette QPC est rejeté pour incompétence, irrecevabilité ou défaut d’urgence [46]. L’urgence commande, en effet, la célérité et il y a ici un souci d’économie. Dans cette logique, l’examen de la QPC est sans incidence sur la solution puisque le rejet conduit le juge des référés à ne pas se prononcer sur les prétentions du requérant [47]. La 1ère espèce (n°457987) confirme que le rejet dispense le juge d’avoir à examiner la QPC et emporte refus de la transmettre, sans motivation, que ce soit à la juridiction supérieure si la question est formulée dès la première instance ou au juge constitutionnel si elle l’est, pour la première fois, devant le Conseil d’État. La seconde espèce concerne le rejet du pourvoi en cassation formé contre l’ordonnance de référé. Ce rejet revient à valider le défaut d’urgence, l’incompétence ou l’irrecevabilité et emporte donc, en conséquence, un refus de transmettre la QPC sans même que le juge de cassation ait à l’examiner.


2) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (art. L. 521-2 CJA) (CE, 2°-7°, ch. réunies, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A67548IY)

La notion de « libertés fondamentales » au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT a été définie de manière largement prétorienne et fonctionnelle. Le juge en a profité pour élargir et enrichir la notion au-delà du noyau dur des libertés ou de la distinction entre droits-libertés et droits-créances et y inclure des libertés dont les titulaires ne sont pas des particuliers comme la libre administration des collectivités territoriales [48] ou un objectif à valeur constitutionnelle tel le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion [49]. Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré dans l’arrêt d’espèce comme liberté fondamentale, serait, d’après le Conseil d’État, la 39ème liberté protégée dans le cadre du référé-liberté. Outre l’importance notable d’une telle décision en matière de protection de l’environnement [50], il est confirmé, qu’en dehors de quelques exceptions, les libertés fondamentales trouvent leur fondement dans la Constitution puisque le juge se réfère directement à l’article 1er de la Charte de l’environnement [51]. Les contours de cette nouvelle liberté apparaissent comme étant plutôt larges et amèneront, peut-être, le juge à revoir son appréciation sur certains droits qui n’ont pas été élevés, en raison de leur généralité, au rang de libertés fondamentales [52]. Si une telle consécration suscite d’importants espoirs, sa portée pourrait être plus restreinte eu égard à l’application des conditions du référé-liberté en matière environnementale et à l’existence de nombreuses voies alternatives. Il y a, à ce sujet dans l’arrêt d’espèce, des conditions assez restrictives qui sont posées pour faire valoir l’atteinte à cette liberté fondamentale.

Ainsi, la personne doit justifier, « au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique ». De surcroît, il lui appartient « de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ». Enfin, dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée « au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ». Cette dernière précision ne suffisant pas, il est aussi posé, selon une formule désormais classique, que « compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés […], les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises ». La mise en œuvre de ces conditions conduit d’ailleurs, après cassation, à rejeter la demande des requérants et attestent qu’elles devraient suffire, à l’avenir, à freiner les velléités contentieuses.

           

B. Les référés extraordinaires

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er de la Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (CE, 2°-7° ch. réunies, 10 février 2022, n° 456503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A09757NG)

C’est le décret du 30 décembre 2019 [53] qui institue le référé « secret des affaires » afin de prévenir toute violation du secret des affaires et donc toute partialité d’une procédure de passation en matière de commande publique. L’article R. 557-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4168LUW prévoit ainsi, notamment, qu’un candidat qui participe à une consultation publique est en droit d’obtenir du juge du référé secret des affaires toutes mesures provisoires et conservatoires afin de prévenir une « atteinte imminente » ou « faire cesser une atteinte illicite » à un secret des affaires de son entreprise. Les pouvoirs du juge sont, dans ce cadre, très étendus, ce dernier peut, en effet, « prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée ». Il peut aussi prononcer une astreinte. Sont également mentionnées l’ensemble des mesures figurant à l’article R. 152-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9241LTG [54]. Jusqu’à la décision d’espèce, très peu de décisions peuvent être relevées pendant les deux premières années d’existence du référé [55]. Le recours contre l’une d’elle, le pourvoi contre une ordonnance du tribunal administratif de la Guadeloupe, a donné lieu, en l’espèce, à la première décision du Conseil d’État en la matière.

Dans l’affaire en cause, un CHU a confié à un prestataire privé une mission d’assistance pour la passation de marchés d’assurance. L’une des sociétés candidates a toutefois demandé au juge des référés d’interdire l’accès de ce prestataire aux documents déposés par les candidats en alléguant qu’un risque existait qu’il les transmette à un autre soumissionnaire avec lequel, d’après elle, il entretiendrait des liens. La réponse du Conseil d’État remet, quelque part, en cause l’intérêt même de la procédure puisqu’il juge que l’existence de relations étroites entre le prestataire privé et une société concurrente « ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires dès lors que la société […] ainsi que son dirigeant et ses personnels sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité dans le cadre de leur mission d’assistance au maître de l’ouvrage ». Comme le note Philippe Rees, « c’est donc à un niveau bien élevé que le Conseil d’État place le curseur de ses exigences pour caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires. Élevé, voire impossible, s'agissant des procédures de commande publique, où les personnes ayant accès aux offres ne peuvent, par définition, qu'être toutes tenues à une obligation de confidentialité » [56]. Pour le Conseil d’État, une passation soulevant une difficulté au regard du secret des affaires doit pouvoir être censurée en référé précontractuel dans des cas où les conditions posées pour la mise en œuvre d’un référé « secret des affaires » ne seraient pas remplies ce qui revient à dire que « c’est à l’acheteur et à lui seul de mener en amont l’ensemble des investigations qui doivent lui permettre de s’assurer de l’impartialité de sa procédure d’achat » [57].

IV. Le dialogue des juges

A. Le dialogue avec le juge constitutionnel

1) Ajustement de la jurisprudence du juge constitutionnel sur celle du juge administratif sur le contrôle des ordonnances non ratifiées (Cons. const., décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022 N° Lexbase : A30117ID)

Voir Supra le commentaire de la jurisprudence CE, Sect., 19 juillet 2022, n° 453971.

2) Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée et contraindre ainsi le législateur à légiférer (CE, 1°-4° ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 465977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A52368NA)

A un moment où le Comité consultatif national d'éthique a relancé le débat sur l’aide active à mourir [58] et alors que le juge constitutionnel s’était déjà  prononcé sur une QPC transmise par le Conseil d’État à l’occasion d’une affaire dans laquelle des directives anticipées indiquant une volonté de maintien des soins avaient été écartées [59], l’association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement » a demandé au juge administratif de renvoyer au juge constitutionnel les articles L. 1110-5 N° Lexbase : L4249KYZ et L. 1110-5-3 N° Lexbase : L4210KYL du Code de la santé publique au motif qu’ils porteraient atteinte au « droit de mourir » dans la dignité en s’abstenant de garantir la possibilité pour chacun de mettre fin à ses jours « en dehors de toute situation d’obstination déraisonnable ou de fin de vie ». Les textes en cause n’ayant pas pour objet de reconnaître le droit de chacun de mettre fin à ses jours « au moment de son choix ». Tout en rappelant que le juge  constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le dispositif « Claeys-Leonetti » instauré par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie N° Lexbase : L4191KYU [60], le Conseil d’État estime que le grief tiré de l’incompétence négative du législateur « ne peut être utilement soulevé [qu’]à la condition de contester les insuffisances du dispositif [...], la [QPC n’étant pas] destinée [...] à contraindre le législateur de légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée ». Beaucoup se sont indignés quant à la non-transmission de la QPC, la réforme sur la fin de vie s’imposant en raison des normes constitutionnelles de notre pays et le juge administratif empêchant le juge constitutionnel de s’exprimer à ce propos. La décision du Conseil d’État arrive bien à propos. Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, qu’à de strictes conditions. La solution avait déjà été dégagée dans une décision du 12 février 2021 [61], trouvant son inspiration dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel [62]. Un tel grief peut viser « à contester les insuffisances du dispositif instauré par les dispositions législatives litigieuses » mais « pas à revendiquer la création d’un régime dédié ». Le Conseil d’État se veut ici l’allié du Conseil constitutionnel qui ne saurait être l’équivalent de la Cour suprême des États-Unis. Le juge constitutionnel est un allié du législateur, la censure des lois existe mais que par rapport aux normes constitutionnelles.   

B. Le dialogue avec le juge de l’Union


1) La méconnaissance de l’obligation de renvoi préjudiciel ne constitue pas une cause autonome de responsabilité de l’État (CE, 9°-10° ch. réunies, 1er avril 2022, n° 443882, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A10307SX)

L’arrêt d’espèce constitue une étape supplémentaire dans le dialogue récent et contrasté entre juge de l’Union et juge administratif. Dans ce dialogue « rugueux » [63], le Conseil d’État sort les griffes et, en dépit du principe de primauté du droit de l’Union, affiche son indépendance de principe. L’arrêt fait suite à une série de refus net opérés par les juges français du palais Royal quant à l’application de l’interprétation du juge de l’Union comme à travers l’arrêt « French Data Network et autres » [64] sur la question de la protection des données sur Internet. Le juge constitutionnel a suivi son homologue dans cette vision des choses en mettant en avant le fait que « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Si ces principes avaient été mentionnés à l’origine dès 2006 [65], ils n’ont que récemment été, pour l’un d’eux, identifiés de manière concrète [66]. Dans le même ordre d’idée et toujours pour rappeler son indépendance de principe, le Conseil d’État a jugé, en 2020, que la responsabilité du fait de l’activité des juridictions en cas de méconnaissance du droit de l’Union était limitée aux cas de fautes lourdes et qu’elle relevait du juge administratif, le Conseil d’État devenant ainsi juge et partie ce qui forcément soulève des questions sur l’indépendance et l’impartialité du juge en la matière [67].

Dans la poursuite de ce dialogue compliqué, le juge de l’Union a, fin 2021, mis à jour deux arrêts importants tentant de démanteler les dispositifs nationaux anti-questions préjudicielles [68]. C’est à ces arrêts que répond matériellement le juge administratif en l’espèce. Le Conseil d’État y fait certaines concessions comme le fait d’admettre que, pour les fautes qu’il pourrait éventuellement commises dans l’application du droit de l’Union, il devait s’auto-juger avec une formation différente et qu’il devait, en tous les cas et à chaque fois, justifier d’un non-renvoi de question préjudicielle. Cela ne l’a pas empêché, néanmoins et par la suite, de renforcer sa position en excluant le fait que la violation de l’obligation de renvoi préjudiciel puisse être « une cause autonome d’engagement de la responsabilité » de l’État et en excluant, également, l’existence de tout droit subjectif pour le justiciable à ce qu’une telle question préjudicielle soit posée. En ce sens, le dialogue entre juges français et européens peut, effectivement, apparaitre, parfois, comme étant « rugueux et sans complaisance » [69], mais cela peut s’avérer nécessaire pour maintenir certains équilibres et préserver, au final, ce dialogue si important.


[1] Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif N° Lexbase : L5719LWQ.

[2] En l’occurrence, l’article 8 de l’ordonnance disposait que le « président de la formation de jugement pouvait dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer à l’audience des conclusions sur une requête ».

[3] La dérogation est ici obligatoire, il en va ainsi des procédures devant le juge des référés (CJA, art. L. 522-1 N° Lexbase : L5687ICM), du contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage (CJA, art. L. 779-1 N° Lexbase : L3776IRB), de certains contentieux liés au droit des étrangers telle que l’obligation de quitter le territoire (CESEDA, art. L. 614-5 N° Lexbase : L3645LZZ), ou encore du contentieux du droit au logement opposable (CCH, art. L. 441-2-3-1 N° Lexbase : L1707MAH).

[4] La dérogation est ici facultative, l’article R. 732-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4865IRM énumérant les contentieux qui peuvent faire l’objet d’une dispense du prononcé de conclusions (les contentieux du permis de conduire, du refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice, de la naturalisation, de certains impôts telles que la taxe d’habitation et la taxe foncière, de certaines prestations sociales, ou encore de l’entrée, du séjour, de l’éloignement des étrangers, à l’exception des expulsions).

[5] Alors que les dispenses facultatives de l’art. R. 732-1 du Code de justice administrative ne concernent que les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les dispenses envisagées par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 précité concernent « l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif » (art. 1). Il y a alors dérogation à l’article R. 733-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L7253LYB qui prévoit, expressément, qu’au Conseil d’État « après le rapport, le rapporteur public prononce ses conclusions ».

[6] CE, 23 octobre 2014, n° 372298 N° Lexbase : A0671MZU.

[7] CE, 15 octobre 2014, n° 365074 N° Lexbase : A6671MYQ, AJDA, 2014, p. 2030, obs. C. Biget.

[8] CE, 20 octobre 1982, n° 29501 N° Lexbase : A8598AKN ; CE, 17 avril 1989, n° 58150 N° Lexbase : A0721AQR.

[9] Dans une décision rendue quelques semaines plus tôt, le Conseil d’État avait déjà précisé que les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance « sont législatives » : CE, 6 avril 2022, n° 440715 N° Lexbase : A02827TM.  

[10] Par ex., pour une statue de Jean-Paul II édifiée sur une place publique : CE, 25 octobre 2017, n° 396990 N° Lexbase : A6295WW3, JCP éd. A, 2017, n° 2277, note H. Pauliat, DA, 2018, comm. 7, note G. Eveillard.

[11] En vertu de l’article 552 du Code civil N° Lexbase : L3131ABL, « toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir [...] ».

[12] Selon l’article 555 du Code civil N° Lexbase : L3134ABP, « lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, [...] soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever ».

[13] Voir, notamment CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 22NT00333 N° Lexbase : A23478IR où la cité balnéaire vendéenne annoncé un pourvoi en cassation après que le juge d’appel  ai rejeté son recours contre un jugement du tribunal administratif de la même ville enjoignant à son maire de procéder à l’enlèvement d’une statue de l’archange Saint-Michel installée en 2018 devant une église à la suite de la fermeture de l’école confessionnelle dont elle était le symbole.

[14] Par ex., pour l’installation des crèches de Noël dans des emplacements publics : CE, ass., 9 novembre 2016, n°395122 N° Lexbase : A0617SGX, Commune de Melun contre Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, Lebon, concl., D., 2016, p. 345, édito. N. Dissaux, AJCT, 2019, p. 489, étude A. Fitte-Duval, RFDA, 2017, p. 127, note J. Morange.

[15] CE, Sect., 8 janvier 1982, n° 24948 N° Lexbase : A2020ALE, Rec. CE, p. 9, AJDA, 1982, p. 662, note F. Julien-Laferrière, D. 1983, p. 239, obs. P. Delvolvé. Voir, par la suite, CESEDA, art. L. 532-2 N° Lexbase : L3556LZQ.

[16] CESEDA, art. L. 511-1 N° Lexbase : L3393LZP.

[17] CESEDA, art. L. 512-1 N° Lexbase : L3405LZ7.

[18] CE, Sect., 8 janvier 1982, n° 24948 N° Lexbase : A2020ALE.

[19] Ce droit, posé par les textes européens (voir Conseil UE, Directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, art. 14, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD et Conseil UE, Directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 N° Lexbase : L9965HDG, art. 12, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), a été repris dans les art. L. 531-12 N° Lexbase : L3443LZK à L. 531-21 du CESEDA.

[20] Voir en ce sens, CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-517/17, Addis N° Lexbase : A57113RX, où l’objectif de l’entretien personnel est de s’assurer « que le demandeur a été invité à fournir, en coopération avec l'autorité responsable de cet entretien, tous les éléments pertinents pour apprécier la recevabilité et, le cas échéant, le bien-fondé de sa demande de protection internationale, ce qui confère à cet entretien [...] une importance primordiale » (point 70).

[21] CE, 10 octobre 2013, n° 362798 N° Lexbase : A7254KMM, Rec. CE, p. 254. Cette solution a été reprise par l’article L. 532-3 du CESEDA N° Lexbase : L3457LZ3.

[22] L’Office ne peut être regardé comme s’étant dispensé de l’entretien « aux seuls motifs que celui-ci n'a pas donné lieu à un enregistrement sonore ou que, si l'enregistrement n'a pas été possible, le demandeur n'a pas eu la possibilité de formuler des observations sur la transcription au terme de l'entretien » (point n° 3).

[23] Voir les articles L. 521-8 N° Lexbase : L3422LZR à L. 521-12 du CESEDA, en particulier l'article L. 521-9 N° Lexbase : L3418LZM, où un administrateur ad hoc doit être désigné par le procureur pour assister le mineur et assurer sa représentation.

[24] En l’espèce, la section disciplinaire du Conseil académique de Sorbonne Université.

[25] Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).

[26] CE, 30 décembre 2014, n° 381245 N° Lexbase : A8359M84, Rec. CE, p. 443, concl. Keller, AJDA, 2015, p. 749, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe.

[27] J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, Le juge de cassation redéfinit son contrôle sur le choix de la sanction, AJDA, 2015, p. 749 et suiv.

[28] Conclusions X. Domino à l’AJDA 2015, p. 1047 sur la décision CE, 27 février 2015, n° 376598 N° Lexbase : A5178NCR, Rec. CE, p. 51.

[29] CE, 18 octobre 2018, n° 412845 N° Lexbase : A6618YG9.

[30] CE, 30 juin 2016, n° 393438 N° Lexbase : A9990RUK.

[31] CE, 9 octobre 2020, n° 425459 N° Lexbase : A33923XW.

[32] En raison de « l’exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service, et compte tenu de l'atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l'intéressé, à la réputation du service public de l'éducation nationale ainsi qu'au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service » (CE, 18 juillet 2018, n° 401527 N° Lexbase : A5896XZE).

[33] CE, 27 juillet 2015, n°367484 N° Lexbase : A0742NNS, Rec. CE, p. 285, AJDA, 2015, p. 2278, note A. Perrin.

[34] O. Le Bot, Chronique de contentieux administratif, JCP éd. A, 2022, n° 2241.

[35] Qui ont été transposées en droit interne, notamment, par les articles L. 221-1 N° Lexbase : L1249KZB et R. 221-1 N° Lexbase : L2515INH et et L. 222-4 N° Lexbase : L3082KGA et L. 222-5 N° Lexbase : L9600LHZ du Code de l’environnement.

[36] CE, 12 juillet 2017, n° 394254 N° Lexbase : A6547WMG, Lebon, AJDA, 2018, p. 167, note A. Perrin et M. Deffairi, RFDA, 2017, p. 1135, note A. Van Lang.  

[37] CJUE, 19 novembre 2014, aff. C-404/13, ClientEarth c/ The Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs N° Lexbase : A4426M3C.

[38] CJUE, 24 octobre 2019, aff. C-636/18, Commission c/ France N° Lexbase : A3317ZSN.

[39] CE, 10 juillet 2020, n° 428409 N° Lexbase : A17963RX, AJDA, 2020, p. 1776, chron. C. Malverti et C. Beaufils.

[40] CE, 4 août 2021, n° 428409 N° Lexbase : A58514ZQ, JCP éd. A, 2021, n° 2384, chron. O. Le Bot.

[41] CJUE, 28 avril 2022, aff. C-286/21, Commission c/ France N° Lexbase : A92717UW.

[42] L’Agence de la transition énergétique (ADEME) : 5,95 millions d'euros ; le Centre d'études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) : 5 millions d'euros ; l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) : 4 millions d'euros et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) : 2 millions d'euros). Sont également bénéficiaires les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air des zones concernées (Airparif, Atmo Auvergne Rhône-Alpes, Atmo Occitanie et Atmo Sud).

[43] CAA Versailles, 29 janvier 2021, n° 18VE01431 N° Lexbase : A25764E7.

[44] CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-61/21, JP c/ Ministre de la Transition écologique et Premier ministre N° Lexbase : A556884Y.

[45] CE, ord., 16 juin 2010, n° 340250 N° Lexbase : A9876EZS, Rec. CE, p. 205, JCP éd. G, 2010, n° 739, note P. Cassia, AJDA, 2010, p. 1662, note O. Le Bot.

[46] Voir, pour le référé-liberté : CE, ord., 16 juin 2010, n° 340250, préc. et, pour le référé-suspension : CE, 21 octobre 2010, n° 343527 N° Lexbase : A4576GCH, Rec. CE, p. 392.

[47] Il en va différemment lorsque le juge des référés rejette une demande en référé comme manifestement mal fondée, il doit, alors et au contraire, se prononcer explicitement sur le refus de transmission de la QPC : CE, 16 janvier 2015, n° 374070 N° Lexbase : A4787M98.

[48] CE, Sect., 18 janvier 2001, n° 229247 N° Lexbase : A3240ARG, Rec. CE, p. 18.

[49] CE, ord., 24 févr. 2001, n° 230611 N° Lexbase : A2604ATM, Rec. CE, p. 85.

[50] L’intégration du droit proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté faisait partie des propositions de la mission « flash » sur le référé spécial environnemental. La proposition n° 8 soumettait l’idée d’intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT. Cette proposition avait fait l’objet d’un amendement lors des discussions de la loi climat et résilience mais il n’a pas été retenu.

[51] Le juge aurait pu viser l’objectif de valeur constitutionnelle dégagé dans la décision Cons. const., décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020 N° Lexbase : A85123CA.

[52] Par ex., le droit au logement (CE, 3 mai 2002, n° 245697 N° Lexbase : A9776AYQ) ou le droit à la santé (CE, 8 septembre 2005, n° 284803 N° Lexbase : A4127DK3).

[53] Décret n°2019-1502 du 30 décembre 2019, portant application du titre III de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative N° Lexbase : L2666LUB.

[54] Les mesures de cet article sont particulièrement énergiques puisque la juridiction peut interdire la réalisation ou la continuation de certains actes, interdire des actes de production, ordonner des saisies, etc…

[55] Le recours au référé « secret des affaires » demeure assez confidentiel : comme le note Philippe Rees, « en un peu plus de 2 années d'existence, il n'a donné lieu qu'à cinq ordonnances, qui toutes concernent des référés introduits à titre préventif » (P. Rees, Ci-gît le référé « secret des affaires » à titre préventif (?), CMP, 2022, n° 4, comm. n° 126). Cf. TA Nancy, 26 octobre 2020, n° 2002619 N° Lexbase : A25104LK ; TA Montreuil, 1er juin 2021, n° 2106741 N° Lexbase : A50859AL ; TA Guadeloupe, 9 juin 2021, n° 2100560 N° Lexbase : A721943R ; TA Cergy-Pontoise, 29 septembre 2021, n° 2112000 ; TA Cergy-Pontoise, 29 septembre 2021, n° 2112001.

[56] P. Rees, Ci-gît le référé « secret des affaires » à titre préventif (?), op. cit.

[57] M. Tharreau et N. Charrel, Le Conseil d’Etat "abyme" le référé secret des affaires, cabinet Charrel, 14 mars 2022.

[58] Le Comité consultatif national d’éthique, avec son avis relatif aux questions éthiques relatives aux situations de fin de vie qui a été publié le 13 septembre 2022, permet au Président de la République de lancer un nouveau débat sous forme d’une convention citoyenne dont les conclusions seront rendues en mars 2023.

[59] CE 19 août 2022, n° 466082 N° Lexbase : A68868ER où l’article L. 1111-11, al. 3, N° Lexbase : L4870LWB du Code de la santé publique est jugé conforme à la Constitution en ce qu’il permet aux médecins d’écarter les directives anticipées d’un patient hors d’état d'exprimer sa volonté si elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (Cons. const., décision n°2022-1022 QPC du 10 novembre 2022 N° Lexbase : A29118SM).

[60] Cons. const., décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 N° Lexbase : A2992WGW, JO, 4 juin 2017, texte n° 78.

[61] CE, 12 février 2021, n° 440401 N° Lexbase : A83034GM.

[62] Cons. const., décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018 N° Lexbase : A8393YRB.

[63] N. Hervieux, Dialogue « rugueux », GP, 2021, n° 34, 5 octobre 2022.

[64] CE, 21 avril 2021, n° 393099 N° Lexbase : A01664Q9, Rec. CE, AJDA, 2021, p. 1194, chron. C. Malverti et C. Beaufils, D., 2021, p. 1268, note T. Douville et H. Gaudin et p. 1247, point de vue J. Roux, DA, 2021, comm. n° 29, note G. Eveillard.

Voir aussi notre commentaire, C. De Bernardinis, Le Conseil d’État « caution juridictionnelle » du pouvoir ou « maillon essentiel » du dialogue des juges, Lexbase Public, juillet 2021, n° 633 N° Lexbase : N8195BY8.

[65] Cf. Cons. const., décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 N° Lexbase : A5780DQ7, Rec. CC, p. 88.

[66] Cons. const., décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 N° Lexbase : A324349Y, où le juge constitutionnel identifie le premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », en l’occurrence le monopole public de la force légale opposable, donc, comme tel, au droit européen.

[67] CE, 9 octobre 2020, n° 414423 N° Lexbase : A33893XS. Voir, par ex., A. Jacquemet-Gauché, Le Conseil d’État peut-il être juge et partie ?, AJDA, 2020, p. 2579 et suiv.

[68] CJUE, GC, 6 octobre 2021, aff. C-561/19, Consorzio Italian Management, Catania Multiservizi SpA, contre Rete Ferroviaria Italiana SpA N° Lexbase : A863648D ; CJUE, GC, 23 novembre 2021, aff. C‑564/19, Pesti Központi Kerületi Bíróság N° Lexbase : A61297CY.

[69] J.-M. Sauvé, L’autorité du droit de l’Union européenne : le point de vue des juridictions constitutionnelles et suprêmes », 19 octobre 2017.

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Procédure pénale

[Focus] La montée en puissance des exigences de la Chambre criminelle en procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, F-B N° Lexbase : A99668HL ; Cass. Crim., 13 septembre 2022, n° 22-80.515, FS-B N° Lexbase : A99588HB  ; Cass. Crim., 5 octobre 2022, n° 21-86.751, F-D N° Lexbase : A11498NU ; Cass. Crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D N° Lexbase : A69078QU ; Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 20-86.054, 22-84.210, F-B N° Lexbase : A38458MD

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par Stefan Trifkovic, Doctorant à Aix-Marseille Université, LDPSC (EA 4690), A.T.E.R. à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Université Paris-Saclay)

Le 02 Février 2023

Mots-clés : nullité • qualité pour agir • présomption de grief • droits de la défense • loyauté de la preuve • autorisation d’actes de procédure • contrôle d’identité • garde à vue • accès au traitement des antécédents judiciaires • transcription des correspondances électroniques • réquisitions • perquisition • soupçon • enquête de flagrance.

À travers cinq arrêts remarquables rendus aux mois de septembre et d’octobre 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a procédé à une montée en puissance de ses exigences en procédure pénale. Elle a renforcé diverses exigences procédurales législatives et jurisprudentielles.


 

Depuis la réforme de la rédaction de ses arrêts, la Cour de cassation déploie des efforts pour respecter ce qu’elle avait annoncé, à savoir que cette réforme « ne saurait être d’ordre esthétique » [1].

Un échantillon de cinq arrêts prélevé sur les mois de septembre et d’octobre 2022 offre de beaux exemples de motivation enrichie au service de la montée en puissance de diverses exigences en procédure pénale [2]. Elle donne ainsi en partie tort à la critique qui voyait dans ses nouveaux arrêts un risque de « forme sans supplément de fond » [3].

En l’espèce, les décisions sont unies par un renforcement d’exigences relatives à la régularité d’actes de procédure et, dans le prolongement, à leur potentielle nullité. L’intérêt de leur commentaire groupé réside aussi dans la diversité des points de procédure pénale qui ont fait l’objet de ce renforcement. La complexité de la procédure pénale et des règles relatives aux nullités demeure telle que, fréquemment, des actes de procédure et des décisions de justice sont annulés. Toutes les fois donc où la Chambre criminelle dissipe un peu plus le brouillard qui entoure les questions relatives aux nullités, il n’est pas inutile de s’y intéresser.

À travers les cinq arrêts choisis, la Chambre criminelle a renforcé diverses exigences procédurales législatives et jurisprudentielles.

I. Le renforcement d’exigences procédurales législatives

Ce renforcement se traduit par l’encadrement de la transcription des correspondances entre l’avocat et les proches de son client et par la précision de plusieurs notions législatives.

A. L’encadrement de la transcription des correspondances entre l’avocat et les proches de son client

La transcription des correspondances entre l’avocat et son client fait l’objet d’un encadrement rigoureux par la Chambre criminelle. Rappelons qu’il est interdit de transcrire ces correspondances, sauf si leur contenu est de nature à faire présumer la participation de l’avocat à une infraction [4], « fussent-ils étrangers à la saisine du juge d’instruction » [5].

Dans un arrêt du 13 septembre 2022, la Chambre criminelle a apporté une nouvelle pierre à cet édifice en encadrant pour la première fois la transcription des correspondances entre l’avocat et les proches de son client mis en cause [6]. En premier lieu, elle a rappelé que « l’interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense de son client s’étend à celles échangées à ce sujet entre l’avocat et les proches de celui-ci ». Ce faisant elle a confirmé sa jurisprudence assurant la protection contre les atteintes obliques aux droits de la défense de la personne mise en cause [7]. Mais l’apport essentiel réside dans l’encadrement rigoureux de la transcription des correspondances avocat-proche.

L’interdiction précitée ne fait pas obstacle à la transcription de toute correspondance entre l’avocat et les proches de son client. Il s’agit justement d’éviter la nullité de la transcription de telles correspondances qui n’est pas préjudiciable pour la personne mise en cause et de ne pas empêcher la police judiciaire de rechercher les auteurs ou complices d’infractions, le proche pouvant revêtir l’habit du suspect. La combinaison de ces finalités a amené la Chambre criminelle à juger que, malgré l’interdiction de transcription précitée, « les échanges litigieux relatifs au défèrement [du mis en examen] au tribunal et au rendez-vous pris entre l’avocat et la compagne de celui-ci n’ont été rapportés que pour rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule de cette dernière et l’installation sur celui-ci d’un dispositif de géolocalisation, de sorte que le procès-verbal en cause a eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension des investigations ». Il aurait été suffisant de relever que les échanges litigieux n’ont engendré aucun risque d’enregistrer et de transcrire des propos attentatoires aux droits de la défense du proche. C’est d’ailleurs ce qui a été précisé ensuite, mais de manière contestable sur certains points : « La compagne [du mis en examen] n’avait pas encore été placée en garde à vue dans le dossier au moment où s’est tenu l’échange téléphonique litigieux et n’était pas partie à la procédure au moment où la chambre de l’instruction a statué, de sorte que cette conversation avec l’avocat ne pouvait relever de l’exercice des droits de sa défense ». Il en résulte premièrement que, dans le cadre des correspondances avocat-proche, l’enregistrement et la transcription des propos échangés peuvent porter atteinte aux droits de la défense de ce proche dès lors qu’il est lui-même suspecté ou mis en cause dans la procédure. S’agissant des conditions cumulatives de la reconnaissance de l’atteinte aux droits de la défense, plusieurs remarques s’imposent.

Il résulte assez clairement de la première condition énoncée que les droits de la défense sont susceptibles d’être atteints par un acte de procédure uniquement si la personne qui en dispose bénéficiait de ces droits au moment de sa réalisation [8]. Mais telle que posée dans l’arrêt commenté, cette condition est contestable en ce que, même si le proche de la personne mise en cause n’a pas été placé en garde à vue dans le dossier au moment où il a eu l’échange avec l’avocat, il peut être suspecté d’une infraction, de sorte que ses droits de la défense sont susceptibles d’être atteints. La Chambre criminelle aurait dû généraliser sa solution pour énoncer strictement qu’il eût fallu que le proche ait été tout du moins suspect au moment de la réalisation de l’acte litigieux, de sorte à rendre a minima plausible l’allégation de l’atteinte à ses droits de la défense [9]. Par ailleurs, si cette exigence était élevée au rang de condition nécessaire, la garde à vue deviendrait obligatoire pour permettre au proche d’agir en nullité, ce qui serait absurde.

À travers la nécessité que le proche ait été partie à la procédure – notion à entendre au sens large – au moment où la chambre de l’instruction a statué, la Chambre criminelle semble avoir cherché à éviter que puisse agir en nullité le proche qui a été suspect et dont les propos ont été enregistrés et transcrits sans qu’il ait été mis en cause ultérieurement. Demeure toutefois l’éventuelle possibilité pour celui-ci d’agir aux fins de sanctions personnelles [10].

La Chambre criminelle a également eu l’occasion de préciser plusieurs notions législatives.

B. La précision de notions législatives

Les notions ayant gagné en précision intéressent la perquisition, ainsi que le contrôle d’identité et l’enquête de flagrance.

1) La notion de personnes relevant de l’autorité administrative de l’OPJ dans le cadre de la réquisition de témoins au cours de la perquisition

Dans un autre arrêt du 13 septembre, après avoir repris en substance le contenu de l’article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6470KU8, la Chambre criminelle a précisé pour la première fois la notion de personnes relevant de l’autorité administrative de l’OPJ [11]. Elle a d’abord pris le soin de préciser qu’« une telle obligation a pour finalité de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de saisie ainsi que d’authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis ». Au regard de cette double finalité, une double conséquence en découle. Celle qui intéresse le présent article concerne le fait qu’il est exclu « qu’un officier de police judiciaire requière des agents de police municipale agissant dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors qu’il résulte de l’article 21 du Code de procédure pénale que de tels agents sont agents de police judiciaire adjoints et ont pour mission de seconder les officiers de police judiciaire » [12]. La notion de personnes relevant de l’autorité administrative de l’OPJ s’analyse pertinemment sous l’angle de la subordination hiérarchique. La solution est extensible à tous les APJ adjoints, mais aussi aux APJ puisque l’article 20 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4988K8A prévoit qu’ils ont également pour mission de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les OPJ. C’est à tort que la chambre de l’instruction a donc écarté le moyen de nullité, cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure « dès lors que le requérant n’a ni justifié ni même allégué l’existence d’un grief », condition nécessaire au prononcé de la nullité d’intérêt privé en plus de l’irrégularité alléguée.

La Chambre criminelle a également apporté de remarquables précisions s’agissant de la notion de soupçon dans le cadre du contrôle d’identité et de l’enquête de flagrance.

2) La notion de soupçon dans le cadre du contrôle d’identité et de l’enquête de flagrance

Dans les faits ayant abouti à l’arrêt de la Chambre criminelle du 5 octobre, des policiers en patrouille ont procédé au contrôle d’identité de deux individus, dont le comportement leur était apparu suspect. L’un d’eux leur a présenté la somme de 1480 euros se trouvant en sa possession. Constatant que celui-ci ne pouvait justifier sa provenance, les policiers ont procédé à son interpellation et à son placement en garde à vue. Une perquisition a ensuite été réalisée à son domicile, où ont été découvertes une somme d’argent, de la résine de cannabis et une carte professionnelle de VTC au nom d’un tiers. Le prévenu a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel qui l’a condamné pour blanchiment et détention de faux document administratif. La cour d’appel avait également écarté les moyens de nullité tirés de ce que les policiers ne pouvaient avoir agi en enquête de flagrance. La Chambre criminelle, saisie par le prévenu, a profité de l’occasion pour préciser la notion de soupçon.

D’abord, elle a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle il résulte de l’article 53 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5572DYZ « que pour pouvoir agir en enquête de flagrance, les officiers de police judiciaire doivent avoir eu connaissance, au préalable, d’indices apparents d’un comportement révélant l’existence d’une infraction en train de se commettre ou qui vient d’être commise » [13]. Ensuite, interprétant strictement les dispositions législatives, elle a jugé que les comportements décrits en l’espèce étaient de nature à caractériser « une raison plausible de soupçonner que les individus considérés avaient commis ou tenté de commettre une infraction ou s’y préparaient », justifiant qu’il ait été procédé à leur contrôle d’identité [14]. En revanche, ces comportements, pas plus que la possession de 1480 euros, « ne constituent, à eux-seuls, des indices apparents laissant penser qu’une infraction était en train de se commettre ou sur le point de se commettre au sens de l’article 53 du Code de procédure pénale » [15]. La mise en perspective des exigences relatives au soupçon pour la réalisation des deux actes litigieux a permis aux juges du droit de mieux préciser le caractère renforcé de cette exigence pour agir régulièrement en enquête de flagrance.

Ils ont évité à raison de présumer la situation de flagrance à partir des faits connus. Une différence essentielle existe entre le soupçon exigé pour réaliser régulièrement un contrôle d’identité et celui pour agir en enquête de flagrance. Dans le premier cas, il suffit d’être, objectivement [16], en présence d’une raison rendant « admissible parce que vraisemblable [17] » ce soupçon. Il s’agit là du premier degré sur l’échelle d’intensité du soupçon. Cette intensité est à la mesure du caractère faiblement attentatoire aux droits et intérêts des personnes concernées par le contrôle d’identité. Ainsi, un simple comportement suspect des individus a pu régulièrement justifier cet acte [18]. Cette analyse est confortée par un autre arrêt rendu le 25 octobre dans lequel la Chambre criminelle a jugé qu’il n’y a pas lieu de prononcer la nullité d’un contrôle d’identité de police judiciaire dès lors que les juges du fond ont pu constater in concreto l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission de l’infraction de recel de vol du fait de l’absence d’immatriculation des véhicules et de leur nombre [19]. Ces éléments, ne faisant naître qu’un simple doute sur la légalité de la situation ou des comportements, rendent les soupçons faibles en consistance, mais ils justifient le contrôle d’identité. Comme dans l’arrêt du 5 octobre, ils seraient probablement insuffisants pour agir de manière régulière en enquête de flagrance. En effet, ce pouvoir est subordonné à l’existence d’un soupçon d’infraction bien plus consistant étant donné que l’enquête de flagrance emporte des conséquences procédurales importantes à l’égard des individus qui sont visés. Ainsi, une fois franchie la porte d’entrée du soupçon en établissant l’existence d’une raison plausible de soupçonner une infraction, il est nécessaire d’identifier des éléments supplémentaires manifestant la présence d’indices apparents de la commission d’une infraction pour pouvoir agir en enquête de flagrance [20]. Cette solution est extensible à l’ensemble des situations visées par l’article 53 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5572DYZ qui sont relatives à un crime ou à un délit commis « dans un temps très voisin de l’action ». En effet, l’infraction n’est pas en train de se commettre, de sorte que dans n’importe laquelle des situations alternatives décrites, c’est le soupçon d’un crime ou d’un délit qui justifie l’ouverture de l’enquête de flagrance [21].

La Chambre criminelle n’a pas uniquement renforcé les exigences législatives, elle a fait de même pour certaines de ses propres exigences en procédure pénale.

II. Le renforcement d’exigences procédurales jurisprudentielles

La Chambre criminelle a procédé à l’extension des présomptions dans le contentieux des nullités, ainsi qu’à la consolidation du principe de loyauté de la preuve.

A. L’extension des présomptions dans le contentieux des nullités

Elle se traduit par la reconnaissance de la présomption de la qualité pour agir en nullité et par la consolidation des présomptions de grief aux fins de nullités d’intérêt privé.

1) La reconnaissance de la présomption de la qualité pour agir en nullité

Dans l’arrêt du 13 septembre relatif à la réquisition de témoins au cours de la perquisition, la première conséquence de la double finalité de l’obligation relevée est que « toute partie qui y a intérêt a qualité pour invoquer la nullité tirée de la méconnaissance [des dispositions de l’article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6470KU8] ». La Chambre criminelle présume pour la première fois la qualité pour agir en nullité à partir de l’intérêt à agir. Pour être comprise, cette solution doit être analysée à travers le prisme des arrêts du 7 septembre 2021 qui ont tenté de définir et de distinguer l’intérêt à agir, la qualité pour agir et le grief dans le contentieux des nullités [22]. En reprenant les définitions de ces arrêts, la solution analysée peut être complétée : toute partie qui a un intérêt à obtenir l’annulation de la perquisition a qualité pour agir dès lors que la formalité substantielle interdisant la désignation comme témoins des personnes placées sous l’autorité administrative de l’OPJ, dont la méconnaissance est alléguée, a nécessairement pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre.

Pour rappel, cet objet renvoie à la double finalité de l’obligation en cause qui est de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de saisie et d’authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis. Il semblerait donc que ces finalités soient telles qu’elles protègent nécessairement un droit ou un intérêt propre de toute partie ayant intérêt à agir. Les Hauts magistrats ont ouvert la boîte de Pandore sans encadrer précisément cette nouvelle présomption. La première étape devrait être de sortir de la définition circulaire de l’intérêt à agir qui constitue le référentiel de la présomption de la qualité pour agir. Il apparaît à tout le moins que la Chambre criminelle cherche à faciliter la recevabilité des actions en nullité en présence d’irrégularités manifestement protectrices des droits ou intérêts propres. Elle sera attendue à l’avenir sur l’encadrement précis de la nouvelle présomption de la qualité pour agir.

Faisant preuve de moins d’originalité, les juges du droit ont consolidé les présomptions de grief aux fins de nullités d’intérêt privé.

2) La consolidation des présomptions de grief aux fins de nullités d’intérêt privé

La Chambre criminelle poursuit son œuvre de construction des présomptions de grief. Aussi, elle confirme leur caractère réfragable.

a) La construction des présomptions de grief

Les exigences relatives aux autorisations d’actes de procédure données par les magistrats compétents ont été renforcées par la technique de présomption de grief facilitant le prononcé des nullités d’intérêt privé. Dans un arrêt du 13 septembre, il a été jugé qu’il résulte des articles 706-91 N° Lexbase : L4851K88 et 706-92 N° Lexbase : L0577LTK du Code de procédure pénale que « l’autorisation donnée par le juge d’instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d’habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu’est nulle l’autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l’acte, de la formalisation d’une ordonnance écrite et motivée » [23]. Cette solution est transposable au JLD compétent dans les cas prévus à l’article 706-92, alinéa dernier, du même code. Ce cas de présomption de grief a déjà été reconnu à plusieurs occasions par les juges du droit [24]. Dans l’arrêt du 25 octobre, le renforcement des exigences procédurales s’inscrit dans le même sillage, mais cette fois en reconnaissant de nouvelles présomptions de grief.

Dans l’arrêt du 25 octobre, les réquisitions aux fins de remise d’informations intéressant l’enquête préliminaire sont davantage encadrées par la reconnaissance d’un nouveau cas de nullité d’intérêt privé avec présomption de grief. La Chambre criminelle procède en trois temps. Dans un premier temps, elle énonce que selon « l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, l’officier ou l’agent de police judiciaire peut, sur autorisation du procureur de la République, requérir des informations intéressant l’enquête de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique ». Dans un deuxième temps, elle précise qu’en conséquence cette autorisation « doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente préalable, cette interprétation étant commandée par la nécessité de garantir une direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République ». Elle fait ainsi jonction avec la même jurisprudence adoptée s’agissant des réquisitions des personnes qualifiées prévues par l’article 77-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5531LZU [25] qui a d’ailleurs été confirmée un mois plus tôt par un arrêt du 28 septembre précisant que ladite autorisation dans le cadre de l’article 77-1 « n’est soumise à aucune forme particulière » [26]. Enfin, dans un troisième temps, la Chambre criminelle juge que « l’irrégularité qui découle de la méconnaissance de cette exigence fait nécessairement grief ». Cette solution semble extensible aux réquisitions de l’article 77-1 du Code de procédure pénale puisque, comme cela a été évoqué, elles obéissent sur les points mentionnés aux mêmes règles procédurales. Ce nouveau cas de présomption de grief n’est pas seulement limité aux réquisitions réalisées sur le fondement de l’article 77-1-1 du code précité N° Lexbase : L7999MBU avant la modification législative visée. La loi du 24 décembre 2020 a certes complété cet article par un alinéa qui permet au procureur de la République d’autoriser les OPJ et les APJ par la voie d’instructions générales à procéder aux réquisitions. Cette nouvelle possibilité est cependant strictement encadrée de sorte qu’il demeure interdit au procureur de la République de donner l’autorisation aux fins de réquisitions simplement par voie d’autorisation générale et permanente préalable.

La Chambre criminelle poursuit son œuvre constructive en reconnaissant également deux autres nullités d’intérêt privé avec présomption de grief dans le même arrêt du 25 octobre. En restant en lien avec la réquisition de l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale, elle a jugé strictement qu’il résulte des articles 230-10 N° Lexbase : L5213LRI et R. 40-28 N° Lexbase : L3832LGZ du Code de procédure pénale que « peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) notamment les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l’habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l’accès ». La Chambre criminelle poursuit en précisant qu’« en conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d’une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l’accès à ce traitement a été le fait d’un agent désigné à cette fin et spécialement habilité ». Deux actes se trouvent donc en concurrence pour l’accès aux informations figurant dans le TAJ. Les juges du droit cherchent à assurer une égalité entre ces actes en termes d’exigences relatives aux autorisations aux fins d’accès à ces informations. Ils concluent que « le défaut d’une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées ». La reconnaissance de ce nouveau cas de présomption de grief s’inscrit dans toute cette jurisprudence orientée vers la protection des intérêts privés par la garantie d’un contrôle réel et effectif des actes litigieux. Il appartenait donc à la chambre de l’instruction, « au besoin par un supplément d’information, de rechercher si l’agent de la police nationale en cause disposait de l’habilitation lui permettant d’accéder aux informations dont il a fait état dans son rapport ».

La Chambre criminelle a enfin jugé dans le même arrêt du 5 octobre qu’il résulte de l’article 64-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L8170ISE que « les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime réalisées dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. La violation de cette disposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue ». Comme dans la solution précédente, elle reproche à la chambre de l’instruction de s’être prononcée par des motifs hypothétiques. Elle avait déjà reconnu une nullité d’intérêt privé avec présomption de grief dans deux cas semblables : d’une part, en cas d’absence injustifiée d’enregistrement audiovisuel des interrogatoires d’un mineur placé en garde à vue [27] et, d’autre part, en cas de méconnaissance de l’obligation d’enregistrement audiovisuel en matière criminelle des interrogatoires des personnes mises en examen et des confrontations réalisés dans le cabinet du juge d’instruction [28].

Tout en consolidant et en unissant ainsi sa jurisprudence relative aux présomptions de grief, la Chambre criminelle a également pu confirmer le caractère réfragable de ces présomptions.

b) La confirmation du caractère réfragable des présomptions de grief

La Haute juridiction juge de manière constante que tout retard dans l’information du magistrat en charge du contrôle de la mesure du placement en garde à vue d’une personne, non justifié par une circonstance insurmontable [29], fait nécessairement grief à la personne concernée [30]. Un arrêt du 13 septembre a apporté une pierre supplémentaire à cette jurisprudence [31]. La Chambre criminelle a validé la décision des juges du fond d’écarter le moyen de nullité pris de la tardiveté de la notification des droits et de l’avis au procureur de la République « […] compte tenu des circonstances de l’interpellation, de la zone dans laquelle elle a eu lieu, de la fuite d’un des deux individus, des constatations effectuées sur place et des délais de transport ». Il apparaît ici également que n’est pas problématique en soi le retard non négligeable de la notification des droits et de l’avis au procureur. Ce qui l’est en revanche, c’est l’inexistence éventuelle d’une circonstance insurmontable justificative. Dès lors que les juges relèvent souverainement l’existence d’une telle circonstance, la méconnaissance de l’immédiateté de la notification et de l’avis ne peut donner lieu à annulation. Ainsi, de manière implicite, la Chambre criminelle confirme le caractère réfragable des présomptions de grief.

Cet arrêt intègre aussi la jurisprudence constante qui reconnaît l’existence de circonstances insurmontables dans des contextes complexes [32]. Dans l’arrêt commenté sont visés deux éléments nouveaux participant de l’établissement d’une circonstance insurmontable, à savoir la fuite des deux individus et les constatations effectuées sur place. Comme toutes les autres circonstances semblables, elles ne sont effectives que le temps de leur existence. Par un raisonnement a fortiori, il se conçoit qu’en l’espèce la conjugaison des cinq circonstances relevées ait justifié la tardiveté de la notification.

Enfin, la Chambre criminelle a eu l’occasion de consolider le principe de loyauté de la preuve.

B. La consolidation du principe de loyauté de la preuve

Dans l’arrêt du 28 septembre, la Chambre criminelle a encadré pour la première fois les actes prévus par l’article 61-3 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2775LBE. Au visa de cet article et du principe de loyauté de la preuve, elle a jugé que d’abord, « toute personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier de la présence d’un avocat lors d’une séance d’identification des suspects dont elle fait partie ». La condition de faire partie des suspects est logique car seule cette participation met en jeu les droits de la défense de la personne concernée.

Ensuite, elle a rappelé que « constitue une atteinte au principe de loyauté de la preuve, le stratagème employé par un agent de l’autorité publique qui, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ». Si la nouveauté réside dans l’encadrement des actes de procédure en cause, le principe appliqué est connu [33]. Il convient de se souvenir que la Chambre criminelle a déjà défini le détournement de procédure. En somme, il s’agit du fait, pour des agents publics, de se placer faussement et à dessein dans le champ d’application de dispositions procédurales spécifiques, à seule fin de mettre en œuvre les pouvoirs conférés par ces dispositions, dont ils n’auraient pu disposer autrement [34]. Le contournement de procédure est défini quant à lui par la doctrine. Selon le Professeur Verny par exemple, il « prend la forme d’une astuce conduisant à s’émanciper des règles de la procédure pénale » [35]. En d’autres termes, il renvoie au fait de se soustraire complètement à l’application des dispositions procédurales. Aussi bien le contournement que le détournement d’une règle de procédure ont le même objet ou effet. Il s’agit de conséquences, certes alternatives, mais nécessaires. Il est difficilement imaginable que ce contournement ou détournement ne vicie pas la recherche de la preuve.

La Chambre criminelle a donc pertinemment jugé que le texte et le principe visés ont été méconnus dès lors, « d’une part, qu’une seconde présentation de la personne gardée à vue à la victime s’était déroulée en l’absence de l’avocat du demandeur, en méconnaissance des dispositions de l’article 61-3 du Code de procédure pénale, et, d’autre part, que les circonstances de la présentation, telles que transcrites au procès-verbal […], seul procès-verbal rédigé d’initiative par les enquêteurs, étaient manifestement inexactes ». Ces faits traduisent de manière manifeste un contournement de cet article et du principe de loyauté de la preuve. La nullité de l’acte litigieux permet alors d’assurer le respect effectif du droit à l’assistance d’un avocat mais aussi l’impartialité des enquêteurs.

À noter.

  • L’interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense de son client s’étend à celles échangées à ce sujet entre l’avocat et les proches de celui-ci. La transcription des correspondances avocat-proche est aussi interdite lorsqu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits de la défense de ce dernier (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, F-B).
  • Il découle des finalités de l’obligation prévue par l’article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale que, d’une part, toute partie qui a intérêt a qualité pour invoquer la nullité tirée de la méconnaissance de ces dispositions ; d’autre part, ces dispositions excluent qu’un OPJ requière des agents de police municipale agissant dans l’exercice de leurs fonctions (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 22-80.515, FS-B).
  • Les comportements de nature à caractériser une raison plausible de soupçonner que les individus avaient commis ou tenté de commettre une infraction ou s’y préparaient, justifiant qu’il ait été procédé à leur contrôle d’identité, ne constituent pas nécessairement, à eux-seuls, des indices apparents laissant penser qu’une infraction était en train de se commettre ou sur le point de se commettre au sens de l’article 53 du Code de procédure pénale permettant d’agir en enquête de flagrance (Cass. crim., 5 octobre 2022, n° 21-86.751, F-D).
  • Il n’y a pas lieu de prononcer la nullité d’un contrôle d’identité de police judiciaire dès lors que, par une appréciation in concreto, les juges du fond ont pu constater l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission de l’infraction de recel de vol du fait de l’absence d’immatriculation des véhicules et de leur nombre (Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D).
  • Il résulte des articles 706-91 et 706-92 du Code de procédure pénale que l’autorisation donnée par le juge d’instruction aux OPJ de procéder à une perquisition dans un lieu d’habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, F-B).
  • Selon l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1672, du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée N° Lexbase : L2698LZX, l’OPJ ou l’APJ peut, sur autorisation du procureur de la République, requérir des informations intéressant l’enquête de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique. Cette autorisation doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente préalable. La méconnaissance de cette exigence fait nécessairement grief (Cass. crim. 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D).
  • Il résulte des articles 230-10 et R. 40-28 du Code de procédure pénale que peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le TAJ notamment les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent. En conséquence, hors le cas où la consultation est effectuée après une réquisition en application de l’article 77-1-1 du même code, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l’accès au TAJ a été le fait d’un agent désigné à cette fin et spécialement habilité. Le défaut d’une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées (Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D).
  • Selon l’article 64-1 du Code de procédure pénale, les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime réalisées dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. La violation de cette disposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue (Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D).
  • L’autorisation que le procureur de la République peut donner à un OPJ pour requérir, sur le fondement de l’article 77-1 du Code de procédure pénale, toute personne qualifiée, si elle doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente préalable, n’est soumise à aucune forme particulière (Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 20-86.054, 22-84.210, F-B).
  • Il n’y a pas lieu de prononcer la nullité du fait de la tardiveté de la notification des droits et de l’avis au procureur de la République compte tenu des circonstances de l’interpellation, de la zone dans laquelle elle a eu lieu, de la fuite d’un des deux individus, des constatations effectuées sur place et des délais de transport (Cass. crim. 13 septembre 2022, n° 22-80.515, FS-B).
  • Constitue une atteinte au principe de loyauté de la preuve, le stratagème employé par un agent de l’autorité publique qui, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie. Ainsi, il y a lieu de prononcer la nullité de la séance d’identification des suspects dès lors que, d’une part, une seconde présentation de la personne gardée à vue à la victime s’était déroulée en l’absence de l’avocat du demandeur et, d’autre part, les circonstances de la présentation, telles que transcrites au procès-verbal, étaient manifestement inexactes (Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 20-86.054, 22-84.210, F-B).
 

[1] Note relative à la structure des arrêts et avis et à leur motivation en forme développée, p. 7, n° 19.

[2] Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, F-B N° Lexbase : A99668HL ; Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 22-80.515, FS-B N° Lexbase : A99588HB ; Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 20-86.054, 22-84.210, F-B N° Lexbase : A38458MD ; Cass. crim., 5 octobre 2022, n° 21-86.751, F-D N° Lexbase : A11498NU ; Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D N° Lexbase : A69078QU.

[3] N. Molfessis, Le chameau vu pour la première fois, JCP G, 2019, n° 20, act. 528.

[4] V. not. Cass. crim., 8 novembre 2000, n° 00-83.570, publié au bulletin N° Lexbase : A6814CGH : D. 2001. IR 427 ; Cass. crim., 17 septembre 2008, n° 08-85.229, F-P+F N° Lexbase : A5077EAB : J. Buisson, obs., RSC, 2009. 896 ; S. Lavric, obs., AJ pénal, 2008. 467 ; D. Guérin, obs., Dr. pén., 2009. Chron. 1 ; J. Buisson, obs., Procédures, 2009, n° 24 ; Cass. crim., 15 juin 2016, n° 15-86.043, FS-P+B N° Lexbase : A1550RCE : Geoget, obs., Dr. pén., 2017. Chron. 1.

[5] Cass. crim., 1er octobre 2003, n° 03-82.909, F-P+F N° Lexbase : A6731C98 : J. Pradel, obs., D. 2004. 671.

[6] Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, préc.

[7] Cass. crim., 18 janvier 2006, n° 05-86.447, F-P+F+I N° Lexbase : A5634DMM : D., 2006. IR 392 ; C. Girault, obs., AJ pénal 2006. 126 ; J. Buisson, obs., RSC, 2006. 413.

[8] Cela n’exclut pas en revanche la possibilité pour le proche d’agir en nullité de ce même acte en tant que tiers en prouvant l’atteinte à ses droits ou intérêts propres, autres que les droits de la défense.

[9] V. C. proc. pén., art. 100 N° Lexbase : L1324MAB et s. et 706-95 N° Lexbase : L1609MAT.

[10] V. not. Cass. crim., 30 mars 2016, n° 14-87.251, FP-P+B+I N° Lexbase : A5105RAC : R. Fonteix, obs., Dalloz actualité, 2 mai 2016 ; P. de Combles de Nayves, obs., AJ pénal, 2016. 391 ; A.-S. Chavent-Leclère, obs., Procédures, 2016, n° 209 ; Cons. const., 28 octobre 2022, n° 2022-1021 QPC, Mme Marie P., § 14 N° Lexbase : A21288RA.

[11] Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 22-80.515, préc.

[12] Sur la première conséquence v. infra les développements relatifs à la reconnaissance de la présomption de la qualité pour agir en nullité.

[13] V. not. Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-85.861 N° Lexbase : A9281ABD : J.-H. Robert, chron., JCP 1997. I. 3998 ; Cass. crim., 11 juillet 2007, n° 07-83.427, F-P+F+I N° Lexbase : A4633DXU : M. Léna, obs., D. 2007. AJ 2237 ; C. Saas, obs., AJ pénal, 2007. 486 ; J. Buisson, note, JCP, 2007. II. 10168 ; C. Ambroise-Castérot, obs., Rev. pénit., 2008. 108.

[14] V. C. proc. pén., art. 78-2 N° Lexbase : L2023LMU et 78-2-3 N° Lexbase : L2742K7P.

[15] Cass. crim., 5 octobre 2022, n° 21-86.751, préc.

[16] Cass. crim., 3 novembre 2016, n° 15-85.548, FS-P+B N° Lexbase : A9214SEY : C. Benelli-de Bénazé, Contrôles d’identité au faciès : entre nullités et responsabilités, Dalloz actualité, 18 novembre 2016 [en ligne] ; F. Fourment, note, Gaz. Pal., 24 janvier 2017, p. 58.

[17] Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., 1992, v° Plausible [en ligne].

[18] V. aussi, Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 03-50.097, FS-P+B N° Lexbase : A3983DMH.

[19] Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, préc.

[20] V. not. Cass. crim., 4 novembre 1999, n° 99-85.397, publié au bulletin N° Lexbase : A5709AWD ; Cass. crim., 2 mai 2007, n° 07-81.517, F-P+F N° Lexbase : A5072DWR : C. Girault, obs., AJ penal, 2007. 328 ; A. Maron, obs., Dr. pén., 2007. Comm. 120 ; Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 19-82.457, FS-P+B+I N° Lexbase : A7840Z7I : D. Goetz, Flagrance, Stupéfiants et indice objectif et apparent d’un comportement suspect : d’utiles précisions, Dalloz actualité, 9 janvier 2020 [en ligne] ; A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén., 2020, n° 41 ; G. Roussel, obs., AJ pénal 2020. 25 ; Valat, obs., RSC, 2020. 401.

[21] Lorsque l’une de ces infractions « se commet actuellement », le soupçon est intégré dans l’actualité de la commission de l’infraction, de sorte qu’il n’a pas à être établi séparément.

[22] Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 20-87.191, F-D N° Lexbase : A84924RX ; Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 21-80.642, FS-B N° Lexbase : A459043E : M. Recotillet, Vademecum du recours en nullité en cas de méconnaissance d’une formalité substantielle lors d’une perquisition, Dalloz actualité, 28 septembre 2021 [en ligne] ; M. Recotillet, obs., AJ pénal, 2021. 484, obs.

[23] Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, préc.

[24] Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 15-81.731, FS-P+B+I N° Lexbase : A6246NMB : S. Fucini, Criminalité organisée : perquisitions, écoutes téléphoniques et géolocalisation, Dalloz actualité, 24 juillet 2015 [en ligne] ; Cass. crim., 9 février 2016, n° 15-85.063, FS-P+B N° Lexbase : A0246PLP ; Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 19-85.491, F-P+B+I N° Lexbase : A71553Q3 : L. Priou-Alibert, Perquisitions chez un avocat : de la motivation de l’ordonnance, Dalloz actualité, 29 juillet 2020 [en ligne] ; G. Roussel, obs., AJ pénal, 2020. 420. Cette jurisprudence rejoint celle relative à l’autorisation aux fins de réquisitions orientée dans le même sens. V. not. Cass. crim., 16 septembre 2003, n° 03-82.918, F-P+F+I N° Lexbase : A6732C99 : D., 2003. IR 2669 ; JCP, 2003. IV. 2897 ; Cass. crim., 18 juin 2019, n° 19-80.105, FS-P+B+I N° Lexbase : A2880ZGR : D. Goetz, Nullités de procédure : des rappels toujours salutaires, Dalloz actualité, 9 juillet 2019 [en ligne] ; J. Buisson, obs., Procédures, 2019, n° 265 ;  P.-J. Delage, note, RSC, 2019. 653 ; Delage, note, ibid. 657.

[25] Cass. crim., 17 décembre 2019, n° 19-83.574, FS-P+B+I N° Lexbase : A1350Z9U : S. Fucini, Réquisitions durant l’enquête : irrégularité des autorisations générales et permanentes, Dalloz actualité, 24 janvier 2020 [en ligne] ; Mariat, obs., AJ pénal, 2020. 253.

[26] Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 20-86.054, 22-84.210, préc. – Ce défaut de formalisme a déjà été reconnu par la Chambre criminelle, Cass. crim., 23 mai 2006, n° 06-83.241, F-P+F N° Lexbase : A8697DPS : J. Pradel, note, D. 2006. 2836 ; C. Girault, obs., AJ pénal, 2006. 367 ; R. Finielz, note, RSC, 2006. 853 ; Cass. crim., 1er février 2011, n° 10-83.523, F-P+B N° Lexbase : A1711GXN.

[27] Cass. crim., 3 avril 2007, n° 06-87.264, F-P+F+I N° Lexbase : A0382DW3 : D. 2007. AJ, 1422 ; J. Pradel, note, ibid. 2007. 2141 ; Ph. Bonfils, note, ibid. 2008. Pan. 1859 ; G. Royer, obs., AJ pénal, 2007. 287 ; A. Maron, obs., Dr. pén., 2007, n° 109 ; J.-Y. Maréchal, note, JCP, 2007. II. 10131 ; Cass. crim., 12 juin 2007, n° 07-80.194, F-P+F N° Lexbase : A9585DWW : D., 2007. AJ, 1960 ; Ph. Bonfils, obs., ibid. 2008. Pan. 1859 ; AJ pénal, 2007. 388 ; V. Lesclous, obs., Dr. pén., 2008. Chron. 8.

[28] Cass. crim., 3 mars 2010, n° 09-87.924, FS-P+F N° Lexbase : A5954EU3 : D. 2010., AJ, 1024 ; L. Belfanti, note, ibid. 1688 ; L. Ascensi, obs., AJ pénal 2010. 294 ; A.-S. Chavent-Leclère, obs., Procédures 2010, n° 247 ; Cass. crim., 5 mai 2015, n° 14-88.157, FS-D N° Lexbase : A7150NHB ; Cass. crim., 13 mai 2015, n° 14-87.534, FS-P+B+I N° Lexbase : A8669NHK ; Cass. crim., 22 juin 2016, n° 15-87.752, F-P+B N° Lexbase : A0053RXA : D., 2016. Actu. 1565 ; F. Fourment, note, Gaz. pal. 4 octobre 2016, p. 60 ; A.-S. Chavent-Leclère, note, Procédures, 2016, n° 303 ; Cass. crim., 4 octobre 2016, n° 16-81.867, F-D N° Lexbase : A4316R7Y ; Cass. crim., 21 mars 2017, n° 16-84.877, F-D N° Lexbase : A7793UL9 : L. Belfanti, note, D., 2017. 1236 ; Cass. crim., 23 mai 2017, n° 16-86.837, FS-D N° Lexbase : A1001WES ; Cass. crim., 11 avril 2018, n° 17-86.711, F-P+B N° Lexbase : A1452XLD : V. Morgante, Défaut d’enregistrement audiovisuel d’un IPC : précisions sur l’étendue de la nullité, Dalloz actualité, 7 mai 2018 [en ligne] ; F. Cordier, note, RSC, 2018. 458 ; Cass. crim., 29 octobre 2019, n° 19-82.801, FS-D N° Lexbase : A4020ZUG ; Cass. crim., 29 octobre 2019, n° 19-82.804, FS-D N° Lexbase : A7214ZTD.

[29] V. not. Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441 N° Lexbase : A5695AT4 ; Cass. crim., 12 avril 2005, n° 04-86.780, F-P+F N° Lexbase : A1849DIC.

[30] V. not. Cass. crim., 24 novembre 1998, n° 98-82.496 N° Lexbase : A8909CIS ; Cass. crim., 29 février 2000, n° 99-85.573 N° Lexbase : A4133CKB ; Cass. crim., 20 mars 2007, n° 06-89.050, F-P+F+I N° Lexbase : A8102DUM ; Cass. crim., 27 juin 2017, n° 16-86.354, F-D N° Lexbase : A7186WLQ.

[31] Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 22-80.515, préc.

[32] V. not. Cass. crim., 10 avril 1996, n° 94-81.728 N° Lexbase : A7770CQT ; Cass. crim., 15 octobre 2019, n° 19-82.380, FS-P+B+I N° Lexbase : A1967ZRB.

[33] Cass. ass. plén., 9 décembre 2019, n° 18-86.767, FS-D N° Lexbase : A2913ZGY : H. Diaz, Loyauté de la preuve et stratagèmes : retour sur la mise au point de l’assemblée plénière, Dalloz actualité, 16 juin 2020 [en ligne] ; C. Ambroise-Castérot, obs., AJ pénal, 2020. 88 ; P.-J. Delage, obs., RSC, 2020. 103 ; H. Matsopoulou, note, JCP, 2020. 129 ; Cass. crim., 25 février 2020, n° 19-84.529, F-D N° Lexbase : A79253GM.

[34] Cass. crim., 18 juin 2019, n° 19-80.015, FS-P+B+I N° Lexbase : A9362ZEH : D. Goetz, Nullités de procédure : des rappels toujours salutaires, Dalloz actualité, 9 juillet 2019, préc. ; J. Pradel, obs., D., 2019. Pan. 1626 ; G. Clément, obs., AJ pénal, 2019. 450 ; F. Fourment, note, Dr. pén., 2019, n° 156, note.

[35] É. Verny, Procédure pénale, Dalloz Cours, 8e éd., 2022, p. 56, n° 49, note de bas de page n° 1.

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Responsabilité

[Jurisprudence] La portée indemnitaire de la rente accident du travail redéfinie par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation

Réf. : Ass. plén., 20 janvier 2023, deux arrêts, n° 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y et n° 20-23.673 N° Lexbase : A962688Z B+R

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par Christophe Quézel-Ambrunaz, Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc, Centre de recherches en droit Antoine Favre, membre de l’Institut Universitaire de France

Le 01 Février 2023

Mots-clés : dommage corporel rente accident du travail souffrances endurées faute inexcusable de l’employeur imputation en cascade déficit fonctionnel permanent recours des tiers payeurs revirement de jurisprudence

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, l’Assemblée plénière a précisé les postes de préjudices couverts par la rente accident du travail. Elle était saisie du point de savoir si des souffrances endurées pouvaient être indemnisées en sus de la rente, et, revirant sa jurisprudence pour l’aligner sur celle du Conseil d’État, elle répond désormais par l’affirmative. Au surplus, elle a indiqué que cette rente ne réparait pas le déficit fonctionnel permanent, ce qui devrait pour l’avenir interdire l’imputation de la rente sur ce poste.


 

Qu’indemnise la rente accident du travail ? Certaines questions – comme celle-ci – sont apparemment naïves, alors même que les réponses sont loin d’être évidentes. Il n’a fallu rien de moins qu’une Assemblée plénière pour apporter un début de réponse.

Les accidents du travail laissant la victime avec une incapacité permanente supérieure à 10 % [1] lui ouvrent droit à une rente dite « accident du travail ». L’article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8917KUS, deuxième alinéa, en indique le mode de calcul : il s’agit du produit du salaire annuel et du taux d’incapacité. Cette rente est incessible et insaisissable [2] et revalorisée annuellement pour suivre l’évolution des prix à la consommation [3].

L’incapacité dont il est question est fixée par référence à un barème spécifique aux accidents du travail [4], il s’agit donc d’une incapacité professionnelle, et doit prendre en compte « la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que […] ses aptitudes et sa qualification professionnelle » [5]. Le barème indique des taux très différents de ceux du barème du concours médical, par exemple : l’amputation entière d’un bras dominant représente un taux de 95 % en accidents du travail, mais de 55 à 60 % en droit commun. La différence se justifie en ce que la grandeur mesurée (l’incapacité professionnelle, d’un côté, l’incapacité personnelle, de l’autre) n’est pas la même.

La rente emprunte assurément à la technique indemnitaire, dans la mesure où son montant est fixé par rapport au salaire antérieur, et que le taux d’incapacité professionnelle est estimé de manière à intégrer le retentissement des séquelles sur la capacité de gain. Historiquement, d’ailleurs, le taux qui était retenu devait refléter la capacité résiduelle de la victime à gagner sa vie [6]. En outre, le chapitre du Code de la Sécurité sociale qui englobe les dispositions sur la rente accident du travail s’intitule « indemnisation de l’incapacité permanente ».

Pourtant, le mode de calcul de la rente diffère radicalement de celui qui préside à l’évaluation d’un préjudice : la rente n’est pas établie en fonction des pertes de gains effectivement subies. À taux d’incapacité équivalent, telle victime pourra poursuivre son emploi antérieur, ou éventuellement changer de poste, et maintenir ses revenus, voire les accroître ; quand telle autre ne pourra continuer son travail, et se verra privée d’emploi. La formule de calcul de la rente accident du travail conduit pourtant à un résultat identique pour l’une et l’autre, pour peu qu’elles aient le même salaire. En dépit des apparences, la rente accident du travail est donc plus forfaitaire qu’indemnitaire, et ce caractère a déjà été souligné par le Conseil constitutionnel [7], le Conseil d’État [8], et l’est désormais par la Cour de cassation dans les arrêts sous commentaire.

Le paradoxe est patent : la rente accident du travail est supposée avoir une nature indemnitaire, puisqu’elle répare des postes de préjudice, mais n’est en aucun cas mesurée sur le préjudice subi par la victime. Cette rente est donc forfaitaire.

La question de la nature de la rente accident du travail n’est pas seulement théorique. Lorsque l’accident du travail révèle la faute inexcusable de l’employeur, il est crucial de déterminer ce qu’indemnise cette rente ; en effet, dans un tel cas, l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5302ADQ permet à la victime de demander en sus à l’employeur réparation de certains postes de préjudice, dont les souffrances physiques et morales (qui intègrent, après consolidation, le déficit fonctionnel permanent). Et lorsque l’accident du travail est susceptible d’engager la responsabilité d’un tiers, et que la caisse de Sécurité sociale entend exercer son recours, la détermination de l’assiette du recours (entendre par là, les postes de préjudices sur lesquels le recours peut s’exercer) est fondamentale, particulièrement lorsque le droit à réparation n’est que partiel [9]. Sur tout ceci, les arrêts d’Assemblée plénière du 20 janvier 2023 constituent un authentique revirement.

Avant le revirement opéré en Assemblée plénière, la Cour de cassation considérait que la rente accident du travail réparait les préjudices professionnels (perte de gains professionnels et incidence professionnelle) d’une part, et le déficit fonctionnel permanent (intégrant les souffrances post-consolidation) d’autre part. Afin de préserver le principe de la réparation intégrale, qui prévient la double indemnisation du même poste de préjudice, la victime ne pouvait demander à son employeur la réparation de ses souffrances post-consolidations qu’à la condition de démontrer que la rente accident du travail ne les avait pas déjà réparées, par le truchement du déficit fonctionnel permanent. Cette question de preuve était en réalité dans la dépendance de l’importance de la perte de gains et de l’incidence professionnelle de la victime. Si elles étaient suffisamment importantes pour absorber la rente accident du travail, cela établissait que le déficit fonctionnel permanent n’était pas couvert par cette prestation. Dans le cas contraire, le poste extrapatrimonial était réputé réparé par la rente. Ce jeu de vases communicants était certainement insatisfaisant, mais avait l’avantage de ne pas mettre en lumière que la rente accident du travail pouvait, parfois, enrichir la victime [10].    

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement complet, par deux arrêts, l’un de cassation, l’autre de rejet.

Quant à l’arrêt de cassation [11], les faits concernaient un ouvrier exposé à l’amiante ayant contracté dans le cadre de son travail un cancer broncho-pulmonaire primitif, dont il est décédé. Une rente d’ayant droit a été versée à sa veuve, laquelle et sa fille ont saisi la caisse d’une procédure de reconnaissance de faute inexcusable, notamment pour obtenir l’indemnisation du poste de déficit fonctionnel permanent comme héritières de la victime. La cour d’appel de Caen [12] a relevé que la victime était retraitée lors de la première constatation de la maladie ; elle « n’a donc subi aucune perte de gains professionnels ni d’incidence professionnelle. Ainsi, la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent » ; cette position était parfaitement conforme à celle de la Cour de cassation. Elle a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité intéressante, fondée sur l’égalité des citoyens devant la loi [13], mais qui n’a pas été transmise, faute d’être estimée nouvelle ou sérieuse [14]. Les demandeurs au pourvoi soutiennent que la position de la cour d’appel viole plusieurs articles du Code de la Sécurité sociale.

Quant à l’arrêt de rejet, un ouvrier de l’amiante a appris à 56 ans qu’il était atteint d’un cancer broncho-pulmonaire. La cour d’appel de Metz l’a indemnisé au titre de ses souffrances physiques et morales, estimant que « le diagnostic d’une pathologie irréversible due à l’amiante constitue par son annonce même et la forte inquiétude qu’elle génère liée à son caractère incurable et évolutif, lequel s’est confirmé par l’issue fatale qui en est résultée, un préjudice spécifique devant être indemnisé en tant que tel, distinct de celui réparé au titre du déficit fonctionnel permanent » ; a fortiori, non couvert par la rente accident du travail. La Cour de cassation a cassé cet arrêt pour violation de différents articles du Code de la Sécurité sociale. La cour d’appel de Nancy, statuant sur renvoi [15], a résisté en motivant de manière sublime – le mot n’est pas trop fort – son arrêt. Elle affirme que la position traditionnelle de la Cour de cassation méconnaît le caractère composite du déficit fonctionnel permanent, et que « l’indemnisation des souffrances physiques et morales relève des seules dispositions de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale qui leur sont propres et distinctes de la rente qui n’a ni pour objet ni pour finalité de réparer de quelconques souffrances ». L’agent judiciaire de l’État a formé un pourvoi en cassation, reprochant à l’arrêt d’appel d’avoir statué par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement assumé de jurisprudence, rejetant le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel qui, statuant sur renvoi, avait résisté, et cassant l’arrêt des juges qui s’étaient conformés à sa jurisprudence antérieure.

La question principale posée à la Cour de cassation était donc relative à la possibilité d’indemniser les souffrances subies par une victime d’accidents du travail qui bénéficie de la rente accident du travail – et la réponse est désormais affirmative, ce qui constitue un premier revirement (II). Il n’a été possible que parce que la Cour de cassation a développé une nouvelle analyse du contenu de la rente accident du travail (I), pour en exclure le déficit fonctionnel permanent, qui contient ces souffrances après la consolidation, et ce point est sans doute celui qui aura la plus grande portée pratique (III).

I. Les préjudices indemnisés par la rente accident du travail

L’Assemblée plénière opère un revirement qu’elle assume. Les deux arrêts, dont on imagine que chaque terme a été minutieusement pesé, sont très similaires. Après l’exposé du contenu des textes applicables, la Cour rappelle la position qu’elle avait prise antérieurement, et fait état des critiques qui ont pu lui être adressées ou des divergences rencontrées.

Sans remonter jusqu’à la genèse du droit du dommage corporel, il convient de remarquer que le questionnement sur le contenu exact de la rente n’a pris une importance décisive qu’à partir du moment où a été posé le principe de l’exclusion des postes personnels de l’assiette du recours des caisses [16], puis a fortiori lorsque la règle du recours des tiers payeurs poste par poste a été affirmée [17]. Déterminer les postes réparés par la rente accident du travail permettait de déterminer l’assiette du recours de la caisse de Sécurité sociale la versant. La Cour de cassation a d’abord, dans une série d’avis, indiqué que cette rente « indemnise, notamment, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l’incapacité ; […] Si la caisse de Sécurité sociale estime que cette prestation indemnise aussi un préjudice personnel et souhaite exercer son recours sur un tel poste, il lui appartient d’établir que, pour une part de cette prestation, elle a effectivement et préalablement indemnisé la victime, de manière incontestable, pour un poste de préjudice personnel »[18]. Cette preuve, dans un second temps, a été considérée comme rapportée chaque fois que le montant de la rente excédait le total des postes professionnels [19], et a fortiori lorsque la victime, bien que titulaire d’une rente, ne subissait ni perte de revenus, ni incidence professionnelle [20] (de là date la divergence d’avec le Conseil d’État [21], que les arrêts sous commentaire abolissent). Autrement dit, si la caisse peut recourir en prenant pour assiette un certain poste de préjudice, c’est nécessairement qu’elle l’a indemnisé, et donc que la victime ne saurait demander une autre indemnisation, pour le même poste, au responsable (du moins pour la fraction indemnisée), sans que cela ne viole le principe de la réparation intégrale [22]. Ce raisonnement vole en éclats avec ces arrêts d’Assemblée plénière : la rente n’est plus, désormais, vue comme indemnisant les postes personnels – alors même qu’elle excéderait les postes professionnels.

Cette solution amène à faire prévaloir le caractère forfaitaire – l’expression est dans les arrêts [23] – de la rente accident du travail ; en d’autres termes, son caractère non nécessairement indemnitaire. Elle revient à reconnaître qu’existent des cas – ceux où la rente excède la valeur des postes professionnels – où la victime s’enrichit grâce à la rente accident du travail.

La Cour de cassation expose, dans une louable transparence, les trois forces qui l’ont conduite à infléchir sa position. Les critiques de la doctrine – y compris celle issue de ses rangs [24] – qui s’était, il est vrai, majoritairement élevée contre la solution adoptée en 2009 [25] ; les difficultés rencontrées par les juges du fond sur le terrain de la preuve – litote permettant d’esquiver le constat de franches résistances ; et l’exemple du Conseil d’État, qui n’a jamais admis que les rentes assimilables à celles versées aux victimes d’accident du travail s’imputent sur les postes extrapatrimoniaux – d’abord dans un avis [26], puis dans de multiples décisions [27].

Dans la mesure où la Cour de cassation cite, au titre de sa jurisprudence antérieure, qu’elle remet en cause, des prestations autres que la rente accident du travail stricto sensu, comme la pension militaire d’invalidité [28] ou l’allocation d’invalidité des fonctionnaires [29], il doit être tenu pour acquis que la nouvelle interprétation s’applique également à ces prestations comparables à la rente accident du travail.

II. L’indemnisation des souffrances en sus de la rente accident du travail

L’indemnisation des accidents du travail repose sur un compromis social fort : la réparation en est automatique, mais inférieure à la réparation intégrale.

Les conséquences de l’incapacité subie dans le cadre du travail sont indemnisées soit par un capital [30], soit par une rente si l’incapacité est supérieure à 10 % [31], en-dehors de toute allégation de faute, ou en cas de faute simple. Ces sommes sont déterminées de manière forfaitaire, ainsi que cela a déjà pu être souligné.

Lorsque l’employeur a commis une faute inexcusable, l’indemnisation est plus complète. Une telle faute est très facilement admise, dans la mesure où la Cour de cassation retient « qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5300ADN, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » [32].

L’effet de la reconnaissance de la faute inexcusable est important : d’une logique d’indemnisation sans égard à la responsabilité, une bascule s’opère vers la responsabilité ; parallèlement, le forfaitaire cède le pas à l’indemnitaire.

La première conséquence à cette qualification est la majoration des prestations qui, selon les termes de l’article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7113IUY, sont payées par la caisse, mais dont le capital représentatif est récupéré auprès de l’employeur. Surtout, ces majorations sont bornées par le salaire annuel en cas d’incapacité totale de travail, ou à une fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de la capacité. Il s’agit d’un pas vers la logique indemnitaire, mais il est incomplet : la borne n’est pas liée à la perte de revenus. Une victime est susceptible de subir une perte de capacité de 50 %, mais une perte de revenus inférieure ou supérieure.

La seconde conséquence est celle de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5302ADQ, qui permet en outre à la victime « de demander à l'employeur devant la juridiction de Sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ». La logique indemnitaire est encore plus présente, mais les termes employés ne sont pas cohérents avec la nomenclature « Dintilhac ». Le législateur, qui n’a semble-t-il pas eu l’idée d’accorder les termes dans lesquelles sont définies les prestations sociales et les demandes complémentaires à l’évolution du droit du dommage corporel, peut être désigné responsable de la valse-hésitation à laquelle les arrêts sous commentaire apportent peut-être un répit provisoire. La liste indiquée des postes n’est pas limitative, a affirmé par des réserves d’interprétation le Conseil constitutionnel statuant après une question prioritaire de constitutionnalité [33].

Néanmoins, pour respecter un principe indemnitaire qui interdit à la victime de recevoir plus que le montant de son préjudice, ces demandes de réparation complémentaire ne sont recevables que si les préjudices dont il est demandé réparation n’ont pas déjà été réparés. Ici ressurgit la question de la nature de la rente accident du travail et de sa portée indemnitaire, où il peut être remarqué que si le législateur a prévu une indemnisation complémentaire pour les souffrances, c’est qu’elles ne sont pas incluses dans la rente, même majorée. Avant les arrêts sous commentaire, la Cour de cassation invitait les juges du fond à vérifier si la rente (avec sa majoration) excédait les postes professionnels, pour en déduire que les souffrances endurées, sous couvert de déficit fonctionnel permanent, étaient ou non indemnisées, ce qui conditionnait l’accès à la réparation complémentaire. Étaient systématiquement cassés des arrêts qui acceptaient d’indemniser le déficit fonctionnel permanent au seul motif qu’il n’était pas indemnisé par la rente [34].

Désormais, la solution nouvelle permet aux victimes de demander systématique, en cas de faute inexcusable, l’intégralité des postes prévus par la liste non limitative de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, et notamment les souffrances post-consolidation, comme composante du déficit fonctionnel permanent. L’indemnisation des souffrances en sus de la rente accident du travail est assurément de nature à augmenter l’indemnisation des victimes concernées, aux dépens de ceux – assureur de l’employeur essentiellement – qui seront débiteurs définitifs de l’indemnisation. Il ne s’agit pas du seul facteur d’accroissement de l’indemnisation des victimes : l’affirmation selon laquelle la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent modifie le jeu du recours des tiers payeurs, notamment l’imputation en cascade, et augmente l’indemnisation de la victime en diminuant le produit du recours de la caisse de sécurité sociale.

III. La non-indemnisation du déficit fonctionnel permanent par la rente accident du travail

La réparation, par la rente accident du travail, du déficit fonctionnel permanent a toujours pu sembler suspecte, du moins dès lors que cette notion a gagné son autonomie. En effet, il est précisé dans le rapport dit « Dintilhac » [35] qu’« il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime », qui s’oppose à la sphère professionnelle. Or, le 4) de l’article L. 431-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8044LGZ, qui prévoit le principe de la rente accident du travail, l’attribue aux « victimes atteintes d'une incapacité permanente de travail ». Cette rente et le déficit fonctionnel permanent n’appartiennent donc pas à la même sphère. La question trouve son importance ici lorsque le dommage subi par la victime engage la responsabilité d’un tiers à la relation professionnelle (cas de l’accident du travail qui est également un accident de la circulation avec implication d’un tiers, par exemple).

La jurisprudence antérieure à ces arrêts d’Assemblée plénière, qui a été rappelée, amenait à une imputation dite en cascade de la rente accident du travail, et des prestations assimilables, jusque sur des postes de nature personnelle. La caisse de Sécurité sociale intervenant au titre de l’accident du travail a en effet un recours subrogatoire contre les tiers responsables au titre de l’article L. 454-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8869LHX, mais celui-ci n’est pas supposé s’exercer sur les postes à caractère personnel. Néanmoins, cette imputation en cascade signifiait que la rente (arrérages échus et à échoir capitalisés), s’imputait en priorité sur les pertes de gains professionnels futurs. Si celles-ci étaient inférieures à la prestation de l’organisme sociale, le reliquat [36] s’imputait sur l’incidence professionnelle ; et, en cas de persistance d’un reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent. L’intérêt pour la victime de faire reconnaître l’existence de ce poste extrapatrimonial était limité si ses préjudices professionnels n'atteignaient pas le montant des prestations sociales, dans la mesure où il intégrerait alors l’assiette du recours.

Par les arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation insiste avec force sur le fait que le déficit fonctionnel permanent n’est pas réparé par la rente accident du travail. Ce faisant, elle l’exclut de l’assiette du recours des caisses. L’effet économique de ce revirement est au bénéfice de certaines victimes – celles qui voyaient leur indemnisation auparavant amputée par l’intégration du déficit fonctionnel permanent dans l’assiette du recours. Il est neutre pour les tiers responsables, qui payent de manière identique à la victime ou au payeur exerçant son recours. Il est négatif pour les caisses versant les prestations ouvrant droit au recours, dans la mesure où l’assiette disponible se réduit [37].

La portée pratique du revirement est importante. Il faut évidemment conseiller aux avocats de victimes de modifier leurs écritures pour demander des souffrances permanentes en cas de faute inexcusable, et pour limiter l’imputation en cascade de la rente accident du travail aux postes professionnels. Les logiciels de calcul Quantum [38] et Norma [39] s’adaptent. Au surplus, lorsque les délais le permettent, ils ont intérêt à faire appel, ou à former un pourvoi en cassation, contre toutes les décisions qui auraient réalisé une imputation en cascade sur le déficit fonctionnel permanent. Il semble en effet impossible que la Cour de cassation, qui vient en Assemblée plénière d’affirmer que la rente accident du travail n’indemnise pas le déficit fonctionnel permanent, se contredise en admettant qu’il intègre l’assiette du recours de la caisse de Sécurité sociale. Selon toute vraisemblance, il devrait en être de même pour toutes les rentes voisines de celle-ci : que l’Assemblée plénière intègre dans l’exposé de sa jurisprudence antérieure des arrêts qui ne concernent pas la rente accident du travail est un indice sérieux qu’elle les englobe dans un même tout.

Il est probable que l’Assemblée plénière avait parfaitement conscience de l’impact que sa solution aurait sur l’imputation en cascade de certaines prestations indemnitaires, et que c’est pour cette raison que l’exclusion du déficit fonctionnel a été posée si nettement – alors même que cela pourrait sembler à première vue être un obiter dictum. Ce faisant, elle a évité de rouvrir le débat sur le point de savoir si l’allocation d’une rente pouvait être considérée comme une indemnisation « préalable » d’un poste personnel ; ce qui aurait, par conséquent, amené un nouveau débat sur les aspects extrapatrimoniaux de l’incidence professionnelle.

Si les arrêts commentés ont l’immense mérite d’uniformiser les positions des juges judiciaires et administratifs – ce qui est dans l’air du temps, puisque les projets de réforme de la responsabilité civile soumettraient les deux ordres de juridiction aux mêmes règles, ils font apparaître des besoins de réforme [40]. D’abord, la rente accident du travail conserve, même majorée, une portée indemnitaire douteuse : empreinte de son origine forfaitaire, elle est susceptible d’excéder ou de ne pas atteindre le montant des postes de préjudices auxquels elle est supposée correspondre [41]. Ensuite, la détermination d’une concordance entre les prestations versées par les organismes sociaux et les postes de préjudices serait souhaitable [42]. Enfin, l’individualisation des souffrances endurées à titre définitif serait souhaitable, ce qui serait le prolongement de l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, qui a donné lieu à l’arrêt de rejet, et qui souligne la nature composite du poste du déficit fonctionnel permanent.  

 

[1] CSS, art. R. 434-1 N° Lexbase : L7232AD9.

[2] CSS, art. L. 434-18 N° Lexbase : L5272ADM.

[3] CSS, art. L. 434-17 N° Lexbase : L8914KUP.

[4] CSS, Annexe I : Barème indicatif d'invalidité (accidents du travail).

[5] CSS, art. L. 434-2, al. 1er N° Lexbase : L8917KUS.

[6] Voyez J. Rohmer, Les accidents du travail : évaluation (à l'usage des médecins experts) des incapacités professionnelles (loi du 9 avril 1898), Masson et Cie, 1902, p. II.

[7] Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK, n° 16 : la victime, « lorsqu’elle est atteinte d’une incapacité permanente, lui est versée une indemnité forfaitaire calculée en tenant compte notamment du montant de son salaire et du taux de son incapacité  ».

[8] CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A3225I9C, n° 5.

[9] Voyez A. Cayol, Recours des tiers payeurs : retour sur les difficultés suscitées par les rentes accident du travail et par le droit de préférence de la victime en cas de partage de responsabilité, Bulletin Juridique des assurances 2021, n° 73, p. 19.

[10] C. Quézel-Ambrunaz, Recours des tiers payeurs et prestations forfaitaires : la Cour de cassation réécrit-elle la loi ?, Revue Lamy Droit civil, 2009, 66, p. 15-23. Voyez aussi H. Groutel, Recours des tiers payeurs : enfin des règles sur l’imputation des rentes d’accident du travail (et prestations analogues), Responsabilité civile et assurances n° 7-8, juillet 2009, étude 10 et P. Jourdain, Imputation des rentes d'accident du travail sur les postes de dommage corporel : la Cour de cassation change d'avis, D. 2009 p. 1789. Et encore J. Bourdoiseau, Rente AT, déficit fonctionnel permanent et recours des tiers payeurs : « Tout a été dit, mais comme personne n'écoute, il faut toujours répéter », Gaz. Pal. 17 nov. 2015, n° 247q8, p. 43 remarque : « Il est pourtant douteux qu’une prestation corrélée au salaire puisse réparer des préjudices personnels ».

[11]  Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 20-23.673.

[12] CA Caen, ch. soc., sect. 3, 29 octobre 2020, n° 17/03659 N° Lexbase : A76553ZK.

[13] DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M. L’un des arguments étant de dire que, si la rente accident du travail répare un poste extrapatrimonial, mais que celui-ci est évalué en fonction du salaire, cela signifie que la souffrance d’un homme a une valeur liée à son salaire…

[14] Cass. QPC, 8 juillet 2021, n° 20-23.673, F-D N° Lexbase : A63674YH.

[15] CA Nancy, ch. soc., 1re sect., 7 septembre 2021, n° 21/00095 N° Lexbase : A659243K.

[16] Loi n° 73-1200, du 27 décembre 1973, relative à l'étendue de l'action récursoire des caisses de Sécurité sociale en cas d'accident occasionné à un assuré social par un tiers, art. 1, modifiant l’article L. 397 du Code de la Sécurité sociale, « la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d ’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, à l’exclusion de la part d ’indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d ’agrément ».

[17] Loi n° 2006-1640, du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4, art. 25.

[18] Cass. avis, 29 octobre 2007, n° 0070015P N° Lexbase : A2872DZE ; voir aussi, Cass. avis, 29 octobre 2007, n° 0070017P N° Lexbase : A2874DZH.

[19] Cass. crim., 19 mai 2009, quatre arrêts, n° 08-84.896, inédit ; n° 08-83.529, inédit ; n° 08-82.666, FS-P+F N° Lexbase : A0770EID ; n° 08-83.987, FS-D N° Lexbase : A3166EI4.

[20] Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, deux arrêts, n° 07-20.419, FS-P+B N° Lexbase : A2614EMR et n° 08-19.576, FS-P+B N° Lexbase : A2704EM4. Ces arrêts précisent en outre que lorsque la rente est définitive, la condition de versement préalable est remplie. Voyez notamment sur cette hypothèse P. Jourdain, Imputation des rentes d'accident du travail sur les postes de dommage corporel : la Cour de cassation change d'avis, D., 2009, p. 1789.

[21] En ce sens, voyez les conclusions du rapporteur public A. Lallet, sous CE, sect. cont., 8 mars 2013, n° 361273, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3225I9C.

[22] Voir les critiques de C. Bernfeld, Candide au pays du recours des tiers payeurs « Où il est démontré que les choses ne peuvent pas être autrement », Gaz. Pal. 29 déc. 2009, p. 4.

[23] Voir aussi le rapport de Mme la conseillère Van Ruymbeke.

[24] P. Sargos, L'erreur de droit permanente en matière de recours des tiers payeurs d'une rente accident du travail, Gaz. Pal., 25 novembre 2010, p. 5, qui estime que « c'est le Conseil d'État, et non la Cour de cassation, qui a raison quant à l'objet de la rente accident du travail, qui n'a pas un caractère mixte ». ; Comp. A. Dejean de la Bâtie, Le recours des tiers payeurs : la Cour de cassation se fait juge et partie, RLDC 2011/79 : « La chambre civile fait triompher la logique civiliste en affirmant le caractère hybride de la rente accident ».

[25] Voyez notamment M. Keim-Bagot, Rente AT-MP : une jurisprudence contra legem, Droit social 2021, p. 93, qui s’interroge : « Jusqu’à quand acceptera-t-on que l'on ampute ainsi l'indemnisation des victimes du risque professionnel ? » ;  S. Porchy-Simon, Accident du travail - Régime juridique du recours des tiers payeurs après la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2006, n° 36, 31 août 2009, act. 195, qui regrette qu’une « présomption d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent par ces prestations [ soit] en effet instaurée lorsqu’aucune perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle n’est retenue par le juge ».

[26] CE, sect. cont., 8 mars 2013, n° 361273, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3225I9C. Au n° 5, il est écrit : « Eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l’article L. 431-1, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d’incapacité permanente défini par l’article L. 434-2, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité ».

[27] CE, 23 décembre 2015, n° 374628 N° Lexbase : A0087N3M ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065 N° Lexbase : A0292WWQ.

[28] Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86.485, F-P+F N° Lexbase : A0774EII.

[29] Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86.050, F-P+F N° Lexbase : A0773EIH.

[30] CSS, art. L. 434-1 N° Lexbase : L8918KUT ; pour la détermination forfaitaire du montant du capital, voir CSS, art. D. 434-1 N° Lexbase : L4433K7C.

[31] CSS, art. L. 434-2 N° Lexbase : L8917KUS.

[32] Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR ; Cass. civ. 2, 22 septembre 2022, n° 21-13.494, F-D N° Lexbase : A34598LP (pas de faute inexcusable car pas de conscience du danger).

[33] Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK, considérant n° 18.

[34] Voyez par exemple Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6498IH7.

[35] Rapport du groupe de travail chargé  d’élaborer une nomenclature  des préjudices corporels, dirigé par J.-P. Dintilhac [en ligne].

[36] La manière de le calculer a pu susciter des difficultés, en cas de diminution de l’indemnisation en raison de la faute de la victime ou du jeu de la perte de chance : faut-il déduire le poste pour sa pleine valeur, ou pour sa fraction indemnisable correspondant à la prestation imputée ? La Cour de cassation a précisé qu’il s’agissait du poste entier, Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-21.744, F-D N° Lexbase : A164438E.

[37] Il convient toutefois de relativiser la portée de cet effet, qui n’amputera que partiellement les recours, qui ne représente qu’une fraction des comptes de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles : en 2021, un peu plus de 500 millions d’euros pour plus de 14 milliards de produits, voir les comptes combinés AT/MP 2021, p. 17 [en ligne].

[38] Logiciel de calcul Quantum [en ligne] ; déclaration d’intérêts : l’auteur bénéficie d’un accès offert à ce logiciel.

[39] Logiciel de calcul Norma [en ligne] ; déclaration d’intérêts : l’auteur bénéficie d’un accès offert à ce logiciel, et le laboratoire auquel il appartient réalise des prestations de service rémunérées par la société éditrice.

[40] Qui excèdent le rôle de la jurisprudence, voir l’avis du premier avocat général Gaillardot.

[41] « Il y a nécessairement une contradiction entre l’approche forfaitaire de l’indemnisation et l’évaluation globale du préjudice par les juridictions » souligne dans son avis le premier avocat général Gaillardot.

[42] Voyez déjà O. Sabard, Quelle typologie des postes de préjudices ? Postes de préjudices et assiette du recours des tiers payeurs, RCA n° 3, mars 2010, dossier 7.

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Responsabilité administrative

[Brèves] Dommage causé par plusieurs fautes commises par des personnes publique et privée : office du JA et action récursoire

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 20 janvier 2023, n° 468190, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A353089M

Lecture: 2 min

N4137BZA

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par Yann Le Foll

Le 01 Février 2023

En cas de dommage causé par plusieurs fautes commises par des personnes différentes et indépendantes, portant chacune en elle ce dommage, la victime peut demander la condamnation de la seule personne publique, laquelle peut ensuite former une action récursoire devant le juge compétent.

Avis CE. Lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante (lorsqu’elles ont chacune, comme en l’espèce, commis une erreur fautive de diagnostic à l’origine, pour la victime, de la même perte de chance de se soustraire à la survenue du dommage), portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher devant le juge administratif la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes à réparer l'intégralité de son préjudice (CE, 2 juillet 2010, n° 323890, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6040E34).

L'un des coauteurs ne peut alors s'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité en invoquant l'existence de fautes commises par l'autre coauteur.

La victime peut demander la condamnation d'une personne publique à réparer l'intégralité de son préjudice lorsque la faute commise portait normalement en elle le dommage, alors même qu'une personne privée, agissant de façon indépendante, aurait commis une autre faute, qui portait aussi normalement en elle le dommage au moment où elle s'est produite (voir CE, 6 octobre 2022, n° 446764, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A84028M7).

Il n'y a, dans cette hypothèse, pas lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques entre ceux-ci, mais non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage.

Conclusions. Pour le rapporteur public Florian Roussel, « ce partage de responsabilité ne se justifie plus lorsque chacun de ces faits était de nature à causer de façon certaine le dommage. Ainsi, en l’espèce, sans l’une ou l’autre des erreurs de diagnostic commise, il existait une probabilité de 100 % que le dommage (qui consistait en une perte de chance dans l’affaire dont le tribunal est aujourd’hui saisi) fût évité.

Avis CE (fin). Il incombe à la personne publique, si elle l'estime utile, de former une action récursoire à l'encontre du coauteur personne privée devant le juge compétent, afin qu'il soit statué sur ce partage de responsabilité.

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Sociétés

[Jurisprudence] Rappel des effets attachés à l’indivisibilité du coup d’accordéon : la suspension de la réalisation de l’augmentation de capital par le juge prive d’effet la réduction de capital

Réf. : Cass. com., 4 janvier 2023, n° 21-10.609, F-B N° Lexbase : A008787D

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par Philippe Emy, Maître de conférences en droit privé, Université de Bordeaux

Le 01 Février 2023

Mots-clés : augmentation de capital • réduction de capital • coup d’accordéon • société par actions • droit préférentiel de souscription • apport partiel d’actif

Il résulte des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce que la réduction à zéro du capital d'une société par actions n'est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d'une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire. Viole ces dispositions une cour d'appel qui juge qu'un actionnaire a perdu cette qualité à la suite de la réduction à zéro du capital de la société, alors qu'elle a retenu que l'augmentation de capital ayant suivi, dont la réalisation avait été suspendue, n'était pas effective, ce dont elle aurait dû déduire que la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver celle-ci de tout capital, légalement produire effet.


Développé par la pratique, adoubé par le législateur et encadré par la jurisprudence, le coup d’accordéon fait partie des grands classiques des opérations sur capital. La spécificité de cette technique consiste à réunir au sein d’une opération unique deux actes a priori distincts, une réduction du capital et une augmentation consécutive du capital. Comme de nombreuses autres constructions juridiques, cette figure est tiraillée entre la dualité de son mécanisme et la nécessaire indivisibilité de l’opération prise dans sa globalité. On pourrait croire la mécanique du coup d’accordéon désormais bien assimilée, la Cour de cassation doit cependant rappeler ici la nature et la portée des principes qui le régissent.

Les faits de l’espèce sont particulièrement alambiqués, ce qui tranche avec la simplicité de la décision prise par la Cour de cassation. Pour ceux qui apprécient les affaires complexes, une présentation des faits, des enjeux et de la procédure n’est pas inutile. On y découvrira que la suspension d’un coup d’accordéon peut avoir, des années après, des conséquences sur l’apport partiel d’actif conclu entre une société et sa filiale.

La SAS Intégrale a été fondée en 1985 par [A] [L], président et détenteur de 50 % des actions, [E] [N] et Mme A détenant chacun 25 % des actions. Le 10 juin 2015, après la vente d’une partie des actions de Mme A à [A] [L], la répartition du capital social de la société est la suivante : 66 % pour [A] [L], 25 % pour [E] [N] et 9 % pour Mme A. Le 30 juin 2015, une assemblée générale extraordinaire est convoquée par un mandataire ad hoc et décide d’un coup d’accordéon avec maintien du droit préférentiel de souscription. Cependant, la période de souscription à l'augmentation de capital n’est pas ouverte à [E] [N]. À la suite de cette opération, [A] [L] devient associé unique de la SAS Intégrale et M. [C], salarié de la société, est nommé président.

[E] [N] saisit le tribunal de commerce afin de contester en référé cette décision sociale et obtient, le 11 septembre 2015, une ordonnance de référé décidant de la suspension de l’augmentation de capital et de la modification du capital social. Par jugement du 29 septembre 2017, faisant suite à la demande au fond présentée par [E] [N], le tribunal de commerce de Paris décide de suspendre les droits de vote et les droits aux dividendes des actions créées à l’occasion du coup d’accordéon du 30 juin 2015 et ordonne l’ouverture du capital à son profit. Le 26 janvier 2018, [E] [N] participe à une telle augmentation de capital et réintègre la société en qualité d’associé.

Le 1er octobre 2015, la SAS Intégrale prépa est constituée, son capital étant détenu à 60 % par la société Intégrale et à 40 % par M. [C]. Par délibérations respectives du 16 novembre 2015 et du 10 février 2016, les SAS Intégrale et Intégrale prépa, représentées toutes les deux par M. [C], conviennent d’un apport partiel d’actif portant sur les branches d'enseignement « scientifique » et « économique » de la SASU au profit de la société Intégrale prépa. À la suite de cet apport, la société Intégrale prépa agrée la cession d’une partie des actions nouvellement créées appartenant à la SASU Intégrale au profit de M. [C] et Mme [J] et autorise un apport en industrie réalisé par M. [C]. Au terme de ces différentes opérations, la SASU Intégrale possède 71 % du capital de la SAS Intégrale prépa, M. [C] et Mme [J] en détiennent chacun 14,4 %, les deux associés minoritaires en capital disposant conjointement de 50,65 % des droits de vote.

[A] [L] décédant le 2 juillet 2016, ses deux enfants recueillent la succession et les actions de la SAS Intégrale. Les héritiers estiment que les dernières opérations avaient, si ce n’est pour objet, au moins pour effet, de les priver de tout pouvoir décisionnel au sein de la filiale SAS Intégrale prépa. En conséquence, le 27 juin 2017, une assemblée générale de la société Intégrale est convoquée par un mandataire ad hoc et décide de révoquer M. [C] de son poste de président pour le remplacer par l’un des héritiers. Par une ordonnance du 4 juillet 2017, M. Poli est désigné comme administrateur provisoire de la SAS Intégrale prépa.

Ce n’est là que le début de l’aventure procédurale. Le 8 août 2016, [E] [N] assigne les sociétés Intégrale et Intégrale prépa en nullité de l’opération d’apport partiel d’actif. La société Intégrale et les héritiers de [A] [L] demandent également la nullité de toutes les délibérations postérieures à la décision sociale du 30 juin 2015, dont l’apport partiel d’actif, la cession des actions de la SAS Intégrale à M. [C] et Mme [J], ainsi que l’apport en industrie de M. [C] à la SAS Intégrale prépa. Afin de rejeter ces demandes, M. [C] et Mme [J] opposent une fin de non-recevoir tirée de la prescription aux actions en nullité de [E] [N] et des héritiers de [A] [L] ainsi que du défaut de qualité à agir d’[E] [N], du fait de la perte de sa qualité d’associé depuis la réalisation du coup d’accordéon du 30 juin 2015.

Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris déclare recevable l'action de M. [E] [N] en nullité de l'apport partiel d'actifs. Considérant que [E] [N] était toujours, après le 30 juin 2015, actionnaire de la société Intégrale à hauteur de 25 %, qu'en cette qualité il était recevable à agir et que son action en nullité n'était pas prescrite, le tribunal estime que la décision d'apport prise par [A] [L] était nulle et que l’opération d’apport partiel d’actif devait être annulée rétroactivement, tout comme les actions créées à cette occasion.

M. [C] et Mme [J] ont bien entendu fait appel de ce jugement. Par décision du 29 décembre 2020, la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur l’unique question de la qualité à agir de [E] [N]. Sur ce point, elle a considéré que si la décision du tribunal de commerce rendue en référé le 11 septembre 2015 avait bien décidé la suspension de l’augmentation de capital et de la modification du capital social, elle n’avait en revanche pas prévu une telle suspension pour la réduction de capital décidée le même jour dans le cadre du coup d’accordéon. Elle a également considéré que le jugement rendu sur le fond par le tribunal de commerce le 29 septembre 2017 ne se prononce lui aussi que sur la suspension des droits de vote et des droits aux dividendes attachés aux actions nouvellement créées lors du coup d’accordéon. La cour d’appel de Paris en a déduit que, en dépit de la décision rendue par le tribunal de commerce en référé, [E] [N] n’avait pas conservé sa qualité d’associé et était donc dépourvu de la qualité pour agir en nullité de l’apport partiel d’actif sur le fondement de l’article L. 235-9 alinéa 2 du Code de commerce N° Lexbase : L8351GQD.

Le recours en nullité exercé par les héritiers de [A] [L] a fait l’objet d’un autre arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 13 avril 2021. Il n’est pas concerné par l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2023 ici commenté. Pour la petite histoire, la cour d’appel a décidé de rejeter le recours en nullité des associés, considérant leur action comme prescrite au regard de l’article L. 235-9 alinéa 2 du code de commerce [1]. Les associés avaient demandé à bénéficier de l’interruption de prescription des articles 2241 et suivants du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, en se fondant sur la demande en nullité formée par [E] [N]. Mais la cour d’appel leur a rappelé que l’article 2243 du même code N° Lexbase : L7179IA7 s’opposait à tout effet interruptif d’une demande en justice dès lors qu’elle est définitivement rejetée, ce qui, selon elle, était bien le cas dans la mesure où elle avait rejeté dans sa précédente décision la demande de [E] [N] pour défaut de qualité à agir.

On comprend dès lors le rôle central, pour toutes les parties, du recours en cassation intenté par [E] [N] contre la décision de la cour d’appel de Paris du 29 décembre 2020. [E] [N] a formé un pourvoi, repris par ses héritiers après son décès, reprochant principalement à la cour d’appel d’avoir refusé de le qualifier d’associé de la société Intégrale et en conséquence de lui dénier la qualité pour agir en nullité de l’apport partiel d’actif. La cour d’appel a justifié sa position en affirmant que les décisions rendues par le tribunal de commerce ne remettaient en cause qu’une partie du coup d’accordéon, à savoir l’augmentation de capital social, sans affecter la réduction préalable. La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en avançant une solution dont la simplicité et l’évidence sont les bienvenues au regard de la complexité de l’affaire. Le coup d’accordéon constitue une opération indivisible, dont les effets ne peuvent exister l’un sans l’autre (I). Dès lors, l’ordonnance rendue en référé par le tribunal de commerce et décidant de la suspension de l’augmentation de capital avait pour conséquence nécessaire que la réduction de capital ne pouvait légalement produire effet, peu importe que la suspension de cette réduction n'ait pas été ordonnée en référé. En conséquence, [E] [N] avait bien conservé la qualité d’associé et la cour d’appel ne pouvait refuser d’examiner au fond sa demande en nullité de l’apport partiel d’actif en lui opposant un défaut de qualité pour agir (II).

  1. I. La nature du coup d’accordéon

La spécificité du coup d’accordéon tient à ce qu’il combine deux opérations, à savoir une diminution de capital suivie un instant de raison plus tard d’une augmentation de capital. Afin de satisfaire l’obligation légale de maintenir un capital social minimum de 37 000 euros, obligation toujours en vigueur pour les sociétés anonymes, l’opération se doit d’être indivisible. Cet effet est obtenu grâce au recours à la condition suspensive, la réduction de capital étant conditionnée à l’augmentation consécutive du capital. Il en résulte un régime dual pour le coup d’accordéon. La jurisprudence admet d’examiner séparément les opérations de réduction et d’augmentation, notamment pour en vérifier les conditions de validité (A). Dans le même temps, elle exige que l’opération soit appréhendée de façon unitaire, ce que la Chambre commerciale rappelle dans la présente décision (B).

A. La dualité du coup d’accordéon

La jurisprudence retient parfois que la licéité d'une opération de restructuration, consistant à procéder à la réduction à zéro du capital pour cause de pertes puis à augmenter le capital, doit s'apprécier dans sa globalité [2]. Cela n’est pas tout à fait exact dans la mesure où le traitement unitaire du coup d’accordéon n’a pas pour objectif d’ignorer les régimes respectifs de ses deux composantes : réduction de capital motivée par des pertes et augmentation de capital demeurent soumises à des régimes distincts. Ce qui est vrai, c’est que la nullité d’une des opérations aura des répercussions sur l’ensemble.

La Cour de cassation a, à de nombreuses reprises, accepté de se pencher sur les effets attachés à chacune des opérations sous-jacentes afin de contrôler la validité du coup d’accordéon. Dans un premier temps, elle a confirmé la licéité d’une opération conjuguant réduction du capital à zéro puis augmentation du capital en écartant le grief selon lequel l’opération induisait une augmentation des obligations de tous les associés, nécessitant donc leur accord unanime. Pour cela, elle a analysé de façon autonome l’augmentation de capital en rappelant que les associés n’étaient en aucun cas contraints de participer à cette augmentation [3]. Ensuite, elle a refusé d’analyser l’opération comme une technique conduisant à l’exclusion des associés. En effet, la réduction du capital à zéro ne constitue pas une atteinte au droit de propriété des actionnaires, mais réalise l’obligation sociale de contribuer aux pertes dans la limite des apports des associés [4]. La combinaison des deux affirmations met ainsi l’opération à l’abri de la plupart des contestations [5].

La Cour de cassation a achevé sa construction en examinant l’hypothèse particulière du coup d’accordéon avec suppression du droit préférentiel de souscription. Une telle opération peut s’avérer indispensable lorsque les pertes de la société sont conséquentes et que seule l’arrivée d’un nouvel actionnaire évitera à l’entreprise de disparaître. Pour la Cour, à partir du moment où la suppression du droit préférentiel de souscription a été décidée par l’assemblée générale extraordinaire conformément aux dispositions légales – c’est-à-dire le plus souvent dans l’hypothèse figurant à l’article L. 225-138 du Code de commerce N° Lexbase : L2180LYE d’une suppression au profit de bénéficiaires dénommés ou de catégories de bénéficiaires –, le coup d’accordéon doit être considéré comme licite même si les anciens actionnaires ne peuvent pas participer à l’augmentation de capital à partir du moment où la pérennité de l’entreprise en dépend [6].

En l’espèce, et bien que l’arrêt d’appel ne nous donne pas toutes les précisions, c’est la mise en œuvre du droit préférentiel de souscription qui a posé problème. L’assemblée générale extraordinaire avait voté un coup d’accordéon avec maintien du droit préférentiel de souscription qui devait donc permettre à [E] [N] de conserver sa place au sein de la société, s’il souhaitait utiliser ledit droit préférentiel. Cependant, lors de l’ouverture de la période de souscription, [E] [N] n’a pas été convié à utiliser son droit préférentiel et n’a donc pas pu participer à l’augmentation de capital. On connaît la conséquence : [A] [L] a été le seul à participer à l’augmentation de capital et la SAS Intégrale est devenue de facto une société par actions simplifiée unipersonnelle. Le non-respect de ce droit fondamental a donc vicié la procédure d’augmentation de capital social. La question juridique qui se pose alors est de déterminer si cette atteinte au droit préférentiel de souscription doit se traduire uniquement par la remise en cause de l’augmentation de capital ou si la sanction doit s’étendre à la totalité du coup d’accordéon. Si l’analyse de la validité de l’opération peut justifier de n’examiner qu’une de ses composantes – réduction ou augmentation –, les effets concerneront en revanche la totalité de l’opération en vertu du principe d’unité du coup d’accordéon.

B. L’unité du coup d’accordéon

La solution posée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation repose toute entière sur l’idée selon laquelle le coup d’accordéon doit être appréhendé comme une opération unique, dont les mécanismes distincts ne peuvent exister l’un sans l’autre. C’est bien ce raisonnement qui va permettre à la Cour de préciser que, si une décision de justice remet en cause l’augmentation de capital, c’est l’ensemble du coup d’accordéon – ce qui comprend la réduction de capital – qui doit subir le même sort.

À cet effet, la Cour de cassation vise bien évidemment l’article L. 224-2 du Code de commerce N° Lexbase : L6127ICW, qui autorise la réduction de capital en dessous du minimum légal sous condition suspensive de l’augmentation de capital afin d’atteindre à nouveau ou de dépasser ce seuil. Si la loi prévoit bien la faculté de réduire le capital pour ensuite l’augmenter, elle ne dit rien quant à la possibilité de réduire de cette façon le capital à zéro. La jurisprudence a ici pris le relais et validé la réduction du capital à zéro lors d’un coup d’accordéon. Ces effets a priori incompatibles avec des règles impératives sont néanmoins acceptables dans la mesure où l’objectif est de mettre à disposition une opération liant de façon indissociable une réduction et une augmentation de capital. Au terme de l’opération, la société doit nécessairement être dotée d’un capital social respectant le minimum légal. L’opération repose sur la condition suspensive : la réduction ne peut produire ses effets que si l’augmentation de capital incluse dans l’opération est effectivement réalisée. La réalisation de la première partie de l’opération résulte de l’exécution de la seconde partie.

Il faut tout de même rappeler que le caractère unitaire du coup d’accordéon ne se cantonne  pas à la seule hypothèse d’une réduction en dessous du minimum légal de 37 000 euros. En l’espèce, l’opération datée du 30 septembre 2015 concerne une société par actions simplifiée qui n’est donc pas concernée par l’exigence d’un capital social minimum de 37 000 euros, ce seuil ayant été supprimé pour les SAS par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 [7].

Le caractère indivisible du coup d’accordéon se vérifie surtout lors du contrôle de sa validité. En effet, la jurisprudence accepte de contrôler l’opération dans sa globalité en mobilisant l’abus de majorité [8]. Pour mémoire, l’abus de majorité suppose une décision contraire à l’intérêt social et prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. Or, il apparaît que le coup d’accordéon peut tout à fait être utilisé pour se débarrasser d’associés minoritaires. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère qu’il revient aux demandeurs d’apporter la preuve selon laquelle les deux conditions cumulatives de l’abus sont remplies [9]. Elle est globalement hostile à la remise en cause de l’opération à partir du moment où cette dernière permet d’assurer la survie ou la pérennité de la société [10]. À l’inverse, il faut noter qu’un abus de minorité pourrait être caractérisé si jamais des minoritaires s’opposaient de façon injustifiée à un coup d’accordéon indispensable à la sauvegarde de la société, notamment lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social.

Il sera souvent compliqué pour les actionnaires minoritaires de démontrer à la fois que la décision est contraire à l’intérêt social et qu’elle est prise dans l’unique intérêt des majoritaires au détriment des minoritaires. Pour cette raison, on observe que le contentieux tend à se déplacer sur le fondement de la fraude [11]. Il est vrai que les conditions de l’abus de droit et de la fraude sont assez proches, mais elles ne sont pas pour autant identiques. Si les minoritaires invoquent la fraude pour demander la nullité d’un coup d’accordéon, ils devront certes démontrer l’existence de manœuvres frauduleuses en plus de l’intention de nuire à leurs intérêts, mais, s’agissant de l’intérêt social, il leur suffira de démontrer que la décision sociale ne peut se recommander de l’intérêt social, ce qui est moins exigeant que de prouver que la décision est contraire à cet intérêt.

Enfin, les tribunaux peuvent sanctionner les conditions de validité d’une des deux opérations – réduction ou augmentation de capital – et la nullité remettra alors en cause la totalité du coup d’accordéon. C’est la solution que la Cour a rappelée dans la présente décision.

II. Le maintien de la qualité d’associé en cas de remise en cause du coup d’accordéon

Le terme de remise en cause du coup d’accordéon est sans aucun doute trop vague, mais il correspond hélas aux hésitations des juridictions ayant statué en l’espèce. La première ordonnance en référé du 11 septembre 2015 avait en effet suspendu les effets de l’augmentation de capital. Le jugement du 29 septembre 2017 rendu sur le fond par le tribunal de commerce a maintenu cette suspension sans évoquer la nullité, suscitant la perplexité légitime de la cour d’appel. Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation applique la logique de l’indivisibilité du coup d’accordéon en décidant que la suspension de l’augmentation de capital prive nécessairement d’effet la réduction de capital.

Il faut bien comprendre ici comment deux contentieux distincts sont finalement devenus interdépendants. L’affaire soumise à la Cour de cassation est relative à la validité de l’apport partiel d’actif. Plus précisément, il lui est demandé si [E] [N] était en droit d’en demander la nullité. Pour la cour d’appel de Paris, une fin de non-recevoir devait être opposée à cette action, fondée sur l’absence de qualité d’associé d’[E] [N] au moment de cette demande. Cette absence de qualité d’associé était la conséquence, selon la cour d’appel de Paris, du jugement du tribunal de commerce relatif au coup d’accordéon réalisé des années plus tôt.

Pour mémoire, la cour d’appel de Paris a retenu le défaut de qualité pour agir comme conséquence nécessaire de l’absence de qualité d’associé au jour de l’introduction de l’instance relative à la nullité de l’apport partiel d’actif. C’est sur ce fondement qu’elle a rejeté la demande en nullité formée par [E] [N]. La Cour de cassation n’est pas revenue sur ce point – le pourvoi ne lui demandait d’ailleurs pas – mais on peut tout de même remarquer que la cour d’appel a sans doute été trop vite en besogne en se fondant sur la qualité pour agir pour juger la demande irrecevable. L’article L. 235-9 du Code de commerce ne réserve pas les actions en nullité applicables aux fusions, scissions et apports partiels d’actif aux seuls actionnaires [12]. Il convient de regarder au cas par cas les hypothèses de nullité afin de déterminer s’il s’agit d’une nullité relative réservée à la personne protégée ou s’il s’agit d’une nullité absolue pouvant être invoquée par tout intéressé, recherche à laquelle la cour d’appel n’a pas procédé. À vrai dire, si la cour d’appel avait refusé l’action en invoquant l’absence d’intérêt à agir, cela n’aurait rien changé à la décision de la Cour de cassation.

En effet, le raisonnement proposé par la Cour est fondé uniquement sur le caractère indivisible du coup d’accordéon. En première instance, dans le premier contentieux, le tribunal de commerce avait décidé de suspendre l’augmentation de capital faisant partie intégrale de l’opération. Dans le second contentieux, celui relatif à la nullité de l’opération d’apport partiel d’actif, cette même juridiction avait reconnu, dans son jugement du 7 juin 2019, que [E] [N] était toujours, après le coup d’accordéon du 30 juin 2015, actionnaire de la société Intégrale à hauteur de 25 %, son action en nullité étant ainsi jugée recevable. Au final, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la nullité de l'apport partiel d'actif. La cour d’appel de Paris n’a pas suivi le même raisonnement, s’appuyant sur les approximations de la rédaction du jugement du tribunal de commerce de Paris dans le contentieux relatif à la validité du coup d’accordéon. Ce jugement n’avait prononcé la suspension que des résolutions relatives à l’augmentation de capital, dans la mesure où le droit préférentiel de souscription de [E] [N] n’avait pas été respecté. La cour d’appel en a déduit que la réduction de capital n’avait quant à elle pas été suspendue et que [E] [N] avait donc perdu sa qualité d’associé. Le 8 août 2016, lorsqu’il assigne les sociétés Intégrale et Intégrale prépa en nullité de l’opération d’apport partiel d’actif, il n’est pas associé puisque, selon la cour d’appel, il ne recouvrera cette qualité qu’à l’occasion de l’augmentation de capital du 26 janvier 2018, qui n’a pas eu d’effet rétroactif. La cour d’appel de Paris en a donc déduit l’irrecevabilité de sa demande en nullité.

La Cour de cassation a tranché en sens contraire en se fondant sur le principe d’indivisibilité du coup d’accordéon. Chaque étape de l’opération – réduction comme augmentation – est conditionnée par la réalisation de l’autre. Ce principe interdit donc de faire produire des effets à la réduction de capital sans que l’augmentation ne soit réalisée, et pareillement de neutraliser l’augmentation de capital sans que la réduction ne le soit également.

Loin d’être dogmatique, on s’aperçoit au contraire que la solution est incontournable d’un point de vue pratique. En effet, si l’on suivait la cour d’appel dans sa logique, il faudrait considérer que la réduction de capital à zéro a bien eu lieu, mais qu’en revanche l’augmentation de capital a été suspendue, ce qui voudrait dire que la société Intégrale serait dépourvue d’associé depuis l’assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2015 et qu’aucune décision sociale n’aurait pu être prise depuis.

En redonnant son exacte portée à la suspension du coup d’accordéon, la Cour de cassation modifie rétroactivement la composition de la SAS Intégrale pour revenir au statut quo initial : le capital social de la SAS Intégrale n’a pas été affecté par le coup d’accordéon, [E] [N] a bien conservé le quart du capital social et donc la qualité d’associé lui permettant d’agir en nullité de l’apport partiel d’actif. La cour d’appel de renvoi devra donc accepter de statuer sur le recours en nullité formé par [E] [N]. Elle devra vérifier si le recours en question était prescrit au regard du délai de six mois prévu à l’article L. 235-9 alinéa 2 du Code de commerce. Les éléments factuels évoqués dans l’arrêt d’appel tendraient à démontrer que la demande n’était pas prescrite. Si tel est bien le cas, la cour d’appel devra se prononcer sur le fond et prononcera probablement la nullité de l’apport. Par un effet de dominos, la branche d’activité devra être restituée à la société Intégrale et les nouvelles actions de la société Intégrale prépa devront être annulées, tout comme les opérations de cession consenties ultérieurement.


[1] En vertu de l’article L. 227-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2397LR9, à l’exception de la déclaration de conformité prévue au 3ème alinéa de l’article L. 236-6 du Code de commerce N° Lexbase : L7235LQZ, tous les textes relatifs aux opérations de fusion, scission ou apport partiel d’actif sont applicables à la société par actions simplifiée.

[2] CA Versailles, 2 juillet 2020, n° 19/02124 N° Lexbase : A51653QD.

[3] Cass. com., 17 mai 1994, n° 91-21.364 N° Lexbase : A6609ABE.

[4] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, publié N° Lexbase : A9459AYY.

[5] Cass. com., 10 octobre 2000, n° 98-10.236 N° Lexbase : A9295ATG.

[6] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, préc.

[7] Loi n° 2008-776, du 4 août 2008, de modernisation de l’économie N° Lexbase : L7358IAR.

[8] Cass. com., 28 février 2006, n° 04-17.566, F-D N° Lexbase : A4216DNH.

[9] Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.735, F-D N° Lexbase : A0927NGG.

[10] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, préc.

[11] Cass. com., 11 janvier 2017, n° 14-27.052, F-D N° Lexbase : A0752S8D – Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18.785, F-D N° Lexbase : A0689ZB7.

[12] L’article L. 235-9 du Code de commerce dispose que l'action en nullité d'une fusion ou d'une scission de sociétés se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération. Le texte ne vise pas expressément les opérations d’apport partiel d’actif. De plus, l’article L. 236-22 du Code de commerce N° Lexbase : L2405LRI, qui applique les textes relatifs à ce type d’opérations, ne renvoie pas expressément à l’article L. 235-9 du même code. Il n’en demeure pas moins que, faisant prévaloir l’esprit des textes sur la lettre, la jurisprudence a opportunément décidé d’appliquer aux opérations d’apport partiel d’actif soumises au régime des scissions ce délai de prescription réduit (Cass. com., 3 juin 2003, n° 99-18.707, FS-P N° Lexbase : A9420C7Z).

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Urbanisme

[Brèves] Refus de permis de construire après un avis défavorable de l'ABF : le caractère obligatoire du recours contre cet avis est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1032 QPC, du 27 janvier 2023 N° Lexbase : A18679AE

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par Yann Le Foll

Le 01 Février 2023

► En ne déterminant pas lui-même les conséquences de l’absence d’exercice d’un recours administratif contre l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France (ABF) à l’occasion du refus d’autorisation de certains travaux sur la recevabilité d’un recours contentieux, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence.

Rappel. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte, par elle-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Il résulte toutefois des articles 34 N° Lexbase : L1294A9S et 37 N° Lexbase : L1297A9W de la Constitution que les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu’elles ne mettent pas en cause les règles ou les principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi.

Position CConst. En vertu des articles L. 621-32 N° Lexbase : L9992LMZ et L. 632-1 N° Lexbase : L2459K9X du Code du patrimoine, certains travaux aux abords d’un monument historique ou dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable sont soumis à autorisation. En application du paragraphe I de l’article L. 632-2 du même code N° Lexbase : L9993LM3, la délivrance de cette autorisation est subordonnée à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France.

Les dispositions contestées de l’article L. 632-2 (les deux premières phrases du paragraphe III) prévoient qu’un recours administratif contre l’avis de l’architecte des Bâtiments de France peut être exercé par le demandeur à l’occasion du refus d’autorisation de travaux. Ces dispositions sont relatives à la procédure administrative et ne mettent pas en cause l’exercice, par les administrés, du droit d’agir en justice.

Ainsi, en ne déterminant pas lui-même les conséquences de l’absence d’exercice de ce recours administratif sur la recevabilité d’un recours contentieux, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence. Au demeurant, l’exigence d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité d’un recours contentieux, ne méconnaît pas le droit à un recours effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la DDHC de 1789 N° Lexbase : L1363A9D.

Décision. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

À ce sujet. Lire S. Bourillon, Les méandres contentieux du recours préalable obligatoire contre l’avis défavorable de l’Architecte des Bâtiments de France, Lexbase Public, mai 2018, n° 503 N° Lexbase : N4135BXG.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le traitement des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables, Les travaux réalisés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, in Droit de l’urbanisme, (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E8599YTN

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