Jurisprudence : TA Nancy, du 26-10-2020, n° 2002619

TA Nancy, du 26-10-2020, n° 2002619

A25104LK

Référence

TA Nancy, du 26-10-2020, n° 2002619. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/65940631-ta-nancy-du-26102020-n-2002619
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N° 2002619

Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM)

M. A... B ...

Juge des référés

Ordonnance du 26 octobre 2020

**RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
**
Le juge des référés



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 et 22 octobre
2020, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentée par
Me D..., demande au juge des référés :

1°) de suspendre, jusqu'à la notification de l'ordonnance du juge des référés
précontractuels l'analyse des candidatures et des offres de la SHAM sur
l'ensemble des lots auxquels elle a candidaté, c'est-à-dire les lots 1, 2, 3,
4, 7, 8 et 9 ;

2°) d'ordonner au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, jusqu'à
la notification de l'ordonnance du juge des référés précontractuels
d'interdire l'accès, par tout moyen, à M. Aa A ou à toutes personnes
travaillant au sein de la société ACAOP, à l'ensemble des documents déposés
par la SHAM sur les lots 1, 2, 3, 4, 7, 8 et 9 ;

3°) en tout état de cause, de suspendre jusqu'à la même échéance l'analyse des
candidatures et des offres présentées par la SHAM sur les lots 1, 2, 3,4, 7, 8
et 9 concernant les documents suivants :

S'agissant des candidatures :

- la déclaration du candidat modèle DC2 ou équivalent pour chaque membre du
groupement ;

- la déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre
d'affaires concernant les services objet du marché, réalisés au cours des
trois derniers exercices disponibles ;

- la liste de références significatives, notamment dans le domaine des
acheteurs publics pour chacune des trois dernières années ;

- la déclaration indiquant les effectifs moyens annuels du candidat et
l'importance du personnel d'encadrement ;

- le formulaire DC1 ou la déclaration sur l'honneur que le candidat n'entre
dans aucun des cas d'interdiction de soumissionner prévus aux articles L.
2141-1 à L. 2141-5 du code de la commande publique ;

S'agissant des offres :

- l'acte d'engagement modèle ATTR 1 complété, daté et signé ;

- l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement Réserves - Aménagements -
Améliorations, pour chacun des lots, datée et signée ;

- l'annexe n° 2 à l'acte d'engagement Prix et le DPFG (sauf lots 1 et 10) -
tableau des tarifications pour chacun des lots, datée et signée ;

- l'annexe n° 3 à l'acte d'engagement convention de gestion pour chacun des
lots, datée et signée ;

- le mémoire technique en appui de la valeur technique de l'offre indiquant
notamment les améliorations apportées au CCTP ou à la convention de gestion ;

- toutes les pièces annexes nécessaires à l'analyse des offres des assureurs.

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de
Nancy la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative.

Elle soutient que :

- les documents de la consultation et les pièces remises par les candidats
avant la signature du marché sont des documents préparatoires couverts par le
secret des affaires en vertu de l'article L. 151-1 du code de commerce et de
l'article L. 2132-1 du code de la commande publique ;

- ces documents ne peuvent être communiqués par le pouvoir adjudicateur à une
tierce personne dès lors qu'il existe un risque de concurrence déloyale et une
rupture d'égalité de traitement des candidats ;

- en tout état de cause, le mémoire technique et le détail des prix proposés
au pouvoir adjudicateur sont au nombre des pièces relatives à une consultation
publique protégées par le secret des affaires ;

- l'ensemble des documents constitutifs de la candidature et de l'offre n'est
pas communicable avant la conclusion du marché, de sorte que les documents
remis par elle doivent être protégés d'une atteinte imminente au secret des
affaires ;

- l'atteinte imminente au secret des affaires tient au fait que la date
limite de remise des offres était fixée au 21 octobre à 16h00 et qu'à partir
de cette date, M. AaA, en sa qualité d'assistant à la maîtrise d'ouvrage,
risque de se voir confier l'analyse des candidatures et des offres dont la
sienne ;

- M. Aa A est en situation de conflit d'intérêts à son égard et à l'égard
d'un autre candidat, le BEAH ;

- elle demande au juge du référé secret des affaires des mesures
conservatoires et provisoires dans l'attente de la notification de la décision
du juge du référé précontractuel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2020, le centre
hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me F..., demande
au juge des référés de rejeter la requête de la SHAM et de mettre à sa charge
une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.
761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'assistant à maîtrise d'ouvrage a été choisi au terme d'une procédure de
publicité et de mise en concurrence objective et transparente ;

- la société requérante n'établit pas que des informations communiquées dans
le but de permettre à l'ensemble des soumissionnaires de répondre à la
consultation auraient méconnu le secret des affaires.

Par une ordonnance en date du 23 octobre 2020, la clôture de l'instruction a
été fixée le 26 octobre 2020 à 8h00.

Un mémoire de la SHAM, enregistré le 24 octobre 2020, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret
des affaires ;

- le code de la commande publique ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. A... B..., vice-président, en
application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative pour
statuer sur les demandes de référés.

Considérant ce qui suit :

Sur l'atteinte imminente au secret des affaires :

1. Aux termes de l'article R. 557-3 du code de justice administrative : «
Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire
cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés
peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y
compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l'ensemble des mesures
mentionnées à l'article R. 152-1 du code de commerce ». Lorsqu'il est saisi
sur le fondement de ces dispositions en vue de prévenir une atteinte imminente
à un secret des affaires, il appartient au juge des référés de s'assurer que
le risque allégué par le demandeur présente un degré de vraisemblance
suffisant.

2. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier régional
universitaire (CHRU) de Nancy a, par un avis d'appel public à la concurrence,
lancé une consultation ayant pour objet des « prestations de services
d'assurance » pour les membres du groupement hospitalier du territoire Sud
Lorraine. Le CHRU de Nancy a fait appel à la société ACAOP, un cabinet d'audit
en assurance, en vue de lui confier une mission d'assistant à la maîtrise
d'ouvrage pour l'assister dans cette procédure de passation. Si les candidats
devaient initialement remettre leurs offres avant le 21 octobre 2020 à 16h00,
cette date limite a finalement été repoussée au 26 octobre 2020 à 16h00.

3. La société requérante soutient que la poursuite de cette procédure de
passation du marché présente un risque d'atteinte imminente à un secret des
affaires compte tenu de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle se
trouve M. AaA, le dirigeant de la société ACAOP.

4. D'une part, il résulte de l'instruction qu'il existe sur le marché des
assurances des établissements hospitaliers, très faiblement concurrentiel, une
situation conflictuelle particulière entre la SHAM et le cabinet de courtage
BEAH, au sein duquel M. AaA a joué un rôle actif. En effet, il n'est pas
contesté qu'après avoir dirigé la société Protectas, qui intervenait alors en
qualité d'assistant à maîtrise d'ouvrage, M. AaA a créé en 2009 un cabinet de
courtage dénommé BEAH dans le but de rendre plus concurrentiel le marché
d'assurances des établissements hospitaliers, jusqu'alors dominé par Axa et la
SHAM, ainsi que cela ressort d'un courrier du directeur général de la société
Protectas en date du 21 août 2009 versé aux débats. Il résulte de
l'instruction que les liens entre la société BEAH, qu'il dirigeait, et la
société Protectas ont été la cause de plusieurs litiges dans le cadre de
recours relatifs à l'attribution de marchés publics relatifs à des prestations
d'assurance dénoncés par la SHAM. La société requérante soutient que depuis
lors, M. AaA s'est livré à une politique de contestation systématique des
marchés attribués à la SHAM à la fois devant les juridictions administratives
et pénales, jusqu'en 2018. Elle produit à l'appui de ses allégations plusieurs
articles signés en février 2014, mai 2018 et janvier 2019 dans lesquels Aa.
EA a fait preuve d'une animosité particulière révélant un profond différend
à l'égard de la SHAM.

5. D'autre part, si M. AaA a cédé les parts qu'il détenait au sein de la
société BEAH en 2019, il n'est pas davantage contesté qu'il entretient
toujours des liens amicaux avec M. CA, qui était le directeur général de
BEAH lorsqu'il en était le président, et qui dirige actuellement la société
Emileo, détentrice à hauteur de 80 % des parts de BEAH.

6. Dans ces conditions, eu égard, d'une part, à l'intensité et au caractère
récent des liens qui unissent la société BEAH avec M. AaA et à l'animosité
particulière avec laquelle M. AaA s'exprime à l'égard de la SHAM, et, d'autre
part, au fait que ces sociétés sont fréquemment en concurrence pour
l'attribution de marchés publics d'assurance de centres hospitaliers, la
société requérante établit que la collaboration de M. AaA comme assistant à
la maîtrise d'ouvrage pour l'analyse des offres des candidats constitue avec
un degré de vraisemblance suffisant l'existence d'une atteinte imminente au
secret des affaires. Elle est par suite fondée à demander au juge des référés
des mesures visant à prévenir une telle atteinte.

Sur les mesures provisoires et conservatoires :

7. Aux termes de l'article R. 152-1 du code de commerce : « I. - Lorsqu'elle
est saisie aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une
atteinte illicite à un secret des affaires, la juridiction peut prescrire, sur
requête ou en référé, toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée,
y compris sous astreinte. (...) ».

8. Eu égard au risque d'atteinte au secret des affaires que présente la
collaboration de M. AaA comme assistant à la maîtrise d'ouvrage pour
l'analyse des offres de la SHAM et de la société BEAH, il y a lieu de
suspendre l'analyse des candidatures et des offres de la SHAM sur l'ensemble
des lots auxquels elle a candidaté, c'est-à-dire les lots 1, 2, 3, 4, 7, 8 et
9, jusqu'à la notification de l'ordonnance à intervenir dans le cadre du
référé précontractuel n° 2002618 dont la SHAM a par ailleurs saisi le
tribunal, et d'enjoindre au CHRU de Nancy, jusqu'à la même échéance,
d'interdire l'accès, par tout moyen, à M. AaA ou à toute personne travaillant
au sein de la société ACAOP, à l'ensemble des documents déposés par la SHAM
sur les lots 1, 2, 3, 4, 7, 8 et 9.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SHAM, qui n'est pas dans la
présente instance la partie perdante, la somme que le CHRU de Nancy demande au
titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens. Dans les
circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CHRU de
Nancy la somme demandée par la SHAM au même titre.


ORDONNE :

Article 1er : L'analyse des candidatures et des offres de la SHAM sur
l'ensemble des lots auxquels elle a candidaté, c'est-à-dire les lots 1, 2, 3,
4, 7, 8 et 9, est suspendue jusqu'à la notification de l'ordonnance du juge
des référés précontractuels dans le cadre de la requête n° 2002618.

Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier régional universitaire de
Nancy, jusqu'à la notification de l'ordonnance à intervenir dans le cadre du
référé précontractuel n° 2002618, d'interdire l'accès, par tout moyen, à Aa.
EA ou à toute personne travaillant au sein de la société ACAOP, à l'ensemble
des documents déposés par la SHAM sur les lots 1, 2, 3, 4, 7, 8 et 9.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société hospitalière
d'assurances mutuelles et au centre hospitalier régional universitaire de
Nancy.




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