Le Quotidien du 18 août 2022

Le Quotidien

Construction

[Brèves] L’intensité de l’obligation pesant sur le constructeur pour les dommages survenus avant réception

Réf. : Cass. civ. 3, 13 juillet 2022, n° 21-19.062, F-D N° Lexbase : A56118BG

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N2428BZX

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 14 Septembre 2022

► Avant réception, l’entrepreneur est tenu d’une obligation de résultat le rendant responsable de tous désordres du fait de ses travaux ;
► il aurait dû faire des essais pour éviter tout sinistre.

Si l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ pose une présomption de responsabilité du constructeur pour les dommages de nature décennale, il n’a pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des dommages survenus lors d’une opération de construction. Ainsi en est-il, par exemple, des dommages survenus avant la réception des travaux qui sont réparables sur le fondement du droit commun de la responsabilité, lequel nécessite, en principe, la démonstration, par le demandeur à l’action, d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. En principe seulement puisque la démonstration de ce triptyque dépend de l’intensité de l’obligation mise à la charge du constructeur comme le rappelle l’arrêt rapporté.

En l’espèce, le bénéficiaire d’un bail à construction a sous-loué une partie des locaux à construire. Le lot VRD et bordures a, dans ce cadre, été confié à une entreprise. Le sous-locataire a ouvert son magasin au public le 1er décembre 2012 et subi un dégât des eaux dans la nuit du 19 au 20 décembre 2012.

L’assureur du sous-locataire assigne, après indemnisation, l’entrepreneur et son assureur. La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 1er avril 2021 (CA Rennes, 1er avril 2021, n° 18/07720 N° Lexbase : A08614N9), retient la responsabilité de l’entrepreneur. Elle rappelle qu’il était tenu, avant réception, à l’égard du maître d’ouvrage, d’une obligation de résultat qui le rend responsable de tous les désordres du fait de ses travaux.

L’entrepreneur forme un pourvoi et cassation, essayant, notamment, de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la force majeure prise en la faute du maître d’ouvrage et le fait du tiers. La Haute juridiction rejette le pourvoi.

La solution n’est pas nouvelle (pour exemple pour un ravalement, Cass. civ. 3, 5 février 1985, n° 83-16.798 N° Lexbase : A0575AHR, RDI 1985, 400). Il apparaît aux juges assez naturel de présumer la responsabilité de l’exécutant lorsque l’ouvrage est affecté de désordres, même lorsque ceux-ci ne sont pas de nature décennale. Il s’agit, sans doute, d’un effet miroir. Il ne faut oublier que la présomption de responsabilité de l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ, pour les dommages de nature décennale, est le prolongement du raisonnement tenu par les juges sur le fondement du droit commun.

La Haute juridiction le rappelle assez régulièrement en des termes dépourvus de la moindre équivoque : « Mais attendu que, quelle que soit la qualification du contrat, tout professionnel de la construction était tenu, avant réception, d’une obligation de conseil et de résultat envers le maître d’ouvrage » (Cass. civ. 3, 27 janvier 2010, n° 08-18.026, FS-P+B N° Lexbase : A7623EQE).

L’arrêt est également l’occasion de rappeler que, avant réception, seule la responsabilité de droit commun du constructeur s’applique (pour exemple, Cass. civ. 3, 20 décembre 2000, n° 99-15.101 N° Lexbase : A2083AIY).

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Fiscalité locale

[Brèves] Taxe foncière : la transformation d’un port autonome en grand port maritime ne nécessite pas de publication au fichier immobilier

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 22 juillet 2022, n° 449554, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57668CK

Lecture: 2 min

N2434BZ8

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par Marie-Claire Sgarra

Le 05 Août 2022

La transformation d’un port autonome en un grand port maritime n’entraîne pas mutation de propriété. Conséquence : il n’y a pas de nécessité de publication d’un acte translatif de propriété au fichier immobilier.

Les faits :

  • le port autonome du Havre a été transformé en un grand port maritime et a pris le nom de grand port maritime du Havre (GPMH)
  • en réponse à plusieurs réclamations déposées par le GPMH et tendant au dégrèvement de cotisations de taxe foncière et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères mises en recouvrement dans dix communes du département de la Seine-Maritime au titre des années 2017 et 2018, l'administration a prononcé le dégrèvement total des impositions dues dans deux de ces communes et a en revanche maintenu, partiellement ou totalement, le surplus des impositions contestées
  • le grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du GPMH, se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes de décharge des taxes afférentes aux biens dont il est propriétaire dans les communes d'Oudalle et Saint-Jouin-Bruneval au titre de l'année 2017 et dans les communes de Gonfreville-l'Orcher, La Cerlangue, Le Havre, Oudalle, Sandouville, Saint-Jouin-Bruneval, Saint-Vigor-d'Ymonville et Tancarville au titre de l'année 2018.

Principes :

  • la taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties situées en France d'après les faits existants au 1er janvier de l'année d'imposition (CGI, arts. 1380 N° Lexbase : L9812HLY et 1415 N° Lexbase : L0034HM9) ;
  • il résulte de l’article L. 101-6 du Code des ports maritimes N° Lexbase : L9833IAG que lorsqu'un port autonome est transformé en un grand port maritime, cette transformation n'emporte pas une mutation de propriété au sens et pour l'application des dispositions du Code général des impôts précitées.

Dès lors une telle transformation ne nécessite pas la publication d'un acte translatif de propriété au fichier immobilier.

Solution du Conseil d’État. « C'est sans erreur de droit que le magistrat désigné a jugé que, lorsqu'un transfert de propriété à un port autonome a fait l'objet d'une publication, le bien immobilier concerné peut faire l'objet d'un avis d'imposition établi au nom du grand port maritime sans publication préalable au fichier immobilier, et en en déduisant que l'administration avait à bon droit désigné le grand port maritime comme redevable légal des impositions en litige ».

Le pourvoi du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine est rejeté.

newsid:482434

Fonction publique

[Brèves] Dégel du point d’indice des fonctionnaires

Réf. : Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022, portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation N° Lexbase : L3722MD9

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N2314BZQ

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par Yann Le Foll

Le 05 Août 2022

Le décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022, portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation, procède au dégel du point d’indice des fonctionnaires.

Objet.  Le décret augmente la valeur du point d'indice de la fonction publique de 3,5 % à compter du 1er juillet 2022. La valeur annuelle du traitement afférent à l'indice 100 majoré est ainsi portée à 5 820,04 euros à compter du 1er juillet 2022.

Entrée en vigueur. Le décret entre en vigueur le 1er juillet 2022.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La rémunération des fonctionnaires dans la fonction publique d'État, Le calcul du traitement, in Droit de la fonction publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E96163KD.

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Responsabilité

[Jurisprudence] À la recherche des conditions de la responsabilité du fait des choses !

Réf. : Cass. civ. 2, 25 mai 2022, n° 20-17.123, F-B N° Lexbase : A15007Y9

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N2349BZZ

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par Céline Mangematin, Professeur des universités, Université Toulouse 1- Capitole, Institut de Droit Privé

Le 05 Août 2022

Mots-clés : responsabilité du fait des choses • anormalité • défaut d’entretien • faute • rôle actif

Selon la Cour de cassation, en se fondant exclusivement sur le défaut d’entretien d’une chose pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage, sans mettre en évidence l’anormalité de cette chose, en recherchant si la chose, même correctement entretenue, n’aurait pas été dommageable, une cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Maladroitement mais légitimement, la Cour de cassation censure ainsi les juges du fond qui omettent de s’assurer que c'est bien l’anormalité de la chose qui a causé le dommage de la victime avant d’engager la responsabilité du fait des choses du gardien.


 

La redondance du contentieux relatif à la responsabilité du fait des choses invite à en rechercher les causes. Selon nous, la première cause relève d’une hostilité de principe à des régimes de responsabilité fondés sur le risque que l’analyse du droit comparé légitimerait puisque la responsabilité du fait des choses serait un monstre juridique purement français qu’il conviendrait de terrasser. Cette première explication ne tient cependant pas car les droits anglo-saxons notamment connaissent eux aussi de régimes de strict liability ; mieux encore, ce type de régime préexistait au tort of negligence qui ne l’a remplacé qu’au XIXe siècle pour permettre le développement économique. La strict liability renaîtrait ensuite par le biais d’une responsabilité des produits défectueux ménageant une certaine éthique dans la poursuite des activités économiques [1]. Autrement dit, la responsabilité du fait des choses n’est pas nécessairement aberrante pour peu que son régime maintienne un certain équilibre entre la protection des victimes et la liberté d’agir [2]. Hélas, cet équilibre auquel la Cour de cassation semble être parvenu après cent vingt-six ans d’élaboration par tâtonnement de ce régime [3] est enseveli sous une jurisprudence tantôt erratique [4], tantôt amphigourique car soutenue par un vocabulaire que l’on peut juger abscons. Et la décision rendue par la deuxième chambre civile le 25 mai 2022 ne permettra pas de démentir cette impression.

Les faits de l’espèce étaient pourtant relativement simples : un enfant de douze ans était parvenu jusqu’au toit constitué de plaques de fibrociment d’un entrepôt ; il y avait couru ce qui avait fait céder l’une des plaques et l’enfant avait été blessé lors de sa chute. À la suite de sa prise en charge par le système public de santé, la caisse primaire d’assurance maladie avait assigné le propriétaire du bâtiment en tant que gardien de la plaque de fibrociment pour obtenir le remboursement de ses débours [5]. La cour d’appel de Douai avait admis la responsabilité de ce gardien au motif « qu’en conséquence d’un défaut d’entretien, le mauvais état des plaques de fibrociment équipant le toit condui[sait] à retenir le rôle actif de la plaque, […] laquelle a été ainsi l’instrument du dommage », tout en concluant à un « partage de responsabilité » à hauteur de 50 % en raison de l’imprudence de la victime. Le gardien se pourvoit donc en cassation [6], invoquant la violation de l’article 1384 alinéa 1er N° Lexbase : L1490ABS, devenu l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7 [7]. Après avoir rappelé qu’une chose inerte en mauvais état ne peut être qualifiée d’instrument du dommage dès lors que, même à l’état neuf, cette chose n’est pas en mesure de supporter l’action humaine exercée contre elle, il note que la cour d’appel a relevé qu’il ressortait d’une documentation fiable qu’il n’est pas possible de prendre appui directement sur ce type de plaque, et  a fortiori, de courir dessus, ce dont il faudrait déduire que les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

Au visa des articles susvisés, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel au motif qu’ « en se fondant exclusivement sur le défaut d’entretien de la plaque de fibrociment pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage, sans mettre en évidence l’anormalité de cette chose, en recherchant si la plaque, même correctement entretenue, n’aurait pas cédé sous le poids de l’enfant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Cette décision des juges du Quai de l’Horloge nous semble parfaitement justifiable en ce qu’elle retoque la motivation de la cour d’appel qui n’a pas constaté une condition nécessaire à l’engagement de la responsabilité du fait des choses [8]. Elle nous paraît malheureusement critiquable en ce qu’elle désigne très maladroitement la condition oubliée. Pire, la motivation adoptée est fallacieuse pour qui cherche à découvrir ce régime prétorien !

Pour en faire la démonstration, il est possible de revenir successivement sur les trois étapes de ladite motivation : le rôle actif de la chose nécessite la démonstration de l’anormalité de la chose (I) ; l’anormalité ne peut être démontrée par le seul constat d’un défaut d’entretien (II) ; l’anormalité peut ici être démontrée en prouvant qu’une chose bien entretenue n’aurait pas cédé sous le poids d’un enfant (III).

I. Première information fallacieuse : le rôle actif de la chose nécessité la démonstration de l’anormalité de la chose

La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir mis « en évidence l’anormalité de la chose » « pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage ». Ce faisant, elle semble indiquer que pour caractériser (démontrer ou motiver selon que l’on adopte la position de la victime ou celle du juge) la condition cardinale du régime qu’est le rôle actif de la chose, il faut attester de son anormalité, ce qui n’est pas suffisant en réalité.

En effet, sous cette locution énigmatique, qui ne renvoie à aucune mention légale puisque l’article 1242, alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, fait quant à lui état du « fait des choses », se dissimule une double exigence : une chose anormale d’une part, et une anormalité ayant causé le dommage d’autre part.

En premier lieu, seule une chose anormale peut engager la responsabilité civile de son gardien. À l’instar de la responsabilité du fait personnel fautif [9] ou de la responsabilité du fait des produits défectueux [10], cette responsabilité ne peut exister sans illicéité [11] ; le « fait actif » ne correspond pas au seul fait causal [12]. C'est ainsi que le gardien d’une tige de fer utilisée comme tuteur n’engage pas sa responsabilité alors qu’un enfant s’est empalé sur ladite tige car celle-ci était normalement positionnée [13].

Mais si cette condition est nécessaire, elle n’est pas suffisante puisqu’il convient également de constater que l’anormalité de la chose a causé le dommage de la victime. Là encore, il s’agit d’une condition assez commune à l’ensemble des régimes de responsabilité : le lien de causalité. D’un maniement peu commode, cette condition technique est de surcroît ici appréhendée sous l’exigence que la chose ait été « l’instrument du dommage » [14], ce qui ne facilite évidemment pas la lisibilité de la règle.

Par ailleurs, si la Cour de cassation insiste particulièrement sur l’exigence d’anormalité, c'est en raison de la nature de la plaque de fibrociment qui est une chose inerte. En effet, alors que la jurisprudence a admis que le rôle actif puisse être présumé lorsqu’une chose en mouvement est entrée en contact avec le siège du dommage, elle exige au contraire la démonstration (par d’autres moyens) de l’anormalité d’une chose immobile (y compris immobilière). Il s’agit donc du rappel, par la Cour de cassation, d’une règle probatoire puisque, l’anormalité causale est bien évidemment une double exigence commune aux choses inertes et en mouvement, le défendeur pouvant toujours échapper à sa responsabilité en démontrant la normalité ou l’absence de rôle causal de la chose en mouvement dont il était gardien – ce que la jurisprudence vise en lui offrant la possibilité de démontrer le « rôle passif » de la chose.

II. Deuxième information fallacieuse : l’anormalité ne peut être démontrée par le seul constat d’un défaut d’entretien de la chose

La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être fondée « exclusivement sur le défaut d’entretien de la plaque de fibrociment pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage, sans mettre en évidence l’anormalité de cette chose ». Son approche pourrait alors être comprise de deux façons.

D’abord, elle pourrait indiquer que l’anormalité de la chose ne peut être caractérisée par le comportement fautif du gardien. L’approche de la cour d’appel atteste de la difficulté qu’ont les praticiens eux-mêmes à se détacher du fondement de la faute. Dans le cadre du régime de responsabilité objective de l’article 1242, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, il suffit de constater que la chose est anormale, peu important que cette anormalité découle d’un comportement malhonnête ou négligent du responsable. C'est pourquoi la démonstration de l’absence de faute du gardien n’est pas exonératoire, contrairement à la force majeure ou à la faute de la victime [15]. L’anormalité de la chose découle alors d’une discordance entre l’état, la position ou le mouvement de la chose avec ceux qui seraient attendus de ce type de chose [16] ; on parle alors de vice interne, de mouvement intempestif ou de position inadaptée. La jurisprudence fait ainsi état de baies vitrées trop fragiles [17], d’un sol anormalement glissant [18] ou encore d’un obstacle non signalé [19].

Ensuite, la Cour de cassation pourrait plutôt indiquer que la cour d’appel n’a pas correctement justifié la présence d’une anormalité. À l’évidence la plaque de fibrociment dont il a été constaté qu’elle était située sur un bâtiment en état « moyen voire vétuste », sur une toiture qui « était déjà fissurée » et « ne tenait pas trop » et qui était mal entretenue semble pourtant bien correspondre à une chose dont l’état est anormal.

Le problème n’est donc pas, comme semble l’affirmer la Cour de cassation, que la cour d’appel n’ait pas caractérisé l’anormalité de la chose ; le problème réside dans son absence de démonstration d’une anormalité causale avec la chute et la blessure de l’enfant.

III. Troisième information fallacieuse : l’anormalité peut être démontrée en prouvant qu’une chose bien entretenue n’aurait pas cédé sous le poids de l’enfant

La Cour de cassation suggère que la cour d’appel aurait pu « mettre en évidence l’anormalité de la chose, en recherchant si la plaque, même correctement entretenue, n’aurait pas cédé sous le poids de l’enfant ». Substantiellement, la Cour de cassation invite ici les juges du fond à vérifier que c'est bien le mauvais état de la plaque qui a conduit à la chute de l’enfant. Or cette vérification ne correspond pas à celle de l’anormalité mais à celle de la causalité. Il faut vérifier que c'est bien l’illicéité de la chose qui est la cause juridique du dommage. Cette opération n’est pas inédite et a déjà logiquement conduit à ne pas reconnaître de responsabilité, lorsqu’une personne est tombée dans un escalier pourvu d’une seule rampe… du côté de la rampe par exemple ; dans ce cas en effet, l’escalier peut être jugé « anormal » car pourvu d’un nombre insuffisant de rampes mais ce n’est pas l’absence de rampe qui a causé la chute et la blessure puisque la victime disposait de la seule rampe présente au moment de sa chute [20].

Il y a là l’application presque parfaite de la théorie causale de l’empreinte continue du mal proposée par le professeur Dejean de La Bâtie [21], théorie enrichissant à la fois la théorie de la causalité adéquate et celle de l’équivalence des conditions [22].

Sans préjuger de l’approche qui sera retenue par la cour d’appel de renvoi, il semble possible ici d’affirmer qu’en bon ou en mauvais état, la plaque de fibrociment aurait cédé puisque la documentation apportée au débat indiquait qu’il n’était pas possible de prendre appui directement sur ce type de plaques. Ce n’était donc pas l’anormalité de la plaque qui avait été la cause juridique du dommage.

À ce stade, il est cependant difficile d’affirmer que c'est en ce sens que statueront les juges du fond qui devront également répondre à une question non posée à la Cour de cassation qui est celle de la faute de la victime qui, pour accéder à ce toit, était entrée sur un site interdit au public, avait escaladé une clôture de deux mètres de hauteur puis deux murs, était passée outre les avertissements de deux témoins et couru sur une surface dont elle connaissait la fragilité. Or il est à craindre que les juges du fond confondent irresponsabilité civile justifiée par l’absence d’une condition légale (ici l’anormalité causale) et exonération justifiée par la faute de la victime qui doit alors revêtir les caractères de la force majeure (ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque des intrusions du même genre avaient eu lieu par le passé) [23].

Il est donc plus qu’urgent qu’un nouveau texte consacrant cette responsabilité voit le jour pour :

  • supprimer le vocabulaire abscons aujourd’hui en cours dans la jurisprudence (rôle actif/passif, instrument du dommage) ;
  • rappeler l’exigence double d’une anormalité de la chose et d’un lien de causalité entre cette anormalité et le dommage ;
  • rappeler la possibilité pour la victime de faire la démonstration de ces éléments à l’aide d’une présomption lorsque la chose en mouvement est entrée en contact avec le siège du dommage.

Les articles 1243 du projet de réforme de la chancellerie présenté le 13 mars 2017 et 1242 du projet sénatorial déposé le 29 juillet 2020 vont en ce sens, étant entendu que le « fait de la chose » qui y est désigné – à savoir le vice de celle-ci, l’anormalité de sa position de son état ou de son comportement – n’est que le fait générateur d’une responsabilité qui suppose également un « lien de causalité entre le fait imputé […] et le dommage » selon les termes des articles 1239 des projets sus-indiqués.

À retenir : trois conditions sont nécessaires pour justifier la responsabilité du fait des choses : un dommage, une chose anormale et un lien de causalité entre l’anormalité et le dommage.

En présence d’une chose inerte, l’anormalité causale de la chose doit être soigneusement prouvée par la victime et constatée par les juges du fond.

 

[1] Pour un exposé de cet état du droit, V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations 2. Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 4e éd., 2019, n° 272.

[2] V. les solutions originales proposées par B. Starck pour maintenir cet équilibre précaire (Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, L. Rodstein, 1947).

[3] La responsabilité générale du fait des choses prend naissance dans l’arrêt « Teffaine » (Cass. civ., 16 juin 1896, D. 1898 I 433, note R. Saleilles) ; mais son orientation vers une responsabilité objective découle de l’arrêt « Jand’heur » (Ch. Réunies, 13 février 1930, GAJC, t. II., 13e éd., 2015, n° 202).

[4] D’aucuns considèrent qu’elle est plutôt « tout en nuances » (Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 399).

[5] L’assureur du gardien et le curateur de l’enfant avaient également été assignés.

[6] Son assureur également, au moyen d’un pourvoi incident.

[7] L’accident est survenu le 29 juillet 2010, à une date antérieure à la renumérotation des textes de responsabilité civile extracontractuelle par l’ordonnance du 10 février 2016. Par commodité, seul l’article 1242, alinéa 1er, sera utilisé dans le commentaire.

[8] Il n’était donc pas question de « violation de la loi » comme l’affirmait le pourvoi mais de « défaut de base légale » ce qu’a bien retenu la Cour de cassation (V. à propos des différents cas d’ouverture à cassation et de leur définition, M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, J. Buk Lament, La technique de cassation, Dalloz, 9e éd., 2018).

[10] C. civ., art. 1245 et s. N° Lexbase : L0945KZZ.

[11] En ce sens, Ph. Brun, réf. préc., n° 390.

[12] Contra, J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations 2. Le fait juridique, Sirey, 12e éd., 2007, n°250. M. Fabre-Magnan, réf. préc., n°253 – Il est cependant remarquable que la jurisprudence offre quelques errements en ce sens : pour une boite aux lettres parfaitement bien positionnée (Cass. civ. 2, 25 octobre 2001, n° 99-21.616, FS-P+B N° Lexbase : A8026AW8), pour une porte vitrée sans aucun vice (Cass. civ. 2, 15 juin 2000, n° 98-20.510 N° Lexbase : A3739AUZ).

[13] Cass. civ. 2, 13 décembre 2012, n° 11-22.582 ; D. 2013, 11, obs. I. Gallmeister.

[14] Il est souvent difficile de savoir si la jurisprudence fait du « rôle actif » de la chose et de « l’instrument du dommage » des expressions synonymes ou si elle confère à chaque expression un sens différent.

[15] Sur ces causes d’exonération, V. not. notre commentaire sous Cass. civ. 2, 7 avril 2022, n° 20-19.746, F-B N° Lexbase : A38447S8, Retour sur la faute de la victime cause exclusive du dommage et sur le régime de la responsabilité du fait des choses, Lexbase Droit privé, n° 906, 19 mai 2022 N° Lexbase : N1516BZ8.

[16] A. Cayol, Responsabilité du fait des choses : distinction entre défaut d’entretien et anormalité de la chose, D. actu 9 juin 2022.

[17] Cass. civ. 2, 24 février 2005, n° 03-13.536, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8668DG7.

[18] Cass. civ. 2, 16 février 1994, n° 92-17.344, inédit au bulletin N° Lexbase : A0283CUZ : sol d’un hall d’immeuble recouvert d’huile.

[19] Cass. civ. 2, 30 novembre 1994, n° 93-12.721 N° Lexbase : A6337AH8 : fil barbelé tendu au milieu d’un passage.

[20] Cass. civ. 2, 25 novembre 2004, n° 83-14.718, publié au bulletin N° Lexbase : A0361AHT.

[21] N. Dejean De La Batie, Responsabilité délictuelle, t. VI-2, Droit civil français d’Aubry et Rau, Librairies techniques, 8e éd., 1989, n° 74.

[22] Sur ces dernières, V. Ph. Brun, réf. préc., n° 233 et s..

[23] V. les difficultés liées à cette question dans mon commentaire sous Cass. civ. 2, 7 avril 2022 (réf. préc.).

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