La lettre juridique n°526 du 1 mai 2013

La lettre juridique - Édition n°526

Éditorial

La documentation juridique est-elle un produit de luxe ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Telle est la question qu'il est permis de poser à la lumière de la tarification proposée par la plupart des éditeurs professionnels. Années après années, technologies après technologies, l'avènement du numérique, puis de la documentation en ligne, laissait espérer une baisse sensible des prix, ou du moins, contenus croissants et fonctionnalités innovantes obligent, une stagnation de ceux-ci. A en croire les blogs spécialisés et autres listes de diffusion, le compte n'y est pas ; et à chacun, en ces temps de disette budgétaire, de brandir l'arme de la résiliation. Entre tel ou tel éditeur, il faut choisir ; or, choisir, c'est renoncer. Mais, lorsque l'on résilie un abonnement auprès d'un éditeur juridique jugé trop "taxateur", à quoi renonce-t-on véritablement ?

A priori, on ne peut guère dire que l'acquisition ou la souscription à une documentation juridique corresponde à "un mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l'acquisition de biens superflus, par goût de l'ostentation et du plus grand bien-être" -pour reprendre la définition usuelle du "luxe" inscrite au Petit Robert-. Pour autant, même si ce service professionnel n'a pas le glamour d'un parfum ou d'une crème de soins, le clinquant d'un vêtement original ou la précision d'une montre suisse, la documentation juridique présente les caractéristiques communes aux produits de luxe : la qualité, la rareté, le prix et le superflu.

Lorsque l'on pense "luxe", l'on pense indéniablement "qualité" : d'abord, parce que c'est l'essence d'un produit de luxe, même si ce n'est pas nécessairement sa téléologie ; mais surtout parce que, sans cette qualité, il est difficile d'en justifier, ne serait-ce que psychologiquement, le prix. Pour la documentation juridique professionnelle, c'est la même chose : c'est sa supériorité technique qualitative et technologique qui la distingue des informations de masse qui envahissent la toile ou les pages "pratiques" des journaux et magazines populaires. Le professionnalisme de l'édition requiert une qualité scientifique consacrée par des comités d'auteurs plus prestigieux les uns que les autres, et une réactivité de l'information que seule permet une équipe rédactionnelle qualifiée et aux aguets. L'internalisation de telles ressources est, évidemment, à proscrire et n'aurait aucun sens économique : c'est la mutualisation de la documentation juridique qui permet justement la richesse des contenus et de l'information.

Si "nul n'est censé ignorer la loi", la complexité de nos régimes juridiques aux allures byzantines, la diversité de leur interprétation selon la qualité des professionnels (professeurs, avocats, notaires, juristes...) et les localités en cause obligent l'accès à une documentation plus diserte en matière de sources brutes, plus originale en matière de doctrine. Il est patent de constater combien l'accès aux décisions des juridictions du fond n'était pas fondamental pour les professionnels du droit, il y a encore quelques années ; et, combien l'accès à ce fonds de documentation s'est développé comme une traînée de poudre et est devenu indispensable après que l'ensemble des éditeurs ait adhéré à sa diffusion -quand l'offre crée la demande-. La rareté, élément central de l'identité du luxe, est également un oripeau de la documentation juridique. Chaque éditeur mise sur l'originalité de ses contenus, engageant les signatures les plus reconnues ou des investissements de plus en plus conséquents pour l'acquisition de nouvelles sources du droit. Là encore, la qualité et la rareté justifient l'existence de la documentation juridique professionnelle, quand elles n'arrivent pas toujours à justifier son prix...

Le prix, justement : quand on pense "luxe", on pense tout de suite "cher". Est-ce pour autant inexorable, compte tenu de la qualité et de la rareté de l'information juridique ainsi publiée ? Bien entendu, en la matière, comme pour tous les produits de luxe, il faut prendre en compte la valeur imaginaire du service de documentation ainsi proposé. Et, pour reprendre la sociologie du luxe, il est étrange -pour ne pas dire consternant- de constater combien la marque d'un éditeur séculaire peut demander un prix d'autant plus élevé que sa valeur symbolique est plus forte... Pensant "bien le valoir", c'est avec toute la légitimité emprunte de candeur, que les "grands" éditeurs assoient, sans sourciller, leurs prix élevés. Pour autant, sans ce prix conséquent, la documentation juridique rare et de qualité n'existerait-elle pas ?

A n'en pas douter, la documentation juridique est un produit superflu pour la grande majorité des gens : elle n'est pas indispensable aux besoins ordinaires de la vie. Pour un professionnel du droit, la chose est, bien entendu, moins évidente : mais on apprendra, au détour d'un colloque, à la lecture régulière des forums spécialisés, ou en effectuant ses recherches par l'intermédiaire d'un moteur universel, que le web recèle des trésors de gratuité. Légifrance est le site de documentation professionnelle le plus consulté par les juristes gaulois de tout acabit. Et, les Hauts responsables des professions du droit d'implorer le Gouvernement de maintenir la qualité et la gratuité de ses services... Sur la toile, se multiplient des sites d'information juridique plus commerciaux qu'éditoriaux, des blogs de ces mêmes professeurs offrant parallèlement leur savoir aux éditeurs professionnels -sans le moindre conflit d'intérêts, par ailleurs-, etc.. Par conséquent, aux abords d'une information juridique gratuite foisonnante, est-il permis de penser que l'achat ou la souscription à une documentation juridique professionnelle pourrait passer pour... "superflu" ?

Tout étudiant en marketing sait que, ordinairement, lorsque le produit est jugé trop cher, le client cherchera un produit de substitution ; et l'acte d'achat aura lieu uniquement si le produit est irremplaçable. A l'inverse, lorsque le produit est jugé trop bon marché, il véhiculera une mauvaise image quant à sa qualité. Et, souvent le client partira avec un mauvais a priori sur le produit et sur la marque.

D'abord, il n'est aucune documentation juridique qui ne soit irremplaçable, si ce n'est dans l'esprit des lobbyistes de l'édition, c'est-à-dire ceux qui défendent leurs intérêts catégoriels. Nombre de prescripteurs obligent à penser en "rouge" ou en "bleu", quand il existe trois couleurs primaires ! Et, justement, l'offre de substitution n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui : aussi, penser l'offre documentaire juridique comme au temps du Moniteur présente une certaine gageure...

Ensuite, s'il n'est pas meilleur marché que la gratuité, on s'interrogera effectivement sur la qualité scientifique et la réactivité informationnelle des "éditeurs du dimanche". Mais, la documentation juridique n'a pas besoin d'être chère pour être de qualité scientifique et proposer des contenus originaux et des sources rares -et parfois même pertinentes !-.

Le tout est de trouver un éditeur au comité d'auteurs digne des plus vieilles maisons d'édition, à la pointe de la réactivité et de l'originalité fonctionnelle, en quête de nouvelles sources d'information juridique, respectant le "périmètre du droit" et mutualisant, au plus grand nombre, l'accès à ses contenus...

Trouver et promouvoir cet éditeur, ce n'est pas faire de la documentation juridique un produit de masse, c'est partager les vertus du "luxe" au nom de "l'égalité des armes" et mutualiser ses vices au nom de la solidarité professionnelle. Il en va de la documentation juridique comme de la formation professionnelle... Alors, oui, la documentation juridique professionnelle est un produit de luxe, mais rien ne justifie, si ce n'est les pressions catégorielles exercées, qu'elle ne soit pas accessible à tous les professionnels du droit.

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mai 2013

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N6891BTE

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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

Le 01 Mai 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'Institut de recherche en droit privé (IRDP), en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan. Ont retenu l'attention des auteurs deux arrêts en date du 28 mars 2013 : le premier met en lumière les lacunes en matière de résiliation du contrat d'assurance par l'assuré (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-15.958, F-P+B) ; le second rappelle l'application de la prescription biennale à la faute de l'assureur dans l'exécution du contrat d'assurance (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-16.011, F-P+B).
  • Des lacunes en matière de résiliation du contrat d'assurance par l'assuré (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-15.958, F-P+B N° Lexbase : A2653KBU)

Ces dernières années, la jurisprudence en droit des assurances s'avère souvent répétitive. L'essor des assurances de personnes n'est plus à démontrer et la croissance des assurances de groupe se révèle exponentielle, au point que les assurances de dommages pourraient apparaître sans véritable intérêt juridique renouvelé. Tous les aspects auraient été analysés, débattus et tranchés. Pourtant, il est un domaine peu exploré, sans doute parce qu'il ne donne pas lieu à de réelles difficultés pratiques : la résiliation du contrat d'assurance par l'assuré. C'est que, le plus souvent, le sujet concerne plutôt l'assureur. Et lorsqu'un assuré songe à changer d'assureur, le plus souvent il attend que la date d'échéance de son contrat soit imminente.

Pour ces raisons, le contentieux sur cette question s'est fait rare. Sans que l'on puisse croire réellement assister à un renversement prochain de tendance, la mise en concurrence plus fréquente des assureurs par les assurés pourrait toutefois augmenter les hypothèses à l'origine d'une réflexion sur la résiliation des contrats d'assurance et leurs modalités, à l'image de cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, un homme avait souhaité souscrire un nouveau contrat d'assurance auprès d'un autre assureur, pour le même risque que celui pour lequel il était garanti. Au jour de la souscription, pour ne pas avoir à se préoccuper de formalités toujours chronophages à accomplir, il avait donné mandat au nouvel assureur d'agir en son nom et pour son compte et de résilier le contrat d'assurance l'unissant encore à un précédent assureur.

Ce type de sollicitation est désormais fréquent si l'on songe, par exemple, aux résiliations de contrat de téléphonie mobile. Qu'elle pénètre aussi le secteur des contrats d'assurance ne doit pas surprendre : les arcanes juridiques plongent volontiers nos concitoyens dans un abîme de perplexité et de lassitude les incitant à accepter avec empressement toute offre de service destiné à les alléger de cette contrainte. C'est dans ce contexte qu'est venu se nicher la présente difficulté juridique : si la résiliation effectuée avait bien pris la forme d'une lettre recommandée avec avis de réception, des mois avant l'échéance, elle avait eu lieu sans que la qualité de mandataire du nouvel assureur ait été démontrée auprès de l'ancien. Ce dernier contestait donc la validité de la résiliation.

La cour d'appel d'Angers n'avait pas été sensible à l'argumentaire développé. La Cour de cassation ne l'a pas été davantage. Selon elle : "Ni l'article L. 113-14 du Code des assurances (N° Lexbase : L0071AAU) prévoyant les modalités de résiliation de la police par l'assuré, ni aucun autre texte légal, n'exige de l'assuré qu'il rapporte la preuve de l'existence d'un mandat donné à un tiers, dans le délai imparti pour résilier le contrat d'assurance qui le liait". Au-delà de la décision elle-même qui mérite d'être approuvée, le soin pris par nos Hauts magistrats dans la justification de leur décision appelle qu'une attention particulière lui soit accordée. Le droit des assurances n'est pas seul concerné en l'espèce, même si la Cour de cassation prend le soin d'indiquer que la présente résiliation répondait aux exigences de forme et de délai de l'article L. 113-14 du Code des assurances. Cette dernière fait également une allusion non voilée à d'autres sources juridiques possibles, et l'on songe, bien entendu, au droit des obligations, deux matières à partir desquelles doit se développer la réflexion.

Le principe du droit à résiliation figure à l'article L. 113-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0070AAT) relatif à la durée du contrat d'assurance et donc à son corollaire. Les modalités entourant cette résiliation constituent le coeur de l'article L. 113-14 du Code des assurances, lequel se caractérise par ses lacunes ou par l'extrême liberté laissée aux parties cocontractantes de déterminer les circonstances de mise en oeuvre de cette résiliation par l'assuré. C'est que les rédacteurs de la loi sur le contrat d'assurance considéraient déjà que, le plus souvent, les résiliations seraient le fait de l'assureur plutôt que de l'assuré. Et l'examen attentif de toutes les dispositions de la loi du 13 juillet 1930 atteste de la multiplicité des hypothèses de résiliation envisagée du côté de l'assureur, que ce soit pour les autoriser ou les interdire ; en revanche, la résiliation par l'assuré n'a pas suscité autant d'intérêt.

Le présent arrêt s'explique donc. Les dispositions du Code des assurances sont notamment laconiques sur la qualité de la personne pouvant procéder à la résiliation du contrat d'assurance : s'agit-il de l'assuré lui-même, du souscripteur lorsque ce n'est pas la même personne, ou bien encore d'un tiers total à la relation contractuelle initiale ? A ces questions, aucune réponse n'est fournie. Par conséquent, lorsque le droit spécial ne fournit pas de solution à une difficulté, le juriste ne peut que se tourner vers le droit général, en l'espèce le droit du mandat. Là encore, toutefois, le Code civil n'est pas si prolixe, sans doute par souci de souplesse. Pour autant, à l'évidence, un tiers à une relation contractuelle quelconque peut recevoir mandat d'y mettre fin. Plus encore, dans le cas présent, l'interrogation portait sur la preuve de l'existence d'un mandat donné par l'assuré à un tiers pour mettre fin à sa relation contractuelle avec son précédent assureur.

Or, l'article 1985 du Code civil (N° Lexbase : L2208ABE), que la Cour de cassation ne cite pas dans cet arrêt en date du 28 mars 2013, prévoit les différentes formes de mandat. Et parmi celles-ci, figure le mandat verbal. En conséquence, l'assureur ne pouvait prétendre qu'il n'avait pas été en possession d'un écrit, démontrant la réalité de ce mandat, ainsi qu'il semblait le déplorer, tout au moins de manière implicite. Quoi que l'on pense du fond de la décision, notamment en ce qui concerne l'opportunité des mandats verbaux et de la difficulté de la vérification de leur existence, il convient de ne pas commettre de confusions d'analyse. Il est, certes, permis de déplorer cette souplesse en droit civil en général ; il demeure que le droit spécial avait toute latitude pour en décider autrement, ce que le législateur n'a pas cru bon de réaliser. Il convient donc de respecter sa volonté.

Par ailleurs, sur le fond, cette simplicité ressort de l'examen de l'ensemble des règles applicables à la mise en oeuvre et au fonctionnement des contrats d'assurance. Ainsi, elle se rencontre à divers niveaux : on songe notamment à la conclusion même du contrat d'assurance, laquelle peut s'effectuer par un souscripteur qui n'est pas l'assuré, ou bien encore à la déclaration d'un sinistre, laquelle peut ici aussi être réalisée par n'importe quelle personne. Que la même solution l'ait emporté au stade de la résiliation du contrat n'apparaît donc pas curieux et infondé. Et le risque que la personne ayant procédé à tel ou tel acte sans mandat effectif et réel de la part de l'assureur concerne alors les seules relations entre ces deux protagonistes, non l'assureur auquel justement l'assuré ne saurait être reproché de ne pas avoir pris le soin de vérifier en détail que le mandataire disposait bien de cette qualité. C'est une sécurité pour lui qui, dans le cas contraire, perdrait un temps non négligeable à procéder à de tels contrôles.

La rapidité des affaires milite en ce sens. Notre vie quotidienne étouffe de ces lourdeurs dites, à tort, administratives, lesquelles découragent les initiatives dont le produit intérieur brut aurait pourtant bien besoin.

Véronique Nicolas, Doyen de la faculté de droit de Nantes, Professeur agrégé, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP

  • De l'application de la prescription biennale à la faute de l'assureur dans l'exécution du contrat d'assurance (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-16.011, F-P+B N° Lexbase : A2741KB7)

Par cet arrêt du 28 mars 2013, la Cour de cassation conforte la solution établie selon laquelle :

"l'action en garantie et en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par l'assureur dans l'exécution du contrat d'assurance dérive de ce contrat et se trouve soumise au délai de prescription biennale dont le point de départ se situe à la date où l'assuré a eu connaissance des manquements de l'assureur à ses obligations et du préjudice en résultant pour lui".

C'est rappeler que si l'assuré veut mettre en oeuvre la responsabilité contractuelle de l'assureur pour inexécution ou mauvaise exécution de son obligation de couverture, il doit le faire dans le respect du délai biennal de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1213ABK).

La solution est logique car un manquement par l'assureur au respect de ses obligations ouvre à l'assuré une action qui, non seulement "dérive" du contrat d'assurance comme l'exige l'article L. 114-1 mais, plus fondamentalement encore, procède du contrat même !

La jurisprudence avait déjà énoncé cette solution à propos de divers types d'assurance et pour diverses fautes de l'assureur préjudiciables à l'assuré. Ainsi notamment, dans une assurance responsabilité civile, lorsque l'assureur exécute mal le mandat de direction de procès, l'assuré peut alors mettre en oeuvre sa responsabilité contractuelle (Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, n° 86-12.645 N° Lexbase : A3976CGD, Bull. civ. I, n° 375).

La solution a été confirmée, tant en assurance dommages qu'en assurance-vie (cf. notamment Cass. civ. 1, 6 décembre 1994, n° 91-19.072 N° Lexbase : A6535ABN, Bull. civ. I, n° 358 ; Cass. civ. 2, 11 octobre 2007, n° 06-17.822 N° Lexbase : A7380DYY ; Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 08-12.334, FS-P+B N° Lexbase : A6672E3I).

L'arrêt du 28 mars 2013 concerne l'assurance construction. C'est un domaine dans lequel la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de l'assureur par l'assuré pour mauvaise exécution de sa mission, soit par lui-même soit via l'expert auquel il fait appel, s'est déjà illustrée.

En l'espèce, l'assureur est, en juin 1997, saisi d'une déclaration de sinistre relatif à différentes fissures affectant la maison, consécutives à une sécheresse apparue en 1996 reconnue par un arrêté de catastrophe naturelle. Les assurés, réalisent, fin 2003, une nouvelle déclaration de sinistre auprès de leur assureur pour aggravation des désordres antérieurs constatés. L'assureur leur oppose un refus de garantie, estimant que les désordres n'étaient pas liés à la sécheresse de 1996. Après expertise en référé, établissant la nature d'aggravation des désordres initiaux, les assurés assignent au fond leur assureur en paiement des travaux en résultant et, à titre subsidiaire, en paiement de ces sommes à titre de dommages-intérêts en raison de ses fautes dans l'exécution du contrat d'assurance. L'assureur a opposé la prescription biennale.

Pour contourner l'obstacle, les juges du fond avaient cru devoir faire usage de la prescription décennale de l'ancien article 2270-1 du Code civil (N° Lexbase : L2557ABC) et avaient écarté la prescription biennale considérée "sans objet". Ils sont censurés de ce chef.

Cela ne surprendra pas. L'arrêt examiné nous semble devoir être rapproché d'un précédent signalé dans cette chronique, constitué par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 6 juillet 2011 (Cass. civ. 3, 6 juillet 2011, n° 10-17.965, FS-P+B N° Lexbase : A9567HUU) dans lequel des juges du fond avaient accueilli la réparation de désordres évolutifs sans relever la réunion au cas d'espèce de toutes les conditions traditionnellement exigées -les trois conditions cumulatives étant que les désordres initiaux aient été dénoncés judiciairement (on peut ajouter "ou reconnus par l'assureur") dans le délai décennal ; que les désordres d'origine aient bien eu la gravité de la nature de ceux exigés pour relever de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) ; que les nouveaux désordres apparus postérieurement au délai de dix ans présentent une identité de "siège" avec les désordres initiaux, dont ils constituent une aggravation)-. En commentaire de ce précédent nous soulignions alors :

"les juges du fond [...] avaient acquis la conviction que l'assureur avait trompé l'assuré en 1998, en refusant sa garantie. Mais il leur fallait alors engager la responsabilité de droit commun de l'assureur sur le fondement du dol ou admettre qu'il engage sa responsabilité contractuelle pour avoir communiqué à l'assuré une expertise erronée, qui a induit en erreur les assurés et les a empêchés de dénoncer judiciairement dans le délai décennal un désordre de la nature de ceux de l'article 1792 du Code civil...

Cette responsabilité n'a d'ailleurs rien d'évidente si l'assureur peut justifier s'en être remis à l'expert, de sorte que seule la responsabilité de ce dernier devrait être engagée. On sait toutefois la jurisprudence encline à mettre en place une forme de responsabilité du fait d'autrui en cette matière. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 mai 2006 [Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT), Bull. civ. III, 2006, n° 133, p. 110] avait marqué les esprits en retenant la responsabilité de l'assureur, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), pour 'avoir proposé à l'acceptation de son assuré, non professionnel, un rapport d'expertise défectueux conduisant à un préfinancement imparfait'. Cette ligne jurisprudentielle a été confirmée par un arrêt rendu par la même formation, en date du 11 février 2009 [Cass. civ. 3, 11 février 2009, n° 07-21.761 (N° Lexbase : A1247EDK), Bull. civ. III, 2009, n° 33], qui tient l'assureur responsable pour avoir 'mandaté son expert [...] qui avait rendu un rapport très succinct et dubitatif'.

Cela devrait valoir, a fortiori, pour l'assureur qui oppose à son assuré un refus de garantie sur la foi d'un rapport d'expertise défectueux, qui qualifie de simple désordre esthétique ce qui constituait un désordre affectant la solidité de l'ouvrage".

L'espèce tranchée le 28 mars 2013 se rapproche de ce précédent. Certes dans cette dernière, il n'a pas été discuté du point de savoir si l'aggravation s'est manifestée postérieurement au délai décennal (point qui n'est peut-être pas à exclure, puisque les faits indiquent que le premier sinistre date de 1997 tandis que la constatation de l'aggravation résulte d'une expertise ordonnée en référé fin 2007!). Toutefois, les deux espèces se rejoignent en ce que le fait générateur de la responsabilité de l'assureur repose, dans l'une et l'autre, sur une expertise mal faite, qui minore les conséquences dommageables des désordres, donc les travaux de reprise.

Dans toutes ces hypothèses, la mise en oeuvre de la responsabilité de l'assureur nécessite d'identifier le point de départ de la prescription biennale. L'arrêt commenté rappelle à cet égard qu'il s'agit du moment où l'assuré a eu "connaissance des manquements de l'assureur".

Cette formulation est plus généreuse que celle de l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) qui prévoit un deuxième point de départ : le jour ou le titulaire d'un droit "aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer", ce qui est plus redoutable que celui du jour de sa connaissance effective.

Au cas d'espèce, c'est le rapport d'expertise, mesure d'instruction ordonnée en référé, qui devrait être tenu pour "révélateur" de ce manquement. A notre sens, il conviendrait que la cour de renvoi vérifie si l'assuré a mis en oeuvre une action au fond en responsabilité contractuelle de l'assureur dans les deux ans qui ont suivi la mesure d'instruction en référé.

En toute hypothèse, l'arrêt doit appeler les assurés et leurs conseils, à la vigilance. Pour se prémunir contre toutes déconvenues et éviter à l'assuré de se voir opposer la prescription, il peut être utile de recourir aux services d'un expert d'assuré. Le cas échéant, il lui appartiendrait, en cas de minoration du dommage par l'expert désigné par l'assureur, d'attirer l'attention de son mandant sur ces insuffisances. Le pire serait, bien sûr, que ce dernier n'en fasse rien et que l'assuré doive, in fine, reprocher une faute contractuelle tant à son assureur qu'à son mandataire-expert...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan

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Avocats/Champ de compétence

[Le point sur...] Compte-rendu de la réunion inaugurale de la sous-commission Exercice des nouvelles activités de l'avocat mandataire en transactions immobilières de la Commission ouverte Immobilier du barreau de Paris

Lecture: 13 min

N6774BT3

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 27 Mars 2014

Le 29 mars 2013, s'est déroulée, dans un amphithéâtre comble, la réunion inaugurale de la sous-commission Exercice des nouvelles activités de l'avocat mandataire en transactions immobilières de la Commission ouverte Immobilier du barreau de Paris. Sous la responsabilité de Jean-Marie Moyse, cette réunion avait pour ambition de présenter le cadre de l'intervention de l'avocat mandataire en transactions immobilières dans le respect des règles déontologiques de la profession, les outils mis à sa disposition et les moyens proposés pour développer cette nouvelle activité. Présentes à cette occasion, les Editions juridiques Lexbase vous en proposent un compte-rendu. Avocat mandataire en transactions immobilières et déontologie

L'articulation de ce nouveau métier avec les règles déontologiques de la profession a été présentée par Jean-François Péricaud, membre du Conseil de l'Ordre et délégué de Madame le Bâtonnier auprès des commissions ouvertes.

Ce nouveau métier, qui existe depuis quatre ans, est délimité par des règles très rigoureuses puisque tant le règlement intérieur national (RIN N° Lexbase : L4063IP8) que le règlement intérieur du barreau de Paris (RIPB) disposent que cette activité d'intermédiaire immobilier de l'avocat ne doit être qu'accessoire pour lui et est délimitée par l'observation des règles professionnelles. Le rappel est important et il entraîne un certain nombre de conséquences.

Il s'agit tout d'abord d'une activité accessoire à l'occasion de laquelle l'avocat s'abstient de tout acte de démarchage, le tout en évitant les conflits d'intérêts.

L'avocat va donc pouvoir faire de la publicité mais sans qu'elle s'assimile à un démarchage en respectant les règles déontologiques portant sur une publicité ciblée et sous le contrôle de l'Ordre. Sur le conflit d'intérêts, Jean-François Péricaud se pose la question de savoir comment l'éviter lorsque l'avocat est en présence d'un acheteur et d'un vendeur dont les intérêts ne sont pas, finalement, identiques.

Si l'avocat passe outre le respect de ces règles il s'exposera à une procédure disciplinaire : dépôt d'une plainte entre les mains du Bâtonnier, enregistrement de la plainte sous huitaine, distribution devant une commission déontologique, et saisine de l'autorité de poursuite ou classement de l'affaire.

Il souligne que c'est la jurisprudence de l'Ordre qui apportera progressivement les réponses et qui permettra au mieux d'affiner la réglementation professionnelle pour l'adapter à cette nouvelle activité.

Quels sont les partenaires que l'avocat va rencontrer en se livrant à cette nouvelle activité ?

Pour Jean-Marie Moyse, il s'agit des agents immobiliers -présents depuis toujours-, des notaires -habilités depuis 1982 à se livrer à la négociation immobilière et à toucher des honoraires en pourcentage lorsqu'ils ont négocié la vente d'un bien immobilier pour lequel ils ont été mandatés-, les géomètres-experts -autorisés depuis 1996 à pratiquer la négociation immobilières-, et enfin, les avocats.

Le nécessaire mandat

Que ce soit pour les notaires ou les agents immobiliers, un mandat est nécessaire, le mandat apparent ne pouvant être admis. Pour les notaires, la règle a été posée dans un arrêt du 5 novembre 2009 (Cass. civ. 1, 5 novembre 2009, n° 08-18.056, F-P+B N° Lexbase : A8114EMH) et confirmé dernièrement le 20 mars 2013 (Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-11.567, F-P+B+I N° Lexbase : A5887KAB) : "Le mandant n'est tenu d'exécuter que les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné" et "le mandat apparent ne peut être admis au titre d'un acte conclu entre des parties disposant chacune d'un notaire, les notaires étant tenus de procéder à la vérification de leurs pouvoirs respectifs".

Il en est de même pour les agents immobiliers. En effet, dans un arrêt du 31 janvier 2008 (Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 05-15.774, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5980D4A) la Cour de cassation a censuré une cour d'appel au visa des articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 (N° Lexbase : L7536AIX) et de l'article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP). Selon les dispositions de ces deux premiers textes, qui sont d'ordre public, "les conventions conclues avec les personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant leur concours, d'une manière habituelle, aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives, notamment, à la vente d'immeubles, doivent être rédigées par écrit". De plus, selon l'article 72 du décret, "le titulaire de la carte professionnelle 'transactions sur immeubles et fonds de commerce' doit détenir un mandat écrit précisant son objet et qui, lorsqu'il comporte l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée, fait expressément mention de celle-ci". Et de conclure que le mandat apparent ne peut tenir en échec ces règles impératives.

Ainsi, ils ne peuvent pas engager leur client sans mandat.

Françoise Camara, Haut magistrat, a précisé que cette règle a été étendue à la gestion d'affaires par un arrêt du 22 mars 2012 (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-13.000, F-P+B+I N° Lexbase : A4232IGT), aux termes duquel la Haute juridiction a énoncé qu'il résulte de la combinaison des articles 1372 (N° Lexbase : L1478ABD) et 1375 (N° Lexbase : L1481ABH) du Code civil, ensemble les articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et les articles 72 et 73 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, que la gestion d'affaires, qui implique la ratification ultérieure par le maître de l'affaire ou la démonstration a posteriori de l'utilité de la gestion, est incompatible avec les dispositions d'ordre public susvisées de la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet 1972, qui exigent l'obtention par le titulaire de la carte professionnelle "transactions sur immeubles et fonds de commerce" d'un mandat écrit préalable à son intervention dans toute opération immobilière.

Pour les agents immobiliers (loi du 2 janvier 1970, art. 6), comme pour les notaires (décret du 8 mars 1978, art. 11 N° Lexbase : L8649H3Q), les géomètres-experts (décret du 31 mai 1996 N° Lexbase : L1430IRE) et les avocats (RIPB, art. 6.3 et 6.4), le mandat conféré par le client doit être écrit.

Compte tenu de la réglementation applicable aux différents professionnels, soit par leur règlement intérieur, soit par les dispositions législatives et réglementaires et la jurisprudence de la Cour de cassation, les mandats qui leur sont conférés s'analysent comme des mandats de recherche d'acquéreur et non comme des procurations de vente. Il est donc très important d'être vigilant dans la rédaction du mandat. Au regard de la réglementation exigeant une procuration conférée au mandataire pour consentir à la vente, et en raison de la prohibition du mandat apparent, les échanges de correspondances dans le cadre d'un simple mandat de négociation et de recherche d'acquéreur ne peuvent jamais engager le client. Cependant, ces échanges de correspondances, s'ils sont imprudents, peuvent être la cause de procès engageant la responsabilité du professionnel.

Vers une modification du RIN ?

Pour Jean-Marie Moyse, la concurrence des professionnels constitués en Ordres vis-à-vis de ceux ayant la qualité de commerçant constitue une nouveauté dans le secteur de l'immobilier et pose la question d'une éventuelle collaboration pour la réalisation des missions qui leur seront confiées.

La difficulté majeure pour les avocats réside non dans l'obtention d'un mandat de négociation mais dans l'activité de négociation proprement dite, laquelle nécessite la recherche d'un client acquéreur, ce qui suppose la création d'un véritable service de négociation au sein du cabinet mandaté avec la réalisation d'expertises de valeur et un personnel spécialisé pour assurer les publicités nécessaires à la vente et les visites du bien. Le coût d'un tel service, loin d'être négligeable, doit être compensé par de nouvelles recettes permettant d'équilibrer cette nouvelle activité.

Il estime que l'impossibilité pour les cabinets d'avocats de se livrer à des publicités génériques portant sur cette activité, les publicités ne pouvant porter que sur les biens détenus par mandat donné au cabinet, empêchera un développement important de cette activité accessoire à l'activité traditionnelle de l'avocat. Le caractère accessoire de l'activité de négociation immobilière par rapport à la profession d'avocat et le coût de la création au sein du cabinet d'une structure de négociation permettent de penser à la nécessité, pour l'avocat, de solliciter l'assistance d'un professionnel à pleine compétence, tel un agent immobilier ou un administrateur de biens pour la réalisation du mandat qui lui a été confié.

Ce qui gêne Maître Moyse est que, lors de la vente de biens d'envergure, il y a plusieurs intervenants : un conseil pour le vendeur, un pour l'acquéreur, quand ce n'est pas plusieurs professionnels de la négociation qui sont "branchés" sur le contrat. Cette intervention, qui pourrait avoir lieu au moyen d'une délégation du mandat de l'avocat au profit d'un professionnel réglementé, risque de se heurter à la règle de l'interdiction de la dichotomie telle que prévue par l'article 11.5 du RIN, lequel emporte interdiction "à l'avocat de partager un honoraire quelle qu'en soit la forme avec des personnes physiques ou morales qui ne sont pas avocats", même s'il s'agit de personnes faisant partie d'une profession règlementée.

Une autre difficulté réside dans le fait que l'avocat, conformément à l'article 11.3 du RIN, ne peut normalement recevoir d'honoraires que de la part de son client. En effet, lors de la conclusion d'une vente immobilière, il est fréquent que la rémunération de l'intermédiaire soit mise à la charge de l'acquéreur pour éviter qu'elle ne supporte, si elle était mise à la charge du vendeur, les droits d'enregistrement au taux de 5,09 %, auxquels s'ajouteraient les honoraires du notaire, portant cette charge à environ 6 %. Le mandat étant le plus souvent délivré par le vendeur du bien, la bascule de la rémunération sur l'acquéreur se heurtera à deux difficultés tenant, d'une part, au double mandatement nécessaire de l'avocat et, d'autre part, à l'interdiction de l'article 11.3 du RIN susvisée, ce qui est de nature à créer un conflit d'intérêts pouvant être sanctionné sur le plan déontologique.

Il estime que deux réformes sont, dès lors, souhaitables :

- pour faciliter la collaboration entre tous les professionnels de l'immobilier, l'avocat, le notaire ou le géomètre expert devraient être autorisés par la réglementation de leurs ordres respectifs, d'une manière exceptionnelle lors d'une négociation immobilière, à recevoir un double mandatement (mandat du vendeur et mandat de l'acquéreur) et à partager leurs honoraires de négociation avec d'autres professionnels, y compris ceux ayant la qualité de commerçant ;

- les professions constituées en ordres pourraient ainsi, à l'occasion de l'exécution d'un mandat confié par leur client, sélectionner parmi les professions traditionnelles de l'immobilier l'intervention d'un ou plusieurs professionnels à qui ils délégueraient la mission de rechercher l'acquéreur du bien. En l'état actuel de la réglementation, un avocat ne peut déléguer toute ou partie de son activité professionnelle qu'au profit d'un autre avocat.

La délégation de mandat est donc impossible, sauf modification du règlement intérieur.

Jean-François Péricaud a estimé que si sur le double mandatement, à condition qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts, la porte était grande ouverte à la discussion, en revanche en ce qui concerne la collaboration entre professionnels, délégation et sous-traitance, c'est strictement interdit et cela le restera.

De son côté, Françoise Camara considère qu'il n'y a pas de problème de conflits d'intérêts dans le double mandatement puisqu'il s'agit de négocier un contrat qui recueillera l'accord consensuel et convergent du vendeur et de l'acquéreur ; à défaut cela s'assimilerait à une vente forcée.

Les moyens d'action de la profession contre les activités concurrentielles

Maître Michel Vauthier, président de l'Association des avocats mandataires en transactions immobilières (AAMTI), a brièvement rappelé l'historique de ce nouveau métier.

Le conseil de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris, en sa séance du 21 avril 2009, a autorisé les avocats à exercer l'activité de mandataire en transactions immobilières, ce que ne leur permettait pas la loi "Hoguet" du 2 janvier 1970. Cette loi est venue réglementer les activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, et vise essentiellement les agents immobiliers. Professionnel de l'immobilier, l'agent immobilier doit, pour exercer son activité remplir certaines conditions requises par la loi. Cependant, la loi "Hoguet" vient également réglementer les modalités d'intervention de l'avocat en matière immobilière en le plaçant hors de son champ d'application. Les avocats peuvent exercer à titre accessoire l'activité de mandataire en transactions immobilières. Un avocat n'a pas à remplir les conditions requises pour l'agent immobilier pour faire de l'intermédiation immobilière "en considération du contrôle dont leur activité professionnelle fait l'objet ainsi que des garanties financières qu'ils offrent pour l'exercice de cette activité". Alors que les notaires ont commencé à exercer cette activité en 1982, les avocats sont restés plus réservés sur cette activité s'interrogeant sur son aspect commercial.

L'article P.6.2.0.4 du RIPB précise que l'activité d'avocat mandataire en transactions immobilières doit constituer pour l'avocat une activité accessoire. L'annexe XV du RIPB, adoptée lors de la même séance du 21 avril 2009, est venu préciser les modalités d'application de l'activité d'avocat mandataire en transactions immobilières. Enfin, le CNB a mis en ligne en 2012 son guide pratique sur ce nouveau métier de l'avocat.

Créée en novembre 2009, l'AAMTI propose de faire connaître cette activité en regroupant les avocats qui l'exercent. Michel Vauthier estime que la chance de l'avocat réside dans la possibilité d'avoir des biens entre ses mains sans avoir à les rechercher. De plus cela valorise l'intervention de l'avocat dans la rédaction des actes et particulièrement de l'avant-contrat. Mais il est nécessaire d'être vigilant pour que ce créneau ouvert aux avocats ne soit pas occupé par ceux que l'on nomme les "braconniers du droit". Il cite à cet égard le cas d'un site internet, contre lequel une action est cours, qui se présente comme un site d'avocats, qui regroupe les logos de barreaux, du CNB ou encore même de l'acte d'avocat, et il faut se rendre aux mentions légales pour savoir qu'il y a derrière un agent immobilier qui essaye de se placer...

Instruments à la disposition des avocats pour ce nouveau métier

La promesse d'achat

Elle consiste à recueillir le consentement de l'acquéreur ; elle ne peut pas être accompagnée de versement de fonds sinon elle est nulle. En effet, aux termes de l'article 1589-1 du Code civil (N° Lexbase : L8427ASW), "est frappé de nullité tout engagement unilatéral souscrit en vue de l'acquisition d'un bien ou d'un droit immobilier pour lequel il est exigé ou reçu de celui qui s'engage un versement, quelle qu'en soit la cause et la forme".

Il s'agit de matérialiser l'offre plus que de lui donner un caractère obligatoire.

Jean-Marie Moyse attire l'attention sur la pratique de nombreuses agences immobilières qui consiste à faire ratifier les lettres par le vendeur sans se soucier du contenu. Une offre d'achat n'est jamais complète et ne peut pas cerner toutes les caractéristiques d'un bien immobilier. C'est la raison pour laquelle il conseille de n'utiliser que des offres d'achat type dans lesquelles il y au moins deux soupapes de sécurité :

- une durée de validité de l'offre d'achat limitée dans le temps ;

- et une clause prévoyant dans l'intérêt du vendeur qu'en cas de ratification un avant contrat sera établi dans une durée déterminée avec versement de 5 ou 10 % du montant du prix de vente et à défaut les conventions seront caduques.

La promesse unilatérale de vente

La promesse unilatérale de vente se définit comme un acte sous seing privé ou un acte authentique aux termes duquel seul le vendeur prend l'engagement de vendre son bien pendant un certain délai au profit d'une personne dénommée "le bénéficiaire".

La promesse est consentie sur une durée déterminée ; à défaut de réalisation de la vente dans ce délai, elle sera caduque sans aucune formalité autre que la constatation de la non-réalisation.

La réalisation ne peut intervenir qu'après consignation du prix et des frais par le bénéficiaire entre les mains du notaire et est constatée par l'acte authentique qui sera signé par les parties dans le même délai.

Une indemnité forfaitaire sera acquise au promettant si la vente ne se réalise pas pour une cause quelconque imputable au bénéficiaire, dans les délais et conditions convenus. En revanche, elle s'imputera sur le prix de vente en cas de réalisation.

Cette forme d'avant-contrat, sous la forme sous seing privé, est soumise, à peine de nullité, à la formalité de l'enregistrement. Le défaut d'enregistrement dans les dix jours de l'acceptation par le bénéficiaire aurait une grave conséquence puisque la nullité de l'acte serait encourue, ce qui engagerait la responsabilité personnelle du mandataire dans le cadre de son devoir de conseil.

Pour Jean-Marie Moyse, un problème réside dans la rétractation de la promesse de vente par le promettant. En effet, la promesse unilatérale de vente s'analyse comme un engagement personnel de vendre consenti par le promettant au profit d'un éventuel acquéreur, le bénéficiaire. Tant que le bénéficiaire n'a pas demandé la réalisation, le promettant peut être tenté de rétracter sa promesse de vente. En 1993, la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199 N° Lexbase : A4251AGK) a jugé que la rétractation était toujours possible tant que le bénéficiaire n'avait pas levé l'option, les obligations de faire n'étant sanctionnées que par des dommages et intérêts, par application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM). Un autre arrêt de la même chambre du 27 mars 2007 a disposé que le promettant ne pouvait rétracter la promesse de vente s'il avait renoncé au bénéfice de l'article 1142 du Code civil et s'il était prévu la possibilité pour le bénéficiaire de poursuivre la réalisation forcée de la vente (Cass. civ. 3, 13 mars 2007, n° 06-12.456 N° Lexbase : A6984DU9). Mais une incertitude demeure à la suite d'un arrêt récent de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 11 mai 2011 (Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 10-12.875, FS-P+B N° Lexbase : A1164HRK), lequel affirme, sans nuance, que la rétractation du promettant avant l'acceptation de la promesse exclut toute rencontre de volonté, ce qui évince la possibilité de poursuivre la réalisation forcée de la vente.

La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de vente constitue une vente ferme par accord des parties sur la chose et sur le prix. Elle ne diffère donc pas, en ce qui concerne les obligations qui y sont souscrites, de l'acte définitif qui sera rédigé en la forme authentique par le notaire en cas de vente. En pratique, se sont souvent des promesses synallagmatiques qui sont signées.

En conclusion, il appert que tant le RIN que le RIPB doivent être adaptés pour donner pleine compétence à l'avocat dans le cadre des négociations immobilières. De plus, seule une pratique de plus en plus accrue par la profession permettra aux instances ordinales d'affiner la réglementation.

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Droit pénal des affaires

[Jurisprudence] Les éléments (non) constitutifs du délit de manipulation de cours

Réf. : Cass. crim., 27 mars 2013, n° 12-81.047, FS-P+B (N° Lexbase : A2634KB8)

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N6972BTE

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par Jérome Rivkine, avocat à la cour, Docteur en relations internationales et Gaëlle Zerbib, élève avocate, M2 Droit pénal des affaires (Paris XII)

Le 01 Mai 2013

Le contexte actuel de moralisation de la vie politique n'exclut pas celle des marchés. Les abus de marché appellent des sanctions, mais pas à n'importe quel prix, ni à n'importe quel titre. La libre régulation des marchés et leur émancipation progressive a conduit à l'émergence successive de garde-fous tendant à préserver le "jeu normal" des marchés, la libre fixation des prix, l'égalité devant l'information. Au rang de ces délits boursiers figure le délit de manipulation de cours ou "agiotage" qui, bien que très ancien (1), est le moins répandu. La jurisprudence en ce domaine a jusqu'alors suivi un courant tendant à réprimer de façon de plus en plus large, élargissant progressivement le domaine de l'illégalité.
L'arrêt du 27 mars 2013, suffisamment rare pour être souligné et publié au Bulletin des arrêts de la Cour, se situe en première lecture à contresens de cette tendance en ce qu'il confirme le rejet successif, par le doyen des juges d'instructions, par la chambre de l'instruction et par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, des demandes formées par la société Artprice.com contre la société Christie's du chef de manipulation de cours, en l'absence d'éléments qualifiant le délit dénoncé par le plaignant dont le titre s'est cependant effondré à la suite des "agissements" dénoncés. L'arrêt rendu le 27 mars 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation illustre la délicate mise en oeuvre du délit de manipulation de cours aux termes de l'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2168INM) (I), laquelle conduit fondamentalement à s'interroger sur la fragilité du cadre juridique de la manipulation de cours et nourrit incidemment, dans un contexte globalisé, la réflexion sur un besoin de standardisation (II).

I - Analyse de l'arrêt : la délicate mise en oeuvre du délit de manipulation de cours

A - Contenu de la décision

1 - Les tenants de la décision

Selon la Haute juridiction :

"Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Artprice.com, cotée sur le marché réglementé en continu, a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le doyen des juges d'instruction du chef de manipulation de cours en exposant que, dans le cadre du litige en contrefaçon de droit d'auteur qui l'opposait aux sociétés Christie Manson & Woods ltd, Christie's France SAS et Christie's France SNC, ces dernières avaient, trois jours avant la clôture de la procédure devant le tribunal, réévalué de façon artificielle leur demande, fixée initialement à moins de 2 000 000 euros, à plus de 61 000 000 d'euros ; que la société plaignante ajoutait que cette nouvelle demande, intervenue à quelques jours de la publication de ses comptes et qu'elle avait dû mentionner au titre des risques et litiges, avait entraîné un effondrement du cours de son action ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à informer, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant sur l'absence d'opérations sur le marché du titre, celles-ci n'étant pas exigées par l'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier, et dès lors que les faits dénoncés n'entrent pas dans les prévisions de cet article et ne peuvent admettre aucune autre qualification pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision au regard de l'article 86 du Code de procédure pénal
e (N° Lexbase : L8628HWH)".

Dans le cadre d'un litige en contrefaçon de droit d'auteur opposant la société Artprice.com et les sociétés Christie Manson & Woods ltd, Christie's France SAS et Christie's France SNC, ces dernières avaient, trois jours avant la clôture de la procédure, réévalué devant les juges du premier degré leur demande fixée initialement à 2 millions d'euros à plus de 61 millions d'euros. La société Artprice.com a considéré cette réévaluation artificielle et précisé qu'intervenant à quelques jours de la publication, elle s'était trouvée contrainte de mentionner ce risque dans ses comptes en provision au titre des risques et litiges, ce qui avait entraîné un effondrement du cours de son action.

Pour la plaignante, la réévaluation substantielle et manifestement "artificielle" des demandes indemnitaires des sociétés Christie's dans la procédure les opposant à Artprice.com peu de temps avant la clôture des comptes caractérisait, pour cette dernière, un délit de manipulation de cours ayant eu pour effet un effondrement du cours de son titre au sens de l'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier. 

C'est dans ces conditions que la société Artprice.com a porté plainte avec constitution de partie civile contre la société Christie's du chef de délit de manipulation de cours.

2 - Les aboutissants de la décision

Rejetée en première instance comme par la Chambre de l'instruction, la demande de la société Artprice.com n'a pas non plus prospéré devant la Cour de cassation qui a confirmé le rejet de la demande d'information. Pour la Haute juridiction, les faits dénoncés n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 465-2, alinéa 1er, précité et ne peuvent admettre aucune autre qualification pénale de sorte que le non-lieu prononcé est parfaitement justifié.

La question soumise à la Cour de cassation était ainsi de savoir si les éléments constitutifs du délit de manipulation de cours étaient en l'espèce caractérisés. La Haute juridiction répond par la négative et confirme le non-lieu. Les Hauts magistrats considèrent ainsi que l'opération de la société Christie's de réévaluation des indemnités au titre des demandes formées dans une instance pendante, quand bien même serait-elle "excessive et artificielle" et/ou aurait-elle eu un lien direct ou indirect avec l'effondrement du cours des actions de la société Artprice.com, ne constitue pas une manoeuvre ayant eu pour objet d'agir sur le cours des titres au sens de l'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier.

La Cour de cassation relève le motif surabondant de l'absence d'opérations (directes) sur le marché du titre considéré.

B - Appréciation de la décision

La décision entreprise comme l'opération contestée doit être décomposée et analysée à la lumière du mécanisme de l'opération de réévaluation de Christie's dénoncée par Artprice.com, qui l'aurait, selon elle, contrainte de devoir provisionner le risque de litige à hauteur de la demande reconsidérée et qui aurait eu pour objet de provoquer l'effondrement du cours de son titre.

1 - Les mécanisme et mode d'évaluation de la provision pour risques

  • La norme IAS 37

Les règles de provisions pour risques et charges sont définies principalement par la norme IAS 37 "Provisions, passifs éventuels et actifs éventuels" (2), adoptée au terme d'un processus de réflexion s'insérant "dans un mouvement mondial de la profession et des organismes de normalisation comptable visant précisément à endiguer la pratique [...] de constitution de provisions à caractère conjoncturel ou général ne résultant pas d'obligations précises et empiétant largement sur la notion de risque futur (lissage de résultat, changement d'opportunité ou de direction générale, excès de prudence... )" (3).

En termes d'évaluation, la norme précise que l'entreprise doit retenir la meilleure estimation de la dépense nécessaire à l'extinction de l'obligation actuelle à la date de clôture, en fonction de la probabilité de réalisation ("méthode de la valeur attendue") (§ 36) et ce, en prenant en compte toutes les indications disponibles, recourant, le cas échéant, aux avis d'experts (§ 16). La norme ne fournit à cette occasion aucun seuil chiffré à l'appui de cette disposition, sa mise en oeuvre faisant appel au jugement avisé des dirigeants de la société.

L'évaluation des provisions doit se faire avec prudence en tenant compte de tous les risques et incertitudes existant à la clôture de l'exercice et de la façon la plus objective possible. L'attitude consistant à majorer délibérément des provisions ou à surestimer le résultat comptable par "excès de prudence" est bannie par la norme.

  • Les recommandations 2012 de l'AMF

L'AMF, ayant constaté que les informations descriptives permettant de comprendre la nature des risques provisionnés sont souvent trop générales ou manquantes, a arrêté une recommandation (4) invitant les émetteurs à considérer les comptes comme un support majeur de l'information financière.

L'AMF incite à cet égard à la vigilance dans le calcul du montant retenu et à la plus grande transparence dans la description des hypothèses retenues pour déterminer le montant des provisions arrêtées et rappelle qu'il est important que le lien soit fait entre les litiges décrits et leurs impacts financiers. L'AMF recommande ainsi aux émetteurs de donner des informations en annexe sur les risques et litiges significatifs qui figurent dans les documents communiqués au marché. Une description de la nature de ce passif éventuel, et, dans la mesure du possible, une estimation de son effet financier ainsi qu'une indication des incertitudes relatives au montant ou à l'échéance doivent être mentionnées.

Enfin, la norme prévoit encore que, dans des cas "extrêmement rares", où la présentation des informations demandées par la norme IAS 37 pourrait causer un préjudice sérieux aux sociétés, celles-ci sont exemptées de présenter ces informations.

2 - L'appréciation de l'opération et de la passation d'écriture subséquente

Dans le cas d'espèce, il procède des développements qui précèdent que, si le fait pour Christie's d'augmenter artificiellement ses demandes est blâmable en son principe, cette opération n'impliquait cependant pas de jure l'obligation pour Artprice.com de reporter in extenso le montant des demandes indemnitaires formées dans ses lignes de compte de provisions pour risques.

Ainsi appartenait-il à Artprice.com de faire preuve de la plus grande prudence dans l'appréciation du risque et dans l'évaluation à reporter au niveau comptable.

Encore convenait-il également de vérifier si cette demande, réputée "artificielle", l'était effectivement, ce qu'il n'est pas possible d'apprécier en l'absence d'éléments d'information concernant le litige en contrefaçon entre les parties précitées.

En outre, que ces demandes indemnitaires formées dans le litige en marge furent fondées ou non, il convient d'observer au regard de ce qui précède que :

- soit le risque de condamnation à hauteur de 60 millions d'euros était avéré, auquel cas c'est à raison que Artprice.com a reporté ce montant dans ses comptes, de sorte qu'elle ne saurait, dès lors, faire état d'un quelconque préjudice résultant de la chute du cours de son titre dans la mesure où les comptes refléteraient alors la réalité de la situation de la société ;

- soit le risque de condamnation à hauteur de 60 millions d'euros était "artificiel", auquel cas Artprice.com, qui n'était pas tenue de reporter ce montant dans ses comptes, aurait manifestement dû mesurer, avec prudence, la probabilité et la juste évaluation du risque et, conformément à la norme IAS 37 et aux recommandations de l'AMF précitées, assortir l'écriture d'éléments explicatifs étayés dans les documents de communication annexes aux fins de dispenser, pour se préserver, une information utile sur la réelle probabilité de réalisation.

Tel est le sens de la solution admise par la Haute juridiction, l'absence de qualification de "manoeuvre" étant assise implicitement sur l'absence de causalité directe de la demande de Christie's et le report comptable d'Artprice.com avec les effets dénoncés sur le cours du titre, confirmant par là-même les décisions de premier degré et de la chambre de l'instruction.

Le non-lieu semble dicté par le fait que cette "opération" n'avait pas pu valablement entraver le fonctionnement régulier du marché, a fortiori en l'absence d'intervention directe sur celui-ci, c'est-à-dire causer directement la perte du cours du titre dénoncée par Artprice.com, seule décisionnaire de l'appréciation du montant de la provision pour risque à reporter dans ses lignes de compte et ce, quelle que fut l'intention sous-jacente de la société Christie's.

A première vue, la décision semble ainsi conforme à la réglementation afférente, la société Artprice.com étant seule responsable de la passation de l'écriture dans ses livres comptables, l'intervention de Christie's intervenant purement et simplement dans le cadre d'un litige et non sur des instruments financiers sur un marché considéré. En seconde lecture, la décision s'inscrit cependant en contresens de la jurisprudence répressive en cette matière, le domaine du délit de manipulation de cours ayant été fortement étendu au fil des dernières décisions intervenues.

II - Critique de l'arrêt : le paradoxe de la décision

A - Le sentiment d'une décision inachevée

L'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier définit et incrimine le délit de manipulation de cours (5) dont la répression est conditionnée à la réunion cumulative d'un élément matériel et d'un élément moral que la Haute juridiction n'a pas jugé caractérisés en l'espèce, sans pour autant définir l'élément matériel ni rechercher la possibilité d'une intention malveillante.

1 - L'élément matériel

La Haute juridiction, interprétant restrictivement le texte précité, prend acte de l'absence d'opération sur le marché considéré comme de la non-qualification de l'élément matériel de l'infraction, sans le matérialiser, alors que, dans le contexte actuel de moralisation de l'économie, le domaine de la "manoeuvre", non définie par les textes (6), n'a cessé de s'étendre au fil des dernières décisions.

Ainsi a-t-il été admis, par exemple, que caractérisait une manoeuvre au sens du texte précité, le fait de passer des ordres de vente "au mieux" d'une importante quantité d'actions d'une société ayant entrainé une réservation du titre à la baisse, avant d'être annulé deux minutes seulement avant le fixing ("technique de la bouilloire"), le prévenu ayant agi en vue de modifier le cours normal du titre en ayant pleinement conscience des conséquences très probables d'écrasement de ce dernier. Dans le cadre de cette opération, il a été jugé que le fait que l'influence réelle de la manoeuvre ait été très faible était indifférent, l'infraction n'exigeant pas le succès des manoeuvres mais la simple probabilité de réussite (7).

Il est encore aujourd'hui constant que si la responsabilité de la manoeuvre est régulièrement recherchée chez l'émetteur à l'origine des manoeuvres sur ses propres titres, en la personne du dirigeant ou d'un administrateur, elle n'exclut pas celle de toute autre personne agissant pour le compte de ces derniers, quand bien même celle-ci ne disposerait pas directement d'un intérêt à l'opération (8). La connexité entre la personne à l'origine de la manoeuvre et celle susceptible d'en tirer le meilleur profit est un paramètre ainsi apprécié indifféremment l'un de l'autre.

La manoeuvre est également mesurée sans considération du poids de celle-ci au regard du résultat attendu et peut être caractérisée quand bien même la manoeuvre n'aurait pas produit l'effet escompté. Le texte réprime d'ailleurs la réalisation de manoeuvres ayant pour "objet" et non pour "effet" d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé. L'expression ainsi consacrée n'implique pas d'établir de lien de causalité entre l'acte incriminé et les résultats opérés sur le marché, de même que l'intermédiation directe sur le marché considéré n'est pas une condition d'application de l'article L. 465-2, alinéa 1er.

A la lecture de ce qui précède, quand bien même Christie's n'est-elle pas intervenue directement, au niveau matériel, sur le marché considéré, celle-ci n'en demeure pas moins à l'origine certes indirecte, de la "manoeuvre" dénoncée par Artprice.com, bien qu'il ne soit pas possible d'établir si cette première a agi avec pour "objet" d'engager Artprice.com dans la voie décriée.

La démarche mérite ainsi encore d'être appréciée à l'aune de l'intention escomptée, le spectre de l'élément moral de l'infraction que la Haute juridiction a cru ne pas devoir considérer, ayant également été considérablement élargi au cours des dernières décisions entreprises.

2 - L'élément moral

Le délit de manipulation de cours n'est constitué que s'il est démontré une erreur d'autrui à raison de la manoeuvre caractérisée sur le marché et que l'auteur de la manoeuvre a eu conscience de commettre une manipulation.

L'adjectif "sciemment" présent dans l'ancienne version de l'incrimination a été abrogé, ce qui a allégé le domaine de qualification de l'élément moral de l'infraction dont, encore une fois, l'"effet" effectivement réalisé est indifférent. Ainsi a été condamnée la pratique tendant à faire racheter par une société d'importantes quantités de ses propres titres, le fait que le prévenu n'en tire aucun profit étant indifférent dès lors que celui-ci avait pour but et a eu conscience d'entraver le fonctionnement normal du marché et d'induire les tiers en erreur sur la liquidité et la tendance haussière du titre (9).

A encore été condamné un dirigeant de deux sociétés ayant procédé à des opérations d'"achetés vendus" portant sur des volumes croissants de titres rétrocédés entre ses deux structures, provoquant la hausse mécanique du cours, peu important que le mobile du prévenu ait été de restituer la valeur réelle du titre, dès lors qu'en procédant ainsi, il avait nécessairement pour but et avait eu conscience d'entraver le fonctionnement normal du marché et d'induire les tiers en erreur sur la liquidité et la tendance à la hausse du titre (10).

Dans les deux exemples précités, l'infraction est caractérisée par la prépondérance de l'intention de son auteur, quelle que soit l'importance ou la portée de la manoeuvre pour autant caractérisée.

La disqualification de l'infraction dans l'affaire rapportée tient principalement à l'absence d'établissement de l'intention, non recherchée au demeurant, à raison vraisemblablement de l'absence préalable de causalité directe entre l'opération décriée et le report de l'écriture effectué. Sans doute eût-il été intéressant de prendre la mesure du bien-fondé de l'augmentation soudaine des demandes de Christie's au regard de cet élément intentionnel, à l'endroit d'une société intervenant au surplus sur un marché concurrent.

L'interprétation restrictive menée par la Cour de cassation est certes conforme au principe de légalité des délits et des peines. Si la Haute juridiction demeure circonscrite aux moyens de droit qui sont soumis à son appréciation, les juridictions d'appel et de premier degré ont cru ne pas devoir prendre la mesure ni de l'élément moral de la "manoeuvre" décriée, comme la Haute juridiction l'a d'ailleurs relevé, ni des recommandations de la Directive 2003/6/CE "Abus de marché" (N° Lexbase : L8022BBQ).

La décision entreprise aurait pu être appréciée à la lueur de ces éléments. Elle aurait pu encore être mesurée à la lumière de la réglementation administrative concurrente relative au manquement éponyme, sous l'instruction de laquelle la solution aurait, peut-être, été différente.

B - La nécessité d'uniformisation et de standardisation

1 - Le paradoxe du dualisme des régimes

L'article 631-1 du règlement général de l'AMF dispose qu'est constitutif du manquement "le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres, soit qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers, soit qui fixent par l'action d'une ou plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, soit qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l'état du marché ou à toute autre tromperies ou artifices".

Est ainsi constitutif du manquement de manipulation de cours le fait, pour une ou plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou la création d'autres conditions de transactions inéquitables (11).

Le manquement est répréhensible lorsqu'il a un caractère objectif caractérisé, nonobstant l'intention de son auteur de le commettre. Réciproquement, même à défaut de preuve matérielle, la manipulation de cours peut être établie au niveau administratif par un "faisceau d'indices concordants", comme en cas d'interventions "inhabituelles" sur un marché, cette présomption étant susceptible d'être renversée si le mis en cause établit la légitimité de ses interventions (12).

Le domaine d'illustration des faits répréhensibles est ainsi apprécié sous de plus larges auspices par l'autorité administrative. La question, qui restera en suspens, de savoir si la solution de la Cour de cassation du 27 mars 2013 aurait été conforme à celle qu'aurait pu rendre la Commission des sanctions de l'AMF n'est pas évidente et témoigne de la difficulté, en France, de la coexistence d'une procédure judiciaire et d'une procédure administrative pouvant être engagées cumulativement et donnant lieu, concomitamment, à des solutions différentes.

Cette règle qui contrevient a priori au principe "non bis in idem" (13) selon lequel une personne ne peut pas être poursuivie et réprimée par deux autorités à raison des mêmes faits, a cependant été consacrée par décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989 (Cons. const., décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 N° Lexbase : A8202ACR), sous réserve du respect de l'exigence de proportionnalité.

Il n'en demeure pas moins que cette coexistence et la dualité de régimes distincts conduit à des incohérences, une exception française. L'exception est un paradoxe, source d'insécurité dès lors que les fondements de poursuite et de répression de ces deux régimes sont différents, qu'un acte peut être réputé illicite et condamné par les juridictions pénales sans constituer un manquement au règlement de l'AMF, et réciproquement.

2 - La nécessité d'un changement ?

L'idée d'une harmonisation des régimes administratif et judiciaire germe depuis plusieurs années. Plusieurs projets de réforme sont aujourd'hui à l'étude, comme celui de la Directive "MIF" (Directive 2004/39 du 21 avril 2004 N° Lexbase : L2056DYS) (14) qui semble vouloir renforcer la transparence et la régulation en attribuant notamment la compétence à la seule juridiction répressive, tandis que, dans le même temps, l'article 12 du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, examiné en Conseil des ministres le 19 décembre 2012 et actuellement en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, propose de renforcer les pouvoirs de contrôle, d'enquête et de sanction de l'AMF (15).

La réflexion se poursuit ainsi pour le renforcement d'une coordination des procédures (16) et non en vue d'une harmonisation des régimes comme cela est cependant pratiqué dans la grande majorité de nos pays voisins européens et internationaux.

Dans le contexte de scandales financiers successifs dont le monde ne cesse de se faire l'écho, la voie d'une uniformisation est inéluctable pour un renforcement de l'efficacité des moyens de répression, de la pertinence des sanctions, de la cohésion des procédures pour une meilleure transparence des marchés financiers... sauf à poursuivre le dessein d'un "jeu effréné, où des millions n'ont d'autre mouvement que de passer d'un portefeuille à l'autre, sans rien créer, si ce n'est un groupe de chimères que la folie du jour promène avec pompe et que celle de demain fera évanouir" (17).


(1) La manipulation de cours ou "agiotage" est le délit boursier le plus ancien, autrefois dénommé action illicite sur le marché boursier, classé sous l'article 10-3 de l'ordonnance de 1967 ; JurisClasseur Banque - Crédit - Bourse, Fasc. 1600 : Infractions boursières - Délits et manquements boursiers.
(2) La norme IAS 37 prévoit qu'une provision pour risques et charges doit être comptabilisée si à la clôture de l'exercice comptable l'entreprise a (i) une obligation actuelle (ii) résultant d'un événement passé (iii) qui provoquera probablement une sortie future de trésorerie et (iv) qui est estimable de façon fiable.
(3) Norme IAS 37 telle qu'adoptée par le Règlement (CE) n° 1725/2003 de la Commission du 29 septembre 2003 (N° Lexbase : L5513DLR), amendé par le Règlement (CE) n° 1126/2008 de la Commission du 3 novembre 2008 (N° Lexbase : L9709IB9).
(4) Recommandation AMF n° 2012-16 du 16 novembre 2012 (N° Lexbase : L4848IU4).
(5) C. mon. fin., art. L. 465-2, alinéa 1er (N° Lexbase : L2168INM) : "Le fait pour toute personne d'exercer ou de tenter d'exercer directement ou par personne interposée, une manoeuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché règlementé en induisant autrui en erreur".
(6) Le législateur ne définit pas le sens de la notion à l'article L. 465-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier, pas plus que la Directive 2003/6/CE "Abus de marché" du 28 janvier 2003 (N° Lexbase : L8022BBQ), qui énonce cependant des exemples caractéristiques du délit de manipulation de cours comme :
"- le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres ; qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ; qui fixent, par l'action de plusieurs personnes agissant de concert, le cours d'un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel ;
- le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres en recourant à des procédés fictifs ou à tout autre moyen de tromperies ou d'artifices ;
- le fait de diffuser des informations par l'intermédiaire des médias ou par tout autre moyen qui donne des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers y compris le fait de répandre des rumeurs
".
(7) CA Paris, 30 novembre 2004, Dr. sociétés, 2005, comm. 203, note R. Salomon.
(8) Ainsi a été condamné un salarié d'une société intermédiaire d'investissement, bien qu'il n'ait pas agi de sa propre initiative mais au profit d'une société dont il avait reçu pouvoir du dirigeant afin de faire monter artificiellement le cours de l'action et ayant à cet effet réalisé des opérations d'achats pour le compte des sociétés du donneur d'ordre qu'il savait liées et à des opérations d'"achetés vendus" sur des volumes croissants donnant l'impression de volumes de marchés fictifs : Cass. crim., 28 janver 2009, n° 07-81.674, F-D (N° Lexbase : A8822KCQ). V. également, R. Salomon, Délit de manipulation de cours, Droit des sociétés n° 4, avril 2009, comm. 83. Dans le même esprit, a également été réprimé un chargé de relations avec la clientèle auprès d'une société de banque pour avoir racheter, pour le compte de la société, 200 000 titres de la société dans le but de faire remonter le cours des actions, ce chargé de clientèle connaissant la décision du dirigeant de faire acquérir les titres, disposant d'un pouvoir de la société de banque d'exécuter les ordres du client et ayant participé activement à la hausse du titre voulue par le dirigeant de la société : l'élément intentionnel est caractérisé chez le représentant, sans qu'il doive être recherché chez la personne morale (CA Paris, 9ème ch., sect. B, 2 février 2007, n° 06/08079 N° Lexbase : A8823KCR ; Dr. sociétés, 2007, comm. 123, note R. Salomon).
(9) CA Paris, 9ème ch. corr., 2 février 2007, préc..
(10) Cass. crim., 28 janvier 2009, n° 07-81.674, préc..
(11) AMF, décision du 9 avril 2009, sanction (N° Lexbase : L1824IEB).
(12) CE, 1° et 6° s-s-r., 20 mars 2013, n° 356476 (N° Lexbase : A8582KA4).
(13) En France, cette règle figure notamment à l'article 368 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4375AZ3), à l'article 14 § 7 du Pacte de New York, relatif aux droits civils et politiques de 1966 (N° Lexbase : L6816BHW), à l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ainsi qu'à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX).
(14) P. Paillier, Les projets européens de révision de la Directive sur les marchés d'instrument financiers (MIF)", RDBF, mars 2012, étude 4.
(15) A. Gaudemet, Renforcement des pouvoirs de contrôle, d'enquête et de sanction de l'AMF, RDBF, janvier 2013, comm. 31.
(16) E. Dezeuze, Abus de marché : de la coexistence à la coordination des procédures administrative et pénale ?, RDBF, mars 2013, dossier 18.
(17) Comte de Mirabeau, Dénonciation au Roi et à l'Assemblée des notables, H DCC-LXXX VII, p. 27, in JurisClasseur Banque - Crédit - Bourse, Fasc. 1600 : Infractions boursières - Délits et manquements boursiers.

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Libre circulation des pertes au sein de l'Union européenne : l'application de la jurisprudence "Marks & Spencer" à une fusion transfrontalière

Réf. : CJUE, 21 février 2013, aff. C-123/11 (N° Lexbase : A3688I84)

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par Thibaut Massart, Professeur de droit, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Université Paris Dauphine

Le 01 Mai 2013

A l'heure où l'Europe traverse une crise économique grave, les Etats membres ne se querellent plus pour savoir où les bénéfices des groupes seront imposés, mais pour déterminer quel Etat devra prendre en charge les pertes réalisées par les filiales. Ce conflit peut paraître curieux dès lors qu'il existe, en principe, une règle de symétrie entre le droit d'imposer les bénéfices d'une société et l'obligation de prendre en compte les pertes subies par ladite société. De ce fait, les autorités fiscales d'un Etat membre ne devraient pas avoir à tenir compte, dans le cadre du traitement fiscal d'une société mère résidant dans ledit pays, des pertes liées à l'activité d'une filiale établie dans un autre Etat membre, dès lors qu'elles ne sont pas en droit d'imposer les bénéfices de cette filiale. En réalité, le principe de symétrie comporte des exceptions et l'Etat membre de la société mère est parfois contraint de supporter les pertes d'une filiale non résidente alors même qu'il n'aurait pas la faculté d'imposer les bénéfices de cette filiale. La présente décision de la CJUE du 21 février 2013, affaire "A Oy" (1), met en relief une telle singularité. Dans cette affaire, une société mère finlandaise détenait toutes les parts d'une filiale suédoise. Cette filiale gérait des commerces de détail en Suède, puis a mis fin à ses activités. Cette société ayant subi pour quelques cinq millions d'euros de pertes, la société mère envisagea de l'absorber. Cette fusion devait se traduire par la dissolution de la filiale suédoise et par la reprise de la totalité de son patrimoine par la société mère finlandaise. Bien évidemment, la société mère espérait également pouvoir imputer sur son bénéfice les pertes de la filiale. Mais, dans une décision préliminaire, la commission fiscale centrale finlandaise avait estimé que la société mère ne pourrait pas, à la suite de la fusion, faire valoir les pertes de sa filiale suédoise dans le cadre de l'impôt sur le revenu des personnes morales. De la même manière, la cour administrative suprême finlandaise, désormais saisie du litige, avait constaté que les dispositions finlandaises n'autorisaient pas la reprise des pertes d'une société absorbée qui avait son siège à l'étranger, alors qu'une telle faculté aurait existé si la société absorbée avait été établie en Finlande. Cette Haute cour se demanda, cependant, si cette interprétation était compatible avec le droit de l'Union et, en particulier, avec la liberté d'établissement. Dans ce contexte, deux questions préjudicielles furent portées devant la Cour de justice de l'Union européenne.

La première, principale, concernait la compatibilité du droit de l'Union avec une législation qui autorise la possibilité pour une société absorbante de déduire les pertes réalisées par la société absorbée, mais dans la seule hypothèse où la société absorbée est établie dans le même Etat membre que l'absorbante. La seconde question était plus secondaire. Dans l'éventualité où la réglementation en cause aurait été jugée contraire au droit de l'Union, il était demandé à la Cour de déterminer la législation applicable pour calculer le montant de la perte déductible. Plus précisément, il s'agissait de savoir si la perte déductible devait être évaluée selon la législation de l'Etat de résidence de la société absorbante ou celle de l'absorbée.

En réponse, la CJUE affirme d'abord que le droit de l'Union, en particulier les articles 49 (N° Lexbase : L2697IPL) et 54 (N° Lexbase : L2703IPS) du TFUE, ne s'oppose pas à une législation qui interdit à une société mère fusionnant avec une filiale établie dans un autre Etat membre de déduire de son revenu imposable les pertes subies par cette filiale au titre des exercices antérieurs à la fusion, même si cette législation accorde une telle possibilité lorsque la fusion est réalisée avec une filiale résidente. Ce principe général est, toutefois, tempéré par une exception notable. La législation serait incompatible avec le droit de l'Union si elle n'offrait pas à la société mère la possibilité de démontrer que sa filiale non résidente aurait épuisé les possibilités de prise en compte de ces pertes et qu'il n'existerait pas de possibilité qu'elles puissent être prises en compte dans son Etat de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers. Dans cette dernière éventualité, les pertes de la filiale non résidente reprises par la société mère résidente devraient être calculées de telle manière qu'il n'y ait pas inégalité de traitement avec les règles de chiffrage applicables à la fusion réalisée avec une filiale résidente. Concrètement, la législation de la société mère devrait s'appliquer au calcul des pertes litigieuses.

Cette décision est particulièrement importante car elle confirme l'orientation prise par la CJUE depuis l'affaire "Marks & Spencer" (2). Alors qu'en l'espèce l'avocat général, Juliane Kokott, prônait l'abandon de la jurisprudence "Marks & Spencer", en affirmant qu'elle était "synonyme de chaos et de désolation" (3), la CJUE rejette cette analyse et conforte, au contraire, l'évolution jurisprudentielle entamée depuis 2005 (I).

Toutefois, sur le plan pratique, l'exception proposée par la CJUE semble très étroite, car le régime des fusions transfrontalières ne permet, en principe, nullement une reprise des pertes de la société absorbée par l'absorbante. Ce n'est que dans certaines situations tout à fait accidentelles, qui pouvaient éventuellement être celles de l'espèce, que l'exception édictée est susceptible de s'appliquer (II).

I - La confirmation de la jurisprudence "Marks & Spencer"

Comme le souligne à juste titre l'avocat général dans la présente affaire, la jurisprudence "Marks & Spencer" manque de clarté, si bien qu'un rappel de la teneur de l'arrêt "Marks & Spencer" s'avère utile pour comprendre comment la CJUE applique au cas de l'espèce les principes qu'elle avait déjà dégagés en 2005.

A - L'affirmation de la jurisprudence "Marks & Spencer"

On se souvient que le groupe de distribution britannique "Marks & Spencer" avait annoncé, en 2001, son intention de cesser ses activités hors du Royaume-Uni, notamment en France, en Allemagne et en Belgique, où la société avait supporté des pertes importantes. La question s'était alors posée de déterminer le traitement fiscal desdites pertes. Le groupe en avait demandé l'imputation sur les résultats de la société britannique, ce qui lui fut refusé. La CJUE avait été saisie du litige, le groupe reprochant à la législation britannique d'être contraire au principe de liberté d'établissement posé par le Traité. Il faut avouer que la liberté d'établissement semble se heurter frontalement au principe de territorialité de l'impôt en vigueur dans la majorité des Etats membres. Faisant preuve d'une audace toute mesurée, la CJUE avait décidé, dans un arrêt du 13 décembre 2005, que les dispositions du droit communautaire ne s'opposent pas à ce que la législation d'un Etat membre exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre Etat membre par une filiale, alors qu'elle accorde une telle possibilité pour une filiale résidente. Autrement dit, la CJUE ne souhaitait nullement remettre en cause le principe de territorialité de l'impôt (4). Mais elle ouvrit cependant une petite brèche en exposant les circonstances dans lesquelles les Etats membres, exceptionnellement, peuvent être contraints de prendre en considération les pertes de filiales non résidentes dans l'imposition de leur société mère résidente. Ainsi il a été jugé contraire aux articles 43 et 48 du TCE (devenus 49 et 54 du TFUE) d'exclure la possibilité pour la société mère résidente de déduire les pertes subies par une filiale établie dans une autre Etat dans une situation où, d'une part, la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son Etat de résidence pour l'exercice en cours et les exercices antérieurs et où, d'autre part, il n'existe aucune possibilité au titre des exercices futurs, ni par la société elle-même, ni par un tiers en cas de cession de la filiale.

Cette jurisprudence a toutefois suscité beaucoup d'interrogations (5). Les cas de figure qui se sont présentés par la suite devant la CJUE ont montré les difficultés de dresser les limites exactes des principes énoncés dans l'arrêt "Marks & Spencer" (6). Si bien que l'on pouvait légitiment se demander s'il s'agissait bien d'une jurisprudence et non d'une "jurimprudence".

Alors que Juliane Kokott, avocat général dans la présente affaire, estimait effectivement qu'il fallait saisir l'occasion pour revenir sur la jurisprudence "Marks & Spencer", la CJUE a, au contraire, appliqué scrupuleusement les principes qu'elle avait préalablement édictés.

B - L'application de la jurisprudence "Marks & Spencer"

Dans ses conclusions, Juliane Kokott commença par s'interroger sur la comptabilité de la règle nationale qui exclut la reprise de reports de pertes étrangères avec la liberté d'établissement de la société absorbante qui est garantie par les articles 49 et 54 du TFUE. Analysant la loi finlandaise, elle constata qu'une société mère peut utiliser sur le plan fiscal le report de pertes d'une filiale nationale en cas de fusion en Finlande, alors que cela ne lui est pas possible lorsqu'il s'agit du report de pertes d'une société étrangère résultant de l'activité de celle-ci dans un autre Etat membre. Une société finlandaise pourrait être ainsi dissuadée d'emblée de fonder ou d'acquérir une filiale dans un autre Etat membre en raison de l'absence d'une telle possibilité. Elle en conclut, à ce stade du raisonnement, que la réglementation fiscale finlandaise limite en conséquence la liberté d'établissement. La CJUE fait sienne cette analyse.

Poursuivant l'examen, Juliane Kokott s'interrogea sur les justifications possibles de cette entrave. Il est effectivement de jurisprudence constante qu'une limitation de la liberté d'établissement soit néanmoins admise si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général. Ces motifs justificatifs peuvent consister dans la répartition du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, dans le risque d'un double emploi des pertes, ou encore dans le risque d'évasion fiscale. Ces trois justifications étaient invoquées dans l'affaire "Marks & Spencer". La Cour avait indiqué que c'était de la combinaison de ces trois raisons que l'on pouvait déduire que la mesure critiquée poursuivait un intérêt général conforme au Traité. Simple précaution oratoire ou véritable réserve qui conduisait à penser qu'a contrario, si ces trois conditions n'avaient pas été remplies, la mesure en cause n'aurait pas trouvé grâce ? Une jurisprudence ultérieure les a réduits à deux, après l'abandon du risque d'évasion fiscale (7), puis à un seul, avec la répartition équilibrée du pouvoir d'imposer entre les Etats membres (8). Comme le souligne Juliane Kokott, la compétence fiscale d'un Etat membre est affectée par la prise en compte de pertes nées dans le cadre de la compétence fiscale exclusive d'un autre Etat membre (9). Or, les pertes dont la prise en considération était envisagée dans la présente affaire étaient nées de l'activité d'une société suédoise en Suède. Cette activité était soumise à la seule compétence fiscale du Royaume de Suède d'après l'article 7, paragraphe 1, de la Convention relative à la double imposition entre la Suède et la Finlande, applicable ici. Pour cette seule raison, la République de Finlande serait fondée à refuser à l'assujettie la prise en considération des pertes de la filiale suédoise.

La CJUE conforte cette analyse en précisant que "donner aux sociétés la faculté d'opter pour la prise en compte de leurs pertes dans l'Etat membre de leur établissement ou dans un autre Etat membre compromettrait sensiblement une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres (voir arrêt Oy AA, précité, point 55), dans la mesure où les assiettes d'imposition s'en trouveraient modifiées, à concurrence des pertes transférées, dans ces deux Etats". La CJUE aurait pu estimer que cette seule justification suffisait. Mais, comme dans l'arrêt "Marks & Spencer", la CJUE analyse également les deux autres justifications invoquées, à savoir le risque de double imposition et le risque d'évasion fiscale. "Au vu de ces trois éléments de justification, pris ensemble", la Cour admet que la législation finlandaise poursuit des objectifs légitimes compatibles avec le Traité et relevant de raisons impérieuses d'intérêt général et est propre à garantir la réalisation de ces objectifs.

Encore fallait-il vérifier que la législation finlandaise n'allait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

Or, l'analyse de Juliane Kokott concluait au caractère proportionné de la mesure.

D'abord, même si l'absence de reprise des pertes de la société absorbée se traduisait par une perte fiscale définitive sur le plan économique, un tel résultat n'aurait rien d'extraordinaire puisque, dans la majorité des systèmes fiscaux des Etats membres, cette conséquence peut déjà résulter tout simplement de l'expiration des délais de report.

Ensuite, la Directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009, sur les fusions (10), prévoit de manière uniforme, à l'échelle de l'Union, l'utilisation des reports de pertes dans l'Etat membre de résidence de la société apporteuse et non dans celui de la société absorbante. Même si le cas de l'espèce n'est pas précisément évoqué dans cette Directive, l'hypothèse de la prise en considération des pertes dans l'Etat membre de la société absorbante contrecarrerait la décision de principe du législateur de l'Union.

Enfin et surtout, Juliane Kokott prétendait que "des différenciations minutieuses, comme il en a été fait par exemple dans l'arrêt Marks & Spencer, précité, ne sont pas dans l'intérêt de la liberté d'établissement, lorsqu'elles amènent en réalité incertitudes juridiques et litiges". En un mot, il faudrait en finir avec la jurisprudence "Marks & Spencer", qui laisse le soin aux seules juridictions nationales de trancher des questions complexes au détriment d'une application uniforme du droit de l'Union.

Mais la CJUE ne suit pas cette dernière argumentation.

Bien au contraire, elle affirme avec vigueur que, selon "la jurisprudence de la Cour, une mesure restrictive telle que celle en cause dans l'affaire au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'essentiel des objectifs poursuivis dans une situation où la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son Etat de résidence (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 55). Il revient à la société mère de démontrer que tel est le cas (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 56)" (11). Il appartiendra, dès lors, à la juridiction nationale de déterminer si la société mère absorbante a effectivement apporté la preuve que sa filiale a épuisé toutes les possibilités de prise en compte des pertes qui existent en Suède. Et dans l'hypothèse où la juridiction de renvoi conclurait que cette preuve a été apportée, la CJUE affirme clairement qu'il serait contraire à la liberté d'établissement d'exclure la possibilité pour la société mère de déduire de son revenu imposable dans son Etat de résidence les pertes subies par sa filiale non résidente dans le cadre de l'opération de fusion en cause.

II - La jurisprudence "Marks & Spencer" appliquée à une fusion transfrontalière

De manière générale, en cas de fusion transfrontalière, la société absorbante ne reprend jamais les pertes subies par la société absorbée. Ce n'est donc que dans des situations exceptionnelles que la jurisprudence "Marks & Spencer" est susceptible de s'appliquer.

A - La jurisprudence "Marks & Spencer" ne s'applique pas en principe aux fusions transfrontalières

Lorsqu'une société absorbe une autre, la société absorbée perd sa personnalité juridique et une transmission universelle de patrimoine permet à la société absorbante de récupérer l'ensemble du patrimoine de l'absorbée. Dans ces conditions, les pertes de la société absorbée s'imputent en principe sur les bénéfices de l'absorbante.

Mais, dès lors que la fusion met en scène deux sociétés établies dans deux pays différents, les règles changent radicalement.

Comme pour une fusion interne, la société absorbée perd sa personnalité juridique et son patrimoine est juridiquement transféré à la société absorbante. Mais la localisation géographique des biens de la société absorbée ne change pas, en principe. La société absorbée fait alors place à un établissement stable au nom de la société bénéficiaire. Et les déficits de la société absorbée sont normalement transférés à l'établissement stable.

D'ailleurs la Directive 2009/133/CE, relative au régime fiscal commun applicable aux fusions, régit la question des pertes de la société absorbée dans son article 6. En substance, cette disposition énonce que la société bénéficiaire de la fusion peut transférer des pertes non encore amorties du point de vue fiscal de la société apporteuse résidant dans un autre Etat membre à un établissement stable situé dans cet Etat membre, pour autant qu'un tel transfert soit possible aussi entre sociétés de cet Etat membre. Cet article 6 ne prévoit donc la prise en considération d'un report de pertes de la société apporteuse que dans son propre Etat membre par le biais d'un établissement stable, et non pas dans l'Etat membre de la société absorbante.

On notera d'ailleurs que la législation française prévoit, en vertu de l'article 209, II du CGI (N° Lexbase : L0159IWS), un agrément afin d'obtenir le transfert des déficits de la société absorbée française au profit de la société étrangère. Cet agrément n'empiète pas sur la souveraineté fiscale de l'Etat de la société absorbante, puisqu'il n'a pas pour effet de permettre l'imputation du déficit d'une activité française sur celle d'une activité étrangère (12). Il ne fait que permettre l'imputation des déficits de l'activité précédemment exercée par la société absorbée sur la même activité désormais déployée par l'établissement stable français de la société absorbante.

Cette règle suppose, toutefois, qu'un établissement stable puisse être caractérisé. Or, dans notre affaire, la société absorbée avait arrêté son activité et ne pouvait être qualifiée d'établissement stable. La jurisprudence "Marks & Spencer" pouvait alors s'appliquer.

B - La jurisprudence "Marks & Spencer" s'applique à des situations marginales

Lorsque la société absorbée ne peut être qualifiée d'établissement stable après la fusion, le sort des déficits qu'elle a accumulés se pose effectivement. Selon la CJUE, la société mère peut rependre ces pertes dès lors qu'elle démontre que sa filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte de ces mêmes pertes et qu'il n'existerait pas de possibilités qu'elles puissent être prises en compte dans son Etat de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers.

Or, dans notre affaire, plusieurs Etats membres sont intervenus à la procédure pour affirmer que la possibilité d'une prise en compte des pertes de la filiale suédoise continuait d'exister. Le Gouvernement allemand fit ainsi valoir que ces pertes pouvaient être soustraites des recettes, certes minimes, que la société continuait de percevoir en Suède. Il ajouta que la société était toujours engagée dans des baux qui pouvaient être cédés. Le Gouvernement français soutint également que le droit suédois permettrait aux sociétés de faire valoir des pertes lors d'exercices antérieurs ou à l'occasion de l'imposition de plus-values réalisées sur les éléments d'actif et de passif de la société absorbée. Le Gouvernement italien fit valoir que la Suède a le droit d'évaluer les biens transférés et d'imposer la société absorbée sur le bénéfice ainsi réalisé. Par ailleurs, comme le souligna Juliane Kokott, la société disposerait en réalité toujours de la faculté d'utiliser à l'avenir les reports des pertes suédoises en reprenant une activité commerciale et en en tirant des bénéfices (13).

Il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier ces différentes affirmations pour s'assurer que les pertes litigieuses étaient bien définitivement perdues. Il n'est donc nullement certain que cette jurisprudence se concrétise réellement par la reprise par la société absorbante des déficits de l'absorbée.

Pour finir, on soulignera que l'assujetti n'aurait certainement pas eu gain de cause s'il était résident français. Rappelons que le II de l'article 209 prévoit qu'en cas de fusion placée sous le régime de faveur, les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée sont transférés à la société absorbante et imputables sur ses bénéfices ultérieurs. Ce transfert est toutefois soumis à un agrément du ministre chargé du Budget, qui est délivré si les conditions posées par l'article 209 sont remplies. L'article 15 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ), a cependant durci les conditions d'obtention de l'agrément. Une condition supplémentaire a été introduite, puisque la délivrance de l'agrément est aujourd'hui conditionnée au fait que "l'activité à l'origine des déficits ou des intérêts dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse pendant la période au titre de laquelle ces déficits et ces intérêts ont été constatés, de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, des moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité". Cette condition nouvelle a pour but de vérifier que le déficit n'a pas été volontairement créé par une modification de l'activité de la société, afin de pouvoir être transféré ultérieurement à une société bénéficiaire, pour lui permettre d'effacer une partie de son résultat imposable.

Dans la présente affaire, la société absorbée avait décidé d'arrêter son activité. Cette seule circonstance aurait empêché qu'une société absorbante établie en France puisse reprendre les pertes de l'absorbée également résidente en France (14). Par égalité de traitement, la situation aurait été identique si la société absorbée avait été étrangère.


(1) A ne pas confondre avec l'affaire "A Oy" du 19 juillet 2012 : CJUE, 19 juillet 2012, aff. C-48/11 (N° Lexbase : A0048IR9), JCP éd. E 2012, act. 508 ; Europe 2012, comm. 38, note M. Larché. Ni avec l'affaire "Oy AA" du 18 juillet 2012 : CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-231/05 (N° Lexbase : A4373DXA), Dr. fisc., 2007, n° 52, comm. 1092, note M.-Ch. Bergerès.
(2) CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03 (N° Lexbase : A9386DL9), Rec. CJCE, 2005, I, p. 10837, pt 35 ; Dr. fisc., 2005, n° 51, act. 260 ; Europe 2006, comm. 48, note F. Mariatte ; RJF, 2/2006, n° 227, concl. M.-L. Poiares Maduro ; Daniel Gutmann, La fiscalité française des groupes de sociétés à l'épreuve du droit communautaire. Réflexions sur l'affaire "Marks & Spencer" pendante devant la CJCE : Dr. fisc., 2004, n° 14, étude 15.
(3) Dans un sens similaire : D. Berlin, Fiscalités nationales et libertés de circulation communautaires : propos provocateurs, Petites Affiches, 11 décembre 2008, n° 248, p. 7.
(4) E. Ginter, note sous "Marks & Spencer", Bull. Joly Sociétés, 2006 ; n° 3, p. 352.
(5) Voir les recommandations de la Commission européenne (communication de la Commission des communautés européennes au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen du 19 décembre 2006 : Doc COM (2006) 824, final, sur le traitement fiscal des pertes dans les situations transfrontalières).
(6) Par exemple, CJCE, 15 mai 2008, aff. C-414/06 (N° Lexbase : A4992D8E), note M.-Ch. Bergerès ; CJUE, 6 septembre 2012, aff. C-18/11 (N° Lexbase : A3078ISS), Dr. fisc., 2012, n° 37, act. 362.
(7) CJCE, 15 mai 2008, aff. C-414/06, précité.
(8) CJUE, 25 février 2010 aff. C-337/08 (N° Lexbase : A2536ESQ), dans le même sens, déjà, CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-470/04 (N° Lexbase : A9487DQG), Rec. p. I-7409, point 42.
(9) Voir conclusions du 19 avril 2012, dans l'affaire "Philips Electronics" (CJUE, aff. C-18/11, précité, points 50 et suiv.).
(10) Directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 (N° Lexbase : L9353IE7), concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre, refondant la Directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents (N° Lexbase : L7670AUM).
(11) Point n° 49.
(12) P. Oudenot, Fiscalité des groupes et des restructurations, LexisNexis, 2011, n° 1307, p. 481.
(13) La reprise d'une activité dépend cependant de nombreux paramètres que la société ne contrôle pas (existence d'un marché, capacité de financement, etc.).
(14) On rappellera toutefois que les petites et moyennes entreprises sont autorisées à imputer temporairement sur leurs résultats imposables les déficits subis par leurs succursales ou filiales implantées à l'étranger en vertu de l'article 209 C du CGI (N° Lexbase : L1116IE3).

Les opinions exprimées dans l'article sont les opinions personnelles des auteurs et ne sauraient en aucun cas engager leur employeur.

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Institutions

[Le point sur...] Le statut du chef de l'Etat

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

Le 01 Mai 2013

Les interrogations, voire les atermoiements sur le statut du chef de l'Etat en France, sont, depuis les débuts de la Vème République, le signe d'une spécificité quasi inédite dans l'histoire institutionnelle française. Plus, le chef de l'Etat français présente aussi une spécificité au sein de l'Union européenne. Certes, il est loin d'être le seul chef d'Etat élu au suffrage universel direct, car quinze autres pays de l'Union européenne ont, à ce jour, adopté ce système. Mais il est le seul, avec le président chypriote, à être le véritable leader de l'exécutif, là où partout ailleurs c'est le chef du Gouvernement qui exerce cette fonction. Preuve de ce particularisme, les deux Présidents français et chypriote sont les seuls chefs d'Etat à siéger au Conseil européen qui réunit les "chefs d'Etat et de Gouvernement" : vingt-cinq chefs de Gouvernement, bientôt vingt-six, pour deux chefs d'Etat. La situation reste, d'ailleurs, la même dans l'hypothèse d'une cohabitation, où le Gouvernement a seul le soutien de l'assemblée parlementaire, même si, dans cette hypothèse, des aménagements collaboratifs sont organisés. Mais c'est bien là, sans doute, la raison des discussions autour du statut du chef de l'Etat : son statut ne coïnciderait pas vraiment avec ses pouvoirs. Parce qu'il dispose de pouvoirs importants, le chef de l'Etat en France devrait avoir un statut qui le mette dans une situation de responsabilité dans l'exercice de ses pouvoirs. Car, du point de vue des fonctions politiques, le chef de l'Etat dispose de prérogatives essentielles. Elles sont repérables à travers la distinction posée par l'article 19 de la Constitution française (N° Lexbase : L0845AHR), entre les actes soumis au contreseing ministériel et ceux dispensés de cette formalité, qui, justement, n'en n'est pas une. En contresignant un acte du chef de l'Etat, le Premier ministre et les ministres responsables, le cas échéant, endossent la responsabilité de cet acte, responsabilité qui s'exerce ensuite devant la représentation nationale en vertu des articles 49 (N° Lexbase : L0867AHW) et 50 (N° Lexbase : L0877AHX) de la Constitution. C'est ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres et que signe le Président de la République sur le fondement de l'article 13 de la Constitution (N° Lexbase : L0839AHK), sont contresignés par le Premier ministre et les ministres responsables. Ces décrets, comme d'ailleurs les projets de loi du Gouvernement qui sont délibérés en Conseil des ministres, ou les ordonnances prises sur la base d'une habilitation parlementaire, elles aussi signées par le Président de la République en vertu du même article 13, constituent une modalité essentielle de la politique conduite par l'exécutif que le Parlement est porté à contrôler et à évaluer, jusqu'à la mettre en cause en renversant le Gouvernement.

Que le chef de l'Etat soit, lui, irresponsable des actes qu'il signe pourtant, ne devrait donc pas constituer une véritable difficulté, dès lors que les auteurs du contreseing peuvent en être tenus responsables : s'ensuivrait en quelque sorte logiquement, une possibilité pour le Premier ministre et les ministres de ne pas apposer leur contreseing sur les actes présidentiels. Mais cela apparaît évidemment plus problématique dès lors que, en période "normale", c'est-à-dire quand le chef de l'Etat est le chef de la majorité parlementaire, la discipline ministérielle entraîne une obligation politique de contresigner. Et que dire des actes qui, eux, sont dispensés de contreseing ? Dans cette hypothèse, il y a exercice d'un pouvoir sans la contrepartie "démocratique" de cet exercice, à savoir la responsabilité. Et ces pouvoirs ne sont pas inoffensifs, notamment pour la démocratie ; ils peuvent même être déterminants : recours direct, sans passer par le Parlement, au référendum législatif (ou constitutionnel comme l'a illustré la pratique gaullienne), dissolution de l'Assemblée nationale, exercice du droit de grâce, nomination de trois membres du Conseil constitutionnel, saisine du Conseil constitutionnel, et enfin, last but not least, décision de faire usage de pouvoirs "exceptionnels", dans une situation déterminée par lui seul. Ces pouvoirs apparaissent de toute évidence exorbitants et, nonobstant, ne le conduisent à "rendre des comptes" politiques que s'il décide de briguer un nouveau mandat présidentiel. On comprend évidemment le hiatus existant entre les pouvoirs présidentiels et son irresponsabilité pourtant corrélative.

Ce hiatus se trouve renforcé par les positions institutionnelles conférées par la fonction présidentielle. Le chef de l'Etat n'exerce pas seulement des pouvoirs exorbitants, il intervient aussi, de manière plus ou moins décisive, dans l'exercice des pouvoirs et fonctions d'autres institutions ou organes constitués. Ainsi, le chef de l'Etat est-il, pendant l'exercice de son mandat, le chef des armées, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et, à ce titre, "assisté" par le Conseil supérieur de la magistrature, et, enfin, il nomme aux plus hautes fonctions et organes de l'Etat : nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement certes, mais aussi nomination de trois membres du Conseil constitutionnel, de membres du Conseil supérieur de la magistrature et de bien d'autres autorités administrativo-politiques, nomination des hauts fonctionnaires, magistrats et administrateurs. Des réformes ont permis au Parlement d'être impliqué dans certaines de ces nominations (Conseil constitutionnel par exemple), ce qui est une bonne chose, mais qui ne nuance qu'assez modérément le statut ainsi conféré au chef de l'Etat. Il faut ajouter à cela l'incompréhensible maintien jusqu'à aujourd'hui du "droit" pour un ancien Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel, qui porte actuellement le nombre de membres à douze (au lieu de neuf), même si les trois anciens chefs d'Etat aujourd'hui concernés ne siègent qu'occasionnellement.

On relève, à ce propos, que, jusqu'à la cessation des fonctions du Président Jacques Chirac, on avait coutume d'entendre que cette règle constitutionnelle qui faisait d'un ancien Président de la République française un membre de droit du Conseil constitutionnel, était coutumièrement tombée en désuétude, par son non usage par ceux qui auraient pu en faire usage (ceux n'étant pas empêchés par la maladie ou, a fortiori, le décès). C'est la preuve que le maintien de l'inscription d'une règle dans un texte maintient en même temps la possibilité d'en faire usage à tout moment, dès lors qu'il n'existe pas d'autorité compétente pour affirmer le contraire et sanctionner le comportement déviant. En bref, compte tenu de ces éléments, il apparaît particulièrement légitime de continuer à s'interroger sur le statut du chef de l'Etat, pas très en adéquation avec les règles d'un régime démocratique contemporain. A cela s'ajoute encore le fait que, même pour des comportements qui ne sont pas liés à l'exercice de la fonction présidentielle, les règles ne sont, à ce jour, pas encore parfaitement établies, et paraissent avoir trop souvent fait du chef de l'Etat une personne véritablement privilégiée. Si donc, en France, on semble plutôt s'accorder sur l'idée qu'il est nécessaire d'instaurer un régime de responsabilité plus clair et en conformité avec les exigences minimales de la démocratie, toutefois, pour ne pas céder à la tentation de l'ordinarité ou de la normalité absolue de la fonction, qui est précisément unique dans le pays, on considère aussi que le chef de l'Etat, incarnation de l'unité nationale, doit pouvoir bénéficier d'une protection spéciale pour ne pas être entravé dans l'exercice de ses fonctions. C'est le fondement même du particularisme de son statut.

Depuis de nombreuses années, les politiques hésitent donc entre responsabilité et irresponsabilité, entre lui conférer le statut d'un citoyen ordinaire et nier cette qualité. En bref, et à ce jour, la présidence "normale" reste tout de même en dehors de la norme, mais dans le cadre d'un mouvement tendant à la normalisation. Il en résulte une dualité de statut, mais dont les éléments sont loin d'être parfaitement clairs et homogènes, à tel point que c'est souvent le terme de schizophrénie auquel on recourt pour décrire le statut du chef de l'Etat. Selon les hypothèses, il se détermine en considérant la fonction seulement, indépendamment de la personne qui l'exerce (I), ou si c'est en considérant la personne physique citoyenne, ce n'est jamais indépendamment de la fonction présidentielle (II).

I - Le statut du chef de l'Etat comme autorité constituée

Le chef de l'Etat est non seulement la plus haute autorité de l'Etat, mais, comme il est dit partout depuis 1958, la "pierre angulaire" du système politique français, c'est-à-dire du système démocratique en vigueur en France. Les conditions de son statut politique et leurs évolutions s'apprécient, en conséquence, toutes au regard de la manière dont la démocratie est ainsi conçue. L'enjeu est de mettre en adéquation les modalités juridiques du statut du chef de l'Etat avec la conception idoine de la démocratie, tant du point de vue de son statut électif (1), que du point de vue de sa responsabilité comme chef de l'Etat, au plan politique comme au plan pénal (l'hypothèse d'une responsabilité civile de la fonction présidentielle étant exclue par celle de l'existence de la responsabilité administrative) (2).

1 - La lente construction d'un statut électif démocratique du chef de l'Etat

a) La candidature et le mandat présidentiel : entre conception politique et effort de démocratisation

Il n'est pas possible de dégager une doctrine "claire" du statut électif du chef de l'Etat. Sa conception politique ne paraît pas toujours an adéquation avec les règles effectivement établies pour son élection, qui en font indéniablement une élection partisane. Le statut initial du chef de l'Etat fut conçu à partir de la doctrine selon laquelle il devait être "au-dessus des partis" et donc détaché des structures politiques faisant naturellement la part belle à ceux-ci, à savoir le Parlement : son mandat était donc distinct, sept ans, contre cinq pour les députés et neuf pour les sénateurs. Pourtant, il était élu par un collège composé d'élus nationaux et locaux (environ 80 000 électeurs), impliquant presque structurellement un lien partisan. Son élection au suffrage universel direct à partir de 1965 a permis de distendre un peu ce lien partisan, quoique la condition pour être candidat à l'élection présidentielle dépende toujours en partie des élus puisque le système de parrainages instauré, et en vigueur aujourd'hui, implique qu'il doive obtenir auparavant l'assentiment de cinq cent élus, issus d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer différents sans que plus d'un dixième de ces élus proviennent du même département ou de la même collectivité d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel vérifie la validité des candidatures.

L'élection du chef de l'Etat au suffrage universel a aussi et simultanément créé les conditions d'une bipolarisation de la vie politique autour des grands partis susceptibles de procurer à la France un personnage présidentiable. Le Président "de tous les français" est, ainsi, surtout celui qui réussit à s'imposer comme présidentiable au plus haut niveau de l'un des deux grands partis politiques français. La réforme de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et la mise en coïncidence des deux calendriers électoraux, présidentiels et législatifs, a accentué, à partir de 2002, le caractère partisan de la fonction, par la proximité qu'il entretient désormais bien plus avec les parlementaires. En bref, sans parler de l'exercice postérieur du pouvoir par le chef de l'Etat élu, les conditions politiques de l'élection présidentielle créent une "ambiance" sensiblement préjudiciable au lien que le Président de la République pourrait entretenir avec l'ensemble des électeurs. Le système des parrainages, par exemple, est mis en accusation depuis de nombreuses élections déjà. C'est ainsi que la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dite "Commission Jospin", à l'automne 2012, a proposé que les parrainages soient désormais "citoyens", avec un seuil minimum de 150 000, issus d'au moins cinquante départements (ou collectivités d'outre-mer) sans qu'un département ou une collectivité ne puisse représenter plus de 5 % des parrainages (c'est-à-dire pas plus de 7 500 signatures sur 150 000).

Ces nouvelles règles, si elles étaient effectivement adoptées, participeraient d'une démarche de démocratisation de la fonction (il peut désormais être candidat à partir de l'âge de dix-huit ans et ne peut briguer plus de deux mandats successifs), qui doivent être lues en combinaisons avec les règles relatives à l'organisation et au contrôle de l'élection présidentielle.

b) L'organisation et le contrôle de l'élection présidentielle : une déontologie affichée pour une pratique ambiguë

Il existe des règles relativement détaillées sur l'obligation de respect du pluralisme, tant au niveau de la campagne que des modalités du scrutin, qui sont pour l'essentiel mises en oeuvre par les autorités publiques (par exemple les règles sur l'impression, la distribution et la disposition des bulletins de vote), ou par les autorités privées (par exemple les règles sur le temps de parole dans les médias). Si des irrégularités dans les votes ou des manoeuvres particulières des candidats avant le scrutin sont susceptibles d'entraîner l'annulation du scrutin présidentiel par le Conseil constitutionnel, dans la mesure où ces irrégularités ou ces manoeuvres auraient été déterminantes, les règles sur les conditions du financement des candidats sont celles qui, bien qu'a priori non susceptibles d'entraîner l'invalidation du scrutin, ont suscité le plus de débats et d'évolution ces dernières années. Elles ont évolué vers le sens d'une limitation des dons privés (et de leur forme aussi), vers un accroissement du financement public, sous conditions, et bien sûr au plafonnement des dépenses de campagne.

L'ensemble de ces règles implique que chaque candidat à la fonction présidentielle a l'obligation de tenir un compte de campagne, géré par un mandataire. Le compte doit, par la suite, être déposé devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), au plus tard le neuvième vendredi suivant le second tour de scrutin, qui vérifiera les comptes, un appel étant ensuite possible devant le Conseil constitutionnel. Les conséquences de ce contrôle peuvent être de plusieurs ordres : d'une manière générale, la non-validation des comptes entraîne le non-remboursement légal des dépenses. Celui-ci est prévu pour tous les candidats selon des modalités distinctes, selon qu'ils sont présents ou non au deuxième tour, et selon que, pour les candidats présents seulement au premier tour, ils ont obtenu plus ou moins 5 % des suffrages exprimés. Le taux de remboursement est fixé par référence au plafond par ailleurs instauré pour les dépenses. Un candidat du premier tour de l'élection présidentielle de 1995 (Jacques Cheminade) a vu ses comptes non validés, sanction qui a entraîné le non remboursement de ses dépenses. Actuellement, le Conseil constitutionnel examine l'appel formé par Nicolas Sarkozy contre la décision de la CNCCFP d'invalider ses comptes pour la campagne de 2012. Sont en jeu près de onze millions d'euros, qui pourraient ne pas être reversés à l'UMP, parti du candidat perdant. Il est difficile de prédire la décision du Conseil constitutionnel, mais le précédent de 1995 et les révélations postérieures sur les choix opérés à cette époque par le Conseil pour ne pas entacher de soupçon le déroulement du scrutin illustrent qu'il est bien difficile d'appliquer les règles sans perturber la vie démocratique. Entre l'un et l'autre, les juges choisissent souvent la deuxième solution, celle d'une paix, mais toujours provisoire.

2 - Entre irresponsabilité et quasi irresponsabilité de la fonction présidentielle

L'exercice de la fonction présidentielle depuis 1958 ne laisse aucun doute sur les pouvoirs du chef de l'Etat. La cohabitation n'a pas amoindri ses pouvoirs et on a même parlé ces dernières années d'hyperprésidence. La question de sa responsabilité politique semble pourtant être vainement posée depuis les débuts de la Vème République. Politiquement, seul le Gouvernement est responsable, et c'est lui qui a été sanctionné en 1962 lorsque le général de Gaulle a décidé de se passer de l'accord du Parlement pour proposer la révision de la Constitution sur le mode d'élection du chef de l'Etat en recourant directement à l'article 11 de la Constitution (N° Lexbase : L0837AHH) qui lui permet d'organiser un référendum. On a bien pu arguer de la responsabilité du chef de l'Etat devant les électeurs lorsqu'il brigue un nouveau mandat, mais celle-ci apparaît bien maigre, surtout depuis que le nombre de mandats successifs est fixé à deux. Le problème démocratique posé par l'irresponsabilité politique a entraîné, toutefois, des changements dans le statut pénal du chef de l'Etat, dont on pouvait définitivement accepter qu'il lui confère une totale inviolabilité. Auparavant seulement responsable pour une infraction mal définie, la "haute trahison", il était jugé par la Haute Cour de justice constituée de parlementaires, la procédure étant virtuellement très longue.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2007 (loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007, portant modification du titre IX de la Constitution N° Lexbase : L4654HUW), qui a réécrit les articles 67 (N° Lexbase : L0896AHN) et 68 (N° Lexbase : L0897AHP) de la Constitution, il peut être "destitué" par la Haute Cour, nouvelle formation remplaçant la Haute Cour de justice, cette fois constituée de l'intégralité des parlementaires (l'article 68 précise que le Parlement se constitue en Haute Cour). Cette nouvelle procédure de destitution est applicable en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". C'est la seule hypothèse de responsabilité du chef de l'Etat envisagée par la Constitution, avec, toutefois, l'article 53-2 (N° Lexbase : L0882AH7), qui permet à la République française de "reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale". La réforme du statut du chef de l'Etat en 2007 vise, avec le remplacement de la haute trahison par celle de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions", et avec la simplification considérable de la procédure, à rendre possible la mise en oeuvre de la responsabilité pénale du chef de l'Etat pour les actes accomplis dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, hypothèse qui avait toujours paru pratiquement impossible jusqu'alors. Si la notion de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" n'est pas plus définie que l'ancien chef d'infraction que constituait la haute trahison, elle paraît plus en relation avec la problématique contemporaine et semble aussi laisser une plus grande latitude aux parlementaires. Mais du coup, d'une responsabilité sans conteste pénale à l'origine, elle pourrait être désormais considérée comme politique car ne reposant plus sur une infraction proprement dite. Au surplus, la procédure, qui est désormais enfermée dans des courts délais, sans actes particuliers autres que la proposition de réunion de la Haute Cour et la décision de destitution prises à la majorité des deux tiers des membres de l'assemblée ou de la Haute Cour, pourrait plaider en faveur d'une simplicité de sa mise oeuvre et permettre, ainsi, au Parlement d'y recourir plus aisément. Mais il semble que nous soyons loin d'en être à ce stade et le phénomène majoritaire semble devoir en limiter fortement la portée.

II - Le statut du chef de l'Etat comme personne privée

S'il ne fait aucun doute que la personnalité élue au suffrage universel pour exercer la fonction présidentielle est bien une personne physique comme les autres, un "sujet de droit", le régime juridique qui s'applique à lui cesse d'être comme les autres à compter de son élection. D'ailleurs, les différents titulaires de la fonction présidentielle se sont généralement tenus à distance du système judiciaire. Leur statut comme personne privée étant alors assez incertain, on estimait plutôt que la question ne se posait pas vraiment, faute, effectivement, de l'existence d'un contentieux. L'avant-dernier titulaire de la fonction a, toutefois, donné des occasions assez nombreuses de préciser le statut du chef de l'Etat.

Il ne peut participer à des instances civiles ou pénales que dans certaines conditions, qui sont directement déterminées comme la conséquence de sa fonction. Pour les faits impliquant le chef de l'Etat, que ces faits soient antérieurs ou concomitants à l'exercice de la fonction présidentielle, il bénéficie d'un régime particulier, construit au fil des affaires soumises à la justice depuis surtout la fin des années 1990. En tout état de cause, et malgré une volonté parfois affichée de faire du chef de l'Etat un citoyen "ordinaire", son traitement dans les différentes instances judiciaires, civiles ou pénales, ne paraît pas, pour l'heure, susceptible d'être aligné sur celui des simples particuliers. Pendant l'exercice de son mandat, il faut distinguer selon la circonstance que le chef de l'Etat prend lui-même l'initiative d'une action judiciaire (1), ou qu'il a, au contraire, le statut de défendeur à l'instance (2).

1 - L'admissibilité des initiatives judiciaires du chef de l'Etat et l'inapplication subséquente de la totalité du statut de partie au procès

Signalons, d'abord, qu'il existe encore aujourd'hui une infraction spécifique d'"offense au chef de l'Etat" institué par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). Auparavant passible de prison, le fait d'offenser le chef de l'Etat n'est plus sanctionné aujourd'hui que par une amende de 45 000 euros depuis l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 (N° Lexbase : L0609ATQ). Une récente affaire a permis à la Cour européenne des droits de l'Homme de se prononcer sur cette infraction (1), qu'elle ne semble pas avoir remise en cause, même si elle a condamné la France pour atteinte à la liberté d'expression. Mais la France s'apprête tout de même à renoncer à cette infraction. A l'occasion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, l'abrogation de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 a été proposée, puis a été adoptée le 27 mars 2013 par la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Il est assez probable que l'abrogation soit effectivement et définitivement adoptée par le Parlement dans les semaines qui viennent, qui fera du titulaire de la fonction présidentielle un individu soumis au droit commun de l'injure et de la diffamation. Il pourra donc, en principe, toujours défendre son honneur par l'invocation du délit d'injure publique, puni de 12 000 euros ou même de l'outrage, puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, lorsqu'il est fait à l'égard d'une personne dépositaire de l'autorité publique (C. pén., art. 433-5 N° Lexbase : L1857AMQ).

Indépendamment des affaires impliquant le statut présidentiel lui-même, c'est surtout la "vie privée" du chef de l'Etat qui a provoqué un contentieux substantiel depuis plusieurs années. Pendant l'exercice de son mandat, Nicolas Sarkozy a intenté sept actions civiles et pénales, pour s'opposer à la diffusion d'une publicité usant de son image (et de celle de sa compagne), pour obtenir le retrait d'un produit le représentant (poupée vaudou), pour obtenir la condamnation d'un journaliste qui avait publié un SMS pour faux, usage de faux et recel ou encore pour interdire la confection de tee-shirts où figurait son nom accompagné du commentaire "zéro tolérance". Ces différentes affaires ont permis de déterminer que, pendant l'exercice de son mandat, le chef de l'Etat pouvait, d'une part, se constituer partie civile dans un procès pénal et, d'autre part, entamer une action civile, y compris une procédure de divorce, dès lors que celle-ci n'implique aucune des parties, c'est-à-dire en réalité le chef de l'Etat- en reposant sur le consentement mutuel.

Cette possibilité que le Président de la République soit partie à un procès, dès lors qu'il est une partie demanderesse, a soulevé beaucoup de discussions et d'arguments à propos de son statut de partie "ordinaire". En effet, plusieurs éléments sont susceptibles de venir troubler le déroulement normal d'un procès, puisque il n'est pas étranger à la constitution du corps judiciaire, par son rôle de garant de l'autorité judiciaire, de participation au Conseil supérieur de la magistrature et de nomination des plus hauts magistrats. Son lien avec la magistrature pourrait faire du chef de l'Etat une partie, en quelque sorte, et par nature faire obstacle au principe d'impartialité et d'indépendance du tribunal, garantie nécessaire au déroulement d'un procès équitable. Par ailleurs, ces liens, et parce qu'aussi le Président de la République est inattaquable devant un tribunal ordinaire (2), interrogent sur le principe de l'égalité des armes au procès. Des arguments furent soulevés en ce sens dans le cadre des poursuites engagées pour escroquerie en bande organisée auxquelles s'est associé Nicolas Sarkozy pour usurpation de son identité bancaire.

Dans un premier temps, le tribunal correctionnel de Nanterre, par un jugement rendu le 29 octobre 2009, choisit de surseoir à statuer sur la demande dommages-intérêts du chef de l'Etat, "jusqu'à l'expiration du délai d'un mois après la cessation de ses fonctions", car "le lien entre le Président de la République et les magistrats peut laisser croire aux justiciables qu'ils ne bénéficieraient pas d'un tribunal indépendant et impartial". Mais dans un second temps, le 8 janvier 2010, la cour d'appel de Versailles a infirmé ce jugement (3). Dans le même temps, et à propos de l'affaire "Clearstream", le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement rendu le 28 janvier 2010, a considéré que, si le chef de l'Etat n'était pas un justiciable ordinaire, "le principe de l'égalité des armes doit s'apprécier in concreto dans une instance en cours". Le tribunal considère, en l'espèce, que "le déroulement des débats a montré l'effectivité de ce principe en ce que chacune des parties a été en mesure de librement présenter ses propres arguments et de combattre ceux qui lui étaient opposés". Le tribunal accepte, ainsi, la constitution de partie civile du chef de l'Etat, en indiquant, au passage, pour répondre à l'argument de la contrariété aux exigences du procès équitable posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qu'il ne lui appartient pas "d'apprécier l'inconventionnalité d'une norme constitutionnelle".

La Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a confirmé ce statut de demandeur du chef de l'Etat le 15 juin 2012 (4). D'abord, elle a considéré que "la nomination des juges par le Président de la République ne crée pas, en lui-même, un lien de dépendance à son égard dans la mesure où les juges demeurent protégés par leur inamovibilité et, de manière générale, ne peuvent pas faire l'objet de pression ou d'instruction diverses provenant de l'exécutif". A l'appui du principe d'égalité des armes, qui ne serait pas respecté en l'espèce, était invoquée l'inapplicabilité des articles 91 (N° Lexbase : L7165A47), 472 (N° Lexbase : L9928IQR) et 516 (N° Lexbase : L3908AZR) du Code de procédure pénale, donnant la possibilité à un prévenu d'engager une action en dommages et intérêts contre la partie civile lorsque celle-ci est abusive ou non justifiée. La Cour de cassation a considéré, que, dans les faits de l'espèce, les conditions nécessaires à l'ouverture de ces moyens d'action (décision de non-lieu ou de relaxe du prévenu et seulement lorsque c'est la partie civile qui est à l'origine de la mise en mouvement de l'action publique) manquaient en fait. D'autres moyens furent invoqués dans le même esprit, qui furent tous rejetés par la Cour sur le fondement d'une appréciation in concreto certes, mais relativement rapide et laconique, laissant tout de même demeurer une sensible insatisfaction sur la pertinence de ce déséquilibre entre le chef de l'Etat demandeur et le chef de l'Etat défendeur, dans la mesure où, dans une même instance, une partie peut être tour à tour l'un ou l'autre : car si son action est recevable, il est lui inviolable, et donc inattaquable tant que dure son (ou ses) mandat(s).

2 - L'inviolabilité du chef de l'Etat pendant la durée de son mandat

Lorsque des "affaires" mettant en cause un chef de l'Etat français en exercice ont commencé à être traitées par la justice à partir des années 1990, le statut du chef de l'Etat comme justiciable devant les juridictions ordinaires était assez incertain, mais semblait plutôt procurer à celui-ci une immunité absolue. Quelques tempéraments ont été formulés depuis, même si c'est la notion d'immunité qui reste prégnante. Pour les actes relevant de l'exercice de ses fonctions, il bénéficie d'une immunité absolue devant les juridictions de droit commun, et d'un "privilège" de juridiction puisque seul le Parlement réuni en Haute Cour pourrait prononcer sa destitution. Il résulte donc de la jurisprudence et de la Constitution que, pendant son mandat, le chef de l'Etat ne saurait être convoqué par un juge d'instruction, ni même être convoqué comme témoin dans une affaire pénale. Mais, pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions, qu'ils soient accomplis postérieurement ou concomitamment à celui-ci, l'immunité dont il bénéficie, inscrite à l'article 67, alinéa 2, de la Constitution, est temporaire puisqu'elle ne dure que le temps de son mandat, pour cesser aussitôt après son terme. Grâce à un arrêt du 10 octobre 2001 rendu par la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière (5) (à la demande d'un militant associatif demandant à ce que Jacques Chirac, président alors en exercice, soit entendu comme témoin dans le cadre de l'instruction sur l'affaire dite de "l'imprimerie de la ville de Paris"), dont la solution a finalement été inscrite dans la Constitution par la réforme de 2007, l'immunité temporaire ne ressortit plus ses effets négatifs puisque le délai de prescription applicable aux faits en cause est interrompu le temps de la durée du mandat présidentiel. L'exercice de la fonction présidentielle n'est donc pas susceptible de permettre à son titulaire d'échapper définitivement au système judiciaire, dès lors que l'immunité temporaire n'emporte pas comme conséquence une immunité définitive et donc absolue.

Mais, comme l'a relevé le rapport "Jospin" remis le 7 novembre 2012, "l'impossibilité absolue, pour les demandeurs potentiels, de faire entendre leur cause devant un tribunal civil pendant une période de cinq ans, voire de dix ans en cas de second mandat, pose un grave problème, en particulier dans l'hypothèse d'actions relevant de l'état des personnes et du droit de la famille (divorce, filiation, autorité parentale...). Et l'idée suivant laquelle leurs droits et intérêts seraient sauvegardés par le mécanisme de suspension des délais de prescription et de forclusion reste largement théorique". La Commission juge, ainsi, que "l'extension de l'inviolabilité au champ des actions civiles est tout à la fois contestable dans son principe, disproportionnée par rapport au but poursuivi et choquante du point de vue de ses conséquences". La Commission a, également, considéré qu'en matière pénale, les règles actuellement en vigueur "empêchent que le Président de la République soit poursuivi et jugé dans un délai raisonnable pour des crimes ou des délits qu'il aurait commis avant son élection ou au cours de son mandat". Ces règles, souligne encore la Commission, parce qu'elles empêchent aussi qu'il fasse l'objet, pendant son mandat, "de tout acte d'enquête ou d'information préalable au renvoi au jugement", ont été particulièrement critiquées. "Au-delà du risque d'atteinte au principe du droit à être juge dans un délai raisonnable, dont la Cour européenne des droits de l'Homme rappelle qu'il trouve à s'appliquer, en matière pénale, à l'auteur de l'infraction comme à la victime, c'est l'effectivité même de la répression qui a été mis en doute". A partir de l'ensemble de ces constatations, la Commission a, ainsi, formulé deux propositions remettant en cause le principe de l'inviolabilité du chef de l'Etat pour les actes qui n'ont pas été accomplis en sa qualité de chef de l'Etat

En attendant, et comme l'a relevé le tribunal de grande instance de Paris, par son jugement du 28 janvier 2010, "l'immunité dont bénéficie le chef de l'Etat en vertu des dispositions de l'article 67 de la Constitution peut être de nature à créer un déséquilibre entre les parties à un procès pénal, en ce que son statut le protège de toute attaque judiciaire sans pour autant lui interdire d'agir comme justiciable ordinaire". Quand bien même l'égalité des armes s'apprécie in concreto, il paraît à peu près évident que la dualité judiciaire du chef de l'Etat manque aux objectifs de modernisation et de moralisation de la vie politique française, qui certes ne se limite pas au droit, mais dont le droit constitue une donnée incontournable.


(1) CEDH, 14 mars 2013, Req. 26118/10 (N° Lexbase : A6606I9K) ; lire "Casse toi, pov'con" : le délit d'offense au Président de la République méconnaît la liberté d'expression - Questions à Dominique Noguères, avocate au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 282 du 27 mars 2013 - édition publique (N° Lexbase : N6358BTN).
(2) Voir infra, point 2.
(3) CA Versailles, 9ème ch., 8 janvier 2010, n° 09/02791 (N° Lexbase : A6211EQ4).
(4) Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, P+B+R+I (N° Lexbase : A8936INB).
(5) Ass. plén., 10 octobre 2001, n° 01-84.922 (N° Lexbase : A1629AWA).

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Validité des clauses de rupture du contrat de travail pour changement de dirigeant social

Réf. : Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.841, FS-P+B (N° Lexbase : A0793KCD)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 01 Mai 2013

La liberté contractuelle des parties au contrat de travail à durée indéterminée les conduit parfois à insérer dans le contrat des clauses pour le moins originales. Il en va ainsi de la clause contractuelle qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction. Dans un arrêt en date du 26 janvier 2011, la Cour de cassation avait, pour la première fois, admis la licéité d'une telle clause, dès lors qu'elle est justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fait pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties. Reprenant, à l'identique, cette solution dans une décision rendue le 10 avril 2013, la Chambre sociale vient préciser et compléter les conditions de validité de cette bien curieuse hypothèse de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié.
Résumé

La clause contractuelle, qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction, est licite dès lors qu'elle est justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fait pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties.

Il résulte de la combinaison des articles L. 225-79-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9222HZL) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) que n'est pas soumise à la procédure spéciale d'autorisation des conventions conclues entre une société et l'un des membres du directoire, la clause prévoyant une indemnité de départ, contenue dans un contrat de travail conclu régulièrement et sans fraude à une date à laquelle le bénéficiaire n'était pas encore mandataire social.

I - Une prise d'acte originale

La stipulation. Il est désormais bien connu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, celle-ci produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient (1), soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission. Il est toutefois un cas, certes beaucoup plus rare, dans lequel la prise d'acte peut produire des effets qui ne sont ni ceux de la démission, ni ceux du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Plus précisément, la prise d'acte peut, lorsqu'une clause insérée dans le contrat le prévoit expressément, produire les effets d'un licenciement dont les conséquences sont déterminées par la clause elle-même. Une telle stipulation, qui avait déjà donné lieu à une première prise de position de la Cour de cassation dans un important arrêt en date du 26 janvier 2011 (2), était à nouveau au coeur de l'affaire ayant conduit à la décision rapportée.

En l'espèce, M. X avait été engagé, le 1er septembre 2005, par la société A., en qualité de directeur Europe du Sud et Amérique. L'article 13 de son contrat de travail stipulait que "dans les cas où, au cours des vingt-quatre mois suivant la date d'effet, le président du directoire viendrait à quitter la société, ou un changement de contrôle portant sur plus de 33 % du capital de la société viendrait à survenir, le salarié pourra quitter la société et obtenir une indemnité équivalente au double de la rémunération totale perçue au cours des douze mois précédant le fait générateur". Le 8 juin 2006, M. X a été nommé membre du directoire de la société. A la suite de la démission, le 22 septembre 2006, de M. Y, président du directoire et de son remplacement par M. Z, le salarié a, par courrier du 10 novembre 2006, invoquant les stipulations de son contrat de travail, démissionné. Il a alors saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de l'indemnité prévue par l'article 13 de son contrat.

L'arrêt attaqué ayant fait droit à la demande du salarié, la société employeur a formé un pourvoi en cassation auquel, très certainement, le montant important de l'indemnité à verser au salarié n'est pas étranger.

La contestation. Le pourvoi de la société employeur était articulé autour de deux moyens. Au terme du premier, il était soutenu qu'une obligation dépourvue de cause ne peut avoir aucun effet. Est dépourvue de cause l'obligation de payer au salarié une indemnité contractuelle de rupture dite "golden parachute", qui trouve son fait générateur dans la seule décision d'un tiers au contrat de travail ou de circonstances extérieures à ce contrat, parmi lesquelles, notamment le départ du président du directoire de la société employeur ou un changement de contrôle portant sur un pourcentage déterminé du capital de la société. La clause permettant au salarié de rompre dans ces circonstances son contrat de travail et de bénéficier du versement d'une indemnité dite "golden parachute" ne trouve sa contrepartie ni dans le salaire versé, ni dans l'indemnisation d'un préjudice. En l'absence de toute contrepartie, l'obligation de l'employeur est privée de cause.

Dans le second moyen, la société employeur reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande du salarié alors que, dans les sociétés cotées, les dispositions des contrats de travail des membres du directoire sont soumises au régime des conventions réglementées lorsqu'elles correspondent à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dues à raison de la cessation ou du changement de fonctions. L'indemnité contractuelle de départ prévue dans le contrat de travail d'un mandataire social, serait-ce antérieurement à sa nomination, est en conséquence soumise au régime des conventions réglementées. En décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 225-79-1 du Code de commerce.

Aucun de ces arguments n'aura trouvé grâce auprès de la Cour de cassation qui, rejetant le pourvoi, vient confirmer et préciser les conditions de validité de ce genre de stipulations.

II - Une prise d'acte strictement encadrée

Validité de la clause au regard du droit des contrats et du droit du travail. En réponse au premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation reprend, à l'identique, le motif de principe qui figurait dans l'arrêt précité du 26 janvier 2011. Selon la Chambre sociale, "la clause contractuelle, qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction, est licite dès lors qu'elle est justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fait pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties". Il résulte de cette affirmation, que la stipulation en cause est soumise, quant à sa validité, à deux conditions ; la première relevant du droit du travail, la seconde du droit commun des contrats.

En premier lieu, la clause "ne doit pas faire échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties". On peut voir là une application de l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G) selon lequel "l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le Titre consacré à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée" (3). Il est également permis de considérer qu'il s'agit d'une conséquence de la règle énoncée à l'article L. 1231-1, selon lequel "le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié [...]" ; qui n'est elle-même que la conséquence de la prohibition des engagements perpétuels. Toujours est-il que la clause ne doit pas faire obstacle à la possibilité, pour l'une ou l'autre des parties, de rompre le contrat de travail (4).

En second lieu, la clause "doit être justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise". Au lendemain de l'arrêt du 26 juin 2011, dont on a rappelé qu'il énonce la même condition, il n'était pas évident de comprendre la justification de cette exigence. En effet, il n'était pas illégitime de considérer qu'une telle clause pouvait parfaitement être stipulée au bénéfice d'un salarié occupant des fonctions tout à fait subalternes. La décision sous examen permet toutefois de saisir tout le sens et la nécessité de cette condition. En effet, ainsi que le précise la Cour de cassation, "ayant constaté que la clause litigieuse avait été convenue en raison des avantages que la société A. tirait du recrutement de ce salarié et de l'importance des fonctions qui lui avaient été attribuées, la cour d'appel en a déduit à bon droit, que l'obligation de l'employeur avait une cause".

On comprend ainsi que les fonctions du salarié ont à voir avec la cause de l'obligation souscrite par l'employeur. En réalité, celui-ci avait consenti à une double obligation. Tout d'abord, il avait accepté que le salarié puisse, dans certaines circonstances, prendre acte de la rupture de son contrat de travail, ladite rupture lui étant imputable. Ensuite, il s'était engagé, dans ce cas, à verser au salarié une indemnité de rupture conséquente, justement qualifiée dans son pourvoi de "golden parachute". Conformément au droit commun, ces obligations devaient être causées ; ce qui revenait à se poser la question suivante : pourquoi est-ce dû ? (5) Pour la Cour de cassation, la réponse était à rechercher dans les avantages tirés du recrutement du salarié et dans l'importance des fonctions attribuées. Pour le dire autrement, on peut penser que sans cette stipulation, le salarié n'aurait pas accepté d'entrer au service de cette société.

En allant au-delà de la solution retenue dans l'arrêt sous examen, on peut se demander si la société employeur n'aurait pas été en droit, sur le fondement de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), de demander au juge de réduire le montant de l'indemnité stipulée au contrat, en l'occurrence le double de la rémunération totale perçue au cours des douze mois précédant "le fait générateur", en raison de son caractère manifestement excessif. Il faut, en effet, rappeler que la Cour de cassation admet, de longue date, que l'indemnité contractuelle de licenciement peut être qualifiée de clause pénale (6). Cette qualification paraît cependant devoir être exclue en l'espèce. Outre le fait que n'est pas en cause une indemnité de licenciement, l'indemnité stipulée au contrat ne vient pas véritablement garantir l'exécution, par son débiteur, d'une obligation (7).

Il faut, en revanche, admettre que l'article 1152 du Code civil s'applique aux "parachutes dorés" stipulés dans les contrats de travail en cas de licenciement, qui doivent aussi, et à l'évidence, être causés. Cette situation se rencontre fréquemment en cas de cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social. Cela ne saurait toutefois entraîner une confusion entre les deux statuts juridiques, qui restent soumis à leur régime juridique propre. Par voie de conséquence, il nous semble critiquable que la validité du "parachute doré" et, par extension, du contrat de travail soit appréciée au regard de ses conséquences sur la libre révocabilité du mandataire social (8). Dès lors que l'on est en présence d'une indemnité contractuelle de licenciement, il convient uniquement de s'interroger sur sa cause, qui ne peut être décelée que dans le cadre de la relation de travail salariée, et sur le fait de savoir si, par son montant, elle ne remet pas en cause, purement et simplement, le droit de rupture unilatérale de l'employeur. Dans la négative, il y a encore place pour l'application du pouvoir de réduction du juge, conformément aux prescriptions de l'article 1152 du Code civil.

Validité de la clause au regard du droit des sociétés. Répondant au second moyen de cassation, la Cour de cassation énonce tout d'abord "qu'il résulte de la combinaison des articles L. 225-79-1 du Code de commerce et 1134 du Code civil que n'est pas soumise à la procédure spéciale d'autorisation des conventions conclues entre une société et l'un des membres du directoire, la clause prévoyant une indemnité de départ, contenue dans un contrat de travail conclu régulièrement et sans fraude à une date à laquelle le bénéficiaire n'était pas encore mandataire social". Elle relève ensuite "qu'ayant constaté que le contrat de travail contenant la clause contestée avait été conclu dix mois avant la désignation du salarié comme mandataire social, indépendamment de ce mandat et sans fraude, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la procédure d'autorisation ne lui était pas applicable et que cette clause devait recevoir application".

Cette solution doit être pleinement approuvée. L'article L. 225-79-1 du Code de commerce prévoit que dans les sociétés cotées, "en cas de nomination aux fonctions de membre du directoire d'une personne liée par un contrat de travail à la société [...], les dispositions dudit contrat correspondant, le cas échéant, à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, sont soumises au régime prévu par l'article L. 225-90-1 (N° Lexbase : L9223HZM)". Dans le champ défini par le texte qui vient d'être cité, trouve donc à s'appliquer la procédure dite "des conventions réglementées", qui exige principalement que la convention en cause soit préalablement autorisée par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance selon les cas (9).

Toutefois, et parce qu'il s'agit d'éviter que le dirigeant ne profite de sa situation pour se faire consentir par la société qu'il dirige des avantages indus, la convention conclue alors qu'il n'est pas encore dirigeant ne donne pas lieu à cette autorisation préalable (10). En revanche, le renouvellement de la convention ou sa modification postérieurement à la nomination en qualité de mandataire social exige le respect de la procédure des conventions réglementées. A titre d'exemple, quand un salarié devient administrateur, l'autorisation préalable est exigée lorsque les conditions du contrat de travail sont modifiées, notamment, du fait d'une augmentation de salaire (11), ou en raison de l'insertion dans le contrat de travail d'une clause similaire à celle qui était en cause en l'espèce (12).

Cette clause litigieuse avait été introduite dans le contrat de travail du salarié au moment de sa conclusion, dont la Cour de cassation prend soin de relever qu'elle était intervenue dix mois avant la désignation du salarié comme mandataire social. Cette précision est importante. En effet, le critère chronologique ne saurait être exagéré. A défaut, il suffirait de conclure la convention quelques minutes avant la nomination aux fonctions de mandataire social pour qu'elle soit valable. A notre sens, une telle pratique n'a pas pour effet de déclencher la procédure des conventions réglementées. Dans ce cas, il faut se demander si la pratique ne constitue pas une fraude à la loi. Cela rejoint la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, qui relève que le contrat de travail contenant la clause avait été conclu "indépendamment de ce mandat et sans fraude" (13).

Au final, il apparaît que la validité de la clause de rupture du contrat de travail en cas de changement de direction est soumise à une pluralité de conditions, issues du droit commun des contrats, du droit du travail et du droit des sociétés. Il faut, en outre, ajouter, bien que l'arrêt sous examen n'en fasse pas mention, que cette clause doit également être déterminée dans son objet (14) et qu'elle ne doit pas porter atteinte à la liberté d'entreprendre de l'employeur (15).


(1) Dans cette hypothèse, la prise d'acte peut aussi produire les effets d'un licenciement nul si le salarié bénéfice d'une protection renforcée contre le licenciement. Il en va notamment ainsi lorsque ce dernier est investi d'un mandat de représentant du personnel ou encore lorsque son contrat de travail est suspendu en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
(2) Cass. soc., 26 janvier 2011, n° 09-71.271, FS-P+B, sur le 1er moyen (N° Lexbase : A8543GQH), RDT, 2011, p. 175, note J. Pélissier. Adde, S. Béal et P. Klein, Validité de la clause de conscience en cas de changement de contrôle de la société, JCP éd. S, 2011, 1185.
(3) En ce sens, J. Pélissier, note préc., p. 175.
(4) Exigence expressément affirmée dans l'arrêt précité du 26 janvier 2011.
(5) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Précis Dalloz, 10ème édition, 2009, n° 332.
(6) V. par ex. en dernier lieu, Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-68.762, FS-P+B (N° Lexbase : A5241HUN), Bull. civ. V, n °160.
(7) Rappelons que l'alinéa 1er de l'article 1152 du Code civil dispose, à cet égard, que "lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre une somme plus forte, ni moindre".
(8) V. en ce sens, Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-42.061, publié (N° Lexbase : A0339AU4), Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 1107, note J.-Ph. Dom. Arrêt dans lequel la Cour de cassation approuve les juges d'appel d'avoir prononcé la nullité du contrat de travail qui comportait une indemnité de licenciement d'un montant tel qu'elle portait atteinte au principe de libre révocation des dirigeants.
(9) Sur cette procédure, v., par ex., M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 25ème édition, 2012, n° 626 et s..
(10) L'article L. 225-90-1 du Code de commerce est en ce sens, qui vise "les engagements au bénéfice d'un membre du directoire" et non les engagements au bénéfice d'un salarié devenu membre du directoire.
(11) En ce sens, M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, op. cit., n° 629.
(12) De même, il aurait fallu solliciter l'autorisation préalable du conseil de surveillance si le montant de l'indemnité due au salarié en application de la clause avait été majoré postérieurement à sa nomination en tant qu'administrateur.
(13) Remarquons que cette affirmation semble laisser entendre que l'application de la clause pourrait être écartée alors même qu'elle a été stipulée en l'absence de fraude, dès lors qu'elle est en rapport avec le mandat. Est-ce à dire que, dans ce cas, la clause devrait être soumise à autorisation préalable, contrairement à ce qui a été affirmé précédemment ? Cela serait en contradiction avec les textes qui n'exigent cette autorisation que pour les conventions conclues avec un mandataire social en place.
(14) V. en ce sens, l'arrêt précédent du 26 janvier 2011, dans lequel il est relevé que "la clause litigieuse avait un objet déterminé en ce qu'elle définissait avec précision les événements pouvant être invoqués par la salariée comme étant la cause de la rupture de son contrat de travail". Si la Cour de cassation fonde visiblement la solution sur la nécessité que l'objet de l'obligation soit déterminé, c'est la potestativité de la stipulation qui aurait pu être discutée.
(15) V. encore en ce sens, l'arrêt précédent du 26 janvier 2011, où il est précisé que "le montant de l'indemnité contractuelle due à la salariée n'était pas, au regard de la capacité financière de la société, de nature à empêcher toute évolution de l'actionnariat ou tout changement de stratégie ou de direction".

Décision

Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.841, FS-P+B (N° Lexbase : A0793KCD)

Rejet, CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 6 septembre 2011

Textes concernés : C. civ., art. 1108 (N° Lexbase : L1014AB8), 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), C. com., art. L. 225-79-1 (N° Lexbase : L9222HZL)

Mots-clés : contrat de travail, clause de rupture en cas de changement de dirigeant social, validité

Liens base : (N° Lexbase : E5542ETG)

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