La lettre juridique n°483 du 3 mai 2012

La lettre juridique - Édition n°483

Éditorial

Arrêtés anti-mendicité et conscience troublée : dernière salve des "Archers des pauvres"

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N1612BTU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
[...] C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu
".

Il est fort à parier que peu d'entre nous se remémorent ces quelques vers de Victor Hugo, à la contemplation de ceux qui, ici ou là, mendient pour casser la croûte, en attendant de casser leur pipe. Souvent, notre regard se détourne, parfois notre conscience se retourne. Et, c'est bien parce qu'il est affaire de conscience collective troublée que pointent de plus en plus du nez des arrêtés municipaux anti-mendicité.

L'un des derniers, pris à l'été 2011 par la commune de La Madeleine, près de Lille, vient d'être annulé par le tribunal administratif, le juge estimant, notamment, que le contenu de l'arrêté "ne circonscri[vait] pas avec précision le champ d'application de l'interdiction", était sujet à interprétation et était susceptible d'étendre cette interdiction "au-delà de ce qui [était] nécessaire". L'AFP nous indique que l'arrêté litigieux avait été pris dans la foulée d'autres villes et traduit en roumain et en bulgare ; il invoquait un "climat de tension" créé par la présence d'un camp de Roms près de la commune.

Si la justification de l'arrêté est un peu courte aux yeux de la loi, elle s'inscrit, pourtant, dans une tradition de mesures anti-mendicité, toutes servies au gré des guerres civiles et des crises. Après la consécration, au Moyen Âge, des ordres mendiants de Saint Dominique et de Saint François, réclamant la fin de l'obscurantisme, l'ordonnance de Moulins de 1566, puis celle de Fontainebleau de 1586, en pleine guerre de religions, entendaient éradiquer la mendicité, mettant à contribution les ecclésiastiques, afin de "pourvoir à la nourriture et à l'entretien des pauvres mendiants". Les premières mesures coercitives sont, toutefois, plus tardives et l'édit de 1656, au sortir de la Fronde, porta établissement de l'Hôpital Général de Paris, en conférant des pouvoirs très étendus aux directeurs de cet hospice, mettant à leur disposition une force armée nouvelle désignée sous le nom d'"Archers des pauvres", afin d'enfermer les mendiants ; mesure étendue dans toute la France par déclaration royale de 1662. Reste qu'en 1686, en pleine guerre contre la Ligue d'Augsbourg, l'absolutisme royal condamna les mendiants aux galères... Et, en 1808, au coeur de la révolte espagnole ébranlant l'empire, un décret organique disposa de l'interdiction de la mendicité en France, voeu pieux s'il pouvait en être, et confirma les dépôts de mendicité... Enfin, est-il utile de rappeler que les articles 277 à 281 ancien du Code pénal ont sanctionné la mendicité, de 1810 à 1994 ; les "siècles bourgeois" admettant mal que la misère ne s'étale sous leurs yeux. Ainsi, "la majestueuse égalité des lois interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain", nous enseigne Anatole France.

"Le mal de la mendicité a été universellement connu dans tous les temps. Le nombre de mendiants toujours plus grand d'année en année depuis plusieurs siècles en a fait voir les inconvénients plus grands et plus fréquents : enfin de nos jours ils se sont multipliés au point, que des villes ils se répandent dans les campagnes où ils font le dégât, volant les épices, les pommes dans les vergers, les fruits dans les jardins, les poules jusque dans les poulaillers ; rien n'est plus aujourd'hui en sûreté" : introduction vive et actuelle, s'il en est, du Traité sur la mendicité avec les projets de règlement propres à l'empêcher dans les villes et les campagnes, de François Taintenier, édité en 1774, et qui pourrait bien servir d'épitaphe aux arrêtés municipaux anti-mendicité pris ces dernières années. Le mythe du "voleur de poules et du jeteur de sorts" vient de loin...

Mais, comment en vouloir aux maires ? La dépénalisation de la mendicité (l'exploitation de la mendicité demeurant pénalement sanctionnée aux articles 225-12-5 et suivants du Code pénal), à la suite de l'introduction du nouveau Code pénal, au lendemain de l'instauration des minima sociaux, laisse, souvent, sans arme juridique les autorités publiques locales confrontées à un phénomène grandissant, sur fond de crise aggravée.

Seuls interstices, le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (CGCT, art. L. 2212-2). En effet, la mendicité sur la voie publique constitue, juridiquement, une utilisation du domaine public pour une finalité particulière. Et, l'autorité administrative qui doit, alors, veiller à la conciliation des diverses utilisations du domaine public et au respect du principe d'égalité entre les utilisateurs du domaine public, peut ainsi prendre des mesures restrictives. Mais, comme nous le rappelle la dernière jurisprudence, seules les plaintes de particuliers, notamment d'habitants du voisinage incommodés, de commerçants invoquant la fuite de la clientèle et un préjudice commercial peuvent véritablement permettre de fonder un arrêté anti-mendicité. Le juge administratif commande au maire d'apporter "des éléments permettant d'apprécier la gravité" du trouble invoqué et, en l'espèce, "il n'y avait pas suffisamment de plaintes de la part de la population" ; c'est pourquoi il annulé l'arrêté litigieux. Et, le plus souvent, le trouble apparaît plus éphémère que le mal dont il est le fruit ; si bien que les plaintes ne sont pas légion.

Finalement, tout est affaire de circonstances... "En jugeant que l'arrêté du maire de Prades n'interdit les actes de mendicité que durant la période estivale, du mardi au dimanche, de 9 heures à 20 heures, et dans une zone limitée au centre ville et aux abords de deux grandes surfaces, la cour n'a pas dénaturé les termes de cet arrêté ; [...] elle a pu en déduire, par une exacte qualification juridique des faits et sans erreur de droit, que le maire avait pris une mesure d'interdiction légalement justifiée par les nécessités de l'ordre public", nous livrait le Conseil d'Etat le 9 juillet 2003...

Ou de conscience... "Le monde souffre de ne pas avoir assez de mendiants pour rappeler aux hommes la douceur d'un geste fraternel" souffle Marcel Aymé dans Clérambard.

Dernière minute : une jeune Roumaine de 24 ans vient d'être condamnée à 10 euros d'amende par infraction, soit 80 euros d'amende, pour "occupation abusive du domaine public et sollicitations et quête à l'égard des passants" de la ville de Castres.

Encore pourra-t-elle se réfugier au château de Moulinsart et rejoindre Miarka : l'intolérance du capitaine Haddock à la vue du campement des tziganes établi à côté d'une décharge publique, dans Les bijoux de la Castafiore, laissant rapidement place aux élans du coeur, lorsqu'il apprend que ce sont les autorités publiques, elles-mêmes, qui leur ont enjoint de s'installer à cet endroit. Mais, dans l'imaginaire d'Hergé, comme dans la réalité, la police pourra toujours laisser cours aux préjugés et déclarer les "romanichels" coupables de vol... Au regard de leur appartenance ethnique.

"Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations
".

newsid:431612

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Le Bâtonnier, juge impartial ?

Réf. : Cass. civ. 2, 29 mars 2012, n° 11-30.013, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9965IG8)

Lecture: 7 min

N1633BTN

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 03 Mai 2012

Citons, par bienveillance sans le nommer, cet avocat pourtant expérimenté qui, excédé par les moyens de droit qui lui étaient opposés, écrivait dans ses conclusions "le débiteur, au lieu de faire du droit, ferait mieux de payer". Et instruits par cet enseignement, méditons un court instant sur le cas d'espèce qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 mars 2012. Un justiciable avait décidé de changer d'avocat en cours de procédure. Quoi de plus légitime ? Ce justiciable contestait les honoraires de son premier avocat. Quoi de plus habituel ? Admettons-le, la tentation peut être grande pour un avocat, dessaisi de son mandat par son client, de fixer les honoraires correspondant aux diligences accomplies avant son dessaisissement à un montant excessif. On comprend bien les raisons d'un tel comportement, heureusement rare, même si elles sont en ce cas éminemment critiquables. Il arrive également que la disparition de la nécessaire relation de confiance entre l'avocat et son client s'accompagne d'un conflit qui conduit ce dernier, pour des raisons tout autant critiquables, à refuser de rétribuer son avocat. Fort heureusement et dans ces hypothèses, les dispositions des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) sont là, pour fixer la juste rémunération due à l'avocat, assurant ainsi aussi bien la protection des droits du justiciable que ceux de l'avocat.

La procédure prévue aux articles précités, nous la connaissons bien. Tellement bien qu'il serait vain d'en rappeler le détail.

Rappelons-en simplement les principes directeurs.

Le Bâtonnier est seul compétent en premier ressort (sauf l'hypothèse où un membre de son cabinet ou lui-même est concerné) pour statuer sur une contestation concernant la fixation des honoraires d'un avocat.

Le Bâtonnier peut être saisi d'une réclamation émanant soit d'une partie, soit d'un avocat.

La procédure est sans représentation obligatoire, mais rien n'interdit à une partie de se faire représenter par un avocat.

Elle est contradictoire, selon des modalités que le législateur a, de façon surprenante, jugé utile de détailler précisément, et elle est enfermée dans des délais très stricts.

La décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel qui peut être saisi par l'avocat ou la partie dans le délai d'un mois, par lettre recommandée avec accusé de réception, donc selon les formes les plus simples qui soient.

Revenons à notre cas d'espèce. Le premier président de la cour d'appel avait confirmé la décision du Bâtonnier fixant les honoraires du premier avocat à un certain montant.

Quoi de plus banal ?

Ce qui ne l'était pas, c'est que le débat portait moins sur le montant de l'honoraire contesté que sur la capacité et la légitimité du Bâtonnier à être juge de l'honoraire d'un avocat, ceci au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), des dispositions tant législatives que réglementaires de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifiée par la loi n° 90-1259 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L7803AIT), en application desquelles ont été pris les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 17 novembre 1991 régissant la procédure de contestation des honoraires organisée devant le Bâtonnier de l'Ordre, pour non-respect du droit à un procès équitable et de l'impartialité de la juridiction.

La Cour de cassation a écarté toute suspicion que la procédure de fixation de l'honoraire de l'avocat n'offrirait pas un procès équitable au justiciable au motif que ne serait pas assurée l'égalité des armes entre l'avocat et son client, et que le Bâtonnier ne serait pas, par essence, une juridiction impartiale, étant avocat lui-même.

  • La Cour de cassation rappelle que la procédure spécifique de contestation des honoraires d'avocat, très strictement encadrée tant par les textes que par la jurisprudence, est une procédure orale qui obéit aux règles de la procédure civile en la matière, au cours de laquelle l'avocat et son client exercent leurs droits dans les mêmes conditions.

Soit, mais cela ne répond pas au grief tiré du fait que le Bâtonnier, en sa qualité d'avocat, ne serait pas un juge impartial.

  • Qu'il est satisfait à l'exigence d'un procès équitable dès lors que la décision du Bâtonnier ou de son délégué exerce une fonction juridictionnelle avec la possibilité pour le client d'exercer un recours devant le premier président de la cour d'appel compétente.

Soit, mais cela ne répond pas davantage à la question posée pour la procédure de première instance. Faut-il aller en appel pour exercer ses droits dans les mêmes conditions ? Ou faut-il considérer que dès lors que le Bâtonnier sait que sa décision, nécessairement motivée, est susceptible d'appel, il s'obligera à l'impartialité ?

  • Qu'il est satisfait à l'exigence d'impartialité dès lors que cette impartialité est garantie par les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat, par l'application du principe du contradictoire, et par celle du principe de l'équité, et par le fait que la loi du 31 décembre 1971 détermine les conditions de la fixation de l'honoraire en l'absence de convention entre les parties.

Le principe du contradictoire, et celui plus étonnant de l'équité (le juge, fût-il Bâtonnier, statue en droit et non en équité), garantissent-ils la neutralité du Bâtonnier ? Etre écouté est une chose, être entendu en est une autre.

Plus déterminantes semblent être les références faites par la Cour de cassation aux règles déontologiques, et implicitement aux principes essentiels de la profession tels qu'ils résultent de l'article 1er du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) édicté par le Conseil national des barreaux. Le Bâtonnier n'en est-il pas le garant ? Ainsi que le rappel que les critères de fixation de l'honoraire, en l'absence de convention préalable, sont énumérés par la loi, puisque le Bâtonnier statue en droit.

  • Que le fait que le Bâtonnier fixe les honoraires ne porte atteinte, ni à l'exigence du procès équitable ni au respect du principe de l'égalité des armes, dès lors que n'est pas affecté le droit pour celui qui conteste les honoraires de présenter sa cause dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport à l'avocat, partie adverse.

La Cour de cassation en déduit que la procédure instituée par les articles 174 à 179 du décret du 27 novembre 1991 pour trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, les contestations du montant et du recouvrement des honoraires des avocats, et donnant compétence, pour en connaître, au Bâtonnier, avocat élu par ses pairs, tenu dans l'exercice de l'ensemble des attributions attachées à son mandat électif au respect des dispositions réglementaires relatives aux règles de déontologie de la profession d'avocat, et dont la décision peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité, ne méconnaît ni les exigences du droit à un procès équitable, ni celle du droit de faire examiner sa cause par un juge impartial. Le premier président a déduit à bon droit que les dispositions législatives et réglementaires régissant la procédure de contestation d'honoraires ne sont pas contraires à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Qu'en termes élégants il est ainsi affirmé par la Cour de cassation qu'a contrario, et en parfaite contradiction avec sa motivation, le Bâtonnier statuant en premier ressort ne présenterait pas, quant à lui, ces garanties d'indépendance et d'impartialité puisque sa décision "peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité".

Le Conseil constitutionnel avait été saisi les 1er et 12 juillet 2011 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées, pour l'une d'entre elles, par le même justiciable et relatives à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit du 2° et du 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

L'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que "Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre.
Ils précisent notamment :
[...] 2° les règles de déontologie, ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires ; [...]
6° la procédure de règlement des contestations concernant le paiement des frais et honoraires des avocats ;
[...]".

Par décision n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : A1170HYY), le Conseil constitutionnel a décidé que "les 2° et 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sont conformes à la Constitution".

Se fondant sur cette décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation dans son arrêt du 29 mars 2012 a tout naturellement rejeté la demande d'annulation de la décision attaquée, fondée sur une abrogation des articles 53-2° et 53-6° de la loi du 31 décembre 1971 que le Conseil constitutionnel a refusé de prononcer.

Etait-il réellement incongru de s'interroger sur le caractère corporatiste, et qui donc ne serait pas à l'abri d'un soupçon de partialité, d'une procédure spécifique, pour reprendre les termes de l'arrêt de la Cour de cassation, qui attribue compétence à un avocat pour statuer sur les honoraires de ses confrères ?

Assurément non, sauf à oublier que la profession d'avocat, comme le rappelle l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, est une profession dont l'indépendance doit être respectée, comme doit être respectée l'autonomie des ordres et le caractère libéral de la profession.

Posons-nous une simple question.

Si le contentieux de l'honoraire de l'avocat était dévolu au juge de droit commun, l'indépendance de l'avocat y survivrait-elle ?

De toute évidence, la réponse est négative.

Il n'est pas envisageable que le même juge tranche le fond d'un litige opposant deux parties, et fixe également la rémunération du ou des avocats de ces parties. Bien que la question soit d'une autre nature, il suffit pour s'en convaincre d'observer la jurisprudence judiciaire dans l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W).

Et puis, ne l'oublions pas, même si la Cour de cassation l'a exprimé en d'autres termes, le Bâtonnier d'un Ordre n'est pas, dans l'exercice de ses fonctions, "un avocat comme les autres". Il est le gardien de la déontologie et donc des principes essentiels de la profession.

Aucune suspicion à son endroit n'est légitime en ce domaine.

Moralité, au lieu de faire du droit, le justiciable aurait mieux fait de payer son premier avocat.

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Le Bâtonnier, juge impartial ?

Réf. : Cass. civ. 2, 29 mars 2012, n° 11-30.013, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9965IG8)

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 03 Mai 2012

Citons, par bienveillance sans le nommer, cet avocat pourtant expérimenté qui, excédé par les moyens de droit qui lui étaient opposés, écrivait dans ses conclusions "le débiteur, au lieu de faire du droit, ferait mieux de payer". Et instruits par cet enseignement, méditons un court instant sur le cas d'espèce qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 mars 2012. Un justiciable avait décidé de changer d'avocat en cours de procédure. Quoi de plus légitime ? Ce justiciable contestait les honoraires de son premier avocat. Quoi de plus habituel ? Admettons-le, la tentation peut être grande pour un avocat, dessaisi de son mandat par son client, de fixer les honoraires correspondant aux diligences accomplies avant son dessaisissement à un montant excessif. On comprend bien les raisons d'un tel comportement, heureusement rare, même si elles sont en ce cas éminemment critiquables. Il arrive également que la disparition de la nécessaire relation de confiance entre l'avocat et son client s'accompagne d'un conflit qui conduit ce dernier, pour des raisons tout autant critiquables, à refuser de rétribuer son avocat. Fort heureusement et dans ces hypothèses, les dispositions des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) sont là, pour fixer la juste rémunération due à l'avocat, assurant ainsi aussi bien la protection des droits du justiciable que ceux de l'avocat.

La procédure prévue aux articles précités, nous la connaissons bien. Tellement bien qu'il serait vain d'en rappeler le détail.

Rappelons-en simplement les principes directeurs.

Le Bâtonnier est seul compétent en premier ressort (sauf l'hypothèse où un membre de son cabinet ou lui-même est concerné) pour statuer sur une contestation concernant la fixation des honoraires d'un avocat.

Le Bâtonnier peut être saisi d'une réclamation émanant soit d'une partie, soit d'un avocat.

La procédure est sans représentation obligatoire, mais rien n'interdit à une partie de se faire représenter par un avocat.

Elle est contradictoire, selon des modalités que le législateur a, de façon surprenante, jugé utile de détailler précisément, et elle est enfermée dans des délais très stricts.

La décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel qui peut être saisi par l'avocat ou la partie dans le délai d'un mois, par lettre recommandée avec accusé de réception, donc selon les formes les plus simples qui soient.

Revenons à notre cas d'espèce. Le premier président de la cour d'appel avait confirmé la décision du Bâtonnier fixant les honoraires du premier avocat à un certain montant.

Quoi de plus banal ?

Ce qui ne l'était pas, c'est que le débat portait moins sur le montant de l'honoraire contesté que sur la capacité et la légitimité du Bâtonnier à être juge de l'honoraire d'un avocat, ceci au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), des dispositions tant législatives que réglementaires de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifiée par la loi n° 90-1259 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L7803AIT), en application desquelles ont été pris les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 17 novembre 1991 régissant la procédure de contestation des honoraires organisée devant le Bâtonnier de l'Ordre, pour non-respect du droit à un procès équitable et de l'impartialité de la juridiction.

La Cour de cassation a écarté toute suspicion que la procédure de fixation de l'honoraire de l'avocat n'offrirait pas un procès équitable au justiciable au motif que ne serait pas assurée l'égalité des armes entre l'avocat et son client, et que le Bâtonnier ne serait pas, par essence, une juridiction impartiale, étant avocat lui-même.

  • La Cour de cassation rappelle que la procédure spécifique de contestation des honoraires d'avocat, très strictement encadrée tant par les textes que par la jurisprudence, est une procédure orale qui obéit aux règles de la procédure civile en la matière, au cours de laquelle l'avocat et son client exercent leurs droits dans les mêmes conditions.

Soit, mais cela ne répond pas au grief tiré du fait que le Bâtonnier, en sa qualité d'avocat, ne serait pas un juge impartial.

  • Qu'il est satisfait à l'exigence d'un procès équitable dès lors que la décision du Bâtonnier ou de son délégué exerce une fonction juridictionnelle avec la possibilité pour le client d'exercer un recours devant le premier président de la cour d'appel compétente.

Soit, mais cela ne répond pas davantage à la question posée pour la procédure de première instance. Faut-il aller en appel pour exercer ses droits dans les mêmes conditions ? Ou faut-il considérer que dès lors que le Bâtonnier sait que sa décision, nécessairement motivée, est susceptible d'appel, il s'obligera à l'impartialité ?

  • Qu'il est satisfait à l'exigence d'impartialité dès lors que cette impartialité est garantie par les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat, par l'application du principe du contradictoire, et par celle du principe de l'équité, et par le fait que la loi du 31 décembre 1971 détermine les conditions de la fixation de l'honoraire en l'absence de convention entre les parties.

Le principe du contradictoire, et celui plus étonnant de l'équité (le juge, fût-il Bâtonnier, statue en droit et non en équité), garantissent-ils la neutralité du Bâtonnier ? Etre écouté est une chose, être entendu en est une autre.

Plus déterminantes semblent être les références faites par la Cour de cassation aux règles déontologiques, et implicitement aux principes essentiels de la profession tels qu'ils résultent de l'article 1er du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) édicté par le Conseil national des barreaux. Le Bâtonnier n'en est-il pas le garant ? Ainsi que le rappel que les critères de fixation de l'honoraire, en l'absence de convention préalable, sont énumérés par la loi, puisque le Bâtonnier statue en droit.

  • Que le fait que le Bâtonnier fixe les honoraires ne porte atteinte, ni à l'exigence du procès équitable ni au respect du principe de l'égalité des armes, dès lors que n'est pas affecté le droit pour celui qui conteste les honoraires de présenter sa cause dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport à l'avocat, partie adverse.

La Cour de cassation en déduit que la procédure instituée par les articles 174 à 179 du décret du 27 novembre 1991 pour trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, les contestations du montant et du recouvrement des honoraires des avocats, et donnant compétence, pour en connaître, au Bâtonnier, avocat élu par ses pairs, tenu dans l'exercice de l'ensemble des attributions attachées à son mandat électif au respect des dispositions réglementaires relatives aux règles de déontologie de la profession d'avocat, et dont la décision peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité, ne méconnaît ni les exigences du droit à un procès équitable, ni celle du droit de faire examiner sa cause par un juge impartial. Le premier président a déduit à bon droit que les dispositions législatives et réglementaires régissant la procédure de contestation d'honoraires ne sont pas contraires à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Qu'en termes élégants il est ainsi affirmé par la Cour de cassation qu'a contrario, et en parfaite contradiction avec sa motivation, le Bâtonnier statuant en premier ressort ne présenterait pas, quant à lui, ces garanties d'indépendance et d'impartialité puisque sa décision "peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité".

Le Conseil constitutionnel avait été saisi les 1er et 12 juillet 2011 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées, pour l'une d'entre elles, par le même justiciable et relatives à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit du 2° et du 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

L'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que "Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre.
Ils précisent notamment :
[...] 2° les règles de déontologie, ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires ; [...]
6° la procédure de règlement des contestations concernant le paiement des frais et honoraires des avocats ;
[...]".

Par décision n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : A1170HYY), le Conseil constitutionnel a décidé que "les 2° et 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sont conformes à la Constitution".

Se fondant sur cette décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation dans son arrêt du 29 mars 2012 a tout naturellement rejeté la demande d'annulation de la décision attaquée, fondée sur une abrogation des articles 53-2° et 53-6° de la loi du 31 décembre 1971 que le Conseil constitutionnel a refusé de prononcer.

Etait-il réellement incongru de s'interroger sur le caractère corporatiste, et qui donc ne serait pas à l'abri d'un soupçon de partialité, d'une procédure spécifique, pour reprendre les termes de l'arrêt de la Cour de cassation, qui attribue compétence à un avocat pour statuer sur les honoraires de ses confrères ?

Assurément non, sauf à oublier que la profession d'avocat, comme le rappelle l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, est une profession dont l'indépendance doit être respectée, comme doit être respectée l'autonomie des ordres et le caractère libéral de la profession.

Posons-nous une simple question.

Si le contentieux de l'honoraire de l'avocat était dévolu au juge de droit commun, l'indépendance de l'avocat y survivrait-elle ?

De toute évidence, la réponse est négative.

Il n'est pas envisageable que le même juge tranche le fond d'un litige opposant deux parties, et fixe également la rémunération du ou des avocats de ces parties. Bien que la question soit d'une autre nature, il suffit pour s'en convaincre d'observer la jurisprudence judiciaire dans l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W).

Et puis, ne l'oublions pas, même si la Cour de cassation l'a exprimé en d'autres termes, le Bâtonnier d'un Ordre n'est pas, dans l'exercice de ses fonctions, "un avocat comme les autres". Il est le gardien de la déontologie et donc des principes essentiels de la profession.

Aucune suspicion à son endroit n'est légitime en ce domaine.

Moralité, au lieu de faire du droit, le justiciable aurait mieux fait de payer son premier avocat.

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Expropriation

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'expropriation - Avril 2012

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N1611BTT

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'IRENEE

Le 03 Mai 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de découvrir la première chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la la nation et de l'Etat (IRENEE). Elle abordera, tout d'abord, la réforme de l'enquête publique relative aux opérations susceptibles d'affecter l'environnement, via le décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011 qui procède, notamment, aux modifications réglementaires rendues nécessaires par le regroupement des enquêtes publiques existantes en deux catégories principales : l'enquête publique relative aux opérations susceptibles d'affecter l'environnement régie par le Code de l'environnement, et l'enquête d'utilité publique régie par le Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Cette chronique traitera, ensuite, d'une décision rendue par la Haute juridiction administrative dans laquelle celle-ci se prononce sur la compatibilité d'une déclaration d'utilité publique relative à la construction d'une déviation avec le schéma directeur de la région Ile-de-France (CE 6° s-s., 12 mars 2012, n° 322662, inédit au recueil Lebon). Sera, par ailleurs, étudiée, la notion d'indépendance du commissaire enquêteur et des membres de la commission d'enquête (CAA Paris, 26 janvier 2012, n° 10PA01677, inédit au recueil Lebon). Cette chronique se terminera avec l'analyse d'une décision de la Cour suprême qui énonce que le locataire qui a édifié régulièrement des constructions sur le terrain loué a le droit à une indemnité pour ces constructions en cas de résiliation anticipée du bail du fait de l'expropriation (Cass. civ. 3, 5 janvier 2012, n° 10-26.965, FS-P+B).
  • La réforme des enquêtes publiques susceptibles d'affecter l'environnement (décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011, portant réforme de l'enquête publique relative aux opérations susceptibles d'affecter l'environnement N° Lexbase : L5121IR4)

Le décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011 (1) est venu préciser les articles 236 et suivants de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN) (2), dite "Grenelle 2", qui avaient regroupé les enquêtes publiques existantes en deux grandes catégories. Il s'agit, tout d'abord, des enquêtes publiques relatives aux opérations susceptibles d'affecter l'environnement qui sont régies par le Code de l'environnement. Sont, ensuite, visées les enquêtes d'utilité publique concernant les opérations qui ne portent atteinte qu'à la propriété immobilière et qui sont régies par le Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Le décret du 29 décembre 2011, qui ne s'appliquera qu'à compter du 1er juin 2012, concerne principalement l'enquête dite "environnementale" qui subit un certain nombre de modifications dont les principales sont les suivantes :

- la durée de l'enquête peut être prolongée jusqu'à trente jours ;
- le regroupement des enquêtes en une enquête unique est facilité en cas de pluralité de maîtres d'ouvrage ou de réglementations distinctes ;
- le dossier d'enquête doit comporter un bilan du débat public ou de la concertation préalable si le projet en a fait l'objet ;
- les conditions d'organisation, les modalités de publicité de l'enquête, ainsi que les moyens dont dispose le public pour formuler ses observations sont précisées, le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication étant désormais possible dans ce cadre ;
- la personne responsable du projet est désormais autorisée à produire des observations sur les remarques formulées par le public durant l'enquête ;
- en cas d'insuffisance ou de défaut de motivation des conclusions du commissaire enquêteur, le président du tribunal administratif, saisi par l'autorité organisatrice de l'enquête ou de sa propre initiative, peut demander des compléments au commissaire enquêteur ;
- de nouvelles procédures de suspension d'enquête ou d'enquête complémentaire sont mises en place en vue de mieux prendre en considération les observations du public et des recommandations du commissaire enquêteur ;
- les conditions d'indemnisation des commissaires enquêteurs sont revues et un recours administratif préalable obligatoire à la contestation des ordonnances d'indemnisation est organisé.

Enfin, de façon indirecte, le décret du 29 décembre 2011 touche la procédure d'expropriation anciennement qualifiée de "droit commun", dans le sens d'une restriction des garanties des administrés. En effet, les dispositions de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37), codifiées à l'article L. 11-1 II du Code l'expropriation (N° Lexbase : L8041IMR), ne sont plus applicables à cette catégorie d'enquêtes. Il en résulte, d'une part, que c'est désormais le préfet, et non plus le président du tribunal administratif qui est compétent pour désigner le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête. D'autre part, les pouvoirs du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête sont désormais plus réduits au regard de ceux qui leur étaient auparavant reconnus en application des articles R. 11-14-1 (N° Lexbase : L3013HNW) et suivants du Code de l'expropriation.

  • Compatibilité d'une déclaration d'utilité publique relative à la construction d'une déviation au schéma directeur de la région Ile-de-France (CE 6° s-s., 12 mars 2012, n° 322662, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5560IGZ)

Dans cette affaire, une association conteste l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles (3) rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Yvelines déclarant d'utilité publique un projet de déviation d'une route départementale. Les juges doivent d'abord se prononcer sur la compatibilité de l'opération projetée avec le schéma directeur de la région Ile-de-France. Depuis l'arrêt "Dame veuve Barbaro" du 11 janvier 1974 (4), le Conseil d'Etat considère que "les travaux prévus par les déclarations d'utilité publique sont au nombre de ceux qui ne peuvent être ni entrepris, ni, par suite, autorisés sur les territoires ou s'applique un plan d'urbanisme, s'ils ne sont pas compatibles avec ce plan". La notion de compatibilité définie par cet arrêt n'est pas toujours aisée à appréhender. En effet, comme l'a écrit M. Labetoulle, la notion de compatibilité "ne se laisse que malaisément définir dans l'absolu [...] ce n'est que rapprochée [...] des deux règles ou décisions qu'elle met en relation, qu'elle prend vraiment forme, contenu et signification [...] en somme [il s'agit] d'une notion plus fonctionnelle et instrumentale que conceptuelle" (5). Tout va donc dépendre du type de document en cause et de son degré de précision : l'appréciation de la compatibilité d'une opération d'aménagement à un document d'urbanisme sera plus rigoureuse lorsqu'il s'agit d'un plan local d'urbanisme, que lorsqu'est en cause un schéma directeur ou, comme en l'espèce, le schéma directeur de la région Île-de-France.

S'agissant des schémas de cohérence territoriale -et anciennement des schémas directeurs- le Conseil d'Etat avait précisé dans l'arrêt d'Assemblée "Adam" du 22 février 1974 (6) que les différences entre la déclaration d'utilité publique et ces documents ne doivent remettre en cause "ni les options fondamentales du schéma, ni la destination générale des sols", pas plus qu'elles ne peuvent compromettre "ni le maintien des espaces boisés, ni la protection des sites tels qu'ils sont localisés par le schéma". C'est donc seulement en cas de contrariété grossière entre le schéma de cohérence territoriale et la déclaration d'utilité publique que le juge est susceptible de censurer l'acte attaqué, ce qu'il n'a jamais fait à notre connaissance (7).

C'est le même raisonnement qui est tenu lorsqu'est en cause le schéma directeur de la région Ile-de-France (8). Ici, également, les chances d'obtenir l'annulation d'une déclaration publique qui serait jugée incompatible avec ce document d'urbanisme sont minces. L'on peut, toutefois, relever que le Conseil d'Etat, dans un arrêt "Etablissements Dutemple" du 22 mai 1991 (9), a déjà eu l'occasion d'annuler une déclaration d'utilité publique au motif qu'elle n'était pas compatible avec les options fondamentales du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la ville de Paris. Dans cette affaire, les juges avaient relevé que les documents graphiques du schéma prévoyaient, dans le secteur dans lequel était projeté la création d'une zone d'aménagement concerté, un port fluvial avec des darses et des emprises profondes. Or, le programme de la zone ne comportait aucun aménagement portuaire ou industriel, ceux-ci étant remplacés par la création d'activités artisanales ou industrielles légères.

En l'espèce, les juges vont considérer que l'arrêté déclarant d'utilité publique le projet de déviation de la route départementale 154 entre Verneuil-sur-Seine et Vernouillet n'est pas incompatible avec les options fondamentales du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la ville de Paris. Le schéma établit, pour le respect des orientations fondamentales qu'il définit et qui tendent à la préservation des espaces boisés de l'urbanisation, à leur intégrité, au respect de leurs lisières et à leur fréquentation par le public, plusieurs prescriptions. En particulier, le schéma précise que les tracés des grands ouvrages doivent, dans la mesure du possible, éviter les espaces boisés et, à défaut, avoir sur ces espaces un impact limité, toute surface forestière désaffectée devant être compensée par la création d'une superficie au moins égale, attenante au massif forestier. Compte tenu de la nature de l'opération projetée et, plus spécialement, eu égard à son tracé et aux compensations prévues, le Conseil d'Etat considère que le projet litigieux était bien compatible avec ce schéma directeur.

Cette question résolue, le Conseil d'Etat fait une application classique de la théorie du bilan pour apprécier l'utilité publique de l'opération projetée. Il rappelle "qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement, et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics qu'elle comporte, ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente" (10). Si cette approche permet de substituer l'appréciation du juge à celle de l'autorité administrative compétente, elle n'aboutit, en pratique, qu'à censurer des illégalités qui relèveraient certainement, dans le cadre d'un contrôle restreint, de l'erreur manifeste d'appréciation (11). En particulier, lorsque sont en cause, comme en l'espèce, des projets de construction ou d'aménagements de voirie, les arguments relatifs à l'amélioration de la sécurité, des conditions de circulation, de la desserte des communes et des régions concernées avec ses implications en termes de développement économique l'emportent presque systématiquement sur les inconvénients invoqués par les requérants (12). Ce n'est que dans les cas, très rares, où de tels intérêts, qui sont, en principe, induits par ce type d'aménagements, n'existent pas (13), ou lorsque l'aménagement présente lui-même un risque pour la sécurité des usagers que l'annulation sera prononcée en application de la théorie du bilan (14) .

En l'espèce, les juges relèvent l'intérêt que présente le projet pour l'amélioration de la traversée des communes concernées. Ils considèrent que l'association requérante n'a établi ni l'absence, ni l'insuffisance des améliorations envisagées, ni la dangerosité de la circulation qu'entraînerait la voie nouvellement créée. Les mesures compensatoires prévues pour la protection de la faune et de la flore sont suffisantes et le projet ne porte pas d'atteintes significatives à l'habitat d'espèces protégées. Enfin, le coût financier du projet n'est ni sous-estimé, ni disproportionné eu égard aux avantages attendus. L'opération projetée a, en conséquence, un caractère d'utilité publique et le recours de l'association requérante est donc rejeté.

  • L'indépendance du commissaire enquêteur et des membres de la commission d'enquête : l'appréciation par le juge de la qualité de "personnes appartenant à l'administration de la collectivité ou de l'organisme expropriant ou participant à son contrôle" (CAA Paris, 26 janvier 2012, n° 10PA01677, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2667IKY)

Il est fréquent, dans le cadre d'un recours dirigé contre une déclaration d'utilité publique ou un arrêté de cessibilité, que les requérants mettent en doute l'indépendance du commissaire enquêteur ou des membres de la commission d'enquête. Sur cette question, l'article R. 11-5 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3021HLH) précise que, "ne peuvent être désignées pour exercer les fonctions de commissaire enquêteur les personnes appartenant à l'administration de la collectivité ou de l'organisme expropriant ou participant à son contrôle ou les personnes intéressées à l'opération soit à titre personnel, soit en raison des fonctions qu'elles exercent ou ont exercées depuis moins de cinq ans".

D'une façon générale, les juges font une interprétation assez restrictive de ce texte. En particulier, le fait que le commissaire enquêteur ait été par le passé un élu ou un agent de la collectivité publique ou de l'organisme expropriant ne constitue pas, en tant que tel, une violation de l'article R. 11-5. Il a, ainsi, été jugé, par exemple, qu'un ancien conseiller municipal habitant une commune n'appartient plus à l'administration expropriante et peut donc être nommé commissaire enquêteur (15). De la même façon, un ingénieur des travaux publics de l'Etat admis à faire valoir ses droits à la retraite ne peut être considéré comme appartenant à l'administration expropriante (16). Un ancien secrétaire de mairie de la commune expropriante peut être valablement nommé membre d'une commission d'enquête (17), tout comme un ancien secrétaire en chef de la sous-préfecture dans le ressort duquel se situe la commune expropriante (18).

En revanche, dès lors que le commissaire enquêteur a été, à ce titre ou à un autre, impliqué dans la procédure d'expropriation, et cela même de façon occasionnelle, il ne saurait être considéré comme indépendant en application de l'article R. 11-5 du Code de l'expropriation. Tel est le cas, par exemple, d'une personne qui a eu la qualité de conseiller municipal de la collectivité expropriante et qui a pris part, à ce titre, durant son mandat, à diverses délibérations du conseil municipal préparatoires à la procédure d'expropriation engagée au profit de la commune (19). Il en va de même s'agissant d'un conseiller général nommé commissaire enquêteur dans le cadre d'une procédure d'expropriation concernant l'aménagement d'une route départementale (20). Une solution identique a été retenue pour le cas d'une personne qui avait pris une part importante à l'enquête publique en tant qu'ingénieur à la direction départementale de l'équipement, alors même qu'elle avait fait valoir ses droits à la retraite depuis plus de cinq ans (21). En revanche, un ingénieur divisionnaire peut être choisi comme commissaire enquêteur dans la mesure où, bien qu'il soit fonctionnaire de l'Etat, il n'a pas prêté, même occasionnellement, son concours à la commune expropriante, ni participé au contrôle des activités de cette commune (22).

L'arrêt "Menard" du 26 janvier 2012 donne l'occasion à la cour administrative d'appel de Paris de faire application de cette jurisprudence. En l'espèce, l'indépendance du commissaire enquêteur, par rapport à la Société d'économie mixte de la ville de Paris (SEMAVIP), bénéficiaire de l'expropriation, était contestée sur deux points. D'une part, il représente en tant que conseiller municipal une commune au sein du syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères dont fait partie la Ville de Paris. D'autre part, il est salarié d'une société dont la Caisse des dépôts et consignations, qui détient une part du capital de la SEMAVIP, est actionnaire minoritaire. Les juges considèrent, cependant, que les liens entre le commissaire enquêteur, la Ville de Paris et la SEMAVIP sont trop distendus pour mettre en cause son indépendance. Elle écarte, en conséquence, le moyen tiré de l'absence d'impartialité et d'indépendance du commissaire enquêteur.

  • Le locataire qui a édifié régulièrement des constructions sur le terrain loué a le droit à une indemnité pour ces constructions en cas de résiliation anticipée du bail du fait de l'expropriation (Cass. civ. 3, 5 janvier 2012, n° 10-26.965, FS-P+B N° Lexbase : A0278H98)

Des preneurs avaient construit sur une parcelle qui leur avait été donnée en location une maison d'habitation. Le terrain d'assiette a ensuite fait l'objet d'une expropriation, ce qui les a conduit à demander à la juridiction judiciaire une indemnité correspondant à la valeur du bâti telle qu'elle a été estimée par le service des domaines. Le sort des constructions édifiées par le locataire durant son bail est réglé, sauf clause contraire, par le principe de l'accession différée, telle qu'il résulte d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 1er décembre 1964. Dans cet arrêt, la Cour a considéré que, "si en l'absence d'accord des parties, le sort des constructions élevées par le preneur sur le fonds donné à bail est réglé à l'expiration du bail par l'article 555, alinéas 1er et 2, du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP), le preneur reste propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu'il a édifiées sur le terrain du bailleur" (23). Ce n'est donc qu'à la fin du bail que le bailleur devient propriétaire des constructions édifiées.

Le droit de propriété reconnu au locataire pendant la durée du bail a des conséquences importantes. Il lui permet, notamment, de donner lui-même à bail les constructions édifiées et la Cour de cassation a pu considérer qu'en cas de sinistre entraînant la destruction du bâtiment édifié, c'est le preneur, et non pas le bailleur qui bénéficie de l'indemnité d'assurance (24). En l'espèce, la cour d'appel de Rouen avait fait droit à la demande d'indemnité présentée par les preneurs au motif que, du fait de la prescription trentenaire, les locataires doivent être reconnus comme propriétaires des immeubles qu'ils ont construits (CA Rouen, 1ère ch., 15 septembre 2010, n° 09/04731 N° Lexbase : A7509E9Y) (25). La Cour de cassation a, toutefois, considéré que les preneurs ne pouvaient se prévaloir d'aucune prescription acquisitive en cours de bail, faute de pouvoir justifier d'une possession non précaire et non équivoque.

La Cour de cassation va, alors, procéder à une substitution des motifs pour confirmer la décision rendue par la cour d'appel. Elle s'inspire d'une précédente décision (26) qui concernait l'éviction à la suite d'une expropriation d'un preneur à bail commercial qui avait édifié, avec l'accord du bailleur, des constructions sur la parcelle qu'il occupait. La Cour suprême avait considéré que la résiliation anticipée du bail commercial du fait de l'expropriation ne pouvait priver le locataire de son droit à indemnité pour ces constructions, et cela, alors même qu'une clause d'accession à l'expiration du contrat figurait dans le bail.

C'est le même raisonnement qui est fait par la Haute juridiction en l'espèce : elle considère qu'en application de l'article 555 du Code civil, le preneur reste propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu'il a régulièrement édifiées sur le terrain loué et que la résiliation anticipée du bail du fait de l'expropriation ne le prive pas de son droit à indemnité pour ces constructions. Cette solution est conforme à la logique du principe de l'accession différée, puisqu'elle sauvegarde les intérêts du locataire en lui permettant d'amortir ses investissements.


(1) ) JO du 30 décembre 2011. Lire R. Hostiou, L'enquête publique après les textes d'application du 'Grenelle 2' : quoi de neuf ?, JCP éd. A, 2012, 2066.
(2) JO du 13 juillet 2010.
(3) CAA Versailles, 2ème ch., 18 septembre 2008, n° 07VE01196 (N° Lexbase : A7023EAD).
(4) Rec. CE, p.145, AJPI, 1974, p. 428, note Hostiou et Girod.
(5) Cité par P. Soler-Couteaux in Droit de l'urbanisme : coll. "Cours", 2ème éd., 1998, p. 109.
(6) Rec. CE, p. 145, AJDA 1974, p. 197, chron. Franc et Boyon, RDP,1974, p. 1780, note Waline et 1975, p. 486, note Gentot, D., 1974, jurispr. p. 430, note Gilli, AJPI, 1974, p. 428, note Hostiou et Girod, CJEG, 1974, p. 209, note Virole.
(7) Voir, par exemple, CAA Lyon, 1ère ch., 18 juillet 2000, n° 99LY00784, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1652BGB) ; voir aussi CAA Bordeaux, 1ère ch., 1er juin 1995, n° 93BX00978 (N° Lexbase : A8696BDG) et CAA Nancy, 1ère ch., 1er mars 2007, n° 05NC00999, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4852DUA).
(8) Voir, par exemple, CE 1° et 4° s-s-r., 5 octobre 1990, n° 100062, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5674AQ9), Rec. CE, p. 267, AJDA, 1991, p. 69, obs. J.-B. Auby ; CE 9° et 8° s-s-r., 24 mai 1995, n° 150360, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4125AN4), Rec. CE, p. 208, Dr. adm. 1995, comm. 553 ; CE 2° et 6° s-s-r., 19 mars 1997, n° 115928, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8731ADQ), Dr. adm., 1997, comm. 278, obs. D.P., LPA, 31 octobre 1997, p. 16, obs. Morand-Deviller, Dr. env., 1997, novembre 1997, p. 12, obs. R.R., Etudes foncières, n° 78, mars 1998, p. 39, obs. Lamorlette ; CE 2° et 6° s-s-r., 9 juin 1999, n° 159159, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4460AXH), Constr.-urb. 1999, comm. 316, note Larralde ; CE, S., 6 novembre 2000, n° 210695, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9704AHU).
(9) CE 3° et 5° s-s-r., 22 mai 1991, n° 80813, n° 80814 et n° 81675, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9941AQA), Rec. CE, p. 199.
(10) CE Ass., 28 mai 1971, n° 78825, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9136B8U), Rec. CE, p. 409, concl. Braibant, D., 1972, jur., p. 194, note Lemasurier, RDP, 1972, p. 454, note Waline, AJDA, 1971, p. 404, chron. Labetoulle et Cabanes, Rev. adm. 1971, p. 422, JCP éd. G, 1971, II. 16873, note Homont, CJEG, 1972, p. 35, note Virole.
(11) Voir, sur ce point, P. Wachsmann, Un bilan du bilan en matière d'expropriation. La jurisprudence 'Ville Nouvelle-Est', trente ans après, in Gouverner, administrer, juger, Liber Amicorum Jean Waline, Dalloz 2002, p. 733.
(12) Voir, par exemple, CE 2° et 1° s-s-r., 21 mars 2001, n° 211461, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1603ATK) ; CE 6° s-s., 28 décembre 2001, n° 225218, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9563B8P).
(13) CE, 25 février 1991, n° 94493, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1079ARE).
(14) CE 2° et 6° s-s-r., 11 mars 1996, n° 121556, (N° Lexbase : A8015AN8), Rec. CE, p. 72, Dr. adm., 1996, comm. n° 268, note Huglo, LPA, 1996, n° 116, p. 11, obs. Morand-Deviller, RD imm., 1996, n° 2, p. 195, chron. Morel et Denis-Linton, JCP éd. G, 1996, IV. 1352, RDP, 1996, p. 1212, Ann. voirie et environnement, 1996, n° 30, p. 4, obs. F. D.
(15) CE, S., 24 février 1984, n° 26702, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3724ALI).
(16) CE 3° s-s., 27 juillet 2005, n° 267195, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2666IKX).
(17) CE 6° et 10° s-s-r., 28 juin 1989, n° 74512, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3411AQE).
(18) CE 2° et 6° s-s-r., 4 mars 1994, n° 116724, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9710AR3).
(19) CE 2° et 6° s-s-r., 13 décembre 1985, n° 34717, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3667AMR), Rec. CE, Tables, p. 680, Dr. adm. 1986, comm. 107.
(20) CE 2° et 6° s-s-r., 15 janvier 1996, n° 119894, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7080ANK), Rec. CE, Tables, p. 949, AJDA, 1996, p. 465, obs. Hostiou, Dr. adm. 1996, comm. 154, RD imm., 1996, p. 195, RD publ. 1996, p. 1214.
(21) CE 2° et 6° s-s-r., 19 janvier 1996, n° 159392, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7352ANM), Rec. CE, p. 7, AJDA, 1996, p. 465, obs. Hostiou, RD imm., 1996, p. 195, LPA, 25 septembre 1996, p. 6, obs. Morand-Deviller, RD publ. 1996, p. 1214.
(22) CE 2° et 6° s-s-r., 28 avril 1976, n° 98013, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9052B8R), Rec. CE, Tables, p. 949.
(23) Cass. civ. 1, 1er décembre 1964, n° 58-11.561 (N° Lexbase : A6100ICW), Bull. civ. 1964, I, n° 365, JCP, 1965, II, 14213, note Esmein, RTD Civ., 1965, p. 373, obs. Bredin.
(24) Cass. civ. 3, 2 avril 2003, n° 01-17.017, FS-P+B (N° Lexbase : A6458A7C), AJDI, 2003, 501, note Laporte-Leconte, Loyers et copr., 2003, comm. 113.
(25) CA Rouen, 1ère ch., 15 septembre 2010, n° 09/04731 (N° Lexbase : A7509E9Y).
(26) Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, FS-P+B (N° Lexbase : A4417AYA), Bull. civ., III, n° 82, AJDI, 2002, p. 542, Constr.-Urb., 2002, comm. 179, note Rousseau, JCP éd. G, 2003, 10022, note Keita, JCP éd. E, 2002, 1843.

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Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Mai 2012

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N1662BTQ

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)

Le 03 Mai 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite cette semaine à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920). Sans trop de surprise, de nouveaux arrêts importants ont été rendus en matière de garde à vue, le sens de la doctrine de la Chambre criminelle de la Cour de cassation étant désormais très clair : sauver les procédures en interprétant restrictivement les causes et les effets de leur annulation (Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B ; Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B ; Cass. crim., 21 mars 2012, n° 11-83.637, F-P+B). Parallèlement, le Conseil constitutionnel poursuit son oeuvre de contrôle de ladite mesure, en effaçant, cette fois, une inégalité relative à la restriction injustifiée de l'enregistrement audiovisuel à certaines gardes à vue (Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012). Quelques arrêts rendus en matière d'action civile doivent également être mis en avant, ceux-ci intéressant la question toujours délicate de sa recevabilité (Cass. crim., 14 février 2012, n° 10-83.808, F-P+B ; Cass. crim., 4 avril 2012, n° 11-81.124, P+B+R+I). I - Le droit de la garde à vue
  • Recevabilité de la preuve obtenue déloyalement, lorsqu'elle n'émane pas d'une autorité publique ; impossibilité de demander l'annulation de la garde à vue d'autrui ; nullité de sa propre garde à vue, en raison du défaut de notification du droit au silence et de l'absence d'assistance effective d'un avocat (Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B N° Lexbase : A8997IBT)

En l'espèce, le dirigeant d'une société hôtelière est mis en examen des chefs d'abus de biens sociaux, recel, travail dissimulé et présentation de bilan inexact. Celui-ci dépose à la chambre de l'instruction une requête en annulation de différents actes : tout d'abord, il conteste la recevabilité d'enregistrements réalisés à son insu par l'un de ses anciens salariés, celui-ci ayant agi de sa propre initiative ; ensuite, il conteste la régularité de la garde à vue de son fils, invoquant principalement l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), ainsi que le droit complexe qui, en la matière, a fini par naître de l'interprétation de ce texte ; enfin, sur les mêmes fondements, il remet en cause la régularité de sa propre garde à vue.

La question, désormais classique, de la recevabilité des enregistrements clandestins réalisés par un individu sans le renfort des autorités publiques ne donnera pas lieu à commentaire (1). En ce qui concerne les deux derniers points exclusivement, relatifs à la question des gardes à vue, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce donc en deux temps.

Notons déjà, qu'en procédant de la sorte, la Cour de cassation se démarque de la chambre de l'instruction, qui a préféré justifier son refus d'annulation des deux gardes à vue en mettant en avant le principe de sécurité juridique, tel que celui-ci serait conçu par la Cour européenne des droits de l'Homme. Selon la chambre de l'instruction, ledit principe imposerait effectivement d'éprouver les mesures litigieuses à l'aune du droit en vigueur à l'époque de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire en vertu du droit inconventionnel et inconstitutionnel antérieur à la réforme du 14 avril 2011. C'était oublier, comme l'a pourtant, fort justement, rappelé l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans quatre arrêts rendus le lendemain de la réforme, que "les Etats adhérents à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation" (2). C'est sans doute, la raison pour laquelle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, poursuivant pourtant les mêmes objectifs que la chambre de l'instruction, a préféré recentrer le débat sur la qualité à agir en nullité.

Dans un premier temps, en effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme très laconiquement un revirement récent et contestable, dont la portée demeure encore incertaine, mais, en vertu duquel nul ne peut invoquer la nullité de la garde à vue d'autrui, y eût-il pourtant un intérêt véritable (3). Le demandeur serait alors, selon la Cour de cassation, "sans qualité pour se prévaloir d'un droit qui appartient en propre à une autre personne". La chose est donc désormais entendue, mais n'en reste pas moins contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et à la lettre même du Code de procédure pénale (4). Le paradoxe est d'ailleurs patent : les droits consacrés en faveur du gardé à vue afin d'améliorer sa protection, finissent par jouer en défaveur des autres mis en cause ayant un rapport avec ce gardé à vue, et font empirer, par là même, la propre protection de ces derniers.

Dans un second temps, étant ainsi parvenue à restreindre la portée d'une annulation inéluctable, la Chambre criminelle de la Cour de cassation finit par concéder ce qu'elle ne peut pas, ne pas concéder : à condition qu'il s'agisse de la prétention du gardé à vue lui-même, une garde à vue au seuil de laquelle le droit de se taire n'a pas été notifié et l'assistance d'un avocat n'a pas été effective, doit être annulée. Les raisons sont à tirer dans ce qui précède : n'en déplaise à la chambre de l'instruction, le droit en vigueur à l'époque des gardes à vue mises en cause était, aussi et surtout, le droit du Conseil de l'Europe, puisque ce dernier s'impose à la loi, quelle qu'elle soit. Or, ce droit précisait déjà, que "le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable", et que "la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire" (5). C'est pourquoi, au final, c'est sur l'unique -mais suffisant- fondement de l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que la censure opère.

  • Limitation de la portée de l'annulation d'une garde à vue aux déclarations du mis en cause ; impossibilité de demander l'annulation de la garde à vue d'autrui (bis) ; limitation de la sanction du fait de ne pas donner la parole à l'avocat d'un mis en examen préalablement à la notification de ce statut à l'hypothèse où l'avocat en a fait préalablement la demande (Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B N° Lexbase : A9957IGU)

En l'espèce, à l'issue d'une longue procédure ayant déjà conduit une partie d'entre eux devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, trois mis en examen des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et blanchiment, présentent des requêtes et mémoires en annulation de différents actes. N'ayant que partiellement obtenu satisfaction devant la chambre de l'instruction, ils saisissent de nouveau la Cour de cassation, celle-ci rejetant leurs pourvois.

Pour ne retenir que l'essentiel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise, d'abord, que pour écarter les demandes des requérants "tendant, non seulement à l'annulation des déclarations qu'ils avaient faites en garde à vue alors que ne leur avait pas été notifié le droit de se taire, mais aussi à l'annulation de l'intégralité de la garde à vue dont ils avaient fait l'objet, dès lors qu'ils n'avaient pu bénéficier de l'assistance effective d'un avocat dès le début de la mesure", l'arrêt de la chambre de l'instruction énonce à raison, que "nonobstant l'irrégularité, sanctionnée, des déclarations faites en méconnaissance des droits susvisés, qui ont pour finalité de protéger la personne retenue de tout risque d'auto-incrimination, tant l'interpellation que le placement en garde à vue et la notification des autres droits afférents à la garde à vue, ont été effectués en conformité avec les exigences légales et conventionnelles".

Autrement dit, il faut concevoir le plus strictement possible les actes annulables, en confrontant chacun d'entre eux aux buts des droits offerts au gardé à vue, et en n'écartant que ceux qui sont susceptibles de les heurter. Sauf à sauver la suite de la procédure qui, de la sorte, survit effectivement à une annulation par subséquence -ce qui est, sans nul doute, l'objectif poursuivi par la Cour de cassation-, on ne comprend pas bien l'intérêt de préserver les cadres d'une garde à vue épurée de toute déclaration du gardé à vue. Au surplus, cela semble conduire à distinguer, au sein de la procédure de garde à vue, le fond de la forme, seule cette dernière survivant en l'espèce, pour la raison précédemment exposée, mais de façon alors purement artificielle.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme, ensuite, une fois de plus, que l'on ne peut demander l'annulation de la garde à vue d'autrui, "dès lors que la méconnaissance des formalités substantielles auxquelles est subordonnée la garde à vue ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'acte ou pièce de la procédure que par la partie qu'elle concerne" (6). La formule est intéressante parce que, même si elle se réfère encore à la garde à vue, elle revêt une allure plus générale, qui laisse peut-être augurer de son application future à d'autres actes de la procédure. Si la Haute juridiction veut sauver sa jurisprudence inconventionnelle, aller au bout de sa propre logique paraît, en effet, le moins qu'elle puisse faire.

Enfin, dépassant la question de la garde à vue, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que, si en vertu de l'article 116 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3714IGN), il est possible à l'avocat de s'exprimer, lors de l'interrogatoire de première comparution, à la suite de l'entretien, mais préalablement à la notification de la mise en examen de son client par le juge d'instruction, c'est à la condition qu'il ait fait connaître à ce dernier sa volonté de le faire, ce qui ne semblait pas être le cas en l'occurrence. La Cour de cassation s'empresse d'ajouter que l'avocat a, en l'espèce, pu consulter le dossier de la procédure et s'entretenir avec son client.

Une fois de plus, la solution n'est pas nouvelle (7). Pour autant, on ne voit pas bien ce qu'il y aurait de néfaste à encourager le juge d'instruction à solliciter automatiquement les observations de l'avocat relatives à la mise en examen de son client. Après tout, n'est-ce pas précisément là, la conclusion logique de son droit d'accès au dossier de la procédure ?

  • Ne doit pas être annulée une garde à vue, les déclarations obtenues durant la mesure n'ayant fondé ni exclusivement ni même essentiellement la culpabilité du prévenu auditionné (Cass. crim., 21 mars 2012, n° 11-83.637, F-P+B N° Lexbase : A1141II4)

Dans la lignée des arrêts précédents, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est, en l'espèce, confrontée au refus d'une chambre de l'instruction d'annuler une garde à vue durant laquelle la personne mise en cause n'a pas bénéficié de l'assistance effective d'un avocat. Selon les juges du fond, en effet, le droit en vigueur au moment où ils étaient tenus de se prononcer, soit le 30 mars 2011, -c'est-à-dire avant la réforme de la garde à vue (loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue N° Lexbase : L9584IPN), avant la fin de la période d'immunité constitutionnelle déterminée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 (Cons. const., 30 juillet 2010, décision n° 2010-14/22 QPC N° Lexbase : A4551E7P), et avant les arrêts rendus en la matière par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (8)-, n'imposait pas d'annuler une garde à vue pourtant tout autant inconventionnelle qu'inconstitutionnelle.

Sans grand étonnement, et par application de la règle de bon sens rappelée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans ses quatre décisions du 15 avril 2011, en vertu de laquelle "les États adhérents à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation", la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne, que "c'est à tort que la cour d'appel n'a pas cru devoir annuler les procès-verbaux d'audition établis au cours de la garde à vue du prévenu".

Toutefois, l'originalité de l'arrêt réside, en réalité, dans la poursuite de cette motivation qui va justifier, malgré les apparences, le rejet du pourvoi formé par le requérant. Pour la Haute juridiction, en effet, "l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors, que pour retenir la culpabilité [du prévenu], les juges ne se sont fondés ni exclusivement ni même essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de sa garde à vue".

Autrement dit, seules l'inexistence ou l'indifférence d'autres éléments que ceux obtenus durant la garde à vue pour fonder une condamnation sont de nature à justifier l'annulation de cette dernière, à condition, bien sûr, qu'elle ait été irrégulière. Dans l'autre sens, peut-être plus révélateur, cela signifie, que même si elle a été irrégulière, la garde à vue ne sera pas annulée à la condition que d'autres éléments que les déclarations du mis en cause obtenues durant la mesure aient permis de fonder sa condamnation.

Deux remarques : où l'arrêt du 13 mars 2012 délie la garde à vue des déclarations du gardé à vue (9), cet arrêt du 21 mars 2012 les rend presque consubstantiels, ce qui montre l'incohérence, ou si l'on préfère, l'opportunisme de la construction jurisprudentielle du droit de la garde à vue ; dans la formule utilisée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l'adverbe "essentiellement", qui assouplit l'absoluité de l'adverbe "exclusivement", a, en l'occurrence, pour effet de limiter la portée du sauvetage d'une garde à vue, puisque, même en présence d'autres éléments que les déclarations du gardé à vue, la mesure pourra être annulée, si, au final, seules ces déclarations ont pesé. Sans doute faut-il étendre cet assouplissement au dernier alinéa de l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9741IPH), qui précise qu'"en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui" (10).

  • Ne trouvant une justification ni dans la difficulté d'appréhender les auteurs des infractions agissant de façon organisée ni dans l'objectif de préservation du secret de l'enquête ou de l'instruction, et méconnaissant cependant le principe d'égalité, les articles 64-1, alinéa 7, et 116-1, alinéa 7, du Code de procédure pénale doivent être abrogés (Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1496IIA)

La question de l'enregistrement audiovisuel de certaines auditions à l'exclusion des autres aura fait couler beaucoup d'encre (11). Il est vrai qu'à partir du moment où cet enregistrement est perçu comme un droit important pour un justiciable gravement mis en cause (12), on ne voit pas pourquoi certains justiciables se trouvant dans cette situation en bénéficieraient et d'autres pas. A quoi il faut ajouter que l'enregistrement s'avère tout autant de nature à profiter aux enquêteurs, quel que soit le cadre d'enquête concerné, puisqu'il est susceptible de constituer le témoignage incontestable d'une procédure irréprochable. C'est le message finalement simple qu'il faut retenir de cette décision du 6 avril 2012, qui est construite en deux temps.

Premier temps : la cause d'une discrimination des garanties ne pouvant résider que dans la nécessaire adaptation de la procédure à des formes particulièrement graves ou complexes de criminalité, seul l'établissement d'un lien évident entre l'absence d'enregistrement de certaines procédures et l'adaptation à la lutte contre ces formes de criminalité pourrait justifier une limitation de l'enregistrement aux procédures criminelles de droit commun. Or, ce lien n'existe pas vraiment, parce que, d'une part, à la lecture des textes, la principale cause de l'absence d'enregistrement réside dans une impossibilité matérielle de le réaliser (13), et d'autre part, sa réalisation, lorsqu'elle a bien lieu, s'avère suffisamment encadrée, de telle sorte essentiellement, que le secret de l'enquête et de l'instruction se trouve parfaitement préservé. L'un dans l'autre, il ne s'agit donc en aucune façon de s'adapter à une criminalité particulière, aucune discrimination ne pouvant donc, sur ce point précis, tirer sa cause d'un tel argument.

Second temps : une telle discrimination existait pourtant, puisque l'enregistrement des gardes à vue et des interrogatoires par le juge d'instruction ayant été instauré par la loi en matière criminelle sans que la Constitution ne l'impose, il convenait de faire profiter de cette nouvelle garantie toutes les personnes soupçonnées d'avoir participé à un crime, quel qu'il soit, ce qui n'était pas le cas en l'état de la législation, qui excluait du champ d'application des textes concernés les infractions s'inscrivant au sein de la criminalité dite organisée (14).

En conséquence, le Conseil constitutionnel abroge l'alinéa 7 de l'article 64-1 (N° Lexbase : L8170ISE), ainsi que l'alinéa 7 de l'article 116-1 (N° Lexbase : L8171ISG) du Code de procédure pénale, alinéas qui prévoyaient l'exclusion de l'enregistrement des interrogatoires pour certaines qualifications criminelles.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


II - La recevabilité de l'action civile

  • Absence de qualité du témoin assisté pour contester la recevabilité d'une constitution de partie civile (Cass. crim., 14 février 2012, n° 10-83.808, F-P+B N° Lexbase : A4111IGD)

Le témoin assisté, on le sait, est un statut intermédiaire entre le témoin simple et le mis en examen. Pour cette raison, sa place reste difficile à déterminer, l'interrogation fondamentale résidant, sans doute, dans l'opportunité ou la nécessité de le concevoir comme une partie au procès pénal.

L'arrêt du 14 février 2012, dans lequel un témoin assisté remettait en cause la qualité à agir de la partie civile, tranche une fois de plus pour la négative (15), et en tire, cette fois, comme conséquence, au visa des articles 87 (N° Lexbase : L7159A4W) et 113-3 (N° Lexbase : L0930DY4) du Code de procédure pénale, que ledit témoin n'est pas en mesure de contester la recevabilité d'une constitution de partie civile.

A l'heure de la montée en puissance du droit à l'assistance effective d'un avocat, par influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (16), on peut se demander quel peut être encore l'intérêt d'un statut qui, précisément, paraît se limiter à consacrer cette assistance. De plus, il est assurément un paradoxe à refuser au témoin assisté la qualité de partie au procès pénal, tout en le considérant comme telle de certains points de vue, par exemple au regard du contentieux des nullités de l'information (17). Le Conseil constitutionnel, qui a déjà reconnu à la victime le statut de partie au procès pénal à la suite d'un examen des dispositions la concernant dans le Code de procédure pénale (18), pourrait bien, un jour, être amené à un constat similaire en ce qui concerne le témoin assisté.

  • Recevabilité des constitutions de partie civile des ayants droit des victimes d'un assassinat, des chefs de corruption, abus de biens sociaux et recel aggravé en raison du lien d'invisibilité existant entre ces dernières infractions et la première (Cass. crim., 4 avril 2012, n° 11-81.124, P+B+R+I N° Lexbase : A6496IH3)

Les faits sont notoires, mais complexes : en 1994, trois sous-marins sont vendus au Pakistan par la direction des constructions navales internationales (DCNI), ex-direction des chantiers navals, société française à capitaux majoritairement publics. En 2002, onze employés français travaillant pour cette dernière trouvent la mort dans l'explosion, à Karachi, du véhicule au bord duquel ils se trouvaient. Quelques jours plus tard, une information est ouverte contre personne non dénommée des chefs d'assassinats, complicité et tentative.

En 2010, ayant pris connaissance par la presse des rapports "Nautilus", établis en 2002 à la demande de la DCNI dans le cadre d'une autre information la concernant, certains ayants droit des victimes de l'attentat de Karachi apprennent, d'abord, que la vente des sous-marins n'aurait pu avoir lieu qu'en contrepartie de l'engagement de la DCNI de verser aux autorités pakistanaises des commissions représentant 10,25 % du marché ainsi conclu. Ils apprennent, ensuite, que ces versements devaient être effectués par l'intermédiaire de deux réseaux, dont l'un, non seulement, aurait été imposé à la DCNI par le ministère de la défense français, alors que l'affaire était sur le point d'être conclue, mais aussi, aurait assuré, par versement de rétrocommissions, le financement de la campagne présidentielle de l'un des candidats en 1995, puis celui de l'association pour la réforme créée après son échec à cette élection. Enfin, ils apprennent que l'attentat de Karachi aurait été commis par des islamistes instrumentalisés par des membres de l'armée pakistanaise et des services secrets de cet Etat, afin d'obtenir le versement des commissions restant dues au second réseau, environ 60 millions de francs (soit 9 146 941,3 euros), dont le Président de la République française, élu en 1995, aurait ordonné la cessation, pour tarir le financement de son adversaire. En conséquence, ils se constituent partie civile devant le doyen des juges d'instruction des chefs, notamment, d'entrave à la justice, faux témoignage, corruption active et passive au visa des articles 432-11 (N° Lexbase : L3283IQN) et 433-1 (N° Lexbase : L3282IQM) du Code pénal, abus de biens sociaux et recel aggravé.

Le procureur de la République requiert le juge d'instruction d'informer des chefs d'entrave à la justice et faux témoignage, mais de déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des chefs d'abus de biens sociaux, corruption et recel. Le juge d'instruction déclare, cependant, les parties civiles recevables à se constituer pour l'ensemble des délits précités, relevant qu'elles mettent en avant "un lien direct entre l'attentat et les commissions qui auraient été destinées soit à corrompre les autorités pakistanaises, soit à verser en France des rétrocommissions", et que, de la sorte, "les contrats de commission constituaient une condition sine qua non de la conclusion [de la vente en] 1994, dont les conditions d'exécution étaient l'origine et la cause directe de l'attentat". Par une autre ordonnance, il déclare d'autres salariés de la DCNI blessés lors de l'attentat, ainsi que des membres de leur famille, recevables à se constituer partie civile dans la même information et des mêmes chefs.

La chambre de l'instruction infirme, cependant, ces ordonnances, déclarant irrecevables les constitutions de partie civile des chefs de corruption, abus de biens sociaux et recel aggravé. Selon elle, en substance, en ce qui concerne, d'abord, la qualification de corruption d'agent public étranger, corruption dont il serait exclusivement question à la lecture du dossier, seul le ministère public pouvait requérir le déclenchement de l'action publique, en vertu de l'article 435-6 du Code pénal (N° Lexbase : L5425H73). Ensuite, en ce qui concerne la qualification d'abus de biens sociaux, seule la société victime des détournements, c'est-à-dire la DCNI elle-même, ou l'un quelconque de ses représentants, était recevable à se constituer partie civile. En ce qui concerne, enfin, la qualification de recel, puisqu'il est alors question d'un délit de conséquence, il aurait été nécessaire de démontrer l'existence de l'infraction d'origine, ainsi que sa qualification, ce que, pour les raisons qui précèdent, les requérants n'étaient donc pas en mesure de faire, leurs constitutions de partie civile ayant être déclarées irrecevables de ces chefs.

Au visa des articles 1er (N° Lexbase : L9909IQ3), 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) et 85 (N° Lexbase : L3897IRR) du Code de procédure pénale, et selon les principes que, "pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale", et que, "lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité", la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction. Selon la Haute juridiction, en effet, "en statuant ainsi, par le seul examen abstrait des plaintes, sans rechercher, par une information préalable, si les faits visés dans ces dernières n'entraient pas dans les prévisions des articles 433-1 (N° Lexbase : L3282IQM) et 432-11 (N° Lexbase : L3283IQN) du Code pénal, et alors qu'il se déduit des plaintes des parties civiles que les faits dénoncés sous les qualifications d'abus de biens sociaux, corruption d'agent public français, recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d'indivisibilité aux faits d'assassinats, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités", de même que les principes sus énoncés.

En la matière, la simple exigence de la démonstration d'une possibilité de préjudice en lien direct avec une infraction n'est pas nouvelle, loin de là (19). Dans une telle situation, la Cour de cassation exige, simplement, de la part de celle qui se prétend victime, des indications permettant d'éprouver une telle possibilité, c'est-à-dire qui rendent son appréciation réalisable (20). Pour autant, l'affirmation de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, selon laquelle le juge d'instruction -ou la chambre de l'instruction- ne doit pas se contenter d'un examen abstrait des pièces, n'est pas des plus convaincantes : est-ce à dire, en effet, qu'en constatant l'inadéquation inéluctable d'une victime avec une qualification pénale, ce qui est le cas pour une victime privée lorsque l'infraction est d'intérêt général, ou pour toute autre personne que la société et ses représentants lorsqu'il s'agit d'un abus de biens sociaux, le juge d'instruction n'est pas en droit de considérer la constitution de partie civile irrecevable ? Ou, chose plus acceptable, est-ce pour inciter ledit juge à ne pas considérer les qualifications en question sans les vérifier afin, par la suite, d'éprouver, fût-ce de façon abstraite, la recevabilité d'une constitution de partie civile ? Au demeurant, il ne ressort pas si évidemment des faits que la chambre de l'instruction n'a pas vérifié les qualifications litigieuses, bien au contraire -surtout en ce qui concerne la corruption.

En réalité, il est plus facile de se laisser convaincre par la seconde partie du raisonnement de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui aurait, au surplus, parfaitement suffi à justifier sa solution. Le lien d'indivisibilité entretenu par l'ensemble des infractions apparaît avec suffisamment de clarté, et correspond à la définition qui en est donnée par la jurisprudence : un "rapport mutuel de dépendance" entre des faits, un "lien tellement intime que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres, l'ensemble formant un tout indivisible", bref un lien plus fort encore que la simple connexité (21). Ajoutons à cela, que la gravité des atteintes volontaires à la vie justifie, déjà, de nombreuses dérogations au caractère exceptionnel de l'action civile. Dans cette optique, en faire le centre du rapport d'indivisibilité a moins pour vertu d'afficher clairement la volonté de la Haute juridiction : permettre aux victimes du préjudice le plus grave que l'on puisse subir, d'obtenir des réponses, et peut-être plus encore.


Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)


(1) Voir par exemple M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse, Toulouse 1 - Capitole, 2010, n° 135 et s., spéc. n° 167 et s..
(2) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4), n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7), n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(3) Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9).
(4) Voir l'arrêt "Mathéron contre France" : CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752/00 N° Lexbase : A6255DH7) ; Cass. crim., 15 janvier 2003, n° 02-87.341 (N° Lexbase : A8209A4S) : "toute personne mise en examen dont les conversations téléphoniques ont été enregistrées et retranscrites a qualité, au sens de l'article 171 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3540AZ7), pour contester la régularité de ces mesures" ; Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-85.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A1792DMC) ; Cass. crim., 6 septembre 2006, n° 06-84.869 (N° Lexbase : A3669DRC).
(5) Les gardes à vue ont eu lieu les 16 et 17 février 2011 : du point de vue de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, a notamment été rendu l'arrêt "Brusco contre France", intervenu le 14 octobre 2010 (CEDH, 14 octobre 2010, Req. 1466/07 N° Lexbase : A7451GBL, §§ 44-45). Au surplus, il faut souligner que lorsque la chambre de l'instruction se prononce, à savoir le 20 octobre 2011, les arrêts précités de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ont également été rendus.
(6) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B.
(7) Cass. crim., 2 juin 2010, n° 10-80.452, F-P+F (N° Lexbase : A2545E4Z), Bull. crim., n° 97.
(8) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts précités.
(9) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B.
(10) "Seul" fondement deviendrait "principal" fondement ?
(11) Voir par exemple : M. Sanchez et G. Beaussonie, Le point sur l'étendue de l'obligation d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue, CJAMP, 2009-1, p. 243.
(12) Voir, à cet égard, nos observations, Cass. crim., 4 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-85.279, F-P+B (N° Lexbase : A4819GMG) et n° 10-85.280, F-P+B (N° Lexbase : A4820GMH), Chronique de procédure pénale - Janvier 2011, Lexbase Hebdo n° 424 - édition privée (N° Lexbase : N1565BRE).
(13) Idem.
(14) C. pr. pén., art. 706-73 (N° Lexbase : L3359IS9).
(15) Cass. crim., 25 janvier 1993, n° 92-80.455 (N° Lexbase : A4013ACM), Bull. crim., n° 38.
(16) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B.
(17) C. pr. pén., art. 113-3, précité.
(18) Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 (N° Lexbase : A9234E77).
(19) Voir. Cass. crim., 23 juillet 1974, n° 73-93.383 (N° Lexbase : A7273CI9), Bull. crim., n° 263 ; Cass. crim., 16 juin 1998, n° 97-82.171 (N° Lexbase : A5198ACI), Bull. crim., n° 191 : "selon l'article 85 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3897IRR), pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation de celui-ci avec une infraction à la loi pénale" ; Cass. crim., 5 mars 1990, n° 89-80.536 (N° Lexbase : A1651CGA), Bull. crim., n° 103 ; Cass. crim., 19 février 2002, n° 00-86.244 (N° Lexbase : A2304AYY), Bull. crim., n° 34 ; Cass. crim., 11 décembre 2002, n° 01-85.176 (N° Lexbase : A5354A43), Bull. crim., n° 224 ; Cass. crim., 5 février 2003, n° 02-82.255 (N° Lexbase : A2947A7B) Bull. crim., n° 25 ; Cass. crim., 2 avril 2003, n° 02-82.674 (N° Lexbase : A7620BSZ), Bull. crim., n° 83.
(20) Cass. crim., 9 février 1961, JCP, 1961, II, 12004, rapp. R. Combaldieu.
(21) Cass. crim., 29 juillet 1875, Bull. crim., n° 239.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] De l'importance de présenter des candidats aux élections pour pouvoir désigner un délégué syndical

Réf. : Cass. soc., 12 avril 2012, jonction, n° 11-60.218 et 11-60.219, FS-P+B (N° Lexbase : A5937IIQ)

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N1635BTQ

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 03 Mai 2012

Introduit dans le Code du travail par la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ), l'article L. 2143-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L6224ISC), dispose, en substance, que pour pouvoir être investi d'un mandat de délégué syndical, un salarié doit s'être présenté aux élections et avoir recueilli plus de 10 % des suffrages exprimés. L'alinéa 2ème de ce même texte précise, toutefois, que s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions précitées, un syndicat représentatif peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement. Cette dernière disposition doit être strictement entendue et ne peut notamment être lue sans avoir égard aux exigences posées dans le premier alinéa. Par suite, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 12 avril 2012, "le syndicat qui n'a pas présenté dans le périmètre de désignation lors des élections professionnelles aucun candidat susceptible d'être désigné délégué syndical ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2". Pour être importante, cette solution prend encore plus de relief lorsqu'on la rapporte aux circonstances de l'espèce, dans laquelle était en cause une entreprise à structure complexe.
Résumé

Le syndicat qui n'a présenté dans le périmètre de désignation, lors des élections professionnelles, aucun candidat susceptible d'être désigné délégué syndical ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du Code du travail.

Observations

I - Le délégué syndical soumis à la légitimité électorale

Les exigences légales. La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale a ajouté de nouvelles conditions pour la désignation des délégués syndicaux. Désormais, outre les conditions d'âge, de travail dans l'entreprise, d'ancienneté et de capacité électorale fixées par les articles L. 2143-1 (N° Lexbase : L2177H9I) et 2 (N° Lexbase : L2179H9L), le délégué syndical doit s'être présenté aux dernières élections professionnelles dans l'entreprise et, surtout, avoir obtenu, sur son nom, au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour de ces mêmes élections (C. trav., art. L. 2143-3).

Cette exigence, qui vise à l'évidence à donner une certaine légitimité au salarié investi d'un mandat de délégué syndical (1), a été critiquée par certains syndicats, qui considéraient qu'elle était contraire au principe fondamental de libre choix, par les organisations syndicales, de leurs représentants. La Cour de cassation a toutefois décidé qu'elle était conforme aux textes européens (2), tandis que le Conseil constitutionnel a mis à profit une QPC qui ne concernait pas ce problème pour juger que l'article L. 2143-3 n'était pas contraire à la Constitution (3).

La Chambre sociale de la Cour de cassation s'est par la suite employée à faciliter, dans les limites imposées par la loi, le respect de cette condition par le salarié. Elle a ainsi notamment décidé que le score de 10 % devait être calculé sur le seul collège au sein duquel le salarié avait présenté sa candidature (4), que ce score étant personnel, le salarié pouvait continuer à s'en prévaloir après avoir quitté le syndicat sous l'étiquette de laquelle il s'était présenté (5) ou encore qu'il importait peu que ce score ait été atteint aux élections des délégués du personnel ou au comité d'entreprise (6).

Une autre atténuation est apportée à l'exigence en cause par la loi elle-même. Ainsi que le précise en effet l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du Code du travail, "s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement". L'application de ce dernier texte, qui, il est vrai, laisse place à l'interprétation, a d'ores et déjà suscité l'intervention de la Cour de cassation. Celle-ci a, en effet, cassé le jugement d'un tribunal d'instance qui, pour valider la désignation par un syndicat d'un délégué syndical n'ayant pas été candidat lors des dernières élections professionnelles, avait retenu que les élus de ce syndicat avaient adressé à l'employeur une lettre faisant état de leur souhait de ne pas exercer le mandat de délégué syndical et avaient unanimement décidé de confier ce mandat au salarié désigné (7). Si cette solution s'imposait, il n'en allait pas de même de celle retenue par la Chambre sociale dans l'arrêt sous examen, où était à nouveau en cause l'application de l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du Code du travail.

Difficultés de mise en oeuvre. La société S. avait organisé, en janvier 2010, des élections professionnelles pour l'élection des membres du comité d'entreprise unique, et des délégués du personnel au sein de ses différentes agences. Le 26 avril 2011, l'union de syndicat UNSA Fédération transport, qui avait obtenu plus de 10 % des suffrages au premier tour des élections du comité d'entreprise, avait désigné M. G. en qualité de délégué syndical au sein de l'agence de Rochy Condé. Sans mettre en cause l'existence d'un accord permettant la désignation de délégués syndicaux au sein des différentes agences de l'entreprise employant au moins cinquante salariés, la société S. a contesté la désignation au motif que le salarié n'avait pas été candidat aux élections professionnelles.

L'organisation syndicale mandante et M. G. reprochait au jugement attaqué d'avoir annulé sa désignation en qualité de délégué syndical. A l'appui de leur pourvoi, les parties demanderesses soutenaient notamment que l'article L. 2143-3 du Code du travail prévoit expressément la possibilité pour une organisation syndicale de désigner un délégué syndical parmi ses adhérents. En jugeant que ledit article "n'introduit pas d'alternative possible pour les syndicats représentatifs de satisfaire soit aux conditions du premier alinéa, soit à celles du second alinéa pour la désignation du délégué syndical dans l'entreprise" et que "le délégué syndical ne peut être choisi que parmi les salariés qui, candidat aux dernières élections professionnelles, ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés", le tribunal a violé l'article L. 2143-3. L'organisation syndicale et le salarié soutenaient également que le délégué syndical d'un établissement devant nécessairement être salarié de cet établissement, le syndicat représentatif au sein de l'établissement Rochy Condé, qui a présenté une liste de candidats dont aucun ne faisait partie de cet établissement, pouvait légitiment désigner un de ses adhérents en qualité de délégué syndical sur cet établissement. En annulant la désignation de M. G. au seul motif qu'il n'avait pas été candidat aux élections professionnelles, après avoir constaté qu'aucun des candidats présenté par le syndicat fédération autonomie des transports UNSA n'était salarié de l'établissement Rochy Condé, le tribunal n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'article L. 2143-3 du code du travail.

Aucun de ces arguments (8) n'aura convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, en exigeant du syndicat mandant qu'il présente des candidats aux élections pour, ensuite, se prévaloir des dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2 du Code du travail. Si la solution paraît justifiée, elle exige d'être précisée.

II - La désignation subordonnée à la candidature aux élections

Une exigence justifiée. Après avoir rappelé que "l'article L. 2143-3 du Code du travail fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, et que ce n'est que si le syndicat ne dispose plus dans l'entreprise ou l'établissement d'aucun candidat remplissant cette condition qu'il peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise" (9), la Cour de cassation affirme "qu'il en résulte que le syndicat qui n'a pas présenté dans le périmètre de désignation lors des élections professionnelles aucun candidat susceptible d'être désigné délégué syndical ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2".

Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, le législateur a souhaité donner une légitimité nouvelle au délégué syndical, en tant qu'il est, pour partie au moins (10), le porte-parole d'une collectivité de salariés. De là, l'exigence qu'il ait obtenu un certain score électoral. Par suite, si aucun des candidats présentés par le syndicat ne remplit cette condition, il ne peut désigner un délégué syndical. L'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du Code du travail ne permet en aucune façon de contourner cet état de fait. Il ressort on ne peut plus clairement de la lettre de ce texte que le droit d'attribuer le mandat de délégué syndical à un candidat n'ayant pas atteint le score de 10 % ou à un simple adhérent n'est ouvert que "s'il ne reste [...] plus aucun candidat [...] qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa [...]" (nous soulignons). On comprend ainsi que s'il n'y a plus de candidat de ce type, à tout le moins y en a-t-il eu à un moment donné. Le législateur a ainsi voulu éviter qu'un syndicat représentatif perde le droit de désigner un délégué syndical si, postérieurement aux élections, ses candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages quittent, pour une raison ou pour une autre, l'entreprise (11).

Une exigence à préciser. Les dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2, ne peuvent donc être invoqués que si le syndicat mandant pouvait compter, à un moment donné, sur des salariés qui, ayant été candidats aux élections sur une liste présenté par lui, avaient obtenu au moins 10 % des suffrages sur leur nom. Il ne suffit donc pas d'avoir présenté dans le périmètre de désignation, lors des élections professionnelles, au moins un candidat. Encore faut-il, ainsi que le précise la Cour de cassation, que celui-ci soit "susceptible d'être désigné délégué syndical" ; c'est-à-dire qu'il ait obtenu, conformément aux prescriptions de l'alinéa 1er de l'article L. 2143-3, au moins 10 % des suffrages exprimés sur son nom.

On pourrait rétorquer que la question ne se pose pas car, si le syndicat n'a présenté qu'un seul candidat, qui n'a pas atteint le score de 10 %, on ne voit pas comment ce syndicat pourrait lui-même être représentatif. L'arrêt rapporté démontre précisément qu'une telle situation peut advenir dans les entreprises à structure complexe. Il ressort des faits de l'espèce que la société S., structurée en plusieurs agences, comporte un comité d'entreprise unique, tandis que les délégués du personnel sont élus au sein de ces agences. Mais un accord permet de désigner des délégués syndicaux au sein des agences de la société employant au moins cinquante salariés (12). Tel est donc, ici, le périmètre de désignation des délégués syndicaux. Est-ce à dire que le syndicat aurait dû présenter un candidat susceptible d'être désigné délégué syndical dans ce périmètre ? Si le premier attendu de l'arrêt incite à répondre par l'affirmative, le second conduit à retenir une réponse négative. Ainsi que le relève la Cour de cassation, "le syndicat n'ayant présenté aux élections des membres de comité d'entreprise aucun candidat travaillant au sein de l'agence de Rochy Condé, et n'ayant pas présenté de liste aux élections des délégués du personnel au sein de cette agence, sans faire état d'une situation particulière de nature à justifier cette carence, c'est à bon droit que le tribunal a dit nulle la désignation au sein de l'agence de Rochy Condé d'un salarié simple adhérent du syndicat".

Le syndicat souhaitant désigner un salarié de l'agence de Rochy Condé en qualité de délégué syndical, il lui appartenait donc, soit de présenter une liste aux élections des délégués du personnel de cette agence, soit de faire figurer un ou plusieurs salariés de cette même agence sur la liste présentée aux élections au comité d'entreprise. Si l'un de ces candidats avait alors obtenu un score de 10 % à l'une ou à l'autre de ces élections, il aurait pu être investi du mandat (13).

On ne peut ainsi s'empêcher de constater une forme de contradiction dans l'arrêt puisqu'après avoir visé le "périmètre de désignation" (i.e. l'agence en cause), la Chambre sociale applique l'exigence de présentation d'une candidature aux élections ayant eu lieu dans ce périmètre, mais aussi au niveau de l'entreprise toute entière. Ce faisant, la solution retenue s'écarte du principe de concordance, dont on peut penser qu'il pouvait trouver matière à s'appliquer en la circonstance. Sans doute, la solution préserve-t-elle l'exigence d'une légitimité électorale. Pour autant, il aurait à notre sens été plus logique que cette légitimité soit mesurée dans le strict périmètre d'exercice de la prérogative en cause, à savoir l'agence. En d'autres termes, seule une candidature aux élections des délégués du personnel ayant eu lieu dans cette agence aurait permis de vérifier que les conditions requises étaient respectées (14). On peut, en effet, s'interroger sur la légitimité d'un salarié désigné délégué syndical dans l'agence pour avoir obtenu plus de 10 % des suffrages aux élections du comité d'entreprise unique, sans avoir eu la moindre voix dans cette agence...

Il faut, pour conclure, relever que la Cour de cassation pose une exception à la règle énoncée, en évoquant "une situation particulière de nature à justifier cette carence". Si l'on comprend bien, une telle circonstance serait de nature à permettre à un syndicat de désigner un délégué syndical alors même qu'il n'a pas présenté, dans le périmètre de désignation, le moindre candidat aux élections. Outre le fait que la loi n'a nullement prévu cette "exception", le lecteur est nécessairement conduit à se demander ce qui peut justifier de n'avoir pas présenté le moindre candidat aux élections. Le fait, pour le syndicat, de n'avoir pas trouvé, dans l'entreprise ou l'établissement, de "volontaire" est une explication qui vient immédiatement à l'esprit. Il n'est pas certain qu'elle soit suffisante au regard de la volonté du législateur que le délégué syndical ait une double investiture : celle du syndicat qui le désigne et celle des salariés qui lui ont accordé leurs votes.


(1) On pouvait toutefois penser que l'investiture par un syndicat représentatif suffisait à assurer cette légitimité.
(2) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), Bull. civ. V, n° 100. ("L'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical").
(3) Cons. const., 12 novembre 2010, n° 2010-63.64/65 QPC (N° Lexbase : A4181GGX).
(4) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-19.921, F-P+B (N° Lexbase : A6486HUR).
(5) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-26.762, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1312HYA).
(6) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 11-10.601, FS-P+B (N° Lexbase : A1303HYW).
(7) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-60.394, F-P+B (N° Lexbase : A6484HUP) et nos obs., Désignation et élection des représentants du personnel : le strict respect des règles légales présidant à l'attribution des mandats, Lexbase Hebdo n° 449 du 21 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6973BS3).
(8) Curieusement, le pourvoi invoquait encore des arguments revenant, peu ou prou, à contester la conformité de l'article L. 2143-3 à la Constitution et aux textes européens.
(9) On peut au passage remarquer que la loi paraît exclure qu'un salarié qui n'a pas été candidat et n'est pas adhérent au syndicat puisse être désigné en qualité de délégué syndical.
(10) Il est aussi, en effet, le porte-parole de l'organisation syndicale mandante.
(11) Rappelons qu'il importe, en revanche, peu que les candidats ayant obtenu ce score électoral refusent le mandat de délégué syndical (Cass. soc., 29 juin 2011, préc. V. aussi, Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-60.437, F-D N° Lexbase : A0704HZ4).
(12) Constat qui ne manque pas d'interroger. Si la société comporte des agences occupant plus de cinquante salariés, comment se fait-il que n'aient pas été mis en place en leur sein des comités d'établissement, "chapeautés" par un comité central d'entreprise ? Il est évidemment difficile de répondre à cette question, faute d'éléments plus précis. Peut-être que ces agences ne sont tout simplement pas des établissements distincts, au sens des comités d'établissement.
(13) Et si ce salarié avait ensuite quitté l'agence, le syndicat aurait pu désigner l'un de ses adhérents en qualité de délégué syndical car il n'aurait plus eu alors de candidats remplissant les conditions prescrites par l'article L. 2143-3, alinéa 1er.
(14) Sans pour autant remettre en cause la règle selon laquelle la représentativité doit nécessairement se mesurer aux élections au comité d'entreprise, elle-même porteuse d'une atteinte au principe de concordance, dont on peut certes avancer qu'elle est commandée par la loi. Mais tel n'est pas le cas pour la condition tenant à la personne du salarié désigné en qualité de délégué syndical.

Décision

Cass. soc., 12 avril 2012, jonction, n° 11-60.218 et 11-60.219, FS-P+B (N° Lexbase : A5937IIQ)

Rejet, TI Beauvais (contentieux des élections professionnelles), 8 juillet 2011

Texte concerné : C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L6224ISC)

Mots-clés : délégué syndical, conditions personnelles, score électoral, désignation d'un simple adhérent, conditions

Liens base : (N° Lexbase : E1853ETS)

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Sociétés

[Le point sur...] L'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations dans les SAS non tenues d'en désigner un : le concept ou la grammaire ?

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N1715BTP

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par Guy de Foresta, avocat au barreau de Lyon, Spécialiste en Droit des sociétés, Cabinet De Foresta Avocats

Le 04 Mai 2012

Plusieurs dispositions du Code de commerce prévoyant l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations sociales, caractéristiques le plus souvent d'opérations sur capital, la question s'est posée de savoir si une telle intervention était véritablement requise dans les SAS que la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 dite "LME" N° Lexbase : L7358IAR) a dispensé de désigner un commissaire aux comptes de manière permanente.
A cette question, le Comité juridique de l'ANSA, (Association nationale des sociétés par actions) puis le Comité national des commissaires aux comptes (CNCC) ont, à un an d'intervalle, apporté des réponses théoriques différentes qui se traduisent néanmoins par des solutions pratiques identiques, sauf pour deux types d'opérations particulières. I - Les approches différentes

A - L'ANSA

Quelque temps après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-779 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, ayant modifié le régime des SAS, notamment en ce qui concerne l'obligation de désigner un commissaire aux comptes, le Comité juridique de l'ANSA tenait, le 3 décembre 2008, une réunion prenant position sur certains points.

Réfléchissant sur les opérations pour lesquelles le Code de commerce prévoit l'intervention d'un commissaire aux comptes, le Comité tenait le raisonnement suivant :

Se fondant sur une approche explicitement "littérale" des textes applicables, le Comité, sur la base des dispositions de l'article L. 227-1, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L2477IBD), rappelait que pour que les dispositions relatives aux SA soient applicables aux SAS, en particulier relativement à l'intervention du commissaire aux comptes lors de la réalisation de certaines opérations, il convenait non seulement qu'elles ne soient pas explicitement exclues par l'alinéa 3 de l'article précité, mais encore qu'elles soient compatibles avec les dispositions particulières applicables aux SAS.

Dès lors que, conformément à ces dispositions particulières amendées par la "LME", certaines SAS n'étaient pas tenues de désigner un commissaire aux comptes, ces dernières n'avaient donc pas à faire intervenir un commissaire aux comptes pour la réalisation d'opérations où leur présence s'impose en SA.

Interprétant cette notion de compatibilité visée par ledit article L. 227-1, l'ANSA considérait que les SAS dispensées de désigner un commissaire aux comptes étaient libérées "mécaniquement" des obligations leur incombant en SA.

Très logiquement, elle considérait, en revanche, que s'agissant des dispositions non spécifiques aux SA, c'est-à-dire applicables à l'ensemble des sociétés commerciales si ce n'est par actions, et prévoyant l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations, la SAS non tenue de désigner un commissaire aux comptes ne pourrait alors se passer d'en faire intervenir un.

En d'autres termes, là où la notion de compatibilité jouait comme un frein à l'application des dispositions spécifiques (et non exclues) aux SA, cet obstacle disparait nécessairement pour l'application de dispositions générales applicables à toutes sociétés.

B - Le CNCC

Prenant position un an après sur cette question, la Commission nationale des commissaires aux comptes (CNCC), faisant preuve d'une réelle indépendance d'esprit, adoptait une position différente en son principe, mais fondée elle aussi -quoique implicitement seulement- sur une interprétation littérale -voire grammaticale- des dispositions du code de commerce (cf. Bulletin CNCC, n° 156, décembre 2009, p. 700).

C'est ainsi que le Comité considérait que les SAS non tenues de désigner un commissaire aux comptes ont néanmoins l'obligation d'en nommer un pour la réalisation d'opérations pour lesquelles le texte de référence du Code de commerce prévoit l'intervention "d'un commissaire aux comptes".

En revanche, lorsque ces textes de référence ne prévoient que l'intervention "du ou des" commissaires aux comptes, ou bien vise "le" commissaire aux comptes de l'entité considérée, une telle intervention n'est pas requise dans ces SAS, par hypothèse dépourvues de tels commissaires.

Ainsi, le genre de l'article retenu dans la rédaction du texte commanderait la solution :

- défini tel que "du ou "des" ou "le", le texte ne renverrait qu'au seul commissaire aux comptes déjà en fonction dans la société, libérant de l'obligation celles qui n'en sont pas dotées ;

- indéfini tel que "un" ou "de", il imposerait l'intervention d'un commissaire aux comptes, que celui-ci soit déjà désigné dans la société ou bien qu'il soit précisément à désigner pour la réalisation de l'opération considérée.

Ce faisant, le CNCC marquant son désaccord avec l'ANSA, substituait au distinguo SA/autres sociétés retenu par cette dernière sur la base de la notion de compatibilité, celui d'article défini/indéfini sur la base de la rédaction grammaticale.

II - Les incidences pratiques

Indépendamment de la problématique théorique de ces approches, force est de reconnaître qu'elles conduisent toutes deux à des solutions pratiques identiques, sauf pour la réalisation de deux types biens spécifiques d'opérations.

A - L'identité des solutions

Que ce soit par exclusion des dispositions non compatibles spécifiques aux SA (ANSA) ou de celles visant l'intervention "du" ou "des" commissaires aux comptes (CNCC), il faut considérer que les opérations suivantes peuvent être réalisées sans commissaire aux comptes dans les SAS non tenues d'en désigner :
- les augmentations de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (C. com., art. L. 225-135 N° Lexbase : L3103IQY et R. 225-114 N° Lexbase : L0249HZA) ;
- les transformations (C. com., art. L. 225-244 N° Lexbase : L6115AIC) ;
- les réductions de capital (C. com. art. L. 225-204 N° Lexbase : L6009ISD) ;
- les augmentations de capital libérées par compensation de créances (C. com., art. L. 225-146 N° Lexbase : L6017AIP et R. 225-134 N° Lexbase : L0269HZY) ;
- les options de souscription ou d'achat d'actions (C. com., art. L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4) ;
- les attributions d'actions gratuites (C. com., art. L. 228-12 N° Lexbase : L8369GQZ et R. 228-19 N° Lexbase : L5095HZQ).

Pour ces opérations, les deux approches se superposent :

  • qu'il s'agisse de textes applicables spécifiquement aux SA ou bien utilisant des articles définis.

Dans un tel cas, et selon M. P.-L. Perrin (Journal spécial des sociétés - avril 2009), "[o]n lit alors les articles de loi (spécialement les articles L. 225-127 à L. 227-270 du code de commerce en ne tenant simplement pas compte des références faites aux Commissaires aux comptes".

  • Inversement, il est une opération visée pour tous les types de sociétés commerciales dans les dispositions communes du Titre III du Code de commerce qui renvoient par ailleurs à l'intervention "d'un" commissaire aux comptes : la distribution d'un acompte sur un dividende (cf. C. com., art. L. 232-12 N° Lexbase : L6292AIU).

Dans un tel cas, son intervention s'impose.

B - La divergence des solutions

Il existe, en revanche, deux types d'opération où les textes de référence visent chacun l'intervention "du" ou "des" commissaires aux comptes, sans être pour autant spécifiques aux SA :
- les opérations sur actions de préférence (C. com., art. L. 228-12 et L. 228-19 N° Lexbase : L8376GQB) ;
- les émissions de valeurs mobilières (C. com., art. L. 228-92 N° Lexbase : L8337GQT).

Pour le CNCC, ces opérations sont exclues de l'obligation d'intervention, tandis que pour le Comité juridique de l'ANSA, et même si sa formulation est moins assertive car visant un exemple, la désignation ponctuelle d'un commissaire aux comptes semble s'imposer.

C - La pertinence des critères

L'application pratique des solutions respectives de l'ANSA et du CNCC relatives aux deux opérations susvisées, amène à formuler les observations suivantes :

D'abord, dans le texte même de sa communication du 3 décembre 2008, le Comité juridique de l'ANSA préconise l'intervention d'un commissaire aux comptes "pour les dispositions qui ne sont pas spécifiques aux SA et qui prévoient l'intervention d'un Commissaire aux comptes".

Autrement dit, sa solution repose sur le cumul des deux éléments caractéristiques des dispositions applicables :
- absence de spécificité aux SA ;
- stipulation de l'intervention "d'un" commissaire aux comptes.

S'attachant au choix de l'article indéfini -différencié à bon droit de l'article défini par le CNCC- l'ANSA ne recourt-elle pas finalement au distinguo opéré par ce dernier ?

Par ailleurs, si les dispositions légales relatives à la création d'actions de préférence (C. com., art. L. 228-12 et L. 228-19) et à l'émission de valeurs mobilières (C. com., art. L. 228-92) ne sont en effet pas spécifiques aux SA puisqu'elles font partie du Chapitre VIII "Des valeurs mobilières émises par les sociétés par actions" du Titre II du Code de commerce relatif aux "Dispositions particulières aux diverses sociétés commerciales", il convient en revanche de souligner que ces dispositions renvoient toutes, pour leur mise en oeuvre, à des dispositions légales et réglementaires spécifiques aux SA, à savoir, les articles L. 225-10 (N° Lexbase : L5881AIN) et L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS) à L. 225-125 et R. 225-132 (N° Lexbase : L0267HZW) pour les actions de préférence, et les articles L. 225-129 (N° Lexbase : L2677HW3) à L. 225-129-6 et R. 225-117 (N° Lexbase : L0252HZD) pour l'émission de valeurs mobilières...

Est-il légitime d'écarter des dispositions spécifiques aux SA des articles de loi relatifs à des opérations sur capital dont la mise en oeuvre et la réalisation concrète sont pourtant régies par des dispositions légales et réglementaires applicables aux SA ?

Enfin, et sur un plan plus théorique, l'on peut également se demander si l'interprétation stricte que retient le Comité juridique de l'ANSA sur la notion de comptabilité, doit prévaloir en toutes hypothèses.

Si l'incompatibilité s'impose entre les dispositions générales applicables aux SA dotées d'un commissaire aux comptes et les dispositions particulières applicables aux SAS non dotées d'un tel commissaire, cette incompatibilité est-elle pour autant "mécanique" lorsqu'il s'agit de l'intervention ponctuelle d'un commissaire aux comptes pour la réalisation d'une opération spécifique ?

Sur la présence permanente d'un commissaire aux comptes auprès de la société, il y a bien une incompatibilité manifeste mais pas nécessairement sur son intervention ponctuelle. La "LME", dans un souci de simplification de règlements, dispense certaines SAS de désigner un commissaire aux comptes pour la durée légale de six exercices, mais elle n'interdit pas pour autant à des commissaires aux comptes, intervenant alors en qualité de commissaires "ad hoc", de réaliser certaines missions pour des opérations spécifiques.

La véritable question est de savoir si ces dispositions ont ou non un caractère obligatoire. Et la présomption d'incompatibilité avancée par l'ANSA pourrait être renversée.

En ce sens, le critère retenu par les CNCC, après une année d'expérience sur cette question, a l'avantage de la clarté et de la simplicité.

C'est bien du reste cette dernière solution qui est retenue pour la création d'actions de préférence par les auteur du Memento Francis Lefebvre (millésime 2012 n° 67 814) qui exclut expressément l'intervention d'un commissaire aux comptes pour les SAS qui n'en sont pas dotées.

***

Conclusion

De ce débat théorique, le praticien amené à réaliser des opérations pour lesquelles le Code de commerce prévoit l'intervention d'un commissaire aux comptes dans des SAS qui n'en sont pas dotées, doit retenir les solutions suivantes :

  • La nomination ponctuelle d'un commissaire aux comptes ne sera pas requise pour les opérations listées au paragraphe II-A. ci-avant.

Comme le souligne l'ANSA, la contrepartie sera "une responsabilité accrue des dirigeants quant à la qualité de l'information qu'ils délivrent aux associés sur des aspects qui donnent lieu, dans une société anonyme, à une appréciation des commissaires aux comptes : vérification des conditions de prix, effet dilutif, caractéristiques des actions [...]".

  • Inversement, la SAS devra nécessairement en faire désigner un par voie d'ordonnance sur requête du Président du tribunal de commerce lorsqu'elle entendra procéder à la distribution d'un acompte sur dividendes.

Pour des opérations d'émission de valeurs mobilières comme celles de création d'actions de préférence, les dirigeants de la SAS devront être particulièrement circonspects.

Certes, la nomination ponctuelle d'un commissaire aux comptes effectuée comme en matière d'acompte sur dividendes, ne pourra que sécuriser l'opération en y apportant une transparence et une incompatibilité de nature à justifier le coût supplémentaire de cette intervention.

Dans le cas des actions de préférence où des droits particuliers sont créés, la société devra en toute hypothèse recourir à la désignation d'un commissaire aux apports chargé d'apprécier les avantages particuliers (cf. C. com., art. L. 225-8 N° Lexbase : L5748ISP, L. 225-14 N° Lexbase : L5885AIS, L. 225-147 N° Lexbase : L5749ISQ et L. 225-148 N° Lexbase : L8401GQ9 sur renvoi de l'article L. 228-15, alinéa 1er N° Lexbase : L2544IBT), sauf s'agissant d'une catégorie d'actions déjà créée, auquel cas un rapport spécial du commissaire aux comptes suffit (cf. art. L. 228-12, al. 1er et L. 228-15, al. 3).

A défaut de nullité expresse prévue par les textes, l'on voit mal comment une annulation pour défaut de rapport de commissaire aux comptes pourrait intervenir dans ces conditions, alors que l'obligation de son intervention est ainsi discutée en doctrine.

La question sera plus aiguë pour l'émission de valeurs mobilières donnant accès au capital (cf. C. com., art. L. 228-92 N° Lexbase : L8337GQT) dans la mesure où une nullité expresse est prévue par les dispositions de l'article L. 228-93, alinéa 2 (N° Lexbase : L8338GQU).

Si tant est que le cas de figure puisse véritablement se présenter, il appartiendra alors au juge de se prononcer sur le caractère véritablement obligatoire ou non de l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation d'une telle opération.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Mai 2012

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N1700BT7

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 03 Mai 2012

L'actualité jurisprudentielle en matière de TVA est animée, autant au plan communautaire qu'au niveau national. Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, revient sur quatre arrêts portant sur des aspects très différents de cette taxe. Ainsi, la CJUE vient rappeler la nécessité de préserver de la manière la plus large possible le droit à déduction, en vue de garantir le principe de neutralité de la TVA, objectif essentiel des textes communautaires applicables (CJUE, 29 mars 2012, aff. C-414/10). Par ailleurs, le Conseil d'Etat est venu étoffer et compléter sa jurisprudence concernant les modalités de preuve en matière de livraisons communautaires, dans deux décisions similaires. En effet, la Haute juridiction considère que la société française qui a des relations de longue date avec des clients luxembourgeois ne peut ignorer l'absence d'activité réelle de ses clients, et se rend donc complice de fraude (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2012, deux arrêts, n° 330760, mentionné au recueil Lebon et n° 330761, inédit au recueil Lebon). Enfin, le juge suprême s'est intéressé à une question de droit assez rarement évoquée dans sa jurisprudence, à propos de la distinction entre mandataire et commissionnaire dans le cadre de l'application des règles de territorialité applicables aux prestations de services intracommunautaires (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2012, n° 323375, mentionné aux tables du recueil Lebon). I - La TVA à l'importation doit pouvoir être déduite par son redevable, indépendamment du fait qu'il l'ait effectivement acquittée ou non (CJUE, 29 mars 2012, aff. C-414/10 N° Lexbase : A8580IGU)

La décision commentée vient confirmer la position de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de droit à déduction, tout en répondant à une question de droit qui, à notre connaissance, n'avait encore jamais été abordée par le juge communautaire.

Les faits examinés se sont déroulés sous l'empire de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9), car ils sont antérieurs au 31 décembre 2006, date de suppression de cette Directive et de la mise en oeuvre de la Directive du 28 novembre 2006 (Directive 2006/112/CE, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ). Néanmoins, on doit noter que la Directive de 2006 a repris les termes de la Directive antérieure aux articles 167 et 168. Ainsi la solution dégagée par le juge communautaire est toujours d'actualité.

Cette affaire est relative à une opération d'importation. Une société anonyme a importé des vélos pendant la période 1992-1995 en déclarant qu'ils provenaient du Viêtnam. Cependant, selon l'administration française des douanes, ces vélos provenaient de Chine et non du Viêtnam. Elle a donc dressé un procès-verbal pour fausse déclaration d'origine et soumis l'entreprise au paiement des droits de douane et des droits antidumping afférents à cette fausse déclaration. Ces droits étaient assujettis à la TVA pour un montant de 735 437 euros.

L'entreprise n'a pas réglé la TVA due. De ce fait, elle était débitrice de cette somme auprès de l'administration fiscale. Une procédure de redressement judiciaire a été mise en oeuvre à son encontre. Par ordonnance du 12 février 1999, le juge-commissaire a constaté la forclusion de la créance de l'administration fiscale car elle n'avait pas fait l'objet d'une déclaration à titre définitif dans les douze mois suivant la publication du redressement judiciaire. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation (Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-14.457, F-D N° Lexbase : A0817C97).

La forclusion de la créance de TVA a permis à l'entreprise de demander le remboursement du montant du crédit de TVA déductible, au titre du redressement de TVA sur les droits éludés. L'administration a rejeté cette demande en se fondant sur le fait que le droit à déduction était subordonné au paiement effectif préalable. La position de l'administration a été confirmée par les juges du fond, puis d'appel. L'entreprise s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'Etat, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE, objet de la décision commentée.

Cette question concerne l'article 17, paragraphe 2, sous b) de la 6ème Directive-TVA, à savoir si cette disposition "permet à un Etat membre de subordonner le droit à déduction de la TVA à l'importation au paiement effectif préalable de ladite taxe par le redevable lorsque ce dernier est également titulaire du droit à déduction" (1). Pour répondre à cette question, la CJUE développe plusieurs séries d'arguments.

Dans un premier temps, elle se livre à une analyse exégétique de cette disposition, aux termes de laquelle l'assujetti est autorisé à déduire la TVA "due ou acquittée" pour les biens importés dans l'Etat membre. Les termes "due ou acquittée" n'impliquent pas que la TVA ait été effectivement payée. La TVA doit être exigible, mais elle peut, ou non, être acquittée. Le contribuable doit avoir l'obligation de payer la TVA afin de pouvoir exercer son droit à déduction, en revanche ce dernier n'est pas pour autant subordonné à l'effectivité du paiement. L'expression "due ou acquittée" n'emporte pas un choix pour les Etats membres en les autorisant à exiger que la TVA déductible ait été effectivement acquittée. Ainsi dans une décision du 28 juillet 2011 (2), s'agissant de termes identiques utilisés à l'article 17, paragraphe 2, sous a), la CJUE avait déjà indiqué que le principe est que la naissance et l'exercice du droit à déduction sont indépendants du fait que la contrepartie due a été ou non déjà acquittée (3).

Ce premier élément en faveur de l'interprétation, au terme de laquelle il n'est pas nécessaire que la TVA soit acquittée pour que le contribuable puisse exercer son droit à déduction, est renforcé par l'analyse de l'article 18, paragraphe 1, sous b) de la 6ème Directive-TVA. Selon cette disposition, dans le cadre d'importations, la seule obligation faite à l'assujetti est "de détenir un document constatant l'importation qui le désigne comme destinataire ou importateur et mentionne ou permet de calculer le montant de la taxe due" (4). A contrario, cela implique qu'il n'existe pas une obligation selon laquelle le droit à déduction serait subordonné au paiement effectif de la TVA due au titre de l'importation. On peut d'ailleurs citer une décision du Conseil d'Etat développant une application inverse de ce principe : dans cette affaire en date du 16 février 2001 (5), il a été jugé qu'une entreprise ne pouvait pas déduire la TVA afférente à l'importation de biens dès lors qu'elle n'était pas en possession de la déclaration d'importation (ou de tout autre document en faisant office) ; alors même qu'elle avait à établir qu'elle avait effectivement payé au commissionnaire la somme correspondant à la TVA due au titre de cette importation.

Dans un second temps, la CJUE développe des arguments d'ordre téléologique au regard des objectifs dévolus à la 6ème Directive-TVA et toujours d'actualité dans le cadre de la nouvelle Directive, venue remplacer celle de 1977. Il s'agit, d'une part, de garantir le respect du principe de neutralité fiscale et, d'autre part, de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, ainsi que les éventuels abus.

Ainsi, la CJUE souligne que le mécanisme du droit à déduction est essentiel quant à la mise en oeuvre de ce principe de la neutralité fiscale. Elle reprend à l'identique une argumentation développée depuis au moins 1985, aux termes de laquelle elle énonce que "le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que ces activités soient elles-mêmes soumises à la TVA" (6).

Le droit à déduction fait partie intégrante du système commun de TVA. Il a pour objectif que les opérateurs économiques soient soulagés de la TVA. Dans une perspective de neutralité fiscale, toutes les limites nationales à ce droit sont autant de remises en cause de cette neutralité. En effet, s'il existe des règles différentes entre les Etats membres, la charge fiscale en sera modifiée en conséquence et pourra varier d'un pays à l'autre. Ainsi, les limitations ne peuvent être prévues que de manière expresse.

A l'appui d'une interprétation permettant de venir limiter le droit à déduction à l'hypothèse dans laquelle la TVA n'était pas seulement due mais avait été effectivement acquittée, certains Etats membres avançaient qu'en l'absence de ce paiement effectif, le risque de fraude et/ou d'abus à la TVA serait bien plus conséquent. A cet argument, le juge communautaire répond par la négative, l'importation ne pouvant être comprise comme une opération comportant un risque de fraude accru au point qu'il faille de manière obligatoire subordonner le droit à déduction au paiement préalable de la TVA. Il existe des conditions afin de pouvoir exercer ce droit à déduction et, dès lors qu'elles sont remplies, la déduction est de droit. Il est du ressort du juge national de refuser le bénéfice de ce droit dans l'hypothèse où il a été invoqué de manière frauduleuse. Ainsi, la lutte contre la fraude fiscale en matière de TVA n'autorise pas à remettre en cause le droit à déduction de façon systématique.

Cette décision quant au droit à déduction dans le cadre d'opérations d'importation permet à la CJUE d'affirmer la totale déconnexion entre le droit à déduction et le paiement effectif de la TVA due. Si cette solution est nouvelle quant à ce type d'opérations, en revanche, elle s'inscrit parfaitement dans la perspective jurisprudentielle du juge communautaire, pour lequel le principe de neutralité fiscale est prépondérant. En l'espèce, l'argument de la lutte contre la fraude fiscale ne peut autoriser une telle limite au droit à déduction, d'autant plus que les Etats membres ont à leur disposition d'autres moyens de lutte.

II - Fraude : la société française qui a des relations de longue date avec des clients luxembourgeois ne peut ignorer l'absence d'activité réelle de ses clients (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2012, deux arrêts, n° 330760, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A3335IEA et n° 330761, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3336IEB)

Ces deux affaires seront étudiées sans les distinguer car elles présentent des faits identiques et posent la même question de droit. Enfin, les termes des deux décisions commentées sont tout à fait similaires.

Les faits sont simples et ont été révélés à l'occasion d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000 pour la première société et du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001 pour la seconde. Ces deux sociétés ont la même activité : le négoce de voitures d'occasion. A la suite de ces vérifications, l'administration fiscale a considéré que les véhicules vendus par les deux entreprises françaises à des sociétés luxembourgeoises n'ont pas été réellement livrés. En conséquence, l'administration française a remis en cause le régime d'exonération de TVA applicable aux livraisons intracommunautaires de biens meubles corporels. Outre les rappels de TVA consécutifs à ces redressements, l'administration fiscale a infligé aux sociétés des pénalités pour manoeuvres frauduleuses.

Dans les deux affaires, le tribunal administratif de Strasbourg (7) a rejeté la demande de l'une et l'autre société tendant à la décharge des droits supplémentaires de TVA et des pénalités y afférentes. Ensuite, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé la décision des juges du fond pour les deux affaires (8).

Les requérants ont développé différents moyens à l'appui de leur pourvoi en cassation. Les deux premiers d'entre eux sont purement d'ordre processuel et présentent un intérêt relativement mineur. Il est reproché aux juges d'appel ne pas avoir mentionné qu'il serait fait usage de la faculté d'expérimentation permettant d'inverser l'ordre de prise de parole entre les parties et le rapporteur public (9). De même, les requérants ont avancé que les arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Nancy seraient entachés de mentions contradictoires qui auraient eu pour effet de ne pas permettre l'identification de la présidence et ainsi de ne pouvoir savoir si la cour était régulièrement composée. Le Conseil d'Etat a considéré que ces éléments n'avaient pas d'incidence sur la régularité des décisions.

En revanche, la décision de la Haute juridiction administrative, en ce qu'elle concerne le bien-fondé des rappels de TVA, présente un intérêt certain. Aux termes du I de l'article 262 ter du CGI (N° Lexbase : L5503HWQ), l'exonération de TVA dont bénéficient les opérateurs économiques qui effectuent des livraisons de biens intracommunautaires est soumise à certaines conditions. D'une part, l'acquéreur des biens doit être assujetti à la TVA. D'autre part, le bien doit avoir été expédié ou transporté hors de France à destination d'un autre Etat membre. Cette procédure a été mise en oeuvre au 1er janvier 1993, lors de l'instauration du régime de TVA "transitoire". Or, depuis 1993, la fraude à la TVA, dite fraude "carrousel" (10) n'a cessé de croître et a pour "origine directe" (11) ce régime transitoire. L'abondance de la jurisprudence aussi bien communautaire que nationale ne permet que d'envisager la partie émergée de l'iceberg que représente ce type de fraude...

Dans les deux affaires similaires commentées, la question de droit porte plus précisément sur les modalités de preuve des livraisons intracommunautaires. Dans ces deux espèces, les conditions du I de l'article 262 ter du CGI paraissent avoir été remplies. En effet, les deux sociétés françaises pouvaient justifier de l'expédition des biens dans un autre Etat membre et du numéro de TVA intracommunautaire des entreprises qui avaient acquis les biens. Pour autant, le fait de remplir ces conditions ne constitue qu'une présomption simple. Ainsi, il est loisible à l'administration de venir rapporter la preuve que ces livraisons, en dépit des conditions apparemment remplies, n'ont pas eu lieu, et qu'en conséquence l'exonération de TVA ne peut trouver à s'appliquer.

S'agissant de la preuve pouvant être rapportée par l'administration afin de remettre en cause la présomption simple, le Conseil d'Etat applique un régime de preuve objective ; le juge se détermine au vu de l'instruction. En effet, dans les deux arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Nancy, il est fait mention que les différents éléments pris en considération résultent de l'instruction.

En l'espèce, il est appliqué la méthode du faisceau d'indices. Ainsi la Haute juridiction administrative relève au moins deux indices qui permettent de penser que les livraisons de biens n'ont pas eu réellement lieu. D'une part, il s'agit du "défaut d'activité réelle" des destinataires des biens au Luxembourg. Ce défaut d'activité réelle est déduit de différents éléments dont l'absence de moyens matériels, de lieu de stockage des biens livrés ou encore celle de boîte aux lettres au siège social ... C'est un indice qui avait déjà trouvé à s'appliquer dans une décision du 27 juillet 2005 (12), et plus récemment dans un arrêt en date du 16 décembre 2011 (13). D'autre part, le Conseil d'Etat mentionne que les entreprises françaises entretenaient "une relation commerciale suffisamment longue pour ne pas ignorer que les véhicules ne leur avaient pas été réellement livrés". Ce deuxième élément paraît nouveau, du moins à notre connaissance. Ainsi, il n'en est pas fait mention par Madame le Professeur Sérandour dans la liste des indices pris en compte par la jurisprudence (14).

De l'ensemble de ces éléments, le Conseil d'Etat en déduit que les entreprises françaises n'avaient pas pris "toute mesure raisonnable" en leur pouvoir en vue de s'assurer que les livraisons réalisées ne les conduisaient pas à participer à une fraude à la TVA. La notion de "toute mesure raisonnable" ouvre un champ particulièrement large quant aux mesures que doivent exercer les opérateurs économiques effectuant des livraisons intracommunautaires en vue de s'assurer de leur non participation à une fraude à la TVA. L'indice relatif à la qualité de la relation commerciale "suffisamment longue" en fournit un exemple.

Enfin, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur le bien-fondé des pénalités infligées aux entreprises requérantes. Les deux décisions rendues en des termes identiques n'apportent pas d'éléments nouveaux quant à l'application de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) dans sa rédaction applicable aux faits examinés. Pour appliquer la majoration de 80 %, dans l'hypothèse où le contribuable s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses, l'administration doit rechercher s'il a eu recours à des procédés destinés à l'égarer ou à amoindrir son pouvoir de contrôle. En l'espèce, la Haute juridiction administrative vient infirmer la décision des juges d'appel. En effet, elle a considéré que l'administration n'avait pas établi l'existence de tels procédés. En conséquence, elle a substitué d'office à la majoration de 80 % celle de 40 % applicable en cas de mauvaise foi du contribuable.

III - Est redevable de la TVA en France, la société qui n'agit pas en tant que l'intermédiaire d'une société néerlandaise, n'ayant pas été mandatée par elle et ne recevant pas de directives guidant ses actions (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2012, n° 323375, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0172IHT)

La question de droit posée par cette affaire est relative à la territorialité en matière de TVA, elle concerne les articles 259 (N° Lexbase : L2727IG4), 259 A (N° Lexbase : L3082IGA) et 259 B (N° Lexbase : L1676IPR) du CGI dans leur rédaction antérieure à la loi de finances pour 2010 (15). Pour rappel, cette loi a transposé en droit français les dispositions des Directives 2008/8/CE (Directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008, modifiant la Directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services N° Lexbase : L8139H3T) et 2008/117/CE (Directive 2008/117/CE du Conseil du 16 décembre 2008, modifiant la Directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA, afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires N° Lexbase : L6898ICH), qui ont modernisé et simplifié les règles de territorialité des prestations de services dans le cadre d'opérations intracommunautaires. Plus précisément, il s'agit des conséquences en matière de territorialité de la qualité de l'intermédiaire dans le cadre de prestations de services.

Une société française, aux droits de laquelle vient une autre société, a commercialisé elle-même de petits étendards. Ces derniers avaient été fabriqués par une société néerlandaise. Par la suite, l'entreprise française a mis en relation la société néerlandaise avec un acheteur suisse desdits produits. A ce titre, la société française a reçu une commission "proportionnelle au nombre de produits vendus". Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière de TVA pour la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 1999. Au terme de cette procédure, et par application de l'article 259 du CGI, l'administration a estimé que les prestations de services exécutées en France par cette entreprise devaient être taxées en France. Au contraire, la société demanderesse demandait à être déchargée des compléments de TVA et des intérêts de retard afférents réclamés pour cette période. Le tribunal administratif d'Orléans, par un jugement en date du 19 juin 2007, a répondu négativement à cette demande. Cette solution a été confirmée en appel par la cour administrative d'appel de Douai (16), dans un arrêt du 6 novembre 2008.

Les dispositions en cause dans cette affaire concernent la territorialité des prestations de services intracommunautaires. L'article 259 du CGI énonçait le principe selon lequel "les prestations de services sont imposables en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité". Néanmoins, ce principe trouvait très peu à s'appliquer car les articles 259 A, 259 B et 259 C du CGI mettaient en oeuvre un grand nombre d'exceptions. Au final, le principe de l'article 259 du CGI avait un caractère résiduel et ne s'appliquait qu'aux cas qui n'étaient pas inclus dans les trois articles suivants (17).

Dans cette affaire, la question était de savoir quel rôle avait eu exactement la société française lors de la mise en relation qu'elle avait effectuée entre la société néerlandaise et la société suisse. Compris de manière relativement large, elle avait eu un rôle "d'intermédiaire", c'est-à-dire qu'elle avait mis en contact un vendeur et un acheteur en vue que ceux-ci commercent ensemble. Mais en matière de TVA, il est nécessaire de distinguer de manière plus fine le rôle de cet intermédiaire. En effet, si l'intermédiaire intervient toujours pour un donneur d'ordre, la relation peut être différente. S'il agit pour le compte et au nom d'autrui, il est alors qualifié de "mandataire", ou encore d'intermédiaire "transparent". Dans cette hypothèse, il n'agit pas de sa propre initiative mais dans les limites qui lui sont conférées par le mandat. S'il agit en son nom propre mais pour le compte d'autrui et que le tiers ne sera pas informé de la personnalité du donneur d'ordre, il est alors qualifié d'intermédiaire "opaque", ou "commissionnaire".

En matière de TVA, cette distinction est essentielle. L'intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui est considéré comme un prestataire de services qui n'est imposable qu'au titre de sa seule rémunération. En revanche, l'activité de l'intermédiaire "opaque" s'analyse comme étant à la fois acheteur et revendeur et sera taxable sur le montant total de la transaction.

En l'espèce, la société française soutenait qu'elle avait agi dans le cadre d'un mandat tacite de la société néerlandaise. A cette fin, elle estimait qu'un courrier de la société néerlandaise au terme duquel les sommes versées étaient considérées comme des commissions sur les ventes permettait de démontrer l'existence de ce mandat tacite. Cet argument n'a pas été accueilli par les juges d'appel. Ensuite, la cour administrative d'appel a recherché d'autres indices afin de déterminer si ce mandat existait ou non. Les éléments pris en considération sont, d'une part, que la mise en relation entre la société néerlandaise et la société suisse est de l'initiative de la société française. En conséquence, elle n'a pas agi en fonction d'un mandat mais en tant qu'intermédiaire "opaque". Cet élément marque l'indépendance du commissionnaire à l'égard du donneur d'ordre et donc qu'il n'a pas agi en son nom et pour son compte. D'autre part, elle n'a pas rendu de comptes à la société néerlandaise ; cette reddition de comptes doit permettre, dans le cadre d'un mandat, au mandant de connaître le montant des dépenses payées en son nom et pour son compte.

Cette affaire est intéressante du fait que les décisions en la matière sont très rares. Depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles de territorialité pour les prestations de services, le lieu des prestations de services fournies à des assujettis est en principe le lieu où le preneur est établi. Néanmoins la notion de "prestations réalisées par des intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui" est toujours inscrite dans la loi (CGI, art. 259 A, 7°).

En effet, comme l'indique la Haute juridiction administrative, les dispositions du 6° de l'article 259 A ont été prises en vue de transposer l'article 28 ter E, paragraphe 3, de la 6ème Directive-TVA. Ces mesures ont été reprises à l'article 44 de la Directive du 28 novembre 2006.


(1) Point 17.
(2) CJUE, 28 juillet 2011, aff. C-274/10 (N° Lexbase : A8888HW4 ; lire N° Lexbase : N7388BSG).
(3) Points 42 et 43, op. cit.. Il faut aussi noter que dans cette affaire, les transactions étaient intérieures.
(4) Point 26.
(5) CE 8° et 3° s-s-r., 16 février 2001, n° 195718, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1527ATQ).
(6) Pour ex. : CJUE, aff. C-268/83, 14 février 1985, point 19 (N° Lexbase : A8121AUC) ; CJUE, 15 février 1998, aff. C-37/95, point 15 (N° Lexbase : A9657AU9) ; CJUE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, point 19 (N° Lexbase : A2016AII) ; CJUE, 26 mai 2005, aff. C-465/03, point 34 (N° Lexbase : A3969DIT).
(7) TA Strasbourg, 11 mars 2008, n° 0500588 et 5 février 2008, n° 0500586.
(8) CAA Nancy, 2ème ch., 3 juin 2009, deux arrêts, n° 08NC00678 (N° Lexbase : A3258EII) et n° 08NC00679 (N° Lexbase : A3259EIK), inédits au recueil Lebon.
(9) CJA, art. R. 711-2 (N° Lexbase : L4862IRI).
(10) Pour comprendre le mécanisme de cette fraude, on peut consulter notamment les explications de l'administration fiscale - Instruction du 30 novembre 2007 (BOI 3 A-7-07 N° Lexbase : X9964ADE), DF, 2007, n° 46, 13801.
(11) Jean-Claude Bouchard et Odile Courjon, TVA : vers un passeport fiscal intracommunautaire ?, DF, 2007, n° 38, pp. 3.
(12) CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 273619 et n° 273620 (N° Lexbase : A1510DK7), mentionné aux tables du recueil Lebon, DF, 2006, n° 12, comm. 268, concl. L. Olléon.
(13) CE 9° s-s., 16 décembre 2010, n° 308586, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6633GNY), RJF, 6/11, n° 690.
(14) La fraude à la TVA sur les livraisons intracommunautaires, DF, 2011, n° 36, étude 491, pp. 8-15, p. 14.
(15) Loi n° 2009-1673 du 30décembre 2009, de finances pour 2010 (N° Lexbase : L1816IGD).
(16) CAA Douai, 3ème ch., 6 novembre 2008, n° 07DA01358, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5019EBI).
(17) Maurice Cozian, Florence Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2009/2010, 33ème édition, Litec Fiscal, § 1221.

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