La lettre juridique n°525 du 25 avril 2013

La lettre juridique - Édition n°525

Éditorial

Prothèses PIP : Tartuffe sur le banc des accusés

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N6771BTX

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées" (Tartuffe, acte III, scène II).

Le 17 avril 2013, au sein d'une halle du Parc des expositions de Marseille, s'ouvrait un bien singulier procès : celui des prothèses PIP. La sixième chambre du tribunal correctionnel de la cité phocéenne s'est donc déplacée, dans un cadre moins solennel que d'ordinaire, pour accueillir près de 700 personnes, dont 300 avocats et les parties civiles. Il faut dire qu'elles sont 30 000, ces femmes à avoir tenté l'implant de ces prothèses litigieuses, rien qu'en France. Beau cas d'école pour une action de groupe s'il en est ; mais seulement voilà, la class action n'a pas encore droit de cité, aussi le procès se tiendra dans un lieu opportun et selon un coût qui l'est moins (800 000 euros).

S'il s'agissait seulement de déterminer la culpabilité des personnes incriminées pour "tromperie sur les qualités substantielles des implants commercialisés", l'affaire n'aurait pas de quoi faire jurisprudence. Le scandale sanitaire est avéré, et il n'est un secret pour personne, maintenant, que le "gel maison", qui intégrait les prothèses mammaires en cause, n'était pas le fameux gel homologué Med 6 300 de Nusil, qui conditionnait la certification des implants. Cette tromperie -excusez notre jugement avant dire droit- permettait à l'entreprise d'économiser, au bas mot, un million d'euros par an.

Non, ce procès va indéniablement dévier, parce qu'il ne peut en être autrement, sur la responsabilité des autorités sanitaires françaises, celle des certificateurs victimes eux-mêmes de tromperies -mais à quel point et suivant quelle éventuelle complaisance (le certificateur en cause étant, par ailleurs, assigné devant le tribunal de commerce de Toulon pour "manquement à ses obligations de certification et de contrôle")-, sur l'éventuelle défectuosité des prothèses au regard des risques inhérents à la chirurgie esthétique, et plus singulièrement, à l'augmentation mammaire.

D'abord, si l'ancien VRP en cognac et produits de stérilisation pour les dentistes officie dans le secteur des prothèses depuis 1982, le pot aux roses n'a été découvert qu'en 2000 par les américains et... en 2010 en France -s'applique ici aussi la tectonique de l'information et des modes culturelles, qui veut que la France ait 10 ans de retard sur l'Amérique-. Et, c'est le taux anormal des ruptures et de l'utilisation d'un gel "différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché" qui a, finalement, alerté nos autorités. Le laps de temps ainsi écoulé entre le début des activités de PIP et l'interdiction de commercialisation aux Etats-Unis, d'abord, et entre les réactions américaines et françaises, ensuite, laisse présager l'étendue des dommages, la gravité de la faute, et, vraisemblablement, l'incompétence des autorités sanitaires elles-mêmes.

Ensuite, bien que l'Agence nationale de sécurité du médicament ai souligné que "toutes les analyses chimiques et toxicologiques réalisées dans le monde entier sur un grand nombre d'implants PIP n'ont pas mis en évidence de risque significatif pour la santé humaine", 21 % tout de même des prothèses explantées présentaient une anomalie (rupture, suintement du gel)... Toutefois, certaines études montrent un taux ordinaire de complication tout aussi élevé, si l'on considère qu'une majorité des femmes concernées a dû subir une nouvelle intervention après implantation. Aussi, l'on retrouvera, en débat dans les prétoires, les querelles doctrinales classiques sur l'équivalence des conditions, la proximité de la cause, et la causalité adéquate ; sachant que les juges utilisent ces différentes théories afin de se prononcer sur la causalité, sans véritablement privilégier l'une d'entre elles... Sans parler des prédispositions éventuelles des victimes au regard du lien de causalité... Si la défectuosité est avérée, quelle est son implication dans les lésions subies ? Et peut-on encore exonérer le médecin qui pose une prothèse défectueuse, sauf à avoir commis une faute ?

Enfin, le procès ne manquera pas de revenir sur l'histoire chaotique de l'augmentation mammaire, à travers laquelle, finalement, le scandale des prothèses PIP n'est que peau de chagrin et ferait presque "pschitt", s'il ne concernait pas autant de victimes -encore le nombre de femmes risquant une complication ou une infection à la suite d'un implant de prothèse est bien évidement plus important aujourd'hui qu'en 1950, question de démocratisation de l'intervention !-. L'augmentation mammaire, c'est, depuis le milieu du XIXème siècle -avant même Pasteur !-, l'autotransplant graisseux, l'injection de paraffine, d'huile végétale, de silicones liquides, provoquant fibroses, nécroses, nodules, etc.. C'est l'histoire des prothèses en ivoire, billes de verre, caoutchouc broyé, cartilage de boeuf, laine et tergal, polyester, alcool polyvinylique, polystan... Toutes plus inflammatoires les unes que les autres ! Pour arriver aux fameuses poches en élastomère de silicone remplies de sérum physiologique... De quoi dissiper, par le menu, les "coupables pensées"... Et, les "dévots" ne manqueront de vilipender "une mode du plastique" contraire aux bonnes moeurs, une mode que "le Ciel défend". Mais, l'on sait que les imposteurs trouvent avec lui bien des accommodements ! "Le scandale du monde est ce qui fait l'offense, Et ce n'est pas pécher que pécher en silence"...

Toujours est-il que "Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude" (Tartuffe, acte V, scène VII). Alors, quoiqu'il en coûte, que ce procès marseillais soit exemplaire et pédagogique, que les responsabilités de chacun contraignent les néfastes velléités des trompeurs certifiés "dévots de la protection sanitaire".

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Avocats/Statut social et fiscal

[Le point sur...] Le régime fiscal des avocats : TVA et imposition des bénéfices

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 25 Avril 2013

Le régime fiscal des avocats, en matière de TVA et d'imposition des bénéfices, relève, dans ses grandes lignes, du droit fiscal généralement applicable à des activités professionnelles, non sans quelques mesures d'adaptation spécifiques. I - La TVA

Depuis le 1er avril 1991 (1), un avocat est un assujetti redevable de la TVA par principe à raison des prestations qu'il accomplit dans le cadre de sa profession (consultation, assistance, représentation, rédaction d'actes juridiques, postulation, plaidoirie) au taux de droit commun, soit 19,6 % jusqu'au 31 décembre 2013 en l'état de la législation récemment adoptée. On rappellera que, s'agissant de l'aide juridictionnelle, le taux réduit de 5,5 % ne peut plus être appliqué depuis l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juin 2010 et la modification corrélative de la législation française (CJUE, 17 juin 2010, aff. C-492/08 N° Lexbase : A1922E3L ; loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 N° Lexbase : L9902IN3). L'exercice de la profession à titre individuel, ou par un avocat collaborateur à titre libéral, en tant que membre d'un groupement -européen ou non- d'intérêt économique ou encore associé d'une société en participation entraîne également l'assujettissement à la TVA et confère à l'auxiliaire de justice une qualité de redevable de la taxe (BOI-TVA-CHAMP-10-10-60-10 n° 100, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X6192ALW). De même, s'agissant des sociétés d'exercice libéral ou des sociétés civiles professionnelles, ces dernières ont la qualité d'assujetti redevable de la TVA. En revanche, s'agissant de l'activité d'enseignant, un avocat continuera à bénéficier des exonérations (notamment : CGI, art. 261, 4-4°-b N° Lexbase : L0402IWS) ayant trait aux prestations d'enseignement universitaire ou professionnel rémunérées directement par les élèves. De plus, les rémunérations servies par des établissements d'enseignement au titre d'une fonction d'enseignant sont hors du champ d'application de la TVA (CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1983, n° 49937, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1640AMP ; CE, 5 novembre 1984, n° 55324 N° Lexbase : A5163ALS). Il en est de même des enseignements professés par des avocats dans les centres de formation professionnelle d'avocats (BOI-TVA-CHAMP-10-10-60-10 n° 160 et 170 ; BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 n° 390, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X5092AL8).

L'avocat doit alors choisir entre plusieurs régimes :

Régime de la franchise en base

Les avocats bénéficient d'un seuil spécifique fixé à 42 300 euros, en deçà duquel ils ne sont pas redevables de la TVA (CGI, art. 293 B N° Lexbase : L2803IPI) pour leurs activités réglementées, à la condition de porter sur leurs factures une mention en ce sens. Cette mention incite d'ailleurs certains avocats à ne pas se prévaloir de la franchise de TVA en base, dès lors qu'elle renseigne nécessairement le client sur le montant du chiffre d'affaires de son prestataire de services : on échappe difficilement aux jugements de valeur alors qu'un avocat peut par ailleurs s'investir dans des activités juridiques peu ou pas rémunérées mais intellectuellement satisfaisantes et utiles pour la société. Si l'avocat dépasse le seuil de 42 300 euros, il sera alors redevable de la TVA au 1er janvier de l'année suivante mais, dans l'hypothèse où ses recettes seraient supérieures à 52 000 euros, il sera redevable de la TVA le mois à compter duquel ce seuil sera dépassé. A noter qu'il existe également un autre seuil de 17 400 euros pour les livraisons de biens et les prestations de services qui n'ont pas bénéficié de la franchise de 42 300 euros, dont nous rappellons qu'elle s'applique pour les opérations réalisées dans le cadre de l'activité réglementée des avocats.

Régime d'imposition simplifiée

Le régime d'imposition simplifiée est ouvert aux avocats dont le chiffre d'affaires est inférieur à 234 000 euros HT. Il comporte quatre acomptes et une déclaration annuelle devant être souscrite au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai.

Régime normal

Ouvert sur option ou lorsque le chiffre d'affaires est supérieur à 234 000 euros HT, le régime normal entraîne une déclaration mensuelle, sauf si le montant de la TVA exigible au cours d'une année est inférieure à 4 000 euros (2). Dans l'hypothèse du franchissement du seuil de 234 000 euros HT, l'application du régime normal sera effective au 1er janvier de l'année suivante si toutefois le chiffre d'affaires ne dépasse pas 265 000 euros HT. Dans le cas inverse, l'avocat relèvera du régime réel à compter du premier jour du mois où le seuil aura été franchi.

Prestations de service intracommunautaire

Dans le cadre de la législation communautaire complexe relative à la TVA, l'activité professionnelle des avocats relève du régime des prestations de services (CGI, art. 259 N° Lexbase : L2727IG4 ; CGI, art. 259 A N° Lexbase : L2675IWY ; CGI, art. 259 B N° Lexbase : L1676IPR). C'est ainsi que, lorsqu'un avocat intervient pour rédiger un acte sous seing privé se rapportant à un immeuble en France, y compris quant aux opérations portant sur des parts ou actions de sociétés immobilières, cette situation entraînera un assujettissement à la TVA en France. Ou encore, au titre d'une consultation délivrée à un client autrichien non assujetti non redevable, un particulier par exemple, la TVA française sera facturée alors que, s'il s'agit d'une entreprise autrichienne ayant communiqué préalablement son numéro de TVA intracommunautaire, la note d'honoraires sera émise sans TVA et une déclaration européenne des services sera souscrite. Par précaution, dans cette dernière hypothèse, l'avocat conservera, à l'appui de sa comptabilité, la copie écran du site VIES permettant de vérifier que le numéro de TVA intracommunautaire de l'entreprise cliente existe bien (3).

Assiette

Les avocats comprendront dans l'assiette de la TVA les honoraires rétrocédés à des confrères. S'agissant des débours (frais de procédure, frais de publicité légale, droits de plaidoirie...), il est possible d'exclure de la base d'imposition les frais engagés au nom et pour le compte de clients.

Exigibilité

Les avocats soumettront à la TVA les provisions réclamées aux clients dès leur encaissement (BOI-TVA-BASE-20-20 n° 210, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X4806ALL).

II - Imposition des revenus issus de leur activité réglementée : les bénéfices non commerciaux

S'agissant de l'imposition de leurs revenus, les avocats relèvent pour leurs activités réglementées -y compris l'activité de fiduciaire (C. civ., art. 2011 N° Lexbase : L6507HWW ; loi 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR ; CGI, art. 92 2-7° N° Lexbase : L7147ICP)- des bénéfices non commerciaux, même lorsqu'ils exercent en qualité d'avocat collaborateur (CE 8° et 9° s-s-r., 23 mars 1984, n° 35305, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5398ALI), à raison des rétrocessions d'honoraires perçues. A noter toutefois que la jurisprudence a qualifié de commerciale l'activité d'agent d'affaires exercée dans le domaine immobilier d'un avocat pour le compte d'un tiers (CE 8° et 9° s-s-r., 17 mai 1985, n° 40085, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2970AMX ; CAA Paris, 3ème ch., 2 juin 1992). L'avocat ne comprendra pas, dans ses recettes imposables, les dépôts de fonds des clients destinés à être reversés à des tiers (v. par exemple s'agissant d'indemnités reçues des compagnies d'assurances par un avocat pour le compte de ses clients : CE 7° et 9° s-s-r., 15 janvier 1982, n° 17057, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8243AKI). En revanche, la solution inverse s'impose lorsque l'avocat perçoit, du propriétaire de son ancien local, des indemnités en vue de réparer un trouble dans l'exercice de son art résultant de la mauvaise exécution d'un protocole entre les parties prévoyant le maintien d'un répondeur téléphonique afin d'indiquer à la clientèle de l'auxiliaire de justice sa nouvelle adresse professionnelle (CAA Marseille, 3ème ch., 23 octobre 2000, n° 99MA00194, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4056BM8). S'agissant des dépenses déductibles de la base imposable, le Conseil d'Etat a admis que des dépenses engagées antérieurement au début de l'activité pouvaient être prises en compte pour la détermination du résultat imposable (v. pour l'acquisition de parts d'une société civile professionnelle constituée pour l'exercice de la profession de notaire en décembre 1976, alors que l'agrément de la Chancellerie a été donné en 1978 : CE 7° et 8° s-s-r., 18 décembre 1987, n° 69382, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3162APS). Evidemment, ces dépenses doivent avoir un caractère professionnel : c'est assez évident s'agissant, par exemple, de la robe d'avocat, du loyer versé pour l'exercice professionnel, de la documentation juridique ; c'est en revanche plus délicat quand l'auxiliaire de justice engage des frais de prothèse dentaire, à moins de démontrer que ses fonctions exigent un contact direct et permanent avec le public (rép. min., Dumont, JOAN, 14 novembre 2006, p. 11872, n° 94168). La jurisprudence fait même état, s'agissant d'une autre profession réglementée, de l'admission de frais supplémentaires liés à la dispense à domicile d'un traitement de chimiothérapie que l'activité professionnelle de l'intéressé interdisait de suivre durant les heures ouvrables à l'hôpital (CAA Paris, 31 mars 1992, n° 90PA00785, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0558A9K).

A nouveau, l'avocat doit opérer un choix quant au régime d'imposition :

Micro-BNC

Applicable lorsque les recettes sont inférieures à 32 600 euros, le régime du micro-BNC offre l'avantage de la simplicité en forfaitisant les charges à 34 % des recettes, mais il ne permet pas de constater l'existence d'un déficit. En d'autres termes, le micro-BNC est un régime nécessairement bénéficiaire en présence d'un chiffre d'affaires.

Régime de la déclaration contrôlée

Il s'agit alors de tenir une comptabilité de caisse ou, sur option, d'engagement enregistrant les recettes et les dépenses réelles résultant de l'exercice professionnel. Ces dépenses comprendront notamment les frais de déplacement, les amortissements, les loyers, les cotisations ordinales, les primes d'assurance, les dépenses de représentation... L'adhésion à une association de gestion agréée permet d'éviter la majoration de 25 % des revenus, adhésion contestée sans succès par un avocat (nos obs., Adhésion à une association de gestion agréée et majoration des revenus professionnels : compatibilité avec les normes de droit fondamentales, Lexbase Hebdo n° 433 du 23 mars 2011 - édition fiscale N° Lexbase : N7558BRD ; CAA Lyon, 2ème ch., 30 novembre 2010, n° 10LY00208, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3815GRQ), ainsi que, notamment, la réduction du délai de reprise de trois à deux ans et une dispense de pénalités pour les nouveaux adhérents à certaines conditions. En cas de litige avec l'administration fiscale, la comptabilité, qui est un moyen de preuve, sera tenue avec rigueur si l'avocat souhaite emporter la conviction du juge de l'impôt (CE 9° et 7° s-s-r., 8 octobre 1986, n° 48828, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4477AMR ; CE 8° et 9° s-s-r., 11 février 1994, n° 70825, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7809B7D).

Lieu de dépôt de la déclaration

Souscrite en un seul exemplaire au plus tard le second jour ouvré qui suit le 1er mai, la déclaration n° 2035 sera adressée au Service des impôts des entreprises où le contribuable exerce son activité professionnelle ou bien au lieu de son principal établissement. Il en est de même d'un avocat, résident fiscal d'un autre Etat membre de l'Union européenne, exerçant à partir d'une base fixe en France, ce qui exclut la compétence du centre des impôts des non-résidents (CE 10° et 9° s-s-r., 30 mars 2005, n° 230053, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4313DH9).

Cessation d'activité

La jurisprudence rapporte que, lorsque l'avocat cesse d'exercer individuellement sa profession pour apporter son concours à une société civile professionnelle constituée avec trois confrères (CE 8° et 7° s-s-r., 25 février 1981, n° 18095, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5554AKW), les dispositions de l'article 202 du CGI (N° Lexbase : L3715HL8), relatives à l'imposition immédiate des bénéfices non encore taxés s'appliquent. Il en est de même en cas de départ à la retraite, d'un décès, d'une radiation, ou encore lorsque l'avocat apporte son activité individuelle à une société, sous réserve de l'application de dispositions légales favorisant cette mutation d'exercice professionnel (report d'imposition : CGI, art. 151octies N° Lexbase : L2463HNK ; imposition fractionnée des créances acquises : CGI, art. 1663 bis N° Lexbase : L1948HM4 ; détermination du bénéfice imposable en faisant abstraction des créances acquises et de dépenses engagées, à condition qu'elles soient inscrites au bilan de la société : CGI, art. 202 quater N° Lexbase : L3730HLQ).


(1) Antérieurement, l'avocat pouvait opter pour l'assujettissement à la TVA (loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990, art. 32).
(2) L'avocat doit alors en faire la demande.
(3) Le site VIES ne permet pas, en revanche, de savoir si le numéro de TVA intracommunautaire est bien celui du client.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Avril 2013

Lecture: 8 min

N6834BTB

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

Le 25 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Dans un premier arrêt en date du 19 avril 2013, la section du contentieux du Conseil d'Etat a précisé les conséquences et les obligations procédurales découlant de l'application rétroactive de la jurisprudence "Commune de Béziers" (1). Obligation est faite au juge de plein contentieux, qui entend appliquer cette jurisprudence à un litige né antérieurement, de respecter le principe du contradictoire, soit en rouvrant l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision "Béziers I", soit en jugeant, par un arrêt avant-dire droit, que le litige doit être réglé, compte tenu de cette décision, sur le terrain contractuel et en demandant, en conséquence, aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain (CE, Sect., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon). Dans un second arrêt du même jour, le Conseil d'Etat délimite la compétence du juge administratif pour connaître d'un recours dirigé contre une sentence arbitrale se rapportant à un contrat administratif. Si le juge administratif est compétent lorsque la sentence a été rendue par un tribunal ayant son siège en France, tel n'est pas le cas lorsque ce siège se situe à l'étranger. En revanche, le juge administratif demeure compétent, quel que soit le siège du tribunal arbitral, pour connaître d'un recours tendant à l'exequatur de la sentence, dont l'exécution forcée ne saurait être autorisée si elle est contraire à l'ordre public (CE 2° et 7° s-s-r., 19 avril 2013, n° 352750, publié au recueil Lebon).
  • Les conséquences procédurales de la portée rétroactive de la jurisprudence "Commune de Béziers" : l'obligation de respecter le principe du contradictoire (CE, Sect., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4174KCL)

Alors que le Conseil d'Etat avait pris soin d'opérer un revirement de jurisprudence pour l'avenir dans l'arrêt "Tropic" (2), la Haute juridiction n'avait pas jugé utile d'en faire de même au moment d'adopter son arrêt "Béziers I". C'est-à-dire que la nouvelle configuration du contentieux des contrats administratifs opposant les parties avait une portée rétroactive, et pouvait donc s'appliquer à des litiges contractuels survenus avant le 28 décembre 2009. C'est précisément ce qui s'est produit dans l'affaire opposant la chambre de commerce et d'industrie (CCI) d'Angoulême à l'Etat au sujet des avances que cet établissement public soutenait avoir consenties à l'Etat, au titre de la gestion, à partir de 1984, sur le fondement d'arrêtés du préfet de la Charente, de l'aérodrome de Brie-Champniers. Ce litige contractuel a été porté devant le juge de plein contentieux. D'abord, devant le tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté, par un jugement du 16 octobre 2008 (3), la demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'équipement a rejeté la demande de la CCI tendant au versement d'une somme de 6 169 494 euros et à la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme augmentée des intérêts à compter de la réception de sa demande préalable. Saisie en appel, la cour administrative d'appel de Bordeaux (4) a annulé ce jugement pour une erreur grossière commise par les juges de première instance. En effet, le jugement ne faisait pas mention dans ses visas du mémoire produit par la CCI d'Angoulême en réponse à la communication par le tribunal administratif de Poitiers d'un moyen qu'il entendait soulever d'office et sur lequel il avait, ensuite, fondé son jugement.

Mais l'intérêt de l'arrêt de la cour administrative d'appel ne se situe pas sur ce point. Il réside dans le fait que les juges d'appel ont ensuite statué par la voie de l'évocation et réglé le litige sur le terrain contractuel, ainsi que le prescrivait la toute nouvelle jurisprudence "Béziers I" adoptée par le Conseil d'Etat le 28 décembre 2009, soit après l'intervention du jugement du tribunal administratif. Comme chacun sait, la jurisprudence "Commune de Béziers" a reconfiguré le contentieux contractuel entre les parties en les obligeant, par principe, à régler les litiges les opposant sur le terrain contractuel. L'exigence de loyauté des relations contractuelles, combinée au principe de la stabilité des relations contractuelle, fait, ainsi, obstacle à ce qu'une partie puisse trop facilement se délier de ses obligations en invoquant n'importe quelle irrégularité. Désormais, le contrat fait la loi des parties devant le juge de plein contentieux alors qu'il était très fréquent, par le passé, qu'il soit mis à l'écart. Ce n'est que dans l'hypothèse, qui reste exceptionnelle, où le contrat est entaché d'une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, que le juge de plein contentieux peut mettre le contrat à l'écart et régler le litige né entre les parties sur le terrain extracontractuel. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait logiquement appliqué cette nouvelle solution dont la portée rétroactive n'était pas douteuse. Seulement, cette application rétroactive posait un problème important.

En effet, aussi bien devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, les parties s'étaient accordées pour constater que le contrat litigieux (une concession relative à l'entretien et à l'exploitation de l'aérodrome) avait été signé par une autorité incompétente -le préfet- alors qu'il aurait dû être signé par les ministres chargés de l'Economie et de l'Aviation marchande. Ce point n'était pas contestable et les parties avaient, alors, exclusivement débattu, compte tenu des règles applicables avant l'intervention de l'arrêt "Béziers I", sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle et sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle. Le contrat étant entaché de nullité, la logique commandait de régler le litige sur le terrain extracontractuel. Seulement, l'intervention de l'arrêt "Béziers I" a changé la donne et l'office du juge du contrat sans que les parties soient en mesure de faire valoir leurs observations.

C'est précisément l'apport de cet arrêt de Section du 19 avril 2013. Le Conseil d'Etat juge, en effet, que, si le juge du contrat devait appliquer les règles nouvelles fixées par l'arrêt "Commune de Béziers" du 28 décembre 2009, il devait, également, respecter le principe du contradictoire en permettant aux parties de présenter leurs observations sur cette nouvelle configuration contentieuse. A cet effet, il appartenait au juge du contrat, soir de rouvrir l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision "Béziers I", soit de juger, par un arrêt avant-dire droit, qu'il entendait régler le litige, compte tenu de cette décision, sur le terrain contractuel et en demandant, en conséquence, aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain. Cette solution nous semble bienvenue car il aurait été totalement anormal de priver les parties de toute possibilité d'intervention devant le juge du contrat, alors que le règlement du litige sur le terrain contractuel ou sur le terrain extracontractuel se traduit souvent, en pratique, par des différences significatives en termes d'indemnisation. Les parties auraient alors pu légitimement avoir l'impression d'être dépossédés de leur litige par le juge et cela, d'autant plus que la clôture de l'instruction avait été prononcée avant l'intervention de l'arrêt "Béziers I".

  • Arbitrage et compétence du juge administratif : l'incompétence du juge administratif français pour connaître d'un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral étranger (CE 2° et 7° s-s-r., 19 avril 2013, n° 352750, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4180KCS)

L'arrêt n° 352750 du 19 avril 2013 apporte d'utiles précisions relatives à la compétence du juge administratif en matière de contentieux de l'arbitrage. Si les personnes publiques sont, en principe, privées de la possibilité de recourir à l'arbitrage (5), force est de constater que les exceptions apportées au principe sont nombreuses et que se développe devant le juge français, aussi bien judiciaire qu'administratif (6), un contentieux de l'arbitrage débouchant sur des solutions qui ne sont pas faciles à interpréter. En l'espèce, le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC), regroupant le département de la Charente, les chambres de commerce et d'industrie d'Angoulême et de Cognac, la communauté d'agglomération du grand Angoulême ainsi que plusieurs communes, avait conclu le 8 février 2008, avec la société X et la société Y (qui est sa filiale à 100%), deux conventions ayant pour objet le développement d'une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême à compter du printemps 2008. Bien qu'explicitement soumises au droit français, ces conventions comportaient une stipulation imposant le recours à l'arbitrage auprès de la cour d'arbitrage international de Londres, pour tout différend non résolu à l'amiable "découlant de ou en relation avec la Convention, y compris toute question concernant son existence, sa validité ou sa résiliation". Par lettre du 17 février 2010, la société X a notifié au SMAC sa décision de supprimer la ligne aérienne entre Londres et Angoulême, mettant également fin, par voie de conséquence, à la seconde convention, dite de "services marketing" conclue par le SMAC avec la société Y.

Saisie par les deux sociétés, la cour d'arbitrage international de Londres s'est déclarée compétente pour connaître du litige, par une sentence avant dire-droit rendue le 22 juillet 2011, et a, en conséquence, refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Poitiers, saisi par le syndicat, se soit prononcé sur le même litige. Le SMAC a alors saisi le Conseil d'Etat d'un recours tendant à l'annulation de la sentence arbitrale du 22 juillet 2011, mais aussi de celle du 18 juin 2012 reconnaissant la validité de la résiliation.

Se posait, alors, une question de compétence juridictionnelle pour connaître d'un tel recours. Le juge administratif français était-il compétent pour connaître de ce litige et si oui dans quelle mesure ? En premier lieu, et même si l'arrêt du 19 avril 2013 ne le précise pas, le recours à l'arbitrage était possible en l'espèce car les conventions se rattachaient aux intérêts du commerce international (7). En deuxième lieu et comme il l'avait fait par le passé, le Conseil d'Etat détermine la compétence juridictionnelle à partir du droit applicable au litige, c'est-à-dire en déterminant la nature juridique des conventions litigieuses (8). Le juge administratif a considéré que les deux conventions formaient un ensemble contractuel, conçu pour répondre aux besoins de la personne publique moyennant un prix versé à son cocontractant, et était constitutif d'un marché public de services au sens de l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA). Cette solution n'est pas contestable car les conventions portent sur la réalisation d'une prestation de services et répondent à la condition "d'onérosité" (abandon de recettes prenant, notamment, la forme d'une réduction significative des redevances aéroportuaires et le versement d'une somme de 925 000 euros au titre des trois premières années d'exécution du contrat). La qualification de marché public entraînait automatiquement celle de contrat administratif en application de la loi "Murcef" du 11 décembre 2001 (loi n° 2001-1168, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE). En troisième lieu, le Conseil d'Etat vient limiter la portée de sa compétence en distinguant selon que le recours dirigé contre la sentence arbitrale vise une sentence rendue en France ou à l'étranger. Dans la première hypothèse, c'est alors le juge administratif qui est compétent et, plus précisément, le Conseil d'Etat en application de l'article L. 321-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2975ALR). Cette solution puise son fondement dans la règle selon laquelle la compétence suit le droit applicable au litige, mais aussi dans le caractère d'ordre public des règles applicables aux marchés publics. En revanche, dans la seconde hypothèse, la juridiction administrative française est incompétente. C'était précisément le cas en l'espèce, puisque ce n'est pas un arbitre ou un tribunal arbitral français qui s'était prononcé, mais bien la cour d'arbitrage international de Londres. En quatrième lieu, l'arrêt du 19 avril 2013 précise qu'en revanche, le juge administratif demeure compétent pour connaître dune demande tendant à l'exequatur d'une sentence arbitrale, qu'elle soit rendue en France ou à l'étranger. Dans ce cas, la compétence n'est pas celle du Conseil d'Etat mais du tribunal administratif.


(1) CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(2) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon ([LXB=A4715DXW)]), Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas, GAJA, n° 115 (et les références bibliographiques). Le nouveau recours en contestation de validité du contrat ouvert aux concurrents évincés ne concerne, en effet, que les contrats dont la procédure de passation a été engagée postérieurement à la date de lecture de l'arrêt "Tropic", soit après le 16 juillet 2007.
(3) TA Poitiers, 16 octobre 2008, n° 0700263 (N° Lexbase : A5340HLD).
(4) CAA Bordeaux, 1ère ch., 1er avril 2010, n° 08BX03152, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3873HB3).
(5) Voir Ph. Yolka, Les modes alternatifs de règlement des litiges, p. 608 et s., in Traité de droit administratif (dir. P. Gonod, F. Melleray et Ph. Yolka, Dalloz, 2011, tome 2).
(6) T. confl., 17 mai 2010, n° 3754 (N° Lexbase : A3998EXD), AJDA, 2010, p.1564, art. P. Cassia, Dr. adm., 2010, comm. 122, note F. Brenet et F. Melleray, RFDA, 2010, p. 959, concl. M. Guyomar, p. 971, note P. Delvolvé.
(7) On pourrait aussi invoquer les dispositions de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), qui ont permis aux chambres de commerce et d'industrie de recourir à l' arbitrage (loi n° 2005-882, art. 62, codifié à C. com., art. L. 710-1 N° Lexbase : L8307IMM).
(8) Voir les exemples cités par Ph. Yolka : T. confl., 16 octobre 2006, n° 3506 (N° Lexbase : A9491DRX), JCP éd. A, 2007, n° 13, p. 35, note B. Plessix, RFDA, 2007, p. 284, concl. J.-H. Stahl et note B. Delaunay (compétence judiciaire), CAA Lyon, 27 décembre 2007, 4ème ch., n° 03LY01017, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5189KC8), BJCP, 2008, p. 128, concl. M. Besle (compétence administrative).

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Filiation

[Jurisprudence] L'homme qui ne voulait pas être père

Réf. : Cass. QPC, 28 mars 2013, n° 13-40.001, FS-D (N° Lexbase : A3975KBT)

Lecture: 9 min

N6813BTI

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

Le 23 Mai 2013

La décision de la Cour de cassation du 28 mars 2013 s'inscrit dans le débat soulevé, notamment dans la presse grand public, de la paternité imposée à des hommes qui n'en voulaient pas (1). Selon un article publié dans le Figaro le 28 janvier 2013, "les cabinets d'avocats regorgent d'histoires où des hommes, riches le plus souvent, se voient présenter 'l'addition' d'une idylle passagère : un enfant, dont le géniteur sera 'condamné' à assumer la paternité et à en supporter toutes les conséquences". L'un d'entre eux n'a pas hésité à soulever devant la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité pour s'opposer à l'action en recherche de paternité intentée contre lui par la mère de l'enfant, vraisemblablement né d'une relation éphémère, et non désirée par le défendeur. Il s'agissait de savoir si "l'article 327 du Code civil (N° Lexbase : L8829G9U) instituant l'action en recherche judiciaire de paternité hors mariage, en ce qu'il empêche tout homme géniteur de se soustraire à l'établissement d'une filiation non désirée, est[-il] contraire à la Constitution, ensemble les articles 1 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, l'article 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et I'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ?"

Après avoir constaté que la disposition contestée était applicable au litige, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, et que la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'était pas nouvelle, la Cour de cassation centre sa réponse sur le caractère sérieux de la QPC. Elle considère que "la question posée ne présente pas de caractère sérieux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, dès lors que la maternité hors mariage est susceptible d'être judiciairement déclarée, comme la paternité hors mariage et dans les mêmes conditions procédurales, y compris en cas d'accouchement dans le secret, lequel ne constitue plus une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité, ensuite, que ni la question elle-même, ni le mémoire qui la soutient, n'exposent en quoi le texte critiqué méconnaîtrait les principes fondés sur les dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen".

Ainsi, selon la Cour de cassation la paternité imposée ne constitue ni une atteinte à l'égalité (I), ni une atteinte à la liberté (II).

I - L'absence d'atteinte à l'égalité

Egalité homme-femme. Selon l'auteur de la QPC, l'action en recherche de paternité de l'article 327 du Code civil plaçait l'homme, le "géniteur", dans une situation défavorable par rapport à la femme, dans la mesure où il ne disposait d'aucun moyen pour se soustraire à l'établissement de la filiation de l'enfant à son égard, alors que cette dernière pouvait bénéficier du régime de l'accouchement dans le secret de l'article 326 du Code civil (N° Lexbase : L8828G9T).

Fin de non-recevoir liée à l'accouchement dans le secret. La Cour de cassation écarte cet argument de l'égalité homme-femme en se fondant sur la suppression par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 (N° Lexbase : L5763ICG), ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation (N° Lexbase : L8392G9P) et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, de la fin de non-recevoir liée à l'accouchement sous X. Avant la loi du 16 janvier 2009 en effet (2), l'accouchement sous X constituait une fin de non-recevoir à l'établissement de la filiation maternelle dans les rares hypothèses dans lesquelles l'enfant parvenait à connaître l'identité de sa mère et ne bénéficiait pas d'une autre filiation, adoptive. Cette suppression avait déjà été justifiée par la volonté de faire disparaitre une inégalité entre le père -qui ne pouvait échapper à une recherche de paternité- et la mère, soit-disant susceptible de conduire à une condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l'Homme (3). Avec la suppression de la fin de non-recevoir tirée de l'accouchement sous X, le père et la mère biologique de l'enfant se retrouveraient selon la Cour de cassation à égalité, l'un et l'autre ne pouvant échapper à l'établissement judiciaire de la filiation. Ce raisonnement paraît cependant discutable à divers titres.

Absence de situations identiques. Dès l'entrée en vigueur de la loi du 16 janvier 2009, l'argument de l'égalité homme-femme qui aurait nécessité la suppression de la fin de non-recevoir liée à l'accouchement sous X, a été critiqué (4). Il se heurtait, en effet, à la différence de situation dans laquelle sont placés le père et la mère après la conception de l'enfant (5), le premier n'étant, physiquement et psychologiquement, aucunement affecté par celle-ci, alors que la seconde doit assumer la grossesse et l'accouchement. La possibilité pour la mère d'accoucher dans le secret est justifiée par la nécessité de préserver sa santé et celle de l'enfant, et la fin de non-recevoir établie en 1993 participait du dispositif. La Cour européenne, qui a admis en 2008 (6) la compatibilité avec l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR) des conditions de l'accouchement sous X, notamment quant à l'information de la mère et au délai de rétractation dont elle dispose, pourrait considérer que la fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité, participe de l'équilibre de l'accouchement sous X.

Egalité uniquement juridique. Par ailleurs, même si l'action en maternité ne peut plus, juridiquement, être empêchée par une fin de non-recevoir, l'accouchement sous X permet incontestablement, de fait, à la mère de se soustraire à une action en recherche de maternité puisque l'enfant ignorera, en principe, son identité. Par hypothèse, le père ne peut cacher la sienne dans la mesure où la mère la connaît. Toutefois, si la mère décide de recourir à l'accouchement sous X, l'identité du père de l'enfant ne sera pas dévoilée à ce dernier. On peut donc considérer qu'en réalité, le père génétique "profite" du secret demandé par la mère. Deux situations sont en réalité envisageables : ou bien la mère décide de ne pas assumer sa maternité et le père n'aura pas non plus à assumer la sienne ; ou bien la mère décide d'assumer sa maternité et le père ne pourra pas refuser la sienne. Or, dans les hypothèses qui nous occupent, la question de l'accouchement sous X ne se pose en réalité pas car les femmes concernées ont tout fait pour avoir un enfant. L'argument de la Cour de cassation paraît ainsi peu adapté.

Le père est donc soumis à la volonté de la mère, ce qui n'est pas nouveau et qui est sans doute inhérent aux modalités de la reproduction humaine...

II - L'absence d'atteinte à la liberté

Absence de liberté. L'auteur de la QPC prétendait, en se fondant sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K), que l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'échapper à une action en recherche de paternité portait atteinte à sa liberté individuelle. Cela revenait à concevoir la paternité comme un choix et donc considérer qu'il existerait une liberté de voir établir ou non la filiation d'un enfant à son égard. Un tel raisonnement manque pour le moins de fondement. Ainsi, si le droit à la vie privée permet, selon la Cour européenne des droits de l'Homme, de contester une paternité contraire à la vérité biologique (7), ce droit fondamental ne saurait permettre d'accepter ou non sa descendance dès lors qu'elle correspond à la réalité biologique. Non seulement l'homme concerné ne pourra pas s'opposer à l'action en recherche de paternité, mais s'il refuse de se soumettre à des tests ADN dans le cadre de la procédure, il risque de voir sa filiation établie d'office par le juge qui tirera ainsi les conséquences de son refus. L'existence d'un droit de l'enfant à établir sa filiation réduit à néant toute tentative de présenter la paternité comme une liberté.

Droit de l'enfant de voir sa filiation établie. Les parents biologiques d'un enfant ont, certes, au moment de la naissance, le choix d'établir ou non la filiation de ce dernier à leur égard. Le père non marié avec la mère peut ainsi le reconnaître ou non, avant ou après sa naissance. Mais par la suite, tout enfant -à l'exception de l'enfant incestueux qui ne peut établir sa filiation qu'à l'égard d'un seul de ses parents- peut établir sa filiation par voie judiciaire. Cette possibilité est notamment fondée sur l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant selon lequel l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. L'existence d'un lien biologique entre un homme et un enfant entraîne le droit pour ce dernier d'établir sa filiation paternelle et de bénéficier des effets qui en découlent, notamment en termes d'obligation alimentaire et de droits successoraux. Le fait que le géniteur n'ait pas souhaité la conception de cet enfant et qu'il ne souhaite pas se comporter après sa naissance comme son père n'y change rien et ne doit rien y changer. Si la possession d'état peut constituer un moyen d'établir la filiation (8), son absence ne saurait à l'inverse empêcher son établissement.

Exclusion d'une exception liée à la volonté du père. D'aucuns ont proposé de mettre les hommes à l'abri des manipulations des femmes qui veulent leur faire un enfant contre leur gré (9). Eriger le refus de l'homme d'avoir un enfant dans ces conditions en obstacle à l'action en recherche de paternité paraît difficilement réalisable ; surtout il serait impossible de justifier un tel raisonnement sauf à remettre en cause les principes gouvernant le droit de la filiation. L'enfant ne saurait, en effet, voir sa filiation dépendre des circonstances de sa conception ! D'autant qu'il faut rappeler l'évidence selon laquelle la contraception n'est pas l'apanage des femmes... Tout homme qui a une relation sexuelle non protégée avec une femme doit savoir qu'il prend le risque de concevoir un enfant, à l'égard de qui sa paternité pourra être établie. Même si l'on peut admettre qu'il n'est pas loyal pour une femme de mentir sur le fait qu'elle a recours à un moyen contraceptif, la naïveté de certains hommes ne saurait justifier une modification de la loi.

Qualité de la mère pour agir. Il n'est cependant pas totalement incongru de s'interroger sur la qualité de la mère pour agir, sans aucun contrôle, en recherche de paternité au nom de l'enfant. Tant que l'enfant est mineur, c'est en effet elle qui décide de l'opportunité d'une telle action. Des textes internes comme internationaux, il ressort une présomption selon laquelle l'intérêt de l'enfant consiste à ce que sa filiation soit établie conformément à ses origines biologiques. Mais on peut se demander s'il est vraiment toujours de l'intérêt de l'enfant de voir établie sa filiation à l'égard d'un homme qui ne l'a pas désiré et qui ne souhaite pas se comporter avec lui comme un père. Le cas échéant, l'intérêt patrimonial va sans doute dans le sens d'une réponse positive. Toutefois, n'est-il pas gênant de laisser la mère décider seule de l'opportunité de l'action en recherche de paternité, sans que l'enfant n'ait son mot à dire et sans qu'il ne puisse par la suite remettre en cause ce lien de filiation ? Il serait sans doute préférable de soumettre cette question à un contrôle extérieur, d'un juge ou d'un représentant autonome de l'enfant tel un administrateur ad hoc. Ces derniers pourraient, s'ils ont un doute quant à la conformité de l'action à l'intérêt supérieur de l'enfant, laisser l'enfant décider après sa majorité.

Action aux fins de subsides. En attendant que l'enfant devenu majeur décide d'établir ou non sa filiation paternelle, l'action aux fins de subsides de l'article 342 du Code civil (N° Lexbase : L5808IC4) est toujours possible. Elle permet à l'enfant, et donc à sa mère, d'obtenir une pension alimentaire. Elle peut, en outre, être le cadre d'une expertise génétique (10) qui permettra d'établir la preuve de la paternité sans que la filiation ne soit établie. Le risque, en effet, d'attendre pour agir en recherche de paternité réside dans le décès du géniteur qui met fin, en l'état du droit français (11), à la possibilité de procéder à une recherche ADN. Muni des preuves de sa filiation, l'enfant sera libre de décider s'il procède ou non à son établissement judiciaire. Parce que l'enfant, lui est libre de choisir....


(1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/01/28/01016-20130128ARTFIG00717-paternite-imposee.php
(2) Nos obs., La ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005 : la réforme de la réforme, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 ([LXB=N3634BI]).
(3) H. de Richemont, rapp. n° 145, 2007-2008, fait au nom de la commission des lois déposé le 19 décembre 2007 p. 32.
(4) Nos obs., art. préc..
(5) En ce sens, F. Dreiffus-Netter, L'accouchement sous X et le droit de connaître ses origines, in Droit de l'enfant et de la famille, Hommage à Marie-Josèphe Gebler, Presses universitaires de Nancy, 1998, qui considère qu'"il est difficile de prétendre que l'homme et la femme, du point de vue physiologique, sont dans une égalité de situation qui justifierait l'égalité de traitement".
(6) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04 (N° Lexbase : A2492D3P), Lamy Droit civil, février 2008, p. 43.
(7) CEDH, 24 novembre 2005, Req. 74826/01, en anglais ; F.Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2011, 6ème éd. p. 564.
(8) C. civ., art. 317 (N° Lexbase : L3822IRY).
(9) Le Figaro, 28 janvier 2013, art. préc..
(10) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 03-12.641, FS-P+B (N° Lexbase : A7993DIU), Defrénois, 2205, 1848, obs. J. Massip ; Dr. fam., 2005, n° 182, note P. Murat ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 03-15.588, FS-P+B (N° Lexbase : A9112DL3), D., 2006, IR 14. ; Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-72.009, F-D (N° Lexbase : A7293GWZ).

newsid:436813

Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4)

Lecture: 7 min

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 25 Avril 2013

La question de l'articulation des différents modes de rupture du contrat de travail a suscité une jurisprudence importante au milieu des années 2000. Si cette jurisprudence semble aujourd'hui s'être tarie, c'est grâce à l'intervention claire de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a posé des principes simples d'articulation qui ne laissent plus aujourd'hui place au doute. Ainsi, l'application de ces principes dans une décision rendue le 10 avril 2013 permet de trancher assez logiquement le conflit qui peut naître entre la conclusion d'une rupture conventionnelle et la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail (I). Cette question finalement assez simple masque cependant une problématique beaucoup plus complexe et sous-jacente dans cette affaire puisqu'était également en cause la validité de la rupture conventionnelle en cas de conflit entre les parties au moment de sa conclusion. Quoique le délaissement de cette question par la Chambre sociale soit parfaitement légitime, il suscite tout de même un fort sentiment de frustration tant la question mérite désormais de trouver une réponse (II).
Résumé

L'annulation de la rupture conventionnelle n'ayant pas été demandée dans le délai prévu par l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9), est devenue sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail antérieure à cette rupture.

Commentaire

I - Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail

  • Articulation des modes de rupture du contrat de travail

Le contrat de travail peut être rompu de multiples façons, à l'initiative du salarié par démission, départ à la retraite, prise d'acte de la rupture ou demande de résiliation judiciaire du contrat, à l'initiative de l'employeur par licenciement ou mise à la retraite ou, encore, par accord commun des parties. Inévitablement, des situations de concours de mode de rupture peuvent survenir : l'employeur engage une procédure de licenciement au cours de laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail ; le salarié introduit une demande de résiliation judiciaire et décide, avant que sa demande ne soit tranchée, de prendre acte de la rupture de son contrat, etc. (1).

L'articulation de ces modes de rupture répond aujourd'hui à une logique relativement claire : la première technique ayant pour effet de rompre le contrat de travail prive d'objet ou d'effet le mode de rupture intervenu ultérieurement, quand bien même la procédure de celui-ci a été engagée au préalable.

Ainsi, par exemple, la procédure de licenciement engagée antérieurement à une prise d'acte de la rupture est sans objet, le contrat de travail étant rompu au jour de la prise d'acte (2). De la même manière, en cas d'articulation entre demande de résiliation judiciaire et licenciement, c'est à nouveau la rupture intervenue la première qui privera la seconde d'objet (3). Enfin, l'articulation entre prise d'acte et résiliation judiciaire, qui a fait le plus difficulté, est aujourd'hui réglée par la Chambre sociale de la Cour de cassation : la prise d'acte de la rupture du contrat rend sans objet la demande de résiliation judiciaire intervenue auparavant (4), ce qui est parfaitement logique puisque le juge fixe la date de la rupture par résiliation judiciaire au jour du jugement (5).

A ce jour, la Chambre sociale n'avait pas eu à connaître de la question de l'articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail.

  • Espèce

Un salarié introduisit, au mois de janvier 2009, une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail auprès de la juridiction prud'homale. Alors que l'affaire était pendante, il conclut au mois d'avril 2009 une rupture conventionnelle avec son employeur. Au mois de mai suivant, la convention fut homologuée par l'administration du travail. Pourtant, le salarié maintînt sa demande de résiliation judiciaire, demande examinée par le juge prud'homal au mois de mai 2010 mais qui le débouta. Par ses conclusions d'appel, le salarié demandait au mois de décembre 2010 l'annulation de la rupture conventionnelle et diverses indemnités au titre de la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur.

En cause d'appel, cette demande de résiliation judiciaire fut jugée irrecevable, tout comme la demande d'annulation de la rupture conventionnelle introduite concomitamment. Le salarié se pourvut en cassation. Il développait une argumentation fort intéressante et, pour tout dire, très attendue. Invoquant l'interdiction de renoncer par avance aux règles protectrices du salarié en matière de licenciement (6), le salarié soutenait que la conclusion de la rupture conventionnelle caractérisait une telle renonciation. Sur la base de cet argument, le salarié estimait que les juges d'appel devaient rechercher si la demande en résiliation judiciaire aux torts de l'employeur était justifiée avant de faire produire ses effets à la rupture conventionnelle.

Sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi (7). Elle relève que "l'annulation de la rupture conventionnelle n'avait pas été demandée dans le délai prévu par l'article L. 1237-14 du Code du travail" si bien que "la cour d'appel n'avait plus à statuer sur une demande, fût-elle antérieure à cette rupture, en résiliation judiciaire du contrat de travail devenue sans objet".

  • Le traitement classique de l'articulation des modes de rupture

La décision rendue par la Chambre sociale entre parfaitement dans la logique d'articulation des modes de rupture présentée.

En effet, la date de la rupture du contrat de travail par rupture conventionnelle est fixée par la convention elle-même au plus tôt le lendemain du jour de l'homologation délivrée par l'administration du travail (8). La rupture conventionnelle ayant été conclue au mois d'avril 2009 alors que le jugement prud'homal n'était rendu qu'au mois de mai 2010, la demande de résiliation judiciaire était privée d'objet.

Ce raisonnement ne pouvait cependant être tenu qu'à la condition de considérer que le contrat de travail avait bien été rompu par la rupture conventionnelle. Or, le salarié demandait également l'annulation de cette rupture conventionnelle. Du fait du caractère rétroactif de la nullité, la demande de résiliation judiciaire aurait pu produire ses effets si ce moyen avait été accueilli. Les juges d'appel, confortés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, rejetèrent cependant cette demande de nullité au vu d'arguments qu'il convient d'analyser.

II - La validité toujours incertaine de la rupture conventionnelle conclue en situation de conflit

  • Refus d'annulation de la rupture conventionnelle et litige entre les parties

Deux arguments contradictoires devaient être articulés, l'un sur le fond, l'autre sur une question de prescription.

Sur le fond, le salarié soutenait qu'existait un litige entre le salarié et l'employeur et que, par conséquent, l'accord de rupture caractérisait une renonciation illicite du salarié aux règles protectrices du droit du licenciement.

On reconnaît là une rhétorique autrefois utilisée pour contester les transactions relatives aux effets de la rupture du contrat mais conclues préalablement à la rupture. On se souviendra, en effet, que c'est sur le fondement de l'illicéité de cette renonciation antérieure à la rupture que la Chambre sociale a exigé que de telles transactions soient obligatoirement conclues après la rupture du contrat de travail (9). A cela s'ajoutait d'ailleurs une autre règle prétorienne, à laquelle il n'est pas ici fait référence. En effet, avant que le régime légal de la rupture conventionnelle ne soit adopté, la Chambre sociale de la Cour de cassation annulait les accords de rupture amiable conclus par des parties en état de litige (10).

L'argument pouvait être transposé à la rupture conventionnelle du contrat de travail, ce qui a d'ailleurs déjà donné lieu à quelques affaires jusqu'ici portées devant les juges du fond : une rupture conventionnelle conclue entre un salarié et un employeur en litige est-elle valable (11) ? La question semble ne pas être encore totalement tranchée. Alors que certains conseils de prud'hommes ont pu considérer que, dans une telle situation, la rupture n'était pas valable (12), la cour d'appel de Rouen distingue selon qu'existe une véritable situation conflictuelle ou un simple désaccord (13) quand la cour d'appel de Lyon, plus catégorique, refuse d'annuler la rupture conventionnelle en raison d'un conflit concomitant à sa conclusion (14).

Malgré ces incertitudes, la Chambre sociale ne répond pas véritablement à cette interrogation, détournant le regard grâce à un argument procédural qui, il est vrai, constitue l'une des spécificités de la rupture conventionnelle.

  • Refus d'annulation de la rupture conventionnelle et délais de prescription

Si la Chambre sociale conforte les juges d'appel d'avoir refusé l'annulation de la rupture conventionnelle et, partant, d'avoir refusé de statuer sur la demande de résiliation judiciaire, ce n'est pas sur le fondement de l'existence d'un conflit entre les parties mais seulement, si l'on peut dire, en application de la règle tirée de l'article L. 1237-14, alinéa 4, du Code du travail qui dispose que tout recours contre la rupture conventionnelle ou son homologation "doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention". Aux dires des juges d'appel, le salarié n'a pas contesté la validité de la rupture conventionnelle devant les premiers juges mais, seulement, en cause d'appel. Manifestement, le délai d'un an suivant l'homologation était dépassé.

Cette décision, comme celles rendues au mois janvier à propos de la rupture conventionnelle, suscite donc une nouvelle frustration tant on a le sentiment qu'une question certes sous-jacente mais d'une grande importance aurait pu être réglée (15). En effet, en ne répondant que sur la question de la prescription, ce qui est parfaitement légitime au demeurant, la Chambre sociale laisse clairement planer le doute sur sa "doctrine" en matière de conflit entre les parties. L'affaire, certainement, n'était pas assez belle pour prendre parti... Mais le temps de la réponse viendra.

  • Propositions

La jurisprudence relative aux transactions et aux accords de rupture amiable devrait être transposée à la rupture conventionnelle, cela pour au moins trois raisons.

D'abord parce que la transaction conclue en vue de rompre le contrat de travail, l'accord de rupture amiable ou la rupture conventionnelle ont toutes, peu ou prou, la même nature. Il s'agit dans chaque cas d'une convention extinctive ayant pour effet de rompre le contrat de travail. La proximité de nature juridique devrait, sur le plan technique, postuler la proximité de régime juridique, même si proximité n'est pas identité.

Ensuite parce que la Chambre sociale semble accorder, comme elle l'a démontré au mois de janvier dernier, une importance capitale au consentement des parties lors de la rupture. Or, il peut être soutenu que le consentement des parties à la rupture en cas de conflit n'est pas pleinement libre. On retrouve ici l'idée qui irrigue la notion de prise d'acte de la rupture du contrat de travail : si la volonté du salarié était pleinement libre, il s'agirait d'une démission. C'est parce que cette volonté n'est pas claire, est équivoque, est justifiée par un litige avec l'employeur que la qualification de démission est rejetée au profit d'une qualification de prise d'acte. Juger que la rupture conventionnelle conclue en situation de conflit soit valable ne serait donc guère cohérent avec l'idée que se fait la Chambre sociale du consentement du salarié dans le cadre de la rupture de son contrat de travail.

Enfin, et quoique cet argument soit plus relatif, il faut noter que le régime légal de la rupture conventionnelle reste taisant sur la question d'un litige entre les parties alors même qu'il insiste lourdement sur l'exigence d'un consentement libre. L'interprétation judiciaire est donc nécessaire et paraît être guidée par cette exigence d'un consentement valable.


(1) V. déjà sur cette question nos observations sous Cass. soc., 3 février 2010, n° 07-42.144, FS-P+B (N° Lexbase : A7682ERX), Articulation entre résiliation judiciaire et prise d'acte : le point de départ des intérêts afférents aux indemnités de rupture, Lexbase Hebdo n° 384 du 25 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2472BNU).
(2) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) ; Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN) ; Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-43.431, F-P (N° Lexbase : A1054DQ4), RDT, 2006, p. 240, obs. J. Pélissier.
(3) Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7356DGK) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire du contrat de travail ou licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 157 du 4 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4812ABT) ; Cass. soc., 7 février 2007, n° 06-40.250, FS-P+B (N° Lexbase : A9615DTB) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire et licenciement : pourquoi faire simple ?, Lexbase Hebdo n° 248 du 16 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0442BAM).
(4) Cass. soc., 31 octobre 2006, 3 arrêts, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0483DSP), n° 04-46.280, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0481DSM), n° 04-48.234, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0482DSN) et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 17 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ).
(5) Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) et les obs. de G. Auzero, Date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 245 du 26 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7973A98).
(6) Règle établie par l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G).
(7) Le pourvoi est admis pour défaut de motivation sur une question annexe relative à la privation d'un avantage retraite que l'employeur semblait avoir omis d'octroyer au salarié.
(8) C. trav., art. L. 1237-13, al. 2 (N° Lexbase : L8385IAS).
(9) Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, publié (N° Lexbase : A3966AA7) ; Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème édition, n° 120 ; Dr. soc., 1996, p. 687, note J. Savatier.
(10) Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.570, F-D (N° Lexbase : A2439DZD).
(11) V. les obs. de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3627BTI).
(12) CPH Bobigny, 6 avril 2010 n° 08/4910.
(13) CA Rouen 27 avril 2010, n° 09/04792 (N° Lexbase : A4678GAI).
(14) CA Lyon, ch. soc., sect. A, 7 mai 2012 (N° Lexbase : A6878IKX) et les obs. de Ch. Willmann, préc. ; JCP éd. G, 2012, 777, obs. F. Bavozet ; RDT, 2012, p. 336, obs. B. Mounier-Berail.
(15) Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ).

Décision

Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4)

Cassation partielle, CA Montpellier, 16 février 2011, n° 10/04481 (N° Lexbase : A8980HNW)

Textes concernés : C. trav., art L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9)

Mots-clés : rupture conventionnelle, résiliation judiciaire, articulation

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Sociétés

[Jurisprudence] Action sociale ut singuli : application littérale de la loi

Réf. : Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.213, F-P+B (N° Lexbase : A5783KAG)

Lecture: 5 min

N6781BTC

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)

Le 25 Avril 2013

Une mésentente quant à la prise en charge du coût de la rénovation d'immeubles est à l'origine de cette procédure. En effet, le capital social d'une société anonyme française est détenu à 55 % par une société de droit luxembourgeois et à 45 % par une société civile immobilière à l'exception de deux actions détenues par le dirigeant de la SCI Bayard Montaigne et une SARL Arcade Investissement Conseil. La société anonyme a trois SNC filiales qui exploitent chacune une résidence de tourisme. Les immeubles de ces dernières appartiennent à trois SAS de droit français, qui sont elles-mêmes filiales de l'actionnaire principal de la société luxembourgeoise. Schématiquement, on retrouve dans le conseil d'administration de la SA, d'un côté un groupe majoritaire d'actionnaires comprenant le groupe luxembourgeois, propriétaire bailleur des résidences de tourisme, et de l'autre, les actionnaires minoritaires, locataires assurant notamment la gestion de celles-ci. Ces immeubles devant être réparés et rénovés, un conflit apparaît entre les administrateurs bailleurs, et les administrateurs titulaires des baux commerciaux pour savoir qui devait entreprendre les travaux et les payer. Ainsi, entre actions en nullité des délibérations du conseil d'administration de la SA, instance relative à la charge des travaux et à la saisie des loyers, aux demandes relatives aux baux commerciaux et aux travaux, sans oublier les demandes reconventionnelles, tel est le décor de l'affaire (1) à l'origine de l'arrêt rendu le 19 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Plus précisément, les actionnaires minoritaires ont demandé la condamnation au paiement de dommages-intérêts des sociétés, actionnaires majoritaires de la SA, déclarant exercer l'action sociale ut singuli. La cour d'appel (2) a rejeté leur demande au motif que l'action est formée au nom de la SA dont ils sont actionnaires à l'encontre des sociétés ayant commis des fautes à l'origine du préjudice subi par la SA. En effet, les juges du fond considèrent que les sociétés défenderesses n'ont pas la qualité d'administrateur ou de dirigeant de la SA. Sur le pourvoi des associés minoritaires, prétendant pouvoir agir contre ceux qui ont causé le préjudice subi par la société dès lors que celle-ci est mise en cause, la Cour de cassation indique que la cour d'appel avait exactement retenu que les dispositions de l'article L. 225-252 du Code de commerce (N° Lexbase : L6123AIM) n'autorisent les actionnaires à exercer l'action sociale en responsabilité qu'à l'encontre des administrateurs ou du directeur général de la société.

La responsabilité civile des administrateurs peut être mise en cause par les actionnaires, au moyen de deux actions. Tout d'abord par une action individuelle (3), dont la finalité est la réparation du préjudice subi personnellement par un actionnaire, indépendamment de celui subi par la personne morale (4). Cette action personnelle vise à réparer le préjudice de l'actionnaire qui est le corollaire du préjudice global subi par la société (5). Par ailleurs, les actionnaires peuvent agir, en se substituant aux représentants légaux en cas d'inaction de leur part, afin d'obtenir la réparation de l'entier dommage subi par la société (6). Ainsi, on peut relever que la loi autorise les actionnaires à agir au nom et pour la compte de la société (I). Toutefois, l'action sociale ainsi exercée est une action attirée dont le domaine est limité par la loi (II). Par conséquent, à défaut de respect des dispositions légales, l'action doit être jugée irrecevable.

I - Le droit d'agir légalement qualifié

En principe, il n'est pas possible d'agir en justice pour le compte d'autrui, car la gestion d'affaire est exclue en matière procédurale (7), et plus spécialement lorsque le demandeur est une société (8). Cette interdiction est fondée sur une conception individualiste de l'action en justice, dont les origines remontent à l'époque révolutionnaire. Toutefois, le droit positif a développé des exceptions à ce principe, et notamment les actions attitrées. La notion d'action attitrée (8) évoquée à l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43), vise, à côté de l'action qualifiée de "banale", car ouverte à tout intéressé, des "cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé". Ainsi, la loi limite les personnes habilitées à agir, ou, au contraire, elle l'étend à l'ensemble des titulaires possibles du droit substantiel (10).

La distinction des actions "banales" et des actions attitrées se retrouve en droit des sociétés et les actions peuvent être regroupées en deux catégories. D'une part, celles qui sont exercées par les dirigeants au nom et pour le compte de la société, et qui en pratique, sont les plus fréquentes. D'autre part, les actions pour lesquelles la qualité et l'intérêt pour agir ne sont plus appréciés à l'égard de la société, mais chez une autre personne à laquelle l'action est légalement dévolue. L'action sociale ut singuli figure dans cette seconde catégorie (11). En effet, l'article L. 225-252 du Code de commerce dispose que les actionnaires peuvent "intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général". Cette action répond à des nécessités pratiques. En effet, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants sociaux peut mettre à jour un conflit d'intérêts. Dans une telle situation, les dirigeants sont naturellement peu enclins à exercer, au nom de la société, une action mettant en jeu leur propre responsabilité. L'existence de ce risque a été détectée depuis longtemps. Pour cette raison, la jurisprudence reconnaît de longue date la recevabilité de l'action sociale exercée par des associés (12). Cette action est dénommée "action ut singuli", par opposition à l'"action ut universi" que la société exerce par ses dirigeants sociaux (13).

Dans la présente affaire, deux sociétés et deux personnes physiques, actionnaires ont ainsi agi en responsabilité au nom de la société anonyme en vue d'obtenir la réparation du préjudice subi par la personne morale, du fait de décisions et agissements considérés par ces derniers comme fautifs et à l'origine du préjudice social. Toutefois, s'agissant d'un régime spécifique de responsabilité civile, il faut que toutes les conditions légales soient remplies pour que cette action attitrée soit recevable.

II - Le droit d'agir légalement autorisé

En raison de son caractère dérogatoire, l'action ut singuli doit être limitée au domaine des actions en responsabilité contre les dirigeants sociaux, car elle a pour fondement l'existence, au moins potentielle d'un conflit d'intérêts entre les dirigeants et la société (14). Par conséquent, un actionnaire ne peut exercer une action ut singuli en nullité (15). Il en va de même pour un actionnaire qui ne peut agir en rescision pour lésion d'une vente d'immeuble préjudiciable à la société, quand bien même celle-ci serait en liquidation (16) ou bien encore interjeter appel d'une décision, au seul motif qu'elle causerait un grief à la société (17).

L'article L. 225-252 précité permet aux actionnaires d'agir en lieu et place des représentants légaux de la société, leur action étant toutefois limitée quant à la qualité des défendeurs : il faut que ces derniers ait la qualité de dirigeant social ! Ainsi, il faut un préjudice social et un défendeur ayant la qualité de dirigeant de la société pour que l'action sociale ut singuli soit recevable. Les conditions légales sont ici cumulatives. C'est ce que permet d'affirmer l'arrêt rendu le 19 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La Haute cour rejette le pourvoi rédigé par les actionnaires minoritaires qui prétendaient que cette action était recevable contre les tiers qui ont causé le préjudice subi par la société. Elle confirme ainsi l'analyse des juges du fond qui considéraient que, s'agissant d'un régime de responsabilité spécifique, les conditions légales de mise en oeuvre de cette action doivent être respectées, faisant ainsi une application stricte de la règle de droit. En effet, aucun texte ne confère aux actionnaires l'exercice au nom de la société, d'une action en responsabilité contre les tiers ayant pu commettre une faute préjudiciable à l'intérêt social. Sachant que nul ne peut agit en justice pour le compte d'autrui sauf s'il est légalement qualifié à cette fin, les actionnaires minoritaires ne pouvaient déclencher l'action sociale ut singuli contre les personnes physiques ou morales présentes dans le groupe de sociétés intéressées par les immeubles à rénover n'ayant ni la qualité d'administrateur, ni celle de directeur général. La solution rendue, en matière civile, doit être totalement approuvée.

La solution est plus nuancée en matière pénale, car la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sur le double fondement du droit des sociétés et de l'article 480-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9921IQI), a admis la recevabilité de l'action sociale ut singuli contre les personnes n'ayant pas les qualités légales requises mais qui avaient été condamnées pour complicité des fautes commises par les administrateurs de la société (18). Enfin, la présente solution rendue à propos d'une société anonyme est valable pour l'ensemble des sociétés. En effet, la règle prétorienne reprise uniquement pour ce type de société, a été généralisée à toutes les formes sociétaires par la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988, et figurant actuellement à l'article 1843-5 du Code civil (N° Lexbase : L2019ABE).


(1) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 13 décembre 2011, n° 09/18 552 (N° Lexbase : A1416H8X).
(2) CA Paris 13 décembre 2011, préc..
(3) C. com., art L. 225-252 (N° Lexbase : L6123AIM) et art R. 225-167 (N° Lexbase : L0302HZ9) et s..
(4) Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.679, F-D (N° Lexbase : A5936DLG), Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 502, note J.-J. Daigre.
(5) Cass. com., 1er mars 1997, n° 94-18.912 (N° Lexbase : A8134AXK), Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 650, note J.F. Barbièri ; RTDCom., 1997, p. 647, obs. B. Petit et Y. Reinhard.
(6) CA Versailles, 29 mars 1978, JCP éd G, 1979, II, n° 19209.
(7) R. Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Sirey, 2ème éd, 1949, p. 271. ; H. Solus et R. Perrot, Procédure de première instance, t. 3, Sirey, 1991, n° 34. ; Cass. civ. 1, 9 mars 1982, n° 80-16.163, publié (N° Lexbase : A7402CGA), Bull. civ. I, n° 104, RTDCiv., 1983, p. 193, obs. R. Perrot
(8) Cass. civ. 3, 15 octobre 1974, n° 73-11.413 (N° Lexbase : A0050AUE), Bull. civ. III, n° 359
(9) Cette notion a été proposée par les professeurs G. Cornu et J. Foyer (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, coll. Thémis Droit privé, 3ème éd., 1996, n° 77) avant d'être consacrée par le législateur
(10) F. Vinvkel, J. Cl. Traité Sociétés, Fasc. 149-10, Actions en justice dans l'intérêt de la société anonyme - Existence, spéc. n° 45.
(11) Ch. Armand et A. Viandier, Réflexions sur l'exercice de l'action sociale dans les groupes de sociétés : transparence des personnalités et opacité des responsabilité ?, Rev. Sociétés, 1989, p. 557 ; G. Chesne, L'exercice ut singuli de l'action sociale, RTDCom., 1962, p. 347 ; G. Delmotte, L'action sociale ut singuli, Jour. not., 1981, p. 945, J.Ch. Pagnucco, L'action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements, LGDJ, Fondation Varenne, 2006
(12) Cass. req., 3 décembre 1883, D., 1884, 1, p. 339 ; Cass. req., 30 mars 1909, D., 1913, 1, p. 174 ; Cass. civ., 23 janvier 1931, DH 1931, p. 521
(13) G. Chesne, L'exercice ut singuli de l'action sociale dans la société anonyme, préc., p. 348.
(14) J. Bouveresse, Les conflits d'intérêts en droit des sociétés, thèse dactyl. Strasbourg 2006 ; D. Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly 1999
(15) Cass. com., 16 octobre 1972, n° 70-13.691 (N° Lexbase : A6907AYH), JCP éd. G, 1973, II, 17532, note N. Bernard
(16) Cass. com., 12 octobre 1954 , D. 1955, jurispr., p. 697, note J. Copper-Royer
(17) Cass. com., 6 décembre 1977, n° 76-11.061 (N° Lexbase : A9282ATX), Rev. sociétés, 1979, p. 373, note D. Schmidt
(18) Cass. crim., 28 janvier 2004, n° 02-87.585, FS-P+F (N° Lexbase : A3306DB3), Bull. crim. n° 18 ; D., 2004, p. 1447, note H. Matsopoulou ; Rev. Sociétés, 2004, p. 405, note B. Bouloc ; Bull Joly Sociétés, 2004, p ; 678, note J.F. Barbièri, Droit & patrimoine, juillet-août 2004, p. 108, obs. D. Poracchia ; JCP éd. E, 2004, act. p. 451

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Avril 2013

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 25 Avril 2013

L'harmonisation de la TVA est restée en l'état depuis la Directive de 2006 (Directive 2006/1128/CE du 28 novembre 2006), qui a procédé à une véritable refonte des textes antérieurs par une forme de codification à droit constant. Pour autant, l'activité de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est toujours importante et son actualité en matière de TVA ne se dément pas. Dans la présente chronique, Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, examine trois décisions des juges de l'UE. Les deux premiers arrêts sont issus de la même chambre et datent du même jour ; outre ces points communs formels, ils permettent de faire un point relativement complet sur l'exonération de TVA dans le cadre de la gestion des fonds communs de placement (CJUE, 7 mars 2013, aff. C-275/11 et CJUE, 7 mars 2013, aff. C-424/11). L'étude d'une troisième décision nous permettra de revenir sur la notion de "lien direct et immédiat", qui joue un rôle non négligeable quant au droit à déduction (CJUE, 21 février 2013, aff. C-104/12).
  • L'exonération de TVA applicable à la gestion des fonds communs de placement

Les deux arrêts commentés du 7 mars 2013 sont relatifs à la même disposition : l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA (1). Bien que cette dernière ait été supprimée, la Directive 2006/112/CE du Parlement et du Conseil du 28 novembre 2006 (2) prévoit la même disposition dans des termes identiques à son article 135, paragraphe 1, sous g). Ainsi, dans les deux décisions commentées, et en fonction de l'application ratione temporis, il pourra être fait référence à l'une ou l'autre de ces dispositions. Eu égard à l'identité des termes, les réponses apportées dans le cadre de la Directive de 1977 sont toujours pertinentes s'agissant de la Directive de 2006.

En vertu de ces dispositions, est exonérée de TVA "la gestion de fonds communs de placement tels qu'ils sont définis par les Etats membres". Les deux décisions rendues le 7 mars 2013 par la première chambre permettent de mettre en oeuvre un examen complet de ces dispositions. En effet, dans l'une des décisions, la question préjudicielle porte la notion de "gestion" et dans la suivante sur celle de "fonds commun de placement".

A - Les conseils en placement fournis par une entreprise à une société gérant un fonds commun de placement sont exonérés de TVA, même en l'absence de mandat (CJUE, 7 mars 2013, aff. C-275/11 N° Lexbase : A2341I9L)

Les faits sont relatifs à l'activité d'une société allemande qui a pour objet le conseil en matière de placements financiers, la commercialisation d'actifs financiers, ainsi que la diffusion de d'informations et de recommandations boursières. En décembre 1999, cette société a conclu un contrat avec une société de placements de capitaux (SPC) qui gérait un fonds commun de placement (3).

Selon les termes de ce contrat, la société allemande conseillait la SPC pour la gestion des actifs du fonds. A cette fin, elle lui adressait des recommandations de vente et d'achat d'actifs. La société devait respecter le "principe de répartition des risques, des restrictions légales en matière d'investissement [...] et des conditions de placement [...]" (4). La rémunération de la société était calculée en fonction d'un pourcentage fondé sur la valeur moyenne du fonds commun de placement. De 1999 à 2002, la société a fourni ses conseils par différents moyens de communication (téléphone, fax, courriel). La SPC appliquait -généralement- très rapidement les conseils ainsi délivrés. Mais au final, la décision ressortait du pouvoir de décision de la SPC.

La société a demandé à bénéficier de l'exonération de TVA prévue à l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA pour les prestations de services -sous forme de conseils- fournies à la SPC. L'administration allemande a refusé le bénéfice de cette exonération en considérant que les services en cause ne relevaient pas des dispositions précitées. La société prestataire de services s'est pourvue en justice afin de contester cette décision. Le Bundesfinanzhof (5) a décidé de surseoir et de poser à la CJUE une question préjudicielle relative à la notion de "gestion" dans le cadre de l'application de l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA.

La question préjudicielle est posée sous la forme de trois propositions mais qui peuvent être comprises comme autant de limites posées à la notion de "gestion". En effet, la formulation implique que la CJUE réponde sur les trois alternatives proposées. Il s'agit de savoir à quelles conditions les prestations fournies par un tiers peuvent être exonérées :
"- lorsqu'il exerce une activité de gestion et non seulement de conseil,
- lorsqu'en raison de sa nature, la prestation se distingue d'autres prestations caractéristiques aux fins de l'exonération ou,
- lorsque le gestionnaire agit en exécution d'un mandat au sens de l'article 5 octies de la Directive 85/611/CEE (
N° Lexbase : L9653AU3)" (6).

Cette question préjudicielle permet ainsi à la CJUE de pouvoir faire connaître les critères permettant de déterminer lesquels des services fournis par un gestionnaire externe à une SPC peuvent bénéficier de l'exonération prévue par la législation de l'UE. Ces éléments développés par la Cour de justice sont d'autant plus intéressants qu'en la matière les décisions sont peu nombreuses. Le principal arrêt précédent portant sur ce même point -"Abbey National"- date du 4 mai 2006 (7). On peut distinguer deux apports principaux de la décision commentée : d'une part, définir en quoi consiste la "gestion" d'un fonds d'investissement au regard de l'exonération prévue par les Directives successives en matière de TVA et, d'autre part, savoir si les dispositions de la Directive dite "OPCVM (8)" (9), relatives à la gestion de fonds commun de placement peuvent être prises en considération en matière de TVA.

1 - La notion de "gestion"

Avant d'aborder la définition de cette notion, il est utile de rappeler la finalité de cette exonération de TVA : elle doit "faciliter aux petits investisseurs le placement dans des titres au moyen d'organismes de placement collectif" (10). Dans le même temps, le principe de neutralité gouvernant le système de TVA est respecté, car l'investisseur peut choisir de placer directement ses titres ou de le faire par l'intermédiaire d'un organisme ; dans les deux hypothèses, l'opération de placement sera exonérée de TVA.

La CJUE se réfère expressément à la décision "Abbey National", aux termes de laquelle, lorsque les prestations sont fournies par un gestionnaire externe, leur exonération est conditionnée par le fait qu'elles doivent "former un ensemble distinct, apprécié de façon globale et constituer des éléments spécifiques et essentiels pour la gestion du fonds commun de placement" (11). Cette définition n'est pas développée plus amplement dans l'arrêt du 4 décembre 2006. La décision commentée apporte quelques éléments bienvenus eu égard à la brièveté de cette définition de 2006.

Dans ses conclusions, l'avocat général a développé assez longuement les différents critères qui pourraient permettre de distinguer les opérations pouvant bénéficier de l'exonération de celles qui ne le peuvent pas au regard de la nécessité de "former un ensemble distinct, appréciée de façon globale et constituer des éléments spécifiques et essentiels" (12). Cependant, la CJUE n'a pas repris tous les éléments évoqués par l'avocat général ; elle retient uniquement la notion de "lien intrinsèque des prestations de services avec l'activité spécifique de la SPC". Ce lien intrinsèque est établi dès lors que les prestations de service sont caractéristiques et essentielles à l'activité exercée par un fonds commun de placement. Or les différents services fournis par la société allemande sont indissociables de l'activité d'un fonds commun de placement ("recommandations de vente et d'achat d'actifs").

Pour l'espèce commentée, la solution est d'autant plus certaine que, dans la décision "Abbey National", les prestations de services en cause peuvent être analysées comme moins spécifiquement liées à l'activité d'un fonds de placement. En comparaison, l'avocat général considère que l'exonération peut s'appliquer à des opérations qui, a fortiori, sont bien plus spécifiques que celles exonérées dans le cas de la décision "Abbey National" (13).

Dans la décision, les opérations en cause portent moins à discussion que les prestations dont il était question dans l'arrêt "Abbey National". Si, dans la décision de 2006, ces opérations ont été qualifiées comme étroitement liées à l'activité spécifique d'un fonds de placement, dans la décision de 2013, il est relevé qu'elles présentent un lien intrinsèque. Cette décision permet de confirmer la nécessité du lien devant exister entre l'activité et les opérations de gestion effectuées par le gestionnaire externe qui permet à ces dernières de bénéficier de l'exonération de TVA.

2 - La Directive "OPCVM" (14)

Cette décision permet aussi de confirmer la position prise par la CJUE quant à la prise en compte de la Directive 85/611/CEE (15) en matière de TVA. Ce texte a été réformé par deux Directives en 2002 (16), notamment il a été ajouté une annexe II, aux termes de laquelle le terme de "gestion" a été défini. L'article 5, paragraphe 2 de la Directive 85/611/CEE (17) modifié donne plusieurs exemples et renvoie expressément à une liste non exhaustive de fonctions liées à la gestion. A la suite des modifications intervenues en 2002, en vertu de l'article 5 octies de la Directive 85/611/CEE (18), les Etats membres peuvent autoriser aux SPC de déléguer à des tiers certains de leurs fonctions de gestion.

Or, certaines de ces fonctions peuvent être exonérées de TVA par application des dispositions de l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA. Par principe, les exonérations de TVA sont des exceptions à la règle générale et, en conséquence, doivent être interprétées strictement. Donc on pouvait s'interroger sur le point de savoir si seules les fonctions mentionnées dans l'annexe II de la Directive OPCVM (19) pouvaient bénéficier de l'exonération en vertu de l'interprétation stricte des dispositions autorisant les exonérations de TVA.

Cette solution avait déjà été écartée dans la décision "Abbey National" (20), en faisant prévaloir le principe du respect de la neutralité de la TVA. Dans l'affaire présentement commentée, le juge de l'UE s'est fondé sur un raisonnement lié à la seule lecture des textes applicables. La liste de l'annexe II (21) étant qualifiée de "non exhaustive", dès lors il peut être inclus dans cette liste des prestations de services spécifiques aux activités de "gestion" de fonds de placement.

B - Un fonds utilisé pour le paiement des pensions de retraite des anciens salariés d'une entreprise, qui ne participent pas à sa gestion et qui répondent aux obligations légales pesant sur l'employeur, est assujetti à la TVA (CJUE, 7 mars 2013, aff. C-424/11 N° Lexbase : A2343I9N)

Les faits de cette affaire portent sur une catégorie spécifique d'OPCVM : les fonds de pension. Un fonds commun de placement est le "trustee" (22) des actifs des régimes de pension mis en place par une entreprise, afin de remplir ses obligations légales et conventionnelles à l'égard de ses anciens employés (23).

Par le biais de ce fonds de placement, les anciens employés bénéficient d'une pension de retraite calculée sur la base du dernier salaire et en fonction de leur ancienneté au sein de l'entreprise. Outre les cotisations versées par les salariés, ce fonds est aussi abondé par l'employeur. Enfin, ce régime n'est pas obligatoire et n'est ouvert qu'aux salariés de l'entreprise.

Une société fournissait au trustee des services de gestion, prestations soumises à TVA par application de la législation britannique. Cependant, un arrêt de la CJCE en date du 28 juin 2007 (24) a jugé que l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA, qui exonère la gestion de fonds communs de placement tels qu'ils sont définis par les Etats membres "doit être interprété en ce sens que la notion de fonds communs de placement' figurant à cette disposition est de nature à englober les fonds communs de placement à capital fixe tels que les sociétés fiduciaires d'investissement (Investment Trust Companies)" (25). A la suite de cette décision, la société a demandé à l'administration britannique le remboursement de la TVA pour la fourniture des services au trustee, en soutenant que ces opérations pouvaient bénéficier de l'exonération prévue par la 6ème Directive-TVA. L'administration fiscale a refusé d'accéder à cette demande. La société prestataire de services a introduit un recours juridictionnel, cependant le juge britannique a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle relative à la qualification de "fonds commun de placement", à savoir si le fonds de pension de retraite géré par un "trustee" pouvait bénéficier de l'exonération de TVA au sens de l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA.

A notre connaissance, ce point de droit n'avait jamais été posé à la CJUE. Outre la réponse particulière donnée à l'espèce, cette affaire permet aussi à la Cour de justice de rappeler les principes applicables quant à la définition des fonds de commun de placement dans le cadre de l'article 13, B, sous d), point 6 de la 6ème Directive-TVA (26).

1 - "Le fonds commun de placement", notion définie par les Etats membres dans le respect des objectifs de la législation de l'UE en matière de TVA

En vue d'éviter des divergences d'application, les exonérations prévues en matière de TVA sont des notions autonomes du droit de l'UE, dès lors elles reçoivent une définition commune que les Etats membres ne sauraient modifier (27). Cependant, dans certaines hypothèses, le législateur a pu permettre aux Etats membres de définir certains des termes d'une exonération (28) ; en l'espèce, le législateur a précisé qu'est exonérée de TVA "la gestion de fonds communs de placements tels qu'ils sont définis par les Etats membres".

Ce pouvoir donné aux Etats membres quant à la définition d'un terme d'exonération de TVA est limité par les objectifs et principes applicables à cette imposition. L'objectif de cette exonération est de "faciliter aux investisseurs le placement de leurs titres", que ce placement soit effectué à titre individuel ou par l'intermédiaire d'un fonds de placement. De même, en excluant du champ de la TVA les opérations liées à la gestion d'un fonds commun de placement, le principe de neutralité de la TVA était respecté. En effet, quel que soit le choix de l'opérateur entre le placement direct ou par un intermédiaire, les opérations seront traitées de manière identique.

Le principe de neutralité de la TVA n'exige pas, pour sa mise en oeuvre, que les opérations soient exactement identiques mais qu'elles puissent être mises en concurrence les unes avec les autres. La comparaison entre les différentes opérations doit permettre de déterminer si elles sont suffisamment proches pour qu'elles puissent être en concurrence (29). La Cour de justice privilégie une perspective économique plus que juridique, raisonnement habituel, qui lui permet de garder une cohérence au système de TVA face à des législations qui pourraient faire prévaloir des techniques juridiques différentes impliquant des divergences d'application.

2 - Les fonds de retraite : des fonds communs de placement susceptibles de bénéficier de l'exonération de TVA ?

C'est précisément au regard de cette notion de concurrence qu'est fondé le raisonnement de la CJUE aboutissant à une réponse négative quant à l'exonération des opérations de gestion de ce fonds de retraite. En effet, ce fonds n'est pas considéré comme entrant dans la catégorie des OPCVM, organismes de placement collectifs de capitaux recueillis auprès du public car, précisément, il n'est pas ouvert au public. Comme indiqué précédemment, la participation à ce fonds est réservée aux employés de l'entreprise, il n'existe pas de concurrence entre ce fonds et les OPCVM ouverts au public. Ils ne possèdent pas les mêmes caractéristiques et donc ils ne répondent pas aux mêmes besoins (30).

La Cour relève que les employés ne supportent pas les risques de gestion de ce fonds d'investissement (la prestation de retraite n'est pas liée aux résultats du fonds). Pour l'employeur, même s'il supporte les conséquences des résultats du fonds, il investit afin de remplir des obligations légales et conventionnelles. Ces éléments sont révélateurs d'un régime juridique qui ne permet pas d'inclure ce type de fonds dans la catégorie des "fonds communs de placements" relevant de l'exonération prévue dans les dispositions successives des Directives relatives à la TVA.

  • Droit à déduction - le lien direct et immédiat entre l'opération taxable et l'activité de l'entreprise cliente est fonction du contenu du bien ou du service acquis par cet assujetti (CJUE, 21 février 2013, aff. C-104/12 N° Lexbase : A3686I8Z)

L'affaire jugée par la CJUE le 21 février 2013 porte sur la notion de lien direct et immédiat. La Cour a déduit l'existence de ce lien direct et immédiat de l'article 17, paragraphe 2, sous a) de la 6ème Directive-TVA, qui énonce le principe général selon lequel la TVA d'amont n'est déductible par un assujetti que "dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées".

En l'espèce, il s'agissait d'une société à responsabilité limitée de droit allemand, dont un entrepreneur individuel, était aussi associé majoritaire de cette société, travaillait avec un fondé de pouvoir. Cette société avait pour objet la réalisation de travaux de construction, activité soumise à TVA. Par l'effet d'une convention d'intégration fiscale, l'associé et la société étaient considérés comme un seul assujetti. A la suite de l'attribution d'un marché public à la société, cette dernière était soupçonnée d'avoir bénéficié d'informations confidentielles qui lui auraient permis de présenter la meilleure offre. Ces informations auraient été obtenues grâce à des dons remis par les deux associés, contre lesquels ont été ouvertes des procédures pénales.

Dans le cadre de ces procédures, les associés ont été représentés par des avocats. Les accords entre ces derniers, en leur qualité de gérants de la société, et leur avocat respectif ont été signés. A réception des factures des avocats, l'associé majoritaire, en tant qu'entreprise intégrante de la société, a procédé à la déduction de la TVA grevant ces factures. L'administration fiscale allemande a considéré que le droit à déduction ne pouvait s'appliquer à ces factures. L'associé a introduit un recours juridictionnel contre cette décision. La Cour fédérale des finances allemande a posé une question préjudicielle relative au critère qui doit être mis en oeuvre afin de déterminer si le lien direct et immédiat existe. S'agit-il de prendre en considération le contenu objectif de la prestation acquise par l'assujetti, l'activité de l'avocat afin d'éviter la condamnation d'une personne physique ? ou la cause de la prestation acquise, c'est-à-dire l'activité économique de l'assujetti ? (31)

En l'espèce, la question portait sur la nature du "lien direct et immédiat" entre les deux opérations -aval et amont-. La CJUE considère qu'elle n'a pas à définir plus précisément la nature de ce lien, "car il ne serait pas réaliste de développer une formulation plus précise [...] compte tenu de la diversité des transactions commerciales et professionnelles" (32). Dès lors, il ressort de la compétence des juridictions nationales d'appliquer ce critère du lien direct et immédiat en fonction des circonstances propres à chaque cas d'espèce. Pour autant, et en vue d'éviter les divergences, la CJUE précise qu'il doit être tenu compte du caractère objectif des opérations en cause.

La question du lien direct et immédiat est essentielle quant à la détermination du droit à déduction. Il s'agit de savoir s'il faut ne prendre en compte que l'opération en vue de laquelle les prestations ont été acquises, la TVA d'amont ne serait déductible que si l'opération d'aval est elle-même imposable. Ou si l'on peut prendre en considération le but plus lointain de la poursuite de l'activité économique ; dans cette hypothèse, c'est l'activité économique de l'assujetti qui ouvre droit à déduction de la TVA d'amont (33). Dès 1995 (34), la CJCE avait répondu à cette question en optant pour la prise en compte du contenu objectif de l'opération.

Pour rappel, le droit à déduction doit permettre à l'entrepreneur d'être entièrement soulagé de la TVA due ou acquittée au titre de son activité économique (35). Ce droit à déduction doit ainsi garantir la neutralité de la TVA par rapport à toutes les activités économiques, dès lors qu'elles sont elles-mêmes soumises à TVA (36). Il existe une jurisprudence constante en vertu de laquelle il doit exister un lien direct et immédiat entre une opération soumise à TVA en amont et une ou des opérations en aval afin que la TVA puisse être déduite pour l'opération réalisée en amont. Ce principe suppose que seules seront déductibles les dépenses qui font partie du coût des opérations taxées en aval (37). Il existe une exception à ce principe du lien direct et immédiat lorsque les dépenses qu'il a engagées dans le cadre de son activité économique soumise à TVA font partie des frais généraux. Ces frais, considérés comme des éléments constitutifs du prix des biens et/ou services fournis en aval, pourront bénéficier du droit à déduction (38).

La CJUE fait expressément référence à la décision "Investrand BV" (39), afin de rappeler que les frais généraux pour bénéficier du droit à déduction doivent avoir un lien direct et immédiat avec l'activité. Dans l'hypothèse où ces frais auraient été de toute façon engagés, même si l'activité exercée n'avait pas été imposable, il en ressort qu'il n'existe pas de lien direct et immédiat avec l'activité taxable. Ainsi, aux termes de la décision commentée, la notion de lien direct et immédiat implique non seulement que les dépenses engagées soient en relation avec l'activité taxable, mais aussi qu'elles n'auraient pas été engagées dans le cadre d'une activité non imposable. Ces frais doivent avoir "leur cause exclusive" (40) dans l'activité imposable pour pouvoir bénéficier du droit à déduction.

En l'espèce, les prestations de services fournies par les avocats afin d'éviter les conséquences pénales découlant du comportement personnel des deux personnes physiques en cause ne peuvent être considérées comme présentant un lien direct et immédiat ni avec une opération spécifique, ni même au regard de la notion de frais généraux. Même s'il existait un lien causal entre les frais des avocats et l'activité économique de la société, pour autant il n'existe pas de lien juridique ; ce n'est pas la société qui a été poursuivie pénalement, mais des personnes physiques à la suite d'un comportement délictueux de leur part.


(1) Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9).
(2) Directive relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ).
(3) Point 14, ce fonds commun de placement avait la forme d'un fonds d'investissement ouvert au public.
(4) Point 14.
(5) Juridiction suprême allemande dans le domaine des impôts - cour fédérale des finances.
(6) Point 18.
(7) CJUE, 4 mai 2006, aff. C-169/04 (N° Lexbase : A2289DPH).
(8) Organisme de placement collectif en valeurs mobilières.
(9) Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 2005, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains OPCVM (N° Lexbase : L9653AU3).
(10) Point 30. Dans les mêmes termes : cf. CJCE, 28 juin 2007, aff. C-363/05 (N° Lexbase : A9306DWL), point 45, Droit fiscal, 2008, n° 11, comm. 212.
(11) Point 70, op. cit..
(12) Points 27 à 42.
(13) Point 34.
(14) On peut rappeler que, courant 2012, la Commission a lancé une procédure de consultation publique en vue de réviser la Directive "OPVCM".
(15) Directive du Conseil du 20 décembre 1985, op. cit..
(16) La Directive 2001/107/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 janvier 2001 (N° Lexbase : L1374AX8) a mis en oeuvre une réglementation relative aux sociétés de gestion et aux prospectus simplifié. La Directive 2001/108/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 janvier 2001 (N° Lexbase : L1448AXW) a modifié les dispositions de la Directive 85/611/CEE relatives à certains OPCVM ainsi que des placements de ces organismes.
(17) Directive du Conseil du 20 décembre 1985, op. cit..
(18) Directive du Conseil du 20 décembre 1985, op. cit..
(19) Directive 85/611/CE modifiée, cf. note 15.
(20) CJUE, aff. C-169/04, op.cit., point 64.
(21) Directive 85/611/CE modifiée, cf. note 15.
(22) "Arrangement patrimonial à fins multiples établi par acte entre vifs ou à cause de mort, à l'initiative d'une personne nommée constituant, dont l'objet est de placer certains biens, dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé, sous le contrôle d'un intermédiaire -trustee- investi du pouvoir et du devoir, à charge d'en rendre compte, de gérer ou de disposer conformément à son investiture et à la loi, des biens à lui confiés, lesquels figurent à son nom sur les titres mais constituent une masse distincte qui ne fait pas partie de son patrimoine", Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, collection Quadrige, 9ème édition, 2011.
(23) Point 9.
(24) CJCE, 28 juin 2007, aff. C-363/05, op. cit..
(25) Lire N° Lexbase : N7726BBR.
(26) Repris à l'article 135, paragraphe 1, sous g) de la Directive de 2006.
(27) Voir par exemple : CJUE, 26 mai 2005, aff. C-428/02 (N° Lexbase : A1775DH9), point 27 ; CJUE, 14 décembre 2006, aff. C-401/05 (N° Lexbase : A8826DSP), point 26.
(28) CJCE, 4 mai 2006, aff. C-169/04, point 39 ; CJUE, 28 mars 1996, aff. C-468/93 (N° Lexbase : A9702AUU), point 25.
(29) Conclusions J. Kokott, présentées le 1er mars 2007 sur CJUE, 28 juin 2007, aff. C-363/05, point 44.
(30) Point 26 de la décision.
(31) Point 18.
(32) Point 21.
(33) Philippe Dérouin, Droit à déduction de la TVA et règle de l'affectation - à propos de l'arrêt "BLP Group" (CJCE, 6 avril 1995 N° Lexbase : A9796AUD), Droit fiscal, 1995, n° 38, pp. 134061343, p. 1340.
(34) CJUE, 6 avril 1994, aff. C-4/94 (N° Lexbase : A2996AUI), Droit fiscal, 1995, n° 38, comm. 1779.
(35) CJUE, 26 mai 2005, aff. C-465/03 (N° Lexbase : A3969DIT), point 34. Droit fiscal, 2005, n° 44-45, comm. 720.
(36) Par exemple : CJUE, 22 février 2001, aff. C-408/98 (N° Lexbase : A1648AWX), point 24.
(37) CJUE, 8 juin 2000, aff. C-98/98 (N° Lexbase : A2016AII), point 30.
(38) CJUE, 8 février 2007, aff. C-435/05 (N° Lexbase : A9405DTI), point 24.
(39) Op. cit..
(40) CJUE, 8 février 2007, point 33, op. cit..

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