La lettre juridique n°895 du 24 février 2022

La lettre juridique - Édition n°895

Éditorial

Felix qui potuit rerum cognoscere causas

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N0495BZD

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par Nicolas Catelan, Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal

Le 19 Décembre 2022

Au seuil de 2022, toujours marqué par la pandémie mondiale, deux disparitions ont à nouveau endeuillé la communauté des pénalistes et bien au-delà. Comme si la destinée s’était mue en une tragédie grecque bégayante, ne connaissant ni limite ni fin.

Après les professeurs Pradel et Renucci il y a quelques mois, les professeurs Mireille Delmas-Marty et Frédéric Stasiak nous ont quittés en ce décidément bien triste début d’année.

Pour des raisons différentes, chaque juriste sait ce qu’il doit à ces deux enseignants chercheurs.

Le hasard a voulu que le Pr Stasiak intervienne lors du dernier Congrès de l’AFDP à Aix-en-Provence pour éclairer cette nouvelle autorité de poursuite qu’est le Parquet européen. Avec la sagacité que chacun lui connaissait, il était parvenu en quelques minutes à peine à démontrer en quoi ce projet s’était démarqué du projet initial du Professeur Delmas-Marty proposé il y a plus de vingt ans. Il parvint également à en montrer les limites et défauts qui pourraient à terme nuire à son efficacité.

Les juristes font souvent des rêves. Parfois ils osent les coucher sur le papier voire les révéler à voix haute. Plus rarement, le politique cherche à les entendre. Jamais ou presque il ne les écoute. Mireille Delmas-Marty par la profondeur de ses analyses, sa maitrise intellectuelle et quasi infinie des outils de politique criminelle, et son humanisme chevillé au corps, était une des rares si ce n’est la seule à être réellement écoutée. Ses pensées visionnaires sur le droit administratif répressif, la disparition du juge d’instruction, l’avènement nécessaire des droits de l’Homme, et la création d’un parquet et d’un droit pénal européens ont su fertiliser le champ où pourrait croître le droit pénal contemporain, à l’abri des horreurs du passé et des renoncements du présent.

Ceux qui ont entendu, lu ou connu le Pr Frédéric Stasiak savent également à quel point sa pensée était engageante et stimulante. Par sa rigueur, sa perspicacité et souvent son humour, il était à même de déconstruire et reconstruire une institution pourtant bien établie du droit pénal des affaires. Pour des générations il fut, dans la foulée de sa thèse, celui qui vit le droit répressif des marchés financiers développer un appareil théorique et pratique méritant toute l’attention des juristes pénalistes. Ce fameux droit répressif administratif, que Mireille Delmas-Marty voyait déjà apparaitre il y a trente ans, était devenu le terrain de prédilection du penseur nancéien.

Nous sommes évidemment les héritiers de tous nos prédécesseurs. Ainsi va la science, qui croît par sédimentation. Ce constat, en temps habituels, est à même de nous rasséréner. Il nous rappelle en effet que nos échecs servent à construire les réussites de demain, les nôtres mais également, voire surtout, celles des autres. Ce constat laisse parfois, et au moment même où l’encre numérique noircit cette page virtuelle, un goût amer car il est toujours difficile de dire au revoir à ceux qui nous ont tant inspirés. La peine qui nous affecte restera... encore et encore. Mais une certitude est à même de panser nos plaies : les idées de ces prédécesseurs, exigeantes, rigoureuses et profondément humaines demeureront, pour toujours mieux guider les juristes en général, et les pénalistes en particulier.

Felix qui potuit rerum cognoscere causas

Atque metus omnis et inexorabile fatum

Subjecit pedibus strepitum que Acheruntis avari

Virgile, Géorgiques (II, v. 490 et suiv.)

 

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[Jurisprudence] Précisions inédites sur l’obligation de couverture de la sous-caution

Réf. : Cass. com., 9 février 2022, n° 19-21.942, F-B N° Lexbase : A68137MB

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N0518BZ9

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par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences, Université de Rouen Normandie

Le 23 Février 2022

Mots-clés : sous-cautionnement • obligation de couverture • obligation de règlement •  exigibilité • étendue • vente en l’état futur d’achèvement • garantie d’achèvement

De manière inédite, la Chambre commerciale de la Cour de cassation applique au sous-cautionnement la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement. Après avoir rappelé la distinction entre les engagements de caution et de sous-caution, elle retient que la dette de la seconde « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes, peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ».


 

Les décisions de la Cour de cassation relatives au sous-cautionnement ne sont pas pléthoriques. L’une d’entre elles, rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 février 2022, apporte un éclairage intéressant sur la nature de cet engagement singulier.

En l’espèce, différentes sociétés civiles de construction vente s’engagent à édifier plusieurs immeubles. Le Groupement français de caution souscrit à cette occasion une garantie d’achèvement et, dans le même temps, deux dirigeants du groupe de promotion immobilière, composé des sociétés débitrices, s’engagent en qualité de sous-cautions. Alors que la construction des immeubles est inachevée, les sociétés débitrices sont placées en liquidation judiciaire. La caution règle la garantie d’achèvement et se retourne contre les sous-cautions, qui refusent d’honorer leurs engagements. Les juges du fond [1] donnent gain de cause à la caution de premier rang ce que les sous-cautions contestent au motif, notamment, que le paiement de la caution est intervenu à une date postérieure à celle qui constitue le terme de leurs propres engagements.

La Haute juridiction rejette le pourvoi ainsi formé. Pour ce faire, elle applique la distinction à l’œuvre dans le cautionnement qui oppose l’obligation de règlement à l’obligation de couverture et retient que la dette de la sous-caution prend naissance à la même date que celle de la caution, soit le jour où la créance garantie est consentie au débiteur principal. Elle précise, de plus, que la sous-caution couvre l’intégralité des sommes réglées par la caution, et que l’exigibilité des dettes garanties, comme le paiement par la caution au-delà du terme de l’engagement de la sous-caution, ne lui permettent pas d’échapper à son engagement. Toutes les dettes nées dans la « période de couverture » s’imposent à la sous-caution qui sera alors tenue d’exécuter son obligation de règlement.

Cette décision est d’autant plus intéressante à observer qu’elle suit de près la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D [2], entrée en vigueur le 1er janvier 2022. À cette occasion, le sous-cautionnement et la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement ont été légalement consacrés. La présente solution s’inscrit idéalement dans le sillage de ces nouveaux textes.

La tournure didactique de l’arrêt invite à en suivre le cheminement en revenant au préalable sur l’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement (I) et la définition de l’obligation de couverture que la Haute juridiction retient (II). Ces éléments exposés permettront de mieux saisir l’étendue de l’obligation de couverture de la sous-caution (III).

I. L’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement

Financer l’achèvement de l’immeuble, objet de l’engagement de la caution. Afin de déterminer la mesure de l’engagement de la sous-caution dans la présente espèce, il convient en premier lieu de préciser à quoi s’engage la caution dans le cadre particulier de la vente en l’état futur d’achèvement et les garanties qui l’assortissent.

Les risques d’une telle modalité de la vente, liés à son inscription dans le temps, imposent aux parties de fournir une garantie. L’article R. 261-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L9422LRE leur laisse le choix entre une ouverture de crédit et un cautionnement. Dans ce dernier cas, qui correspond à l’espèce, la caution s’engage non pas à achever l’immeuble par ses propres moyens, mais « à payer les sommes nécessaires à l’achèvement de l’immeuble ». Il s’agit donc plus précisément d’une garantie de financement de l’achèvement de l’immeuble. Comme tout cautionnement, la nature subsidiaire de son engagement justifie que la caution soit tenue de payer dans la seule hypothèse de la défaillance du vendeur [3].

L’achèvement des travaux, terme extinctif de l’engagement de la caution. Afin que le cautionnement produise utilement ses effets, la caution est engagée jusqu’à ce que la construction aboutisse, ce qui correspond légalement à l’achèvement des travaux. L’achèvement est défini comme la situation où « sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement qui sont indispensables à l’utilisation, conformément à sa destination, de l’immeuble faisant l’objet du contrat » [4]. L’achèvement correspond ainsi au moment où l’immeuble est habitable : les finitions ultérieures relèvent du parachèvement. Encore faut-il toutefois pouvoir déterminer avec certitude cet achèvement et sa date précise, afin de circonscrire le périmètre de l’engagement de la caution.

En effet, malgré sa définition légale, l’achèvement peut engendrer une contestation entre les parties, selon ce qu’elles estiment relever de la destination de l’immeuble. La loi prévoit alors deux modalités afin de constater cet achèvement : soit les parties le font elles-mêmes ; soit elles recourent à une personne qualifiée, qui peut être contractuellement ou judiciairement désignée [5]. Une fois l’achèvement constaté, l’engagement de la caution s’éteint [6]. Plus exactement, son obligation de couverture s’éteint : son obligation de règlement subsiste.

II. La référence à l’obligation de couverture de la caution

Retour sur la notion de couverture. Dans sa thèse consacrée aux causes d’extinction du cautionnement, Christian Mouly proposait une distinction féconde entre obligation de couverture et obligation de règlement [7]. Cette distinction s’avère particulièrement utile pour déterminer l’étendue de l’engagement d’une caution dans le temps, lorsque ce temps ne coïncide pas exactement avec celui de la dette garantie. Elle s’applique ainsi au cautionnement à durée déterminée, à la résiliation d’un cautionnement à durée indéterminée ou encore à la transmission de la dette d’une caution à ses héritiers.

Le terme de l’engagement de la caution (prévu dès la formation, décidé en cours d’exécution ou correspondant à son décès) permet de déterminer les dettes qu’elle doit payer à la place du débiteur défaillant. Toute dette née avant ce terme intègre l’assiette de la garantie ; toute dette née postérieurement en est exclue. En ce sens, l’expression employée par la Haute juridiction, à savoir la « période de couverture » est plus éclairante et plus adaptée. Il ne s’agit pas, en effet, d’une obligation à proprement parler, mais d’une durée, d’une période de temps grâce à laquelle le montant de la dette de la caution peut être déterminé. La présente décision l’exprime clairement : « l'obligation de garantie de la caution […] a pour objet de couvrir les dettes que le débiteur a contractées pendant la période de couverture de cet engagement. Elle prend donc naissance à la date à laquelle le débiteur principal contracte ces dettes ». L’affirmation ne peut qu’être approuvée : la caution paye la dette même du débiteur. La naissance de leurs engagements est nécessairement concomitante.

Conséquences de la distinction. Dès lors que l’obligation de couverture arrive à son terme, la caution n’est pas déchargée. Elle doit honorer son obligation de règlement, laquelle n’est enfermée dans aucun autre délai sinon celui de la prescription extinctive. La caution ne peut donc se prévaloir du fait que le créancier ait introduit contre elle une action en paiement postérieure à ce terme. Cette action ne vise en effet qu’à mettre en œuvre l’obligation de règlement de la caution et ne peut être confondue avec la question de savoir à quelle date est née sa dette. À l’inverse, il suffirait par exemple à une caution engagée pour une durée indéterminée de résilier son engagement dès le premier incident de paiement du débiteur principal et avant toute poursuite du créancier pour échapper au paiement et ainsi neutraliser la sûreté. La jurisprudence est constante à ce sujet [8] et la présente décision applique ce raisonnement, de manière inédite, aux rapports entre la caution de premier rang et la sous-caution.

III. La détermination de l’obligation de couverture de la sous-caution

Rappel de l’objet de l’engagement de la sous-caution. Le sous-cautionnement ne vise pas à la protection du créancier, contrairement à la certification de caution. La sous-caution protège les intérêts de la caution de premier rang, lorsque celle-ci paye la dette du débiteur principal. La caution solvens s’expose ce faisant à un risque : ne pas obtenir de remboursement de la part de ce débiteur. Or si le débiteur n’est pas en mesure de payer le créancier, il n’y a guère plus de chances qu’il puisse rembourser la caution. Celle-ci pourra alors se retourner contre la sous-caution et exiger d’elle ce qu’elle n’a pu obtenir du débiteur. Le risque est ainsi reporté sur la tête de la sous-caution, qui pourra alors se retourner, après paiement, contre le débiteur principal. La Cour de cassation expose clairement cette mécanique : « l’obligation de la sous-caution […] a pour objet de garantir la caution […] contre [le risque] de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement ». Bien que le recours à la définition du sous-cautionnement ne soit pas inédit, la définition ici employée est plus explicite encore, à la comparer à certains arrêts antérieurs [9]. Cette partie de la décision doit être approuvée sans réserve en ce qu’elle distingue nettement ces garanties complexes que sont le sous-cautionnement et la certification de caution.

Naissance et étendue de la dette de la sous-caution. À partir de cette définition, la Cour de cassation précise un élément du régime du sous-cautionnement qui était au cœur du contentieux. Rappelant que l’obligation de la caution nait à la date à laquelle le débiteur principal s’engage, elle en déduit que l’obligation de la sous-caution « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes ». Le raisonnement est implacable dans la mesure où l’engagement de la sous-caution ne se distingue pas, au fond, de celui de la caution de premier rang, sauf dans l’identité de leur bénéficiaire – respectivement, la caution et le créancier. Or cette identité est indifférente à la détermination de l’étendue de l’engagement de la sous-caution : le montant d’une dette n’est pas tributaire de celui à qui elle est due. Seules les stipulations du sous-cautionnement qui prévoiraient un engagement d’une durée moindre que celle de la caution ou pour un montant plus réduit introduiraient une différence dans la mesure de leurs engagements.

En l’espèce, les sous-cautions avaient souscrit divers engagements, dont les termes étaient fixés au 31 décembre 2011 et au 30 septembre 2012. Ces dates correspondent au terme de leur obligation de couverture et leur imposent de régler toutes les dettes du débiteur principal nées avant ces mêmes dates que la caution a payées. Or la construction des différents immeubles, objet de la garantie de premier rang, n’était pas achevée à ces deux dates. Dès lors, la caution de premier rang était tenue d’en financer l’achèvement et, dans le même temps, les sous-cautions étaient tenues de régler à la caution ce qu’elle avait déboursé pour ce faire. Désireuses d’échapper au paiement d’une dette à laquelle elles allaient devoir contribuer, du fait du placement en liquidation judiciaire des débiteurs principaux, les sous-cautions avancent que le paiement réalisé par la caution est intervenu postérieurement au terme de leur propre engagement. L’argument, qui confond la formation d’une dette avec son exécution, ne convainc pas la Haute juridiction. Les sous-cautions sont tenues de payer leurs dettes « peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ». Outre qu’il est parfaitement conforme à la distinction entre obligation de couverture et de règlement, le raisonnement préserve l’efficacité du sous-cautionnement, qui plus est dans ce contexte délicat de la liquidation judiciaire du débiteur principal. In fine, c’est l’efficacité du cautionnement lui-même qui est soutenu, car une caution sera toujours plus à même de s’engager en sachant que le sous-cautionnement qu’elle exige sera pleinement efficace.

Quelle portée au regard de la réforme ? Cette décision a le dernier mérite de s’inscrire idéalement dans le mouvement de réforme qui modernise le droit des sûretés en 2022. L’obligation de couverture et le sous-cautionnement sont en effet légalement consacrés, dans des termes qui ne remettent pas en cause la présente solution. D’après le nouvel article 2316 du Code civil N° Lexbase : L0176L8Z : « lorsqu'un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire ». Certes, la disposition ne consacre pas nommément l’obligation de couverture, mais sa formule n’en reste pas moins explicite sur le fond. Aussi, le sous-cautionnement n’est-il, techniquement, rien d’autre qu’un cautionnement au profit de la caution de premier rang : toutes les règles du cautionnement auront donc vocation à s’appliquer à lui. Enfin, le sous-cautionnement est désormais défini par l’article 2291-1 du Code civil N° Lexbase : L0133L8G comme « le contrat par lequel une personne s'oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement ». La définition reprend le mécanisme que la pratique avait conçu et le distingue clairement de la certification de caution disposée à l’article précédent. À ce sujet encore, la décision du 9 février 2022 se conforme parfaitement au droit positif, ce qui invite à l’approuver une nouvelle fois.

 

[1] CA Amiens, 21 mai 2019, n° 17/04861 N° Lexbase : A9225ZBB.

[2] Sur cette réforme, v. not. Dossier spécial « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » (ss. dir. de G. Piette), Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8992BYP.

[3] Par exemple lorsque le vendeur n’a plus les fonds suffisants pour achever la construction : Cass. civ. 3, 18 février 2016, n° 14-29.841, F-D N° Lexbase : A4551PZL.

[4] CCH, art. R. 261-1, al. 1er, dans sa version applicable à la cause N° Lexbase : L8549IAU.

[5] CCH , art. R. 261-2 N° Lexbase : L4938LT3.

[6] CCH, art. R. 261-24 N° Lexbase : L9440LR3.

[7] Ch. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979. V. également V. Mazeaud, L'obligation de couverture, thèse, IRJS, 2010.

[8] V., pour deux décisions récentes, Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-28.058, F-D N° Lexbase : A5419TAX et Cass. com., 28 février 2018, n° 16-25.069, F-D N° Lexbase : A0583XGP.

[9] V. not. Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-18.460, F-P+B N° Lexbase : A4930WDX : « la sous-caution ne garantit pas la dette du débiteur principal envers le créancier, mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier ».

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Peines

[Brèves] Demande d’aménagement de peine : précision sur l’appréciation de la durée totale des peines d’emprisonnement prononcées ou restant à subir

Réf. : Cass. crim., 16 février 2022, n° 21-84.992, F-B N° Lexbase : A33577NN

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par Adélaïde Léon

Le 23 Février 2022

► La durée totale des peines prononcées ou restantes à subir mentionnée dans l’article 723-15 du Code de procédure pénale s’apprécie en tant compte de la situation du condamné à la date à laquelle la juridiction de l’application des peines statue.

Rappel de la procédure. Le 19 octobre 2018, un individu est condamné à une peine de huit mois d’emprisonnement. Il sollicite l’aménagement de cette peine.

Par arrêt devenu définitif le 22 octobre 2019, une cour d’appel condamne l’intéressé à une peine de six mois d’emprisonnement.

Le 31 octobre 2019, le juge de l’application des peines (JAP) a aménagé la peine prononcée le 19 octobre 2018 sous la forme d’un placement sous surveillance électronique à compter du 20 novembre 2019. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Le 21 janvier 2020, la chambre de l’application des peines a infirmé le jugement du JAP du 31 octobre 2019 et rejeté la demande d’aménagement. L’intéressé a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Constatant que le demandeur n’était pas présent ni représenté à l’audience devant la chambre de l’application des peines et en l’absence de pièces établissant la convocation régulière du condamné, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel et renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l’application des peines autrement composée (Cass. crim., 17 mars 2021, n° 20-83.269, F-D N° Lexbase : A89534L8).

En cause d’appel. Sur renvoi après cassation, la chambre de l’application des peines a déclaré recevable la demande d’aménagement de peine formée par le condamné. La juridiction estimée n’être saisie, en raison de l’effet dévolutif de l’appel, que dans la limite du jugement du JAP qui n’avait statué que sur l’aménagement de la seule peine de huit mois d’emprisonnement prononcée le 19 octobre 2018.

L’intéressé et le procureur général près la cour d’appel ont formé des pourvois contre l’arrêt d’appel. Le pourvoi formé par le premier a été déclaré déchu.

Moyens du pourvoi. Le procureur général faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir ainsi statué alors que l’article 723-15 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7606LPE prévoit qu’une personne condamnée se trouvant en état de récidive légale n’est recevable à demander l’aménagement de ses peines que lorsque leur durée, prise en compte globalement, est inférieure ou égale à un an. Or, en l’espèce, l’intéressé avait été condamné à une peine de huit mois d’emprisonnement et une seconde peine de six mois d’emprisonnement.

Décision. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 723-15 du Code de procédure pénale. La Haute juridiction rappelle qu’il résulte de ce texte que « les personnes non incarcérées condamnées à plusieurs peines d'emprisonnement dont la durée totale prononcée ou restant à subir est inférieure ou égale à un an bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, d'un aménagement de peine ».

La Cour précise que la durée totale des peines prononcées ou restant à subir s’apprécie en tant compte de la situation du condamné à la date à laquelle la juridiction de l’application des peines statue.

En l’espèce, il résultait des pièces du dossier que, à la date à laquelle la chambre de l’application des peines a statué, le condamné, compte tenu de l’ensemble des condamnations lui restant à subir, ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’un aménagement de la peine concernée par la peine.

Pour aller plus loin :  Y. Carpentier, Étude : Les modalités d'exécution des peines, in Droit pénal général, Lexbase N° Lexbase : E1743GAS.

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Affaires

[Brèves] Travailleurs indépendants : la loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante est publiée

Réf. : Loi n° 2022-172, du 14 février 2022, en faveur de l'activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP

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N0426BZS

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par Vincent Téchené

Le 23 Février 2022

► La loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante, qui crée notamment un nouveau statut unique protecteur pour les professionnels indépendants, a été publiée au Journal officiel du 15 février 2022.

Ce texte s'inscrit dans le plan en faveur des indépendants annoncé par le Président de la République le 16 septembre 2021.

Création d’un nouveau statut pour les professionnels indépendants. L’article 1er de la loi, qui en est la mesure phare, insère deux nouvelles sections dans le Code de commerce :

  • l’une, intitulée « Du statut de l’entrepreneur individuel », comprenant cinq nouveaux articles (C. com., art. L. 526-22 N° Lexbase : L3666MBE à L. 526-26) et dont l’objet est d’offrir une protection, de plein droit, à l’ensemble du patrimoine personnel d’un indépendant vis-à-vis de ses créanciers professionnels ;
  • l’autre, intitulée « Du transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel », comprenant cinq nouveaux articles (C. com., art. L. 526-27 N° Lexbase : L3671MBL à L. 526‑31) et dont l’objet est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou sa mise en société.

Le nouvel article L. 526-22 du Code de commerce définit de manière large et générale l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ». Cette formulation recouvre donc les commerçants, artisans, agriculteurs et tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée. Ce même article opère ensuite une distinction entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, faisant de cette dissociation des patrimoines le cœur même du nouveau statut.

Deux catégories de créanciers sont donc également distinguées. Ainsi, le droit de gage des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice professionnel de l’entrepreneur individuel se limite au seul patrimoine professionnel. À l’inverse, le droit de gage des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur se limite au seul patrimoine personnel.

Plusieurs exceptions sont néanmoins prévues. Ainsi, par exemple, l’entrepreneur individuel pourra accorder à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles ; il pourra également renoncer expressément au bénéfice de la dissociation des patrimoines en faveur d’un créancier professionnel. De même, le texte pose des dérogations en ce qui concerne le droit de gage de l'administration fiscale et des organismes de Sécurité sociale.

Concernant le transfert du patrimoine, l’article L. 526-27 prévoit donc que l'entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l'intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci.

Parallèlement, l’article L. 145-16 du Code de commerce N° Lexbase : L5033I3S prévoit désormais que seront également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail commercial au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel.

Conséquences du nouveau statut. Les articles suivants de la loi tirent un certain nombre de conséquences du nouveau statut de l’entrepreneur individuel sur :

  • les procédures civiles d’exécution ;
  • les procédures de recouvrement des créances fiscales et sociales et notamment les conditions d’opposabilité à l’administration fiscale de l’insaisissabilité de biens immobiliers ;
  • les procédures collectives et de surendettement des particuliers. On relèvera notamment qu’est inséré dans le livre VI du Code de commerce un titre spécifiquement consacré aux dispositions applicables à l’entrepreneur individuel, comprenant plusieurs nouveaux articles (C. com., art. L. 681-1 N° Lexbase : L3711MB3 à L. 681-4).

Par ailleurs, l’article 6 met en œuvre l’extinction du statut de l'entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL). Plus précisément, à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, nul ne pourra se soumettre au régime de l'EIRL en constituant un patrimoine affecté. En revanche, les personnes physiques déjà placées sous ce régime continueront à y être soumises. La loi ne prévoit donc pas d'abroger dans son intégralité la section 2 du chapitre VI du titre II du livre V du Code de commerce, mais seulement certaines dispositions impliquant que la constitution d'un patrimoine affecté resterait possible à l'avenir. 

Entrée en vigueur. L’ensemble du dispositif relatif au nouveau statut entre en vigueur à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, soit le 15 mai 2022. La distinction entre créances personnelles et créances professionnelles s'applique aux créances nées après cette même date. En outre, les nouvelles règles du droit des entreprises en difficulté ne sont pas applicables aux procédures en cours le 14 mai 2022. Comme toute réforme du droit des entreprises en difficulté, ne seront ici concernées que les procédures ouvertes à compter de cette date.

Autres mesures. Afin de faciliter la reconversion des travailleurs indépendants, la loi élargit les conditions d'accès de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) aux indépendants qui arrêtent définitivement leur activité devenue non viable. Cette allocation, de 800 euros par mois, a été créée en 2018 pour les seuls ex-entrepreneurs indépendants en redressement ou en liquidation judiciaire.

Dans ce nouveau cadre, l'ATI sera toujours de 800 euros par mois, sauf pour les indépendants qui auraient eu des revenus inférieurs sur les deux dernières années. Elle ne pourra être inférieure à un certain montant fixé par décret qui, selon le Gouvernement, pourrait être fixé à 600 euros mensuels.

Avec cette mesure, le Gouvernement estime que près de 30 000 indépendants pourraient bénéficier chaque année de l'ATI, contre un millier seulement aujourd'hui. Les parlementaires ont prévu un rapport avant fin 2024 dressant un bilan de l'ATI et la possibilité pour les partenaires sociaux de leur remettre un avis sur ce rapport.

Le texte prévoit par ailleurs :

  • de permettre que les dettes professionnelles d'une personne soient prises en compte, en même temps que ses autres dettes, pour l'appréciation de sa situation de surendettement ouvrant droit à l'ouverture d'une procédure de traitement du surendettement des particuliers. Il s'agit de sécuriser en particulier la situation des gérants majoritaires de sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) ;
  • de faciliter l'accès à la formation des indépendants. Le fonds d’assurance formation des chefs d'entreprise artisanale (FAFCEA) et les conseils de la formation des chambres de métiers et de l’artisanat (CMAR) seront fusionnés au 1er septembre 2022. Un régime transitoire a été introduit par les parlementaires entre la publication de la loi et le 31 août 2022 ;
  • d'adapter la procédure disciplinaire des experts-comptables ;
  • de revoir le cadre de la négociation collective pour les chambres de commerce et d’industrie (CCI).

Le Gouvernement est enfin habilité à prendre des ordonnances pour :

  • simplifier et clarifier les règles communes applicables aux professions libérales réglementées ;
  • rénover le Code de l’artisanat.
Pour aller plus loin : cette loi fera l'objet d'un dossier spécial publié dans Lexbase Affaires n° 709 du 17 mars 2022, à paraître. 

 

newsid:480426

Construction

[Brèves] Référé 145 : la potentialité d’un différend suffit à caractériser un intérêt légitime

Réf. : Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 21-11.926, FS-B N° Lexbase : A33387NX

Lecture: 3 min

N0506BZR

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 23 Février 2022

► La demande d’expertise judiciaire peut être fondée sur les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile ; la démonstration d’un intérêt légitime est, en ce cas, requise ; la caractérisation d’un intérêt légitime relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Le principe mérite d’être rappelé tellement le traitement des demandes d’expertise judiciaire paraît « automatique ». Il y a finalement assez peu de débats sur l’existence d’un intérêt légitime tant les juges se montrent enclins à prononcer des mesures d’expertise, surtout dans les domaines techniques tels que la construction.

En l’espèce, un maître d’ouvrage qui souhaitait réaliser une opération de démolition et de construction sur des parcelles lui appartenant, a saisi le président du tribunal judiciaire, statuant en la forme des référés, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49, aux fins d’obtenir la désignation d’un expert chargé d’établir un état descriptif et qualitatif des propriétés riveraines du chantier et de déterminer, le cas échéant, des désordres qui pourraient être imputables aux travaux. La société GRDF, qui exploitait une canalisation de gaz à proximité des travaux envisagés, s’est opposée à cette demande et a sollicité sa mise hors de cause.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 10 décembre 2020 (CA Paris, 10 décembre 2020, n° 20/07971 N° Lexbase : A483739Z), ordonne la mesure d’instruction. Elle rappelle que le demandeur à l’expertise n’a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l’établir, mais qu’il doit justifier d’éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite la mesure n’est pas dénué de toutes chances de succès. La société GRDF forme un pourvoi en cassation, contestant, notamment, l’existence d’un intérêt légitime.

Le pourvoi est rejeté. La société GRDF, qui exploite des canalisations de gaz situées dans, ou à proximité de, l’emprise des travaux projetés par le maître d’ouvrage pouvait solliciter des dommages et intérêts en cas de dommages causés aux ouvrages qu’elle exploitait.

La solution est confirmative d’une jurisprudence éculée. Si le juge, statuant en la forme des référés, doit constater l’existence d’un motif légitime, requis par la lettre de l’article 145 du Code de procédure civile, il ne lui appartient pas de le caractériser (Cass. civ. 2, 8 juin 2000, n° 97-13.962 N° Lexbase : A6234CGY). De même, l’existence d’un litige potentiel suffit, la preuve de l’existence d’un différend actuel n’est pas requise (Cass. civ. 2, 16 novembre 2017, n° 16-24.368, F-D N° Lexbase : A7055WZC).

La preuve du motif légitime s’en trouve facilitée. Si elle ne se confond pas avec l’utilité, critère requis par le juge administratif (Cass. civ. 2, 22 avril 1992, n° 90-19.727 N° Lexbase : A3250ACD), le juge peut, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, décider que la mesure d’instruction avant tout procès étant inutile, le demandeur ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un motif légitime (Cass. civ. 2, 20 mars 2014, n° 13-14.985, F-P+B N° Lexbase : A7469MH4).

newsid:480506

Filiation

[Brèves] Publication au JO de la loi visant à réformer l'adoption

Réf. : Loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption N° Lexbase : L4154MBH

Lecture: 6 min

N0530BZN

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 23 Février 2022

► A été publiée au Journal officiel du 22 février 2022, la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption, et dont l’objectif est de « permettre de renforcer et de sécuriser le recours à l’adoption comme un outil de protection de l’enfance lorsque celui‑ci correspond à l’intérêt de l’enfant concerné, et uniquement dans son intérêt » ; ce texte vise à corriger les lacunes encore existantes du régime juridique relatif à l’adoption, tel qu’il avait été modifié de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance, et propose d’y remédier, en respectant les deux principes fondamentaux en la matière, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant et la volonté de donner une famille à un enfant et non l’inverse.

On relèvera notamment les mesures suivantes.

Ouverture de l'adoption aux couples non mariés. Afin de tenir compte des évolutions de la famille, la loi ouvre l'adoption aux couples liés par un pacte civil de solidarité (PACS) et aux concubins (alors qu’elle n’est ouverte actuellement qu’aux seuls couples mariés et aux célibataires) (C. civ., art. 343 modifié N° Lexbase : L4398MBI).

Pour faciliter les adoptions, le texte prévoit également de réduire de deux à un an la durée de vie commune exigée dans le cas de l'adoption par un couple et d'abaisser l'âge minimum requis du ou des parents adoptants de 28 à 26 ans (C. civ., art. 343-1 modifié N° Lexbase : L4399MBK).

Valorisation de l'adoption simple. Pour lui donner une plus grande visibilité, l’adoption simple est valorisée. À la différence de l'adoption plénière, cette procédure ne rompt pas les liens de filiation de l’enfant avec ses parents biologiques (tout en créant une filiation avec les parents adoptifs qui deviennent seuls titulaires de l’autorité parentale). La loi vient préciser expressément que l’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine et que l’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine (C. civ., art. 364 modifié N° Lexbase : L4424MBH).

Adoption plénière des enfants de plus de 15 ans. L'adoption plénière des enfants de plus de quinze ans, en particulier par le conjoint et pour les pupilles de l'État, est facilitée et la possibilité d’adoption plénière jusqu’à vingt-et-un ans est étendue. La période de placement en vue de l’adoption est sécurisée : il est précisé que les futurs adoptants peuvent réaliser, pendant cette période, les actes usuels de l'autorité parentale (C. civ., art. 351 modifié N° Lexbase : L4412MBZ).

À noter également qu’une disposition facilite les adoptions de mineurs de plus de treize ans et des majeurs protégés incapables de donner leur consentement à l'adoption (C. civ., nouv. art. 348-7 N° Lexbase : L4410MBX).

Procédure d'agrément en vue de l'adoption. Le texte modifie également la procédure d'agrément en vue de l'adoption. Il pose le principe d'un écart d’âge maximum de 50 ans entre les adoptants et l’adopté, sauf en cas d'adoption de l'enfant du couple (C. act. soc. fam., art. L. 225-2 modifié N° Lexbase : L4385MBZ).

Compte tenu de la crise sanitaire, la loi vient prolonger de deux ans la durée des agréments en cours de validité au 11 mars 2020 pour les bénéficiaires dont le dossier est déjà enregistré auprès d’une autorité étrangère (loi n° 2022-219 du 21 février 2022, art. 12).

Filiation des enfants nés à l'étranger par PMA pour un couple séparé de femmes. Le texte prévoit un dispositif transitoire, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, soit jusqu’au 21 février 2025, pour régler la situation des couples de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation (PMA) à l'étranger avant la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C et qui se sont séparées, de manière conflictuelle, depuis le projet parental commun (sur ce texte, cf. Adeline Gouttenoire, La filiation monosexuée, consacrée par la loi bioéthique du 2 août 2021, Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8824BYH).

À titre exceptionnel donc durant cette période, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi du 2 août 2021, la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil.

Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L'adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin (loi n° 2022-219 du 21 février 2022, art. 9).

Renforcement du statut des pupilles de l’État. Le texte renforce le statut de pupille de l’État et améliore le fonctionnement des conseils de famille, organe chargé de la tutelle des pupilles de l’État avec le représentant de l’État dans le département.

Le texte prévoit aussi que le recueil d’enfants devienne une compétence exclusive de l’ASE, afin que ceux-ci bénéficient du statut de pupille de l’État. Les sénateurs s'étaient opposés à cette mesure qui restreignait l'activité des organismes autorisés pour l'adoption (OAA) aux adoptions internationales.

Pour aller plus loin :  la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption fera l’objet d’un commentaire approfondi par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université de Bordeaux, à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé.

 

newsid:480530

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] ISF. Communauté d’intérêts versus concubinage notoire

Réf. : CA Paris, 24 janvier 2002, n° 20/11605 N° Lexbase : A24217KU

Lecture: 10 min

N0469BZE

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

Le 23 Février 2022

Mots-clés : ISF • concubinage • patrimoine 

À défaut de démontrer que l’existence d’une communauté d’intérêts se traduit par un concubinage notoire, l’administration n’est pas fondée à soutenir que les contribuables constituaient un foyer fiscal unique. C’est à mauvais droit que l’administration a exigé qu’ils déposent une déclaration commune d’ISF et a procédé à une taxation d’office pour les années visées (de 2009 à 2014). Telle est la teneur de la décision de la cour d’appel de Paris en date du 24 janvier 2022.


 

Les contribuables déposent initialement des déclarations d’ISF en leur nom propre. Sur le fondement de l’article 885 E du CGI N° Lexbase : L8780HLR, l’administration les met en demeure de souscrire une déclaration commune. Il est ensuite procédé à la taxation d’office de cette imposition ; selon l’administration, les contribuables partagent une vie commune et une communauté d’intérêts à raison d’une cohabitation continue depuis nombre d’années. Ce constat serait étayé de surcroît par l’acquisition de plusieurs biens en indivision et une convergence d’intérêts financiers qui dépasse le cadre de simples intérêts économiques communs. L’administration retient notamment l’existence d’assurances vie (bénéfice réciproque) et l’octroi (là encore réciproque) du pouvoir d’encaisser des fonds. Les contribuables constitueraient ainsi un foyer fiscal unique. Les droits afférents mis en recouvrement s’élèvent à 93 798 euros. Contentieux. Le tribunal judiciaire de Paris se prononce le 9 juillet 2020 (n° 18/08233) et fait droit à la demande des contribuables. La décision de rejet de la Direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris est infirmée ; le tribunal judiciaire ordonne la décharge intégrale des droits rappelés et accessoires.

Ce jugement et cet arrêt d’appel méritent intérêt dans la mesure où les arguments de l’administration ne semblent pas de peu à première lecture. Selon le Directeur général des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris, la vie commune et la communauté d’intérêts sont d’évidence au regard des faits énoncés. Outre les éléments mentionnés en amont, il est souligné que M. Z. ne prouve pas qu’il résidait chez sa compagne, locataire dans le 5ème arrondissement de Paris. De surcroît, la réunion de deux lots (2042 et 2043) aux fins de former une seule et unique unité d’habitation viendrait renforcer la thèse soutenue par l’administration. L’usage des appartements est en effet commun aux deux copropriétaires qui en ont la jouissance indivise.

Quant aux contribuables, ils estiment que de communauté de vie susceptible d’assoir des impositions communes il ne saurait y avoir. S’il est une condition impérative pour qualifier la notion de concubinage, il s’agit de la condition de notoriété ; or, elle fait manifestement défaut selon eux. Les arguments ne manqueraient pas en défense de cette thèse : M. Y. réside seul de 1990 à 2012 à une adresse qui n’a jamais été celle de M. Z., l’intégralité des factures (eau, électricité, téléphone…) ainsi que les appels de charges de copropriété et les différents impôts (fonciers, sur le revenu) sont adressés séparément à leurs adresses respectives distinctes. Quant à l’indivision, elle cesse en 1998 à raison du rachat par M. Y. de la quote-part indivise ; chacun est réputé propriétaire d’un lot de copropriété distinct. Certes, ils ont vécu en colocation dans un appartement situé rue Murat à Paris ; mais ils ont ensuite, dès 2015, payé leur taxe d’habitation et la contribution à l’audiovisuel public à des adresses différentes. Il appert que l’administration a tiré des conclusions infondées des faits mentionnés.

Retour au droit, plus précisément à l’article 885 E du CGI (dans sa rédaction applicable au litige, désormais abrogé), relatif à l’assiette de l’ISF : celle-ci est constituée par la valeur nette – au 1er janvier de l’année – de l’ensemble des biens, droits, et valeurs imposables qui appartiennent aux personnes mentionnées à l’article 885 A N° Lexbase : L0138IWZ (cf. éventuellement aussi ceux de leurs enfants mineurs dans l’hypothèse où elles administrent légalement leurs biens). Quant à l’assiette de l’impôten cas de concubinage notoire – elle est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l’année, de l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables qui appartiennent à l’un et à l’autre des concubins (cf. éventuellement aussi ceux de leurs enfants mineurs dans l’hypothèse où elles administrent légalement leurs biens). Reste la définition de la notion de concubinage notoire sur le fondement de l’article 515-8 du Code civil N° Lexbase : L8525HWN : par concubinage notoire, il faut entendre une union de fait qui se caractérise par une vie commune synonyme de stabilité ainsi que de continuité entre deux personnes vivant en couple, que ces personnes soient de sexe différent ou de même sexe.

Une fois que les textes ont parlé advient le temps du fardeau probatoire. Celui-ci repose naturellement sur les épaules de l’administration, comme le rappelle fort à propos la CA de Paris. C’est à l’administration de démontrer que les contribuables vivaient « en état de « concubinage notoire » » durant les années fiscales au centre du contentieux. Or, s’il apparaît évident (dixit la CA de Paris) que les intéressés vivaient dans un logement commun à partir de 2011, il n’en est rien pour la période antérieure : le fait, pour deux personnes, de vivre dans des appartements distincts - quand bien même ils sont situés au même étage - « ne caractérise aucunement une situation de concubinage « notoire ». Certes a été réalisé un regroupement de deux appartements afin de permettre la vente d’un ensemble immobilier ayant le mérite de posséder une surface supérieure ; cependant, une telle configuration n’engendre pas un concubinage notoire. Tout au plus est-il loisible de parler d’une « communauté d’intérêts ». Telle est la – seule – conséquence qu’il est possible de tirer du regroupement des lots 2042 (appartement 1) et 2042 (appartement 2) ainsi que du lot 2750 (accès commun).

La CA de Paris confirme la décision des juges de première instance. Elle refuse de faire siens les arguments que l’administration présente comme décisifs pour prouver l’existence d’un concubinage notoire : acquisition de biens immobiliers en commun, mandat d’encaissement des sommes issues de la vente de ces biens immobiliers, assurances vie aux bénéfices réciproques. Si ces éléments sont bien de nature à caractériser l’existence d’une communauté d’intérêts, ils ne sont pas de nature à démontrer la survenance d’un concubinage notoire. Le concubinage notoire – qui renvoie à des « caractéristiques de vie privée commune connue de tierce personne » - ne peut être déduit du faisceau d’indices que l’administration regarde comme pertinent(s). Au regard de ces éléments, l’administration est réputée incapable de prouver l’existence d’une résidence commune et d’un concubinage notoire. Un ultime argument est avancé par la Direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris : la location commune d’un appartement situé à Paris, dans le 8ème arrondissement. Dans la mesure où cette location prend effet le 13 janvier 2012, elle n’a pas vocation à être prise en compte pour appréhender la situation des contribuables au 1er janvier de la même année.

La notion de concubinage notoire est au centre du présent contentieux. La jurisprudence originelle de la Cour de cassation remonte aux années 20 (décision du 10 novembre 1924 ; décision du 12 mai 1925) dans lesquelles elle avance les critères de stabilité, de continuité et de notoriété des relations entretenues entre deux personnes. Le concubinage notoire s’entend alors (avant la loi du 15 novembre 1999 relative au Pacs) comme le fait de vivre publiquement comme mari et femme. Selon une jurisprudence classique (cf. par ex.

Cass. com., 22 octobre 1991, n° 89-18099, publié au bulletin N° Lexbase : A3970ABN), ne sont pas tenus de faire une déclaration commune de leur fortune les époux dont l’un n’habite pas de manière permanente sous le même toit que l’autre. Ils ne constituent pas un foyer fiscal, quel que soit le régime matrimonial. Reste que si les contribuables ne contestent pas leur situation de concubinage (cf. par ex. CA Bourges, 12 novembre 2009, n° 09/00474 N° Lexbase : A93467LQ), ils doivent réaliser une seule déclaration afin que soit mis en recouvrement un seul impôt ; ils sont assimilés à des couples mariés. N’est pas recevable l’argumentation avançant que le CGI ne prévoit pas expressément que deux personnes vivant en concubinage notoire doivent établir une déclaration commune au titre de l’ISF.

Retour, ultime, à notre décision de 2022 ; pour parler de… harcèlement présumé. Les contribuables opèrent demande reconventionnelle sur un point qui mérite quelque intérêt. Ils estiment que l’administration a fait montre à leur égard d’un « acharnement procédural » dans la mesure où ils ont été contraints de dévoiler leur vie privée pour défendre leurs intérêts. Il s’ensuivrait une violation du droit au respect de la vie privée visé à l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY (cf. encore l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non mentionné en l’espèce). Par sa persistance à soutenir l’existence d’un concubinage notoire, au sens du 2ème alinéa de l’article 885 E du CGI, l’administration aurait manifesté un « acharnement procédural » dans le seul but de les contraindre à souscrire des déclarations communes d’ISF. Selon la CA de Paris, il ne saurait y avoir violation du droit au respect de la vie privée. L’administration s’est contentée d’examiner et de qualifier - dans le cadre des attributions qui lui sont octroyées par l’article L. 10 du LPF N° Lexbase : L3156KWS - une situation au regard d’une disposition légale ; l’application de cette dernière repose sur la notion de concubinage notoire. Aucun « préjudice certain » n’apparaît au regard du comportement de l’administration en son application des dispositions normatives en vigueur. La CA de Paris rejette les prétentions des contribuables et adoube la position de l’administration. Dès lors que cette dernière invoque la disposition légale relative au concubinage notoire, elle peut exiger que lui soient transmises des informations relatives à la vie privée des contribuables. Il est alors logique que s’ensuive « une discussion » ayant pour objet des éléments inhérents à cette vie privée. Par ses écritures, l’administration ne porte pas atteinte à l’intimité des contribuables. Cela est a fortiori vrai, souligne la CA de Paris, lorsque l’administration ne fait qu’exercer des voies de recours par définition régulières. S’il était besoin d’une précision supplémentaire pour clore le débat sur cette question, la CA de Paris ajoute même ce truisme juridictionnel : « l’exercice d’une voie de recours en l’occurrence l’appel ne caractérise à lui seul aucun acharnement susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil ». Il s’ensuit que la demande de dommages et intérêts présentée par les contribuables est rejetée. 

newsid:480469

Licenciement

[Doctrine] Réflexions sur les conséquences du licenciement nul

Lecture: 8 min

N0519BZA

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par Grégoire Duchange, Professeur de droit privé à l’Université Polytechnique Hauts-de-France

Le 23 Février 2022

Mots-clés : licenciement • nullité • conséquences juridiques • réintégration • dommages et intérêts • réparation • indemnisation

Les conséquences de la nullité du licenciement donnent lieu de longue date à une jurisprudence et une législation foisonnantes dont la clarté et la cohérence ne sont pas toujours de mise. La confrontation au droit commun peut-elle aider à une certaine remise en ordre ? Peut-être, à condition d’admettre que ce sont les règles applicables à la résolution du contrat davantage qu’à la nullité qui semblent ici en cause. Et en ayant à l’esprit que le contrat de travail, qui allie durée indéterminée et encadrement de la rupture, entraîne des difficultés spécifiques lorsqu’est en cause l’appréhension du coût de son inexécution.


 

Pour qui s’interroge sur les conséquences juridiques d’un licenciement nul, dans quel code, dans quel droit, faut-il chercher des réponses ? Le droit civil, comme toujours, fournit assurément un « modèle-type » à partir duquel réfléchir, fusse pour apprécier en quoi le droit du travail s’en distingue. Or, le modèle en question paraît très rapidement se heurter à l’idée même de « licenciement nul ». En droit civil, en effet, la nullité sanctionne l’inobservation d’une condition de formation du contrat en provoquant l’anéantissement rétroactif de celui-ci. Et les auteurs prennent soin de distinguer la nullité de notions voisines, en particulier la résolution. Cette dernière vient mettre fin au contrat en raison de certains faits survenus au cours de l’exécution du contrat, ce qui correspond en droit du travail au licenciement. De la sorte, l’expression « licenciement nul » risque de conduire vers la fausse piste de la nullité là où il convient, semble-t-il, d’aller voir du côté de la résolution [1].

On sait à cet égard, en droit commun, que la résolution unilatérale s’opère aux « risques et périls » de son auteur. Si le législateur ne précise pas la teneur de ces risques, les auteurs paraissent s’accorder pour affirmer que la résolution abusive (pour les travaillistes : le licenciement), en ce qu’elle méconnait la force obligatoire du contrat, peut être appréhendée sous les traits d’une inexécution fautive de celui-ci [2]. Cela permet en particulier d’offrir au contractant floué l’alternative de l’exécution forcée du contrat « en nature » ou « en équivalent ». Cette alternative peut cependant se heurter à certaines limites. L’article 1221 du Code civil N° Lexbase : L1985LKQ réserve en particulier le cas de l’exécution « impossible ». Cette dernière peut faire l’objet d’appréciations relativement subjectives. Les droits spéciaux peuvent alors contribuer à en cerner plus précisément les contours en considération des circonstances.

Ainsi, de la distinction, en droit du travail, du licenciement « sans cause réelle et sérieuse » (qui favorise la réparation par équivalent) et du licenciement « nul » (qui permet au salarié de réclamer l’exécution forcée en nature), peut-être le législateur adopte-t-il, sur ce point, une version réaliste du pouvoir de l’employeur et de la vie de l’entreprise. Le contrat de travail met en jeu des relations personnelles, dans un monde économique où les conflits et erreurs peuvent être fréquents, et dans lequel la restauration après coup du lien contractuel n’est pas toujours envisageable. C’est en quelque sorte d’une vision sociologique de l’exécution « impossible » dont il s’agit ici [3]. Mais il est des situations où l’exercice illégal du droit de rompre de l’employeur heurte des valeurs d’ordre supérieur, de sorte qu’une certaine moralité, contre le réalisme sociologique, impose d’en revenir au droit à l’exécution forcée en nature : c’est là le champ de la nullité du licenciement. L’impossibilité d’exécution en nature disparaît alors, mais pour l’avenir seulement ; pour le passé, une activité économique - ouvrant droit à un salaire - aurait dû être mise en œuvre et l’on ne peut désormais plus y revenir qu’en octroyant au salarié une compensation par équivalent. On a là l’essentiel des conséquences usuelles de la nullité du licenciement telles que reconnues par jurisprudence sociale, à savoir le droit du salarié d’être réintégré pour l’avenir et d’obtenir un rappel de salaire pour le passé, ou de réclamer une exécution entièrement par équivalent [4].

Le droit commun peut cependant sembler impuissant à régler deux questions qui, encore que cela n’apparaisse pas nécessairement au premier abord, sont en partie liées : celle du délai imparti au salarié pour demander sa réintégration et celle du montant des dommages et intérêts dus lorsqu’il préfère opter pour une réparation par équivalent. Le contrat de travail s’écarte en effet trop, en matière de durée, de certains schémas civilistes traditionnels : il est (en principe) à durée indéterminée, mais sans que sa rupture soit libre. Il est de la sorte délicat de déterminer combien de « temps » (et donc combien d’argent) un contrat de travail renferme potentiellement. Or, sauf à offrir au salarié un droit à réintégration ou à indemnisation « à vie », il est nécessaire de prévoir certaines bornes. C’est ce qui, selon nous, peut contribuer à expliquer la jurisprudence selon laquelle les salariés protégés ne peuvent plus demander leur réintégration postérieurement à l’expiration de leur période de protection. Cela justifie également que le législateur prenne le soin de « chiffrer » le coût de la rupture du contrat de travail. Le licenciement nul coûte à ce titre plus cher à l’employeur (au moins six mois de salaires) que le licenciement sans cause réelle et sérieuse (« barème Macron »), ce qui n’est pas sans faire écho à l’esprit du droit commun puisque celui-ci, on le sait, étend le champ des dommages et intérêts dû lorsque le contractant commet une faute lourde.

Le régime juridique de la réparation par équivalent, que soit en cause le rappel de salaire dû pour la période d’éviction ou bien l’indemnité de licenciement nul, n’est pas évident à déterminer. Si l’on fait abstraction des obscurités jurisprudentielles en la matière, puisqu’est en cause un « équivalent » du salaire d’activité du salarié, le régime de ce dernier devrait s’appliquer, par exemple pour l’acquisition de congés payés et à propos du régime fiscal et social. De même, lorsque cet « équivalent » a déjà été obtenu par ailleurs (du fait d’un nouveau contrat ou d’une indemnisation par Pôle emploi), il semble que la condition d’existence d’un préjudice, qui justifie en droit commun l’octroi de dommages et intérêts pour inexécution du contrat [5], ne soit plus remplie en tout ou partie, ce qui devrait conduire le juge à opérer une soustraction. À appliquer cette logique à l’extrême, celle-ci devrait être valable non seulement pour le rappel de salaires, mais aussi pour l’indemnité de licenciement nul. Mais cette dernière ne donne pas droit à des congés payés, est soumise à un régime fiscal et social spécifique et présente un caractère (en partie) forfaitaire difficilement compatible avec la prise en compte au cas par cas d’éventuels revenus de remplacement. On en revient alors ici à ce qui constitue sans doute la principale source, déjà évoquée, de décalage avec le droit commun, à savoir le fait que le contrat de travail est à durée indéterminée, mais à rupture encadrée, ce qui rend délicat l’appréhension du coût de son inexécution, du moins lorsque le salarié ne demande pas sa réintégration.

Pour autant, si cette particularité peut justifier l’existence de solutions spéciales qui s’écartent du droit commun, celui-ci devrait revenir en grâce toutes les fois que celle-là n’est pas en cause. Or, tel ne paraît pas toujours être le cas, en particulier à propos de la question très controversée de la jurisprudence relative à la non prise en cause des salaires de remplacement lorsqu’est en cause la violation d’une liberté fondamentale (à valeur constitutionnelle). Cette question rejoint en effet un autre point de débat quant à l’articulation du droit du travail et du droit commun puisqu’on peut se demander s’il n’y aurait pas là une forme particulière de « préjudice nécessaire ». La Chambre sociale de la Cour de cassation semblait pourtant avoir mis fin à ces constructions, sous réserve de préjudices certes présentés comme « nécessaires », mais qui n’en sont en réalité pas, en particulier lorsque la commission d’une faute et la réalisation d’un préjudice ne sont que les deux faces d’une même médaille. Une telle situation se produit lorsque la règle de droit violée se résume à la proclamation d’un droit subjectif et non d’une norme plus générale [6] ; ainsi, de l’exemple topique de l’atteinte au droit au respect de la vie privée… qui cause nécessairement une atteinte à la vie privée (alors que la violation de l’obligation de porter un casque ne va pas nécessairement causer une atteinte à la sécurité). Le licenciement nul pour violation d’une liberté fondamentale peut-il entrer dans le cadre de ces exceptions ? Au premier abord oui, car la règle qui proclame une liberté ressemble à celle qui proclame un droit subjectif : la violer, c’est atteindre un droit individuel, donc causer un préjudice. Seulement, l’acte qui constitue en l’occurrence l’atteinte à la liberté est une privation d’emploi, et celle-ci fait déjà l’objet en tant que telle d’une indemnisation, de sorte que l’octroi d’avantages supplémentaires ressemble, assez fortement, à une peine privée.


[1] On pourrait certes avancer que « résolution nulle » ne se confond pas avec « contrat nul », mais quelle différence alors avec la résolution simplement inefficace ? La nullité exerce une certaine attraction sur les travaillistes parce qu’elle est associée à une remise en état. Mais il en va de même en principe de la résolution inefficace. Sans doute cette considération vient-elle plus aisément à l’esprit depuis que le droit civil reconnaît - comme le droit du travail - la technique de la résolution unilatérale.

[2] V. par ex. F. Terré et alii, Droit civil - Les obligations, Dalloz, 2019, 12e éd., p. 868, n° 807.

[3] V. sur ce point le raisonnement de P. Durand, Traité de droit du travail - Tome III, Dalloz, 1956, p. 234, qui évoque (à propos du syndicat - mais le raisonnement est transposable à l’entreprise), un risque d’« animosité nuisible au bon fonctionnement du groupement ».

[4] Pour une vue exhaustive du droit positif, V. spéc. A. Fabre, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture – licenciement - droit commun - Nullité du licenciement, Rép. trav., Dalloz, 2020, n° 353 s.

[5] L’article 1231-2 du Code civil N° Lexbase : L0614KZR évoque le « gain » dont le créancier a été privé, dans une section consacrée à la « réparation du préjudice résultant de l'inexécution du contrat ».

[6] Pour plus d’explications, lire nos obs., Le préjudice (social) nécessaire, Bull. Joly Travail, février 2021, 114u2.

newsid:480519

Responsabilité médicale

[Brèves] Précisions du Conseil d’État sur la définition du caractère nosocomial et conséquences de la perte du dossier médical du patient

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 1er février 2022, n° 440852, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A12737LQ

Lecture: 4 min

N0471BZH

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par Laïla Bedja

Le 23 Février 2022

► Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens du 1° de l'article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1859IEL une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge ; il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d'un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante ;

L'incapacité d'un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l'intégralité d'un dossier médical n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient ; il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

Les faits et procédure. À la suite d’une intervention chirurgicale, un patient a été victime d’une péritonite nécessitant une nouvelle intervention d’urgence et lui laissant de nombreuses séquelles. 

Il a assigné l’établissement de santé en réparation du préjudice qu’il estime avoi subi du fait de sa prise en charge.

Sur le caractère nosocomial de l’infection

Le tribunal administratif a jugé que la péritonite revêtait le caractère d’infection nosocomiale et a mis à la charge de l’ONIAM le versement d’une certaine somme.

Sur appel de l’ONIAM, la cour administrative d’appel (CAA Nantes, 2 avril 2020, n° 18NT02898 N° Lexbase : A12757LS) a partiellement annulé le jugement. Elle s’est notamment fondée sur ce que cette infection avait pour cause directe la rétractation de la colostomie réalisée le 1er mai précédent, accident médical non fautif qui est au nombre des complications susceptibles de survenir lorsqu'une colostomie est réalisée sur un patient souffrant de la pathologie dont le patient était déjà atteint avant son admission à l'hôpital.

Annulation. Énonçant la première solution précitée, la Haute juridiction annule l’arrêt rendu par les juges de la cour administrative d’appel. En statuant ainsi, alors que cette infection devait être regardée, du seul fait qu'elle était survenue lors de la prise en charge du patient au sein de l'établissement hospitalier, sans qu'il ait été contesté devant le juge du fond qu'elle n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu'il était constant qu'elle n'avait pas d'autre origine que cette prise en charge, comme présentant un caractère nosocomial, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d'un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante, la cour a commis une erreur de droit.

Pour aller plus loin : C. Lantero, ÉTUDE : La responsabilité civile sans faute des établissements de santé publics, Le régime légal unifié : une responsabilité de « plein droit », in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E15373T4.

Sur la perte partielle du dossier médical du patient

Rejet du pourvoi. Sur les conséquences de l’incapacité de l’établissement de santé de communiquer l’intégralité du dossier médical, la Haute juridiction rejette le pourvoi. En effet, en jugeant que cette incapacité n’était pas en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs de l’établissement de santé dans la prise en charge du patient la cour, à laquelle il appartenait en revanche, ainsi qu'elle y a procédé, de tenir compte de ce que le dossier médical était incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui étaient soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient, n'a pas commis d'erreur de droit.

Pour aller plus loin : C. Lantero, ÉTUDE : La responsabilité civile pour faute des établissements de santé publics, Tenue et conservation du dossier médical, in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E43933R7.

newsid:480471

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Résiliation judiciaire : application du barème Macron

Réf. : Cass. soc., 16 février 2022, n° 20-16.184, FS-B N° Lexbase : A33377NW

Lecture: 2 min

N0448BZM

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par Lisa Poinsot

Le 23 Février 2022

► La résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse après l’entrée en vigueur du barème Macron, prévu par l'article L. 1235-3 du Code du travail, entraîne l’application dudit barème.

Faits et procédure. Un salarié, élu membre du CHSCT (aujourd’hui CSE), saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Il invoque pour appuyer sa demande des modifications de son contrat de travail, un harcèlement moral et une discrimination syndicale.

La cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 17 janvier 2020) fait droit à la demande du salarié en prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail qui prend effet le 14 février 2018. Elle a ainsi alloué au salarié la somme de 105 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, après avoir fixé le salaire moyen du salarié à la somme de 5 535,51 euros.

L’employeur se pourvoit en cassation en faisant grief à l’arrêt de ne pas avoir appliquer le barème relatif au versement des indemnités de licenciement prévu par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel en ce qu’il lui appartenait de déterminer le montant de l’indemnité en appliquant les dispositions prévues aux articles L. 1235-3 N° Lexbase : L1442LKM et L. 1235-3-2 N° Lexbase : L1440LKK du Code du travail.

Pour aller plus loin :

  • sur l’application du barème : la Cour de cassation ne prend pas position dans cet arrêt sur l’application du barème. Elle énonce simplement que la résiliation judiciaire étant prononcée postérieurement à l’ordonnance du 22 septembre 2017, il convient d’appliquer les dispositions nouvelles de l’article L. 1235-3 du Code du travail qui prévoit actuellement un barème des indemnités prud’homales de licenciement. À l’inverse, si la résiliation judiciaire avait été prononcée antérieurement à ladite ordonnance, la cour d’appel aurait appliqué la bonne version de l’article L. 1235-3 du Code du travail ;
  • v. aussi ÉTUDE : La résiliation judiciaire du contrat de travail, Les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0067Y8Y.

 

newsid:480448

Successions - Libéralités

[Brèves] Assurance vie et primes manifestement exagérées : quid d’un contrat racheté par son souscripteur ?

Réf. : Cass. civ. 1, 9 février 2022, n° 20-18.544, F-P+B N° Lexbase : A78577MX

Lecture: 2 min

N0539BZY

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 28 Février 2022

► L'article L. 132-13 du Code des assurances, qui exclut l’application des règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers, aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, ne s'applique pas aux primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur.

Question soulevée. Le cas d’espèce était le suivant : un contrat d’assurance vie avait été racheté en 2006 et les sommes rachetées avaient été réinvesties dans un nouveau contrat d’assurance vie.

L’héritière invoquait le caractère manifestement exagéré de versements exceptionnels de primes sur le contrat initial avant son rachat, entre 1985 et 2006.

La question se posait alors de savoir, ainsi que le soutenait l’intéressée, si les primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur pouvaient rester sujettes à rapport et à réduction pour atteinte à la réserve, quand bien même le contrat d'assurance vie avait été racheté par le souscripteur, dès lors que le produit de ce rachat avait été réinvesti dans un autre contrat d'assurance vie.

Réponse de la Cour de cassation. La réponse est négative, selon la Haute juridiction, qui énonce clairement que l’article L. 132-13 du Code des assurances N° Lexbase : L0142AAI ne s'applique pas aux primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur, et confirme ainsi l’analyse des juges versaillais : ayant souverainement estimé que le versement de la somme de 160 000 euros le 14 février 2006 sur le contrat d'assurance sur la vie ne présentait pas un caractère manifestement exagéré eu égard à l'âge du souscripteur, à sa situation patrimoniale et familiale et à l'utilité que revêtait pour lui l'opération, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'elle n'avait pas à vérifier si les primes versées sur le contrat racheté le 8 février précédent, présentaient un caractère manifestement exagéré, a légalement justifié sa décision.

newsid:480539

[Jurisprudence] Précisions inédites sur l’obligation de couverture de la sous-caution

Réf. : Cass. com., 9 février 2022, n° 19-21.942, F-B N° Lexbase : A68137MB

Lecture: 12 min

N0518BZ9

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par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences, Université de Rouen Normandie

Le 23 Février 2022

Mots-clés : sous-cautionnement • obligation de couverture • obligation de règlement •  exigibilité • étendue • vente en l’état futur d’achèvement • garantie d’achèvement

De manière inédite, la Chambre commerciale de la Cour de cassation applique au sous-cautionnement la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement. Après avoir rappelé la distinction entre les engagements de caution et de sous-caution, elle retient que la dette de la seconde « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes, peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ».


 

Les décisions de la Cour de cassation relatives au sous-cautionnement ne sont pas pléthoriques. L’une d’entre elles, rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 février 2022, apporte un éclairage intéressant sur la nature de cet engagement singulier.

En l’espèce, différentes sociétés civiles de construction vente s’engagent à édifier plusieurs immeubles. Le Groupement français de caution souscrit à cette occasion une garantie d’achèvement et, dans le même temps, deux dirigeants du groupe de promotion immobilière, composé des sociétés débitrices, s’engagent en qualité de sous-cautions. Alors que la construction des immeubles est inachevée, les sociétés débitrices sont placées en liquidation judiciaire. La caution règle la garantie d’achèvement et se retourne contre les sous-cautions, qui refusent d’honorer leurs engagements. Les juges du fond [1] donnent gain de cause à la caution de premier rang ce que les sous-cautions contestent au motif, notamment, que le paiement de la caution est intervenu à une date postérieure à celle qui constitue le terme de leurs propres engagements.

La Haute juridiction rejette le pourvoi ainsi formé. Pour ce faire, elle applique la distinction à l’œuvre dans le cautionnement qui oppose l’obligation de règlement à l’obligation de couverture et retient que la dette de la sous-caution prend naissance à la même date que celle de la caution, soit le jour où la créance garantie est consentie au débiteur principal. Elle précise, de plus, que la sous-caution couvre l’intégralité des sommes réglées par la caution, et que l’exigibilité des dettes garanties, comme le paiement par la caution au-delà du terme de l’engagement de la sous-caution, ne lui permettent pas d’échapper à son engagement. Toutes les dettes nées dans la « période de couverture » s’imposent à la sous-caution qui sera alors tenue d’exécuter son obligation de règlement.

Cette décision est d’autant plus intéressante à observer qu’elle suit de près la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D [2], entrée en vigueur le 1er janvier 2022. À cette occasion, le sous-cautionnement et la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement ont été légalement consacrés. La présente solution s’inscrit idéalement dans le sillage de ces nouveaux textes.

La tournure didactique de l’arrêt invite à en suivre le cheminement en revenant au préalable sur l’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement (I) et la définition de l’obligation de couverture que la Haute juridiction retient (II). Ces éléments exposés permettront de mieux saisir l’étendue de l’obligation de couverture de la sous-caution (III).

I. L’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement

Financer l’achèvement de l’immeuble, objet de l’engagement de la caution. Afin de déterminer la mesure de l’engagement de la sous-caution dans la présente espèce, il convient en premier lieu de préciser à quoi s’engage la caution dans le cadre particulier de la vente en l’état futur d’achèvement et les garanties qui l’assortissent.

Les risques d’une telle modalité de la vente, liés à son inscription dans le temps, imposent aux parties de fournir une garantie. L’article R. 261-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L9422LRE leur laisse le choix entre une ouverture de crédit et un cautionnement. Dans ce dernier cas, qui correspond à l’espèce, la caution s’engage non pas à achever l’immeuble par ses propres moyens, mais « à payer les sommes nécessaires à l’achèvement de l’immeuble ». Il s’agit donc plus précisément d’une garantie de financement de l’achèvement de l’immeuble. Comme tout cautionnement, la nature subsidiaire de son engagement justifie que la caution soit tenue de payer dans la seule hypothèse de la défaillance du vendeur [3].

L’achèvement des travaux, terme extinctif de l’engagement de la caution. Afin que le cautionnement produise utilement ses effets, la caution est engagée jusqu’à ce que la construction aboutisse, ce qui correspond légalement à l’achèvement des travaux. L’achèvement est défini comme la situation où « sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement qui sont indispensables à l’utilisation, conformément à sa destination, de l’immeuble faisant l’objet du contrat » [4]. L’achèvement correspond ainsi au moment où l’immeuble est habitable : les finitions ultérieures relèvent du parachèvement. Encore faut-il toutefois pouvoir déterminer avec certitude cet achèvement et sa date précise, afin de circonscrire le périmètre de l’engagement de la caution.

En effet, malgré sa définition légale, l’achèvement peut engendrer une contestation entre les parties, selon ce qu’elles estiment relever de la destination de l’immeuble. La loi prévoit alors deux modalités afin de constater cet achèvement : soit les parties le font elles-mêmes ; soit elles recourent à une personne qualifiée, qui peut être contractuellement ou judiciairement désignée [5]. Une fois l’achèvement constaté, l’engagement de la caution s’éteint [6]. Plus exactement, son obligation de couverture s’éteint : son obligation de règlement subsiste.

II. La référence à l’obligation de couverture de la caution

Retour sur la notion de couverture. Dans sa thèse consacrée aux causes d’extinction du cautionnement, Christian Mouly proposait une distinction féconde entre obligation de couverture et obligation de règlement [7]. Cette distinction s’avère particulièrement utile pour déterminer l’étendue de l’engagement d’une caution dans le temps, lorsque ce temps ne coïncide pas exactement avec celui de la dette garantie. Elle s’applique ainsi au cautionnement à durée déterminée, à la résiliation d’un cautionnement à durée indéterminée ou encore à la transmission de la dette d’une caution à ses héritiers.

Le terme de l’engagement de la caution (prévu dès la formation, décidé en cours d’exécution ou correspondant à son décès) permet de déterminer les dettes qu’elle doit payer à la place du débiteur défaillant. Toute dette née avant ce terme intègre l’assiette de la garantie ; toute dette née postérieurement en est exclue. En ce sens, l’expression employée par la Haute juridiction, à savoir la « période de couverture » est plus éclairante et plus adaptée. Il ne s’agit pas, en effet, d’une obligation à proprement parler, mais d’une durée, d’une période de temps grâce à laquelle le montant de la dette de la caution peut être déterminé. La présente décision l’exprime clairement : « l'obligation de garantie de la caution […] a pour objet de couvrir les dettes que le débiteur a contractées pendant la période de couverture de cet engagement. Elle prend donc naissance à la date à laquelle le débiteur principal contracte ces dettes ». L’affirmation ne peut qu’être approuvée : la caution paye la dette même du débiteur. La naissance de leurs engagements est nécessairement concomitante.

Conséquences de la distinction. Dès lors que l’obligation de couverture arrive à son terme, la caution n’est pas déchargée. Elle doit honorer son obligation de règlement, laquelle n’est enfermée dans aucun autre délai sinon celui de la prescription extinctive. La caution ne peut donc se prévaloir du fait que le créancier ait introduit contre elle une action en paiement postérieure à ce terme. Cette action ne vise en effet qu’à mettre en œuvre l’obligation de règlement de la caution et ne peut être confondue avec la question de savoir à quelle date est née sa dette. À l’inverse, il suffirait par exemple à une caution engagée pour une durée indéterminée de résilier son engagement dès le premier incident de paiement du débiteur principal et avant toute poursuite du créancier pour échapper au paiement et ainsi neutraliser la sûreté. La jurisprudence est constante à ce sujet [8] et la présente décision applique ce raisonnement, de manière inédite, aux rapports entre la caution de premier rang et la sous-caution.

III. La détermination de l’obligation de couverture de la sous-caution

Rappel de l’objet de l’engagement de la sous-caution. Le sous-cautionnement ne vise pas à la protection du créancier, contrairement à la certification de caution. La sous-caution protège les intérêts de la caution de premier rang, lorsque celle-ci paye la dette du débiteur principal. La caution solvens s’expose ce faisant à un risque : ne pas obtenir de remboursement de la part de ce débiteur. Or si le débiteur n’est pas en mesure de payer le créancier, il n’y a guère plus de chances qu’il puisse rembourser la caution. Celle-ci pourra alors se retourner contre la sous-caution et exiger d’elle ce qu’elle n’a pu obtenir du débiteur. Le risque est ainsi reporté sur la tête de la sous-caution, qui pourra alors se retourner, après paiement, contre le débiteur principal. La Cour de cassation expose clairement cette mécanique : « l’obligation de la sous-caution […] a pour objet de garantir la caution […] contre [le risque] de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement ». Bien que le recours à la définition du sous-cautionnement ne soit pas inédit, la définition ici employée est plus explicite encore, à la comparer à certains arrêts antérieurs [9]. Cette partie de la décision doit être approuvée sans réserve en ce qu’elle distingue nettement ces garanties complexes que sont le sous-cautionnement et la certification de caution.

Naissance et étendue de la dette de la sous-caution. À partir de cette définition, la Cour de cassation précise un élément du régime du sous-cautionnement qui était au cœur du contentieux. Rappelant que l’obligation de la caution nait à la date à laquelle le débiteur principal s’engage, elle en déduit que l’obligation de la sous-caution « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes ». Le raisonnement est implacable dans la mesure où l’engagement de la sous-caution ne se distingue pas, au fond, de celui de la caution de premier rang, sauf dans l’identité de leur bénéficiaire – respectivement, la caution et le créancier. Or cette identité est indifférente à la détermination de l’étendue de l’engagement de la sous-caution : le montant d’une dette n’est pas tributaire de celui à qui elle est due. Seules les stipulations du sous-cautionnement qui prévoiraient un engagement d’une durée moindre que celle de la caution ou pour un montant plus réduit introduiraient une différence dans la mesure de leurs engagements.

En l’espèce, les sous-cautions avaient souscrit divers engagements, dont les termes étaient fixés au 31 décembre 2011 et au 30 septembre 2012. Ces dates correspondent au terme de leur obligation de couverture et leur imposent de régler toutes les dettes du débiteur principal nées avant ces mêmes dates que la caution a payées. Or la construction des différents immeubles, objet de la garantie de premier rang, n’était pas achevée à ces deux dates. Dès lors, la caution de premier rang était tenue d’en financer l’achèvement et, dans le même temps, les sous-cautions étaient tenues de régler à la caution ce qu’elle avait déboursé pour ce faire. Désireuses d’échapper au paiement d’une dette à laquelle elles allaient devoir contribuer, du fait du placement en liquidation judiciaire des débiteurs principaux, les sous-cautions avancent que le paiement réalisé par la caution est intervenu postérieurement au terme de leur propre engagement. L’argument, qui confond la formation d’une dette avec son exécution, ne convainc pas la Haute juridiction. Les sous-cautions sont tenues de payer leurs dettes « peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ». Outre qu’il est parfaitement conforme à la distinction entre obligation de couverture et de règlement, le raisonnement préserve l’efficacité du sous-cautionnement, qui plus est dans ce contexte délicat de la liquidation judiciaire du débiteur principal. In fine, c’est l’efficacité du cautionnement lui-même qui est soutenu, car une caution sera toujours plus à même de s’engager en sachant que le sous-cautionnement qu’elle exige sera pleinement efficace.

Quelle portée au regard de la réforme ? Cette décision a le dernier mérite de s’inscrire idéalement dans le mouvement de réforme qui modernise le droit des sûretés en 2022. L’obligation de couverture et le sous-cautionnement sont en effet légalement consacrés, dans des termes qui ne remettent pas en cause la présente solution. D’après le nouvel article 2316 du Code civil N° Lexbase : L0176L8Z : « lorsqu'un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire ». Certes, la disposition ne consacre pas nommément l’obligation de couverture, mais sa formule n’en reste pas moins explicite sur le fond. Aussi, le sous-cautionnement n’est-il, techniquement, rien d’autre qu’un cautionnement au profit de la caution de premier rang : toutes les règles du cautionnement auront donc vocation à s’appliquer à lui. Enfin, le sous-cautionnement est désormais défini par l’article 2291-1 du Code civil N° Lexbase : L0133L8G comme « le contrat par lequel une personne s'oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement ». La définition reprend le mécanisme que la pratique avait conçu et le distingue clairement de la certification de caution disposée à l’article précédent. À ce sujet encore, la décision du 9 février 2022 se conforme parfaitement au droit positif, ce qui invite à l’approuver une nouvelle fois.

 

[1] CA Amiens, 21 mai 2019, n° 17/04861 N° Lexbase : A9225ZBB.

[2] Sur cette réforme, v. not. Dossier spécial « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » (ss. dir. de G. Piette), Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8992BYP.

[3] Par exemple lorsque le vendeur n’a plus les fonds suffisants pour achever la construction : Cass. civ. 3, 18 février 2016, n° 14-29.841, F-D N° Lexbase : A4551PZL.

[4] CCH, art. R. 261-1, al. 1er, dans sa version applicable à la cause N° Lexbase : L8549IAU.

[5] CCH , art. R. 261-2 N° Lexbase : L4938LT3.

[6] CCH, art. R. 261-24 N° Lexbase : L9440LR3.

[7] Ch. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979. V. également V. Mazeaud, L'obligation de couverture, thèse, IRJS, 2010.

[8] V., pour deux décisions récentes, Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-28.058, F-D N° Lexbase : A5419TAX et Cass. com., 28 février 2018, n° 16-25.069, F-D N° Lexbase : A0583XGP.

[9] V. not. Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-18.460, F-P+B N° Lexbase : A4930WDX : « la sous-caution ne garantit pas la dette du débiteur principal envers le créancier, mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier ».

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Urbanisme

[Brèves] Prise en compte des mesures de régularisation intervenues en cours d’instance (même hors délai) pour apprécier la légalité d’un permis de construire

Réf. : CE, 5° et 6° ch.-r., 16 février 2022, n° 420554, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A60927NX

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par Yann Le Foll

Le 23 Février 2022

► Le juge administratif doit prendre en compte les mesures de régularisation intervenues en cours d’instance (même hors délai) pour apprécier la légalité d’un permis de construire.

Principe. Il résulte de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0034LNL que, d'une part, si, à l'issue du délai qu'il a fixé dans sa décision avant dire droit pour que lui soit adressées la ou les mesures de régularisation du permis de construire attaqué, le juge peut à tout moment statuer sur la demande d'annulation de ce permis et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu'il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué.

Application. Dès lors, contrairement à ce que soutient l'association requérante, la production des permis de régularisation postérieurement à l'expiration du délai accordé ne saurait faire obstacle à ce que le Conseil d'État tienne compte de ces mesures de régularisation dans son appréciation de la légalité des permis de construire en litige pour l’implantation d’éoliennes.

Dans ses conclusions, le rapporteur public Stéphane Hoynck justifie ainsi sa position : «Il nous parait en réalité difficile de justifier la thèse du délai couperet, qui est assez contraire à l’idée de régularisation et qui pourrait placer le juge, la présente affaire l’illustre dans une situation curieuse où celui-ci a estimé que le PC était entaché d’un vice régularisable, où il a enclenché la procédure de régularisation et où il trouve dans son dossier un PC de régularisation, dont il ne pourrait pas tenir compte ». 

Principe bis. Les requérants parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai.

Application. Dès lors, la société bénéficiaire du permis n'est pas fondée à soutenir que l'association requérante partie à l'instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit du Conseil d'État, serait tardive pour contester la mesure de régularisation produite.

Selon le rapporteur public, « le risque de l’absence de délai sur la prolongation excessive du contentieux nous parait limité, le requérant prenant le risque que l’affaire soit audiencée malgré tout s’il tarde trop à critiquer la mesure de régularisation […] ».

Pour aller plus loin :

  • Étude: Le juge du contentieux administratif de l'urbanisme, La régularisation par le permis modificatif, in Droit de l’urbanisme, (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E4931E7R.

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