La lettre juridique n°839 du 8 octobre 2020

La lettre juridique - Édition n°839

Arbitrage

[Brèves] Arbitrage international : compétence de la juridiction étatique et principe compétence-compétence en présence d'un consommateur dans le cadre d’un contrat international

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n°18-19.241, FS-P+B (N° Lexbase : A67893WD)

Lecture: 7 min

N4836BYR

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 07 Octobre 2020

► Dans cet arrêt important, la Cour de cassation écarte le principe de compétence-compétence dans le cadre d’un contrat international en présence d'un consommateur et illustre l’intérêt public que constitue la protection de consommateur, en matière de droit européen ;

► Lorsqu’un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente, sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, et si les parties n'en sont autrement convenues ; la règle procédurale de priorité édictée par l’article 1448 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2275IPX) ne peut avoir pour effet de rendre impossible, ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder.

Faits et procédure. Dans cette affaire, un Français s’était installé à Valence en Espagne où son fils résidait et au bénéfice duquel il avait été signé une procuration générale pour administrer ou disposer des biens appartenant à son père. Le patriarche est décédé le 12 mai 2008 en Espagne, laissant un testament authentique daté du 16 novembre 2006, instituant comme héritiers, chacun pour un tiers, son fils, sa fille et ses deux petits-fils, en désignant un notaire, en qualité d’exécuteur testamentaire. La fille du défunt faisant grief à son frère d’avoir dilapidé la fortune familiale, et au notaire d’avoir engagé sa responsabilité les a assignés le 5 juin 2014 devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Elle a également assigné en responsabilité une société d’avocats espagnole, à qui elle avait donné mandat, aux termes de deux offres de services datées des 28 novembre 2008 et 20 juin 2010, de la conseiller dans les opérations de succession de son père ouvertes en Espagne. La société d'avocats a contesté à titre principal la compétence de la juridiction étatique sur le fondement d’une clause compromissoire stipulée aux contrats, et à titre subsidiaire, la compétence des juridictions françaises.

Le tribunal de grande instance de Nanterre, ainsi que la cour d’appel de Versailles ont écarté la clause compromissoire en raison de son caractère abusif.

Le pourvoi. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 15 février 2018, par la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 15 février 2018, n° 17/03779 N° Lexbase : A5233XD8), d’avoir écarté l’application de la clause compromissoire en raison de son caractère abusif et d’avoir retenu la compétence de la juridiction étatique française.

Dans un premier temps, la demanderesse invoque la violation du principe compétence-compétence et celle de l’article 1448 du Code de procédure civile. L’intéressée énonce qu’il appartient par priorité à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence, invoquant que le juge étatique est sans pouvoir pour le faire. Elle soulève que le juge étatique peut statuer sur la compétence qu’en cas de nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage. La demanderesse énonce que le juge étatique n’avait pas le pouvoir d’apprécier le caractère abusif de la clause d’arbitrage au sens de la Directive 93/13 CEE du 5 avril 1993 (N° Lexbase : L7468AU7), sans examen des conditions dans lesquelles la clause a été négociée et conclue, relevant que cela est incompatible avec la constatation de son caractère manifestement nul ou inapplicable. La requérante indique que cet examen ne relève que de la compétence exclusive de l’arbitre appuyant son argumentation sur l’article 1448 du Code de procédure civile. En l’espèce, la cour d’appel a écarté l’application de la clause d’arbitrage « au prétexte qu'elle serait manifestement abusive », après avoir procédé à un examen sur son applicabilité.

Réponse de la Cour. Après avoir énoncé la solution précitée au visa de l’article 1448 du Code de procédure civile, applicable en matière d’arbitrage international en vertu de l'article 1506 (N° Lexbase : L2216IPR) du même code, les Hauts magistrats ont relevé que la cour d’appel après avoir examiné l’applicabilité, a écarté la clause compromissoire en raison de son caractère abusif, relevant qu’elle a accompli son office de juge étatique, auquel il incombe d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire de protection du consommateur. Le moyen est déclaré non fondé.

Dans un second temps, la demanderesse fait le même grief à l’arrêt d’avoir privé de base légale la décision au sens de l'article 3 de la Directive 93/13 (CE) du 5 avril 1993, en inversant la charge de la preuve portant sur la négociation individuelle de la clause. En l’espèce, la cour d’appel avait relevé que la clause était partiellement similaire à celle figurant dans les conditions générales de l’offre de services de la seconde offre. L’intéressée énonce également que la langue ne pouvait pas constituer un obstacle au pouvoir de négociation. Les juges d’appel avaient relevé le fait que la cliente ne maîtrisait pas la langue espagnole et qu’en conséquence elle n’avait pas pu négocier la clause litigieuse. La cour relève néanmoins que les échanges préalables à la signature avaient été effectués en français et que l’offre de service lui avait été également transmise en langue française.

Réponse de la Cour. En premier lieu, la Cour Suprême relève qu’aucun échange entre les parties, antérieur à la signature du contrat ne fait illusion à la procédure arbitrale pour le règlement des différends. Puis dans un second temps, que la clause compromissoire stipulée dans l’une des offres correspondait à une clause des conditions générales rédigée en langue espagnole, confortait le caractère standardisé de cette dernière, dans les contrats de la demanderesse. Enfin, les Hauts magistrats relèvent que la cliente ne maîtrisant pas la langue espagnole, dans une affaire de succession complexe et litigieuse dans laquelle elle voulait bénéficier de conseils éclairés, n’était pas en mesure de négocier dans un rapport équilibré, les termes d’une clause compromissoire, peu importe qu’elle ait à ses côtés la présence d’un employé de banque. La Cour suprême conclut que la cour d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve, et déclare le moyen non fondé.

Dans un troisième temps, la demanderesse fait grief à l’arrêt de rejeter son exception d’incompétence des juridictions françaises et de renvoyer l’affaire devant le tribunal déjà saisi et en conséquence d’avoir privé de base légale la décision au regard des articles 17 et 18 du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (N° Lexbase : L9189IUU). L’intéressée invoque que les dispositions de ces articles ne sont pas applicables au contrat de prestation de services juridiques conclu avec un avocat. La requérante énonce également que le juge doit caractériser, par une appréciation globale et concrète, la volonté du professionnel d’établir des relations commerciales avec des consommateurs d’un ou d’autres Etats membres. Enfin, elle relève plusieurs autres arguments sur les constatations des juges d’appels effectuées sur son site internet et énonce que le juge devait caractériser la volonté du professionnel à diriger ses activités vers un Etat en particulier. En l’espèce, la cour avait relevé que certains membres de cette société exerçaient en France. Sur ce point, la demanderesse indique qu’il s’agissait de personnes juridiques autonomes et distinctes de sa société.

Réponse de la Cour. Sur ce troisième point, la Cour suprême après une démonstration détaillée, conclut, qu’il ressort des énonciations de la demanderesse et constatations effectuées, que cette dernière dirigeait « son activité professionnelle au-delà de la sphère territoriale de son barreau de rattachement, en proposant ses services à une clientèle internationale, domiciliée notamment en France, de sorte qu'en sa qualité de consommateur, Mme B, domiciliée en France, pouvait porter son action devant les juridictions françaises ».

Solution de la Cour. Énonçant les solutions précitées, la Cour suprême rejette le pourvoi.

 

Cet arrêt fera l’objet d’un commentaire approfondi par le Professeur Dominique Vidal, à paraître dans la revue Lexbase, Droit Privé, n° 840 du 14 octobre 2020.

 

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Construction

[Brèves] Retour sur la puissante mais mal connue convention de « compte prorata »

Réf. : Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, n° 19-18.266, FS-P+B+I (N° Lexbase : A51073UP)

Lecture: 3 min

N4831BYL

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 07 Octobre 2020

► La convention de compte prorata est un contrat comme les autres doté de la même force exécutoire ;

► le gestionnaire du compte prorata, lorsqu’il est conventionnellement créancier de l’obligation de paiement souscrite par l’entreprise signataire de la convention, dispose, à défaut de clause contraire, de l’ensemble des droits attachés à sa créance ; il n’est donc pas tenu de mettre en œuvre la procédure de délégation de paiement.

Le compte prorata est un système de mutualisation des dépenses de chantier entre les entreprises. Il permet, en effet, de mettre en commun un certain nombre de dépenses qui sont communes aux intervenants sur le chantier telles que l’électricité ou le chauffage. Les règles d’organisation du compte prorata sont libres. Autrement dit, elles résultent de la volonté des parties au contrat, dénommé la « convention de compte prorata », même si la norme NFP-03-001, lorsqu’elle est contractualisée en CCAG par exemple, prévoit quelques règles d’organisation (pour une mise en œuvre de l’article 14-2 en particulier, V. Cass. civ. 3, 3 octobre 2001, n° 99-20.612, N° Lexbase : A1577AWC, RDI 2002, p. 50 obs. H. Périnet-Marquet).

Le compte prorata est tenu par le mandataire commun, en cas d’entrepreneurs groupés, ou par l’entrepreneur du lot principal, dans la plupart des cas, en cas d’entrepreneurs séparés. Le mandataire est contrôlé par un comité qui comprend obligatoirement le maître d’œuvre et un représentant de chaque catégorie d’entrepreneurs.

Les dépenses communes sont inscrites et réparties entre tous les entrepreneurs selon les règles posées dans la convention. A défaut de stipulations particulières, cette répartition s’opère au prorata des montants respectifs de leurs travaux par rapport à l’ensemble du marché.

Le gestionnaire du compte prorata a les pouvoirs qui lui sont dévolus par la convention. Autrement dit, le gestionnaire n’est pas, sauf disposition expresse, mandataire des autres intervenants sur les chantiers (Cass. civ. 3, 13 janvier 2010, n° 08-70.097 N° Lexbase : A3084EQB). L’étendue des pouvoirs du gestionnaire du compte prorata pose d’importantes difficultés pratiques. La présente espèce en est une illustration.

Plusieurs entreprises, chargées de la construction d’un complexe aquatique et sportif, concluent une convention de compte prorata. Aux termes de cette convention, le gestionnaire établit les factures et reçoit paiement de leur montant mais les sommes dont l’entrepreneur est redevable au titre de ce compte sont déduites du solde (après réception) ou des acomptes (en cours de chantier) qui lui sont dus par le maître d’ouvrage. C’est en application de cette clause que le gestionnaire du compte prorata a obtenu une injonction de payer contre l’une des entreprises partie à la convention, qui ne s’était pas exécutée de deux appels de fonds.

Les juges d’appel considèrent la demande irrecevable. La Haute juridiction censure au visa du célébrissime article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L0857KZR). Pour la Haute juridiction, le gestionnaire du compte prorata, créancier de l’obligation souscrite par l’entreprise signataire de la convention, dispose de l’ensemble des droits attachés à sa créance, sauf stipulation contraire.

La convention de compte prorata est bien la loi des parties.

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Contrat de travail

[Brèves] Transfert du contrat de travail : possibilité pour le contrat d’être scindé si le salarié est affecté à deux activités

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 18-24.881, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A41363W4)

Lecture: 3 min

N4786BYW

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par Charlotte Moronval

Le 07 Octobre 2020

► Lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive.

Faits. Une salariée est engagée en qualité de secrétaire par une société X. Cette société a, par la suite, cédé à la société Y l'activité qu'elle exerçait dans son cabinet secondaire. A ensuite été notifié à la salariée le transfert de son contrat de travail auprès de la société Y, à hauteur de 50 % de son temps de travail, par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y). Après s'être trouvée en arrêt de travail, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail. Elle saisit la juridiction prud’homale.

Procédure. Pour juger que la prise d'acte par la salariée était justifiée par un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, la cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 21 septembre 2018, n° 16/07449 N° Lexbase : A7333X7Q), après avoir jugé caractérisé le transfert d'une entité économique autonome, retient que, si la partie de l'activité de la société X cédée à la société Y Méditerranée représentait 50 % de l'activité de la salariée, le contrat de travail devait se poursuivre auprès de la société X dès lors que la salariée n'exerçait pas l'essentiel de ses fonctions au sein de l'entité transférée. Face à cette décision, la société X forme un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel qui, après avoir retenu que le salarié, consacrant 50 % de son activité au secteur transféré, n’exerçait pas l’essentiel de ses fonctions dans ce secteur, juge que l’ensemble du contrat de travail devait se poursuivre avec le cédant.

En savoir plus. Sur La divisibilité du contrat de travail post-transfert d’entreprise, v. récemment (CJUE, 26 mars 2020, aff. C‑344/18 N° Lexbase : A24843K9), lire notamment J. Icard, Chronique de droit du transfert d’entreprise (janvier-juillet 2020), Lexbase Social, 2020, n° 833 (N° Lexbase : N4272BYU).

V. également ETUDE : La modification dans la situation juridique de l’employeur, L'hypothèse des transferts partiels d'entreprise, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E8849ESK).

 

newsid:474786

Droit médical

[Brèves] Refus de soins discriminatoires et dépassements d’honoraires abusifs ou illégaux : publication du décret relatif à la procédure et aux sanctions

Réf. : Décret n° 2020-1215 du 2 octobre 2020, relatif à la procédure applicable aux refus de soins discriminatoires et aux dépassements d'honoraires abusifs ou illégaux (N° Lexbase : L3757LYS)

Lecture: 4 min

N4773BYG

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par Laïla Bedja

Le 07 Octobre 2020

► Un décret n° 2020-1215 du 2 octobre 2020, publié au Journal officiel du 4 octobre 2020, crée une procédure applicable aux refus de soins discriminatoires et aux dépassements d’honoraires abusifs ou illégaux.

Le décret s'applique aux plaintes enregistrées plus de trois mois après sa publication, soit à compter du 4 janvier 2021.

• Le refus de soins discriminatoire

Le décret définit ce qu’est un refus de soins discriminatoire. Il se définit ainsi comme « toute pratique tendant à empêcher ou dissuader une personne d’accéder à des mesures de prévention ou de soins, par quelque procédé que ce soit et notamment par des obstacles mis à l’accès effectif au professionnel de santé ou au bénéficie des conditions normales de prises en charge financière des actes, prestations et produits de santé, pour l’un des motifs de discrimination mentionnés aux articles 225-1 (N° Lexbase : L2676LBQ) et 225-1-1 (N° Lexbase : L8794ITU) du Code pénal, ou au motif que cette personne bénéficie du droit à la protection complémentaire en matière de santé prévu à l’article L. 861-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7028LNM) ou du droit à l’aide médicale d’État prévu à l’article L. 251-1 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L6806LUM) » (CSP, art. R. 1110-8).

La procédure de conciliation. Le décret expose la procédure de conciliation qui est détaillée aux article R. 1110-11 et R. 1110-12 du Code de la santé publique.

La personne qui s’estime victime d’un refus de soins discriminatoire peut saisir d’une plainte le directeur de l’organisme local d’assurance maladie ou le président du conseil de l’ordre professionnel auquel est inscrit le professionnel de santé en cause. La saisine doit mentionner l'identité et les coordonnées de la personne à l'origine de la plainte, les éléments permettant d'identifier le professionnel de santé mis en cause, et décrire les faits reprochés. Elle est adressée par tout moyen permettant de donner date certaine à sa réception. Une association peut notamment effectuer cette saisine pour le compte de la personne s’estimant victime.

Une séance de conciliation des parties doit être organisée dans un délai de trois mois suivant la réception de la plainte.

L’issue de la conciliation. Soit la conciliation est faite par le retrait de plainte du plaignant, soit l’absence de conciliation est constatée lorsque le plaignant ne retire pas sa plainte ou lorsque l’une des parties n’a pas répondu à la convocation. Dans ce cas, le président du conseil de l'ordre au tableau duquel le professionnel de santé est inscrit transmet un avis motivé sur la plainte à la chambre disciplinaire de première instance de la juridiction ordinale compétente, en s'y associant le cas échéant (CSP, art. R. 1110-13).

La récidive. L’article L. 1110-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7043LN8) prévoit qu’en cas de récidive, la procédure de conciliation est impossible et le président du conseil de l’ordre transmet la plainte directement à la juridiction ordinale. Le décret dispose que la condition de la récidive est remplie lorsque le professionnel de santé mis en cause a déjà fait l’objet dans les six ans précédent la réception de la plainte d’une sanction définitive pour refus de soins discriminatoire, prononcée par une juridiction ordinale ou par le directeur d’un organisme local d’assurance maladie.

• Sanction applicable par les organismes d'assurance maladie en cas de refus de soins discriminatoires ou de dépassements d'honoraires abusifs ou illégaux

Le décret prévoit le barème de sanction applicable par les organismes d'assurance maladie en cas de refus de soins discriminatoires ou de dépassements d'honoraires abusifs ou illégaux :

  • deux fois le montant du plafond mensuel de la Sécurité sociale en cas de refus de soins discriminatoires ;
  • deux fois le montant des dépassements facturés pour des faits relevant de la pratique de dépassements d’honoraires abusifs ou illégaux.

En cas de récidive, dans un délai de six ans, dans le cadre d’un refus de soins discriminatoire, et dans un délai de trois ans, dans le cadre du dépassement d’honoraires abusif ou illégal, le professionnel risque :

  • le retrait du droit à dépassement pour une durée de trois ans, pour les professionnels autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires ;
  • la suspension de la participation au financement des cotisations sociales pour une durée maximum de trois ans.

En cas de nouvelle récidive, ces durées sont portées à six ans.

Pour aller plus loin : V. C. Lantero, ÉTUDE : La responsabilité ordinale, Non-discrimination et « attitude correcte », in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E13013RM)

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Des maternités particulières…

Réf. : CEDH, 16 juillet 2020, Req. 11288/18, D c/ France (N° Lexbase : A35543R3) ; Cass. civ. 1, 16 septembre 2020, n° 18-50.080, FS-P+B+R (N° Lexbase : A37263UK)

Lecture: 16 min

N4821BY9

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

Le 07 Octobre 2020

 


Mots clés :  filiation • maternité • gestation pour autrui (GPA) • transgenre • parent biologique • état civil • intérêt de l'enfant • loi bioéthique

Deux arrêts récents, rendus respectivement par la CEDH et la Cour de cassation les 16 juillet 2020 et 16 septembre 2020, soulèvent la question des maternités particulières, qui relèvent à la fois de l’intention et du biologique mais sans accouchement, alors même que le droit français définit la mère comme celle ayant porté et mis l’enfant au monde.


 

Dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme « D. c/ France » du 16 juillet 2020 [1], la mère est à la fois la mère génétique de l’enfant né dans le cadre d’une GPA, puisqu’il a été conçu avec ses ovules et sa mère d’intention. Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020, l’enfant a également été conçu avec les gamètes mâles d’un parent de sexe féminin sur son état civil qui avait changé de sexe avant la naissance de l’enfant tout en conservant la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins.

L’une et l’autre de ces femmes revendiquaient la reconnaissance de leur maternité sur l’acte de naissance de l’enfant. Outre l’absence d’accouchement, elles se sont vu opposer la particularité des circonstances de la conception de l’enfant :  dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, la reconnaissance de la maternité, se heurte au recours à une mère porteuse (I) et dans l’arrêt de la Cour de cassation c’est l’existence d’une autre filiation maternelle qui empêche la reconnaissance de la maternité (II).

I. L’absence de reconnaissance de la filiation maternelle d’un enfant né de GPA à l’égard de sa mère d’intention génétique

Mère d’intention génétique Même si son intérêt est quelque peu limité pour le droit français depuis les arrêts de la Cour de cassation du 18 décembre 2019 [2] qui admettent la transcription complète sur les registres d’état civil de l’acte de naissance d’un enfant né de GPA à l’étranger, l’arrêt de la Cour européenne « D. c/ France » mérite une attention particulière en ce qu’il met en lumière une configuration inédite jusqu’alors en jurisprudence. La réponse de la Cour européenne pourrait en outre peser sur la fin du processus d’élaboration de la loi bioéthique et renforcer la volonté du Gouvernement de prendre le contre pied de l’attitude libérale de la Cour de cassation. En effet, pour la première fois, une juridiction est saisie d’une affaire où la mère d’intention est également la mère génétique de l’enfant, qui a été conçu avec les gamètes des deux membres du couple et porté par une autre femme.

Absence d’obligation de transcription. La Cour européenne maintient la position qu’elle a adoptée dans son avis consultatif du 10 avril 2019 [3] selon laquelle le droit interne doit offrir à l’enfant né d’une GPA à l’étranger la possibilité de voir reconnaître son lien de filiation à l’égard de sa mère d’intention, sans que cette reconnaissance passe forcément par la transcription de son acte de naissance étranger sur les registres d’état civil français. La Cour ne voit pas de raison d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention qui est également sa mère génétique. Elle considère que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de l’enfant, pour autant qu’il désigne sa mère d’intention, ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait qu’elle est également sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation peut être effectivement établi par une autre voie, en l’occurrence celle de l’adoption.

Droits de l’enfant. On aurait pu penser que le lien génétique entre la mère d’intention et l’enfant pouvait constituer une circonstance qui imposerait aux Etats la transcription directe de la filiation maternelle mentionnée sur l’acte d’état civil étranger. Manifestant son attachement à une définition de la maternité fondée sur l’accouchement, la Cour européenne refuse pourtant de distinguer selon qu’il existe ou non un lien génétique entre la mère et l’enfant.  Si elle admet qu’une telle solution provoque une différence de traitement quant à l’établissement du lien de filiation entre le père d’intention, père biologique, et la mère d’intention, mère génétique, elle affirme que la requête ne concerne toutefois pas les droits des parents d’intention au regard de la Convention, mais uniquement ceux de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. En outre, si la Cour comprend qu’en tant que parent génétique de l’enfant, la mère d’intention puisse avoir des difficultés à envisager de passer par une procédure d’adoption pour établir leur lien de filiation en droit français, elle rappelle à nouveau que la présente requête ne concerne pas les droits de la mère, mais uniquement ceux de l’enfant.

Etablissement rapide de la filiation. Le critère essentiel pour la Cour européenne, comme elle l’a martelé dans l’avis de 2019, est la possibilité effective d’établir rapidement la filiation maternelle de l’enfant par la voie de l’adoption. Elle constate que tel est le cas en France, citant notamment la note du Garde des sceaux du 24 juillet 2017, invitant le parquet général concerné à veiller, à l’occasion de l’examen de demandes d’adoptions de l’enfant du conjoint formées par des mères d’intention, à ce que le ministère public émette un avis favorable au prononcé de l’adoption dès lors que celle-ci apparaît conforme à l’intérêt de l’enfant et que les conditions en sont remplies. Au regard des indications données par le Gouvernement selon lesquelles la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière, elle considère qu’imposer à la mère d’intention d’engager une procédure d’adoption qui devrait aboutir rapidement ne constitue pas un fardeau excessif. Le juge européen considère, contrairement à ce qu’affirment les requérants, que la raison pour laquelle la première chambre civile a procédé à un revirement de jurisprudence dans les arrêts du 18 décembre 2019 ne se trouve pas dans la durée de la procédure d’adoption ou dans son ineffectivité. Ainsi, selon la Cour, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant l’établissement du lien de filiation entre la mère d’intention et l’enfant. En conséquence, « en refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de l’enfant requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’a pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation ».

Différence de traitement. Saisie également sur le fondement des articles 8 (N° Lexbase : L4598AQR) et 14 de la convention combinés, la Cour considère que la différence de traitement que les requérants dénoncent entre les enfants français qui sont nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, et les autres enfants français nés à l’étranger, quant aux modalités de la reconnaissance du lien de filiation avec leur mère génétique reposait sur une justification objective et raisonnable, à savoir la volonté de limiter les risques que la gestation pour autrui peut engendrer, notamment pour l’enfant, lorsqu’elle est pratiquée à l’étranger par des ressortissants d’un pays où elle n’est pas autorisée. La Cour admet l’argument du Gouvernement selon lequel cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation, vise, par un contrôle juridictionnel, à s’assurer, au regard des circonstances particulières de chaque cas, qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention.

La Cour européenne continue donc à considérer, à la différence de la Cour de cassation, que les circonstances de la conception et de la naissance de l’enfant issu d’une GPA justifient un traitement particulier, révélant sans doute une certaine réticence voire une réticence certaine à faciliter le recours à la GPA…

II. L’impossible reconnaissance de la maternité d’une femme transgenre

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 septembre 2020, un homme, après avoir obtenu le changement de son sexe à l’Etat civil en 2011, a conçu, grâce la conservation de ses fonctions reproductives [4], avec la femme avec qui il était marié depuis 1999 et avait déjà deux enfants, un enfant né en 2014. L’acte de naissance mentionnait la femme qui avait porté l’enfant comme mère. L’homme devenu femme souhaitait que sa reconnaissance de maternité anténatale soit transcrite sur les registres d’état civil, ce qui revenait à solliciter l’établissement d’une double filiation maternelle. La Cour de cassation rejette fermement cette demande et exclut également l’alternative de la mention « parent biologique » proposée par la cour d’appel

A. Le rejet de la mention d’une seconde mère

Prohibition d’une double filiation maternelle. Comme le rappelle la Cour de cassation, le droit français et notamment l’article 320 du Code civil (N° Lexbase : L8822G9M) s’oppose à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption. En l’espèce, les parents de l’enfant se refusaient à passer par une adoption intra-conjugale. En ouvrant le mariage aux couples de même sexe, la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 (N° Lexbase : L7926IWH) a expressément exclu, dans l’article 6-1 du Code civil (N° Lexbase : L7992IWW), qu'un lien de filiation puisse être établi à l'égard de deux personnes de même sexe, si ce n'est par l'adoption. La Cour de cassation s‘est déjà fondée sur cette règle très claire pour refuser qu'un lien de filiation puisse être établi, par la possession d'état, à l'égard du concubin de même sexe que celui du parent envers lequel la filiation est déjà établie [5]. Elle ne pouvait admettre une solution contraire sans aller à l’encontre de la loi, sauf à considérer que celle-ci était contraire à une norme supra-législative.

Sexe génétique. Selon la Cour de cassation « en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement réservé au père ». Si elle admet que le refus de mentionner le sexe issu de la conversion sexuelle sur l’acte de naissance de l’enfant, constitue une atteinte au droit au respect de la vie privée du parent transgenre, la Cour de cassation juge que cette atteinte n’est pas excessive puisque celui-ci peut établir la filiation de l’enfant à son égard sans être contraint de renoncer à son identité sexuelle telle que découlant de son changement de sexe. C’est dire que la personne transgenre relève du genre féminin sur son propre acte de naissance mais du genre masculin sur l’acte de naissance de son enfant, le sexe du parent inscrit sur l’acte de naissance devant être le sexe génétique de celui-ci nonobstant sa conversion sexuelle juridique. Malgré le caractère ubuesque d’une telle situation, la Cour de cassation de manière refuse de combler les lacunes de la loi et particulièrement celle de la loi du 18 novembre 2016. Il était en effet prévisible qu’en admettant qu’une personne puisse changer de sexe juridique sans réassignation physique, une personne transgenre pourrait concevoir un enfant avec des gamètes relevant de son ancien sexe.

Droits fondamentaux de l’enfant. Interpellée sur la question de savoir si cette solution est conforme aux droits fondamentaux de l’enfant, qu’il s’agisse de son droit de voir primer son intérêt supérieur (Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), art 3 § 1 N° Lexbase : L6807BHL), son droit d’être enregistré, d’avoir un nom, une nationalité, de connaître ses parents et d’être élevé par eux (CIDE, art. 7 [LXB=L6807BHL), ou son droit au respect de sa vie privée et familiale (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR), la Cour de cassation considère que les dispositions du droit national qui ne permettent pas l’établissement d’une double filiation maternelle sont destinées à garantir la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation. En outre, elles sont conformes aux droits fondamentaux de l’enfant puisqu’elles permettent l’établissement de sa filiation à l’égard de ses deux parents biologiques. L’établissement de cette double filiation constitue un élément essentiel de son identité et correspond à la réalité des conditions de conception et de naissance de l’enfant. Il garantit en outre le respect de son droit à la connaissance de ses origines personnelles.

Discrimination. La Cour de cassation refuse par ailleurs de se laisser entraîner sur le terrain de la discrimination entre les mères ayant ou non accouché de l’enfant, en considérant, sans doute à juste titre que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin n’est pas dans la même situation que la mère qui l’a mis au monde. L’accouchement reste, pour le moment, le critère de la maternité en droit français.

Fratrie. La Cour de cassation avance également l’argument de l’égalité entre les membres de la fratrie. En effet, les enfants nés avant le changement de sexe sont rattachés à une femme et un homme et il est opportun qu’il en soit de même pour l’enfant né des mêmes parents mais après la conversion sexuelle de son père. Comme le fait remarquer la Cour de cassation tous les membres de la fratrie « seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est pas au demeurant révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiquées. » En effet, l’article 61-7 du Code civil (N° Lexbase : L1866LBQ) prévoit que seul le changement de prénom du parent peut être mentionné sur l’acte de naissance des enfants nés avant la conversion sexuelle, et à condition seulement que leurs représentants légaux l’acceptent. Ainsi le changement de sexe d’un parent ne saurait, en l’état du droit positif, avoir d’effet sur la filiation de ses enfants, qu’ils soient nés avant ou après sa conversion sexuelle.

B. Le rejet de la mention « parent biologique »

Absence d’alternative. Après avoir refusé la transcription de la reconnaissance de maternité du parent transgenre, la  cour d’appel [6] avait cependant accepté de mentionner cette dernière comme « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant., au motif que « seule cette mention est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme X de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant […] le terme de « parent » neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision « biologique » établissant la réalité du lien entre Mme X et son enfant ». Comme elle a refusé la mention de sexe neutre sur l’acte de naissance d’une personne intersexuée [7], la  Cour de cassation refuse logiquement cette mention de « parent biologique » qui n’est pas prévue par la loi et affirme qu’« en statuant ainsi alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil, et que loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vue privée et familiale des intéressés y faisait obstacle, la cour d’appel a violé » les article 57 du Code civil (N° Lexbase : L8839G9A) et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Le rejet du « bricolage » de la cour d’appel de Montpellier paraît opportun. En effet, la solution proposée par cette juridiction ne correspondait ni au souhait du parent transgenre ni à la réalité juridique. En effet, au moment de la naissance, celui-ci était bien désigné comme femme sur les actes d’état civil. La question qui se posait est donc de savoir si le changement de sexe pouvait ou non être pris en compte sur l’acte de naissance de l’enfant et la réponse ne pouvait être que positive ou négative sans recours à une autre alternative.

Loi bioéthique. La réaction de la Cour de cassation qui se refuse à jouer les législateurs est compréhensible. Toutefois, l’argument majeur de l’impossibilité d’établir une double filiation maternelle pourrait bien perdre de sa solidité lorsque la loi permettra à un couple de femmes ayant eu recours à une PMA d’établir l’une et l’autre leur maternité à l’égard de l’enfant. En tout état de cause, ce n’est effectivement pas au juge de combler les lacunes de la loi. La future loi bioéthique pourrait prévoir une solution spécifique pour ces situations particulières de mères qui n’ont pas accouché de l’enfant mais qui ont avec lui un lien génétique ou affectif.

Altérité sexuelle de la filiation. La multiplication des hypothèses dans lesquelles les parents de l’enfant ne relèvent pas de deux genres différents conduit à s’interroger sur l’opportunité de renoncer une fois pour toute à l’altérité sexuelle en matière de filiation. Un enfant doit pouvoir être rattaché à ses deux parents biologiques, ce que la Cour de cassation admet, mais de manière qui puisse correspondre à l’identité sexuelle de ses parents, ce qu’elle n’admet pas. Or, il paraît difficile de ne pas relever du même genre en tant que personne et en tant que parent. Et que dire de l’effet de cette dichotomie sur les enfants concernés, qui est sans doute beaucoup plus important que ce que la Cour de cassation ne veut bien le dire…

 

[1] JCP 2010, 976, obs. F. Sudre

[2] Cass. civ. 1, 18 décembre 2019, n° 18-12.327, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8960Z8D) ; Cass. civ. 1, 20 mars 2019, n° 18-11.815, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3778Y4P) ; dans le même sens Cass. civ. 1, 18 mars 2020, n° 18-15.368, FS-P+B (N° Lexbase : A48583K7).

[3] CEDH, Gde ch., 10 avril 2019, avis n° P16-2018-001 (N° Lexbase : A7859Y8L), notre commentaire, Lexbase, Droit privé, mai 2019, n° 784 (N° Lexbase : N9099BXB) ; JCP 2019, 551, obs. F. Sudre et A. Gouttenoire.

[4] Ce qui est étonnant car cette possibilité a été affirmée par la loi du 18 novembre 2016 et que le changement de sexe date de 2011.

[5] Cass. civ. 1, 7 mars 2018, avis n° 15003 P (N° Lexbase : A6835XGA).

[6] CA Montpellier, 18 novembre 2018, n° 16/06059 ; Dr. fam. 2019, n° 6, note H. Fulchrion et réf. cit..

[7] Cass. civ. 1, 4 mai 2017, n° 16-17.189, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4276WBY).

newsid:474821

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Transmissions familiales d’entreprises : restriction illégale de l’application de la loi dans le temps par l’administration fiscale

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 25 septembre 2020, n° 440553, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A13143WL)

Lecture: 4 min

N4817BY3

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par Sarah Bessedik

Le 11 Octobre 2020

Par une décision du 25 septembre 2020, le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer sur une demande en annulation pour excès de pouvoir d’un commentaire administratif.

L’affaire porte sur l’interprétation de l’administration fiscale concernant l’article 44 quindecies du Code général des impôts (N° Lexbase : L8648LQD), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1775, du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 (N° Lexbase : L7653LHW) qui offre une exonération d’impôt sur le revenu pour les entreprises exerçant une activité industrielle, commerciale, ou artisanale qui sont créés ou reprises dans une zone de revitalisation rurale, entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2020.

L’article précisait également que « III. L'exonération ne s'applique pas non plus dans les situations suivantes : / a) si, à l'issue de l'opération de reprise ou de restructuration, le cédant, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du Code civil (N° Lexbase : L8514HWA), leurs ascendants et descendants, leurs frères et soeurs détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement soit repris, soit bénéficiaire de l'opération de reprise ou de restructuration ».

Toutefois, l’article 18 de la loi du 28 décembre 2017 va permettre l'application de cette exonération à l'issue de la reprise ou de la restructuration d'une entreprise en zone de revitalisation rurale consécutive à sa première transmission familiale. En effet, le a) du III de l'article 44 quindecies du Code général des impôts sera remplacé par l'alinéa suivant : «  a) Si, lorsque la société, la personne morale ou le groupement a déjà fait l'objet d'une première opération de reprise ou de restructuration à l'issue de laquelle le cédant, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du Code civil, leurs ascendants et descendants, leurs frères et soeurs détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement soit repris, soit bénéficiaire de l'opération de reprise ou de restructuration, cette société, cette personne morale ou ce groupement fait de nouveau l'objet d'une telle opération à l'issue de laquelle une ou plusieurs des personnes physiques précédemment mentionnées détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux ».

À propos de ces dernières dispositions, l’administration fiscale a eu l’occasion d’ajouter que « Cette modification, qui assouplit la clause anti-abus en permettant d'accorder le bénéfice de l'exonération au titre de la première transmission dans le cadre familial, est issue de l'article 18 de la loi n° 2017-1775, du 28 décembre 2017, de finances rectificative pour 2017. Cet article ne prévoyant pas d'entrée en vigueur spécifique, l'assouplissement de la clause anti-abus s'applique aux opérations de reprise et de restructuration réalisées à compter du 30 décembre 2017 (lendemain de la publication de la loi au journal officiel) ».

Les sociétés au litige demandent l'annulation des commentaires précités pour excès de pouvoir.

Les juges rappellent qu’il résulte des dispositions des articles 36 (N° Lexbase : L1139HLR), 38 (N° Lexbase : L6167LUX) et 209 (N° Lexbase : L7520LWG) du Code général des impôts que la clôture de l'exercice comptable constitue le fait générateur de l'impôt sur les sociétés. Lorsque le législateur modifie les règles d'assiette de cet impôt, cette modification s'applique, sauf à ce que la loi en dispose autrement de manière expresse, à l'imposition des bénéfices des exercices clos à compter de son entrée en vigueur.

De ce fait, les dispositions de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, qui ne prévoient pas de règle dérogatoire d'entrée en vigueur, s'appliquent, en matière d'impôt sur les sociétés, aux exercices clos à compter du 30 décembre 2017, lendemain du jour de sa publication au Journal officiel de la République française.

L’administration fiscale a donc illégalement restreint le champ d'application de la loi dans le temps, en indiquant que la disposition législative nouvelle s'appliquait seulement aux opérations de reprise ou de restructuration réalisées à compter du 30 décembre 2017.

Le Conseil d’État fait donc droit à la demande d'annulation pour excès de pouvoir de ces commentaires administratifs.

 

 

 

 

 

 

newsid:474817

Justice

[Brèves] « Datajust » : la Chancellerie répond aux inquiétudes des professionnels de la Justice

Réf. : QE n° 30608 de Mme Aude Luquet, JOANQ 23-06-2020 , réponse publ. 06-10-2020 p. 6903, 15ème législature (N° Lexbase : L4019LYI)

Lecture: 4 min

N4799BYE

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par Marie Le Guerroué

Le 14 Octobre 2020

► Dans une réponse ministérielle, la Chancellerie rassure les professionnels de la Justice à propos de l’outil « Datajust » précisant que le projet n’en est, pour le moment, qu’au stade de l’évaluation de sa « faisabilité technique » (QE n° 30608 de Mme Aude Luquet, JOANQ 23-06-2020 , réponse publ. 06-10-2020 p. 6903, 15ème législature N° Lexbase : L4019LYI).

  • Question parlementaire

La députée Aude Luquet interrogeait l’ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice sur le décret créant l'outil « DataJust ». Le décret publié au Journal officiel (décret n° 2020-356, du 27 mars 2020, portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » N° Lexbase : L5918LW4, v. aussi N° Lexbase : N2850BY9) avait autorisé le ministère à développer un algorithme destiné à l'élaboration d'un référentiel d'indemnisation des préjudices corporels grâce à la collecte de l'ensemble des décisions rendues en appel par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires entre les années 2017 et 2019 liées à des dossiers d'indemnisation de victimes depuis 2017. La députée soulignait qu’un certain nombre d'avocats craignaient un risque d'uniformisation des indemnisations avec des juges qui ne tiendraient plus compte de l'histoire et de la singularité de chaque victime. Ainsi, elle lui demande comment le ministère entend garantir que cet instrument ne rendra pas inéquitables les décisions de justice et ne remettra pas en cause la singularité de chaque victime.

  • Réponse ministérielle

L’absence de lien avec la crise sanitaire. Le ministère indique qu’il convient de rassurer les professionnels de la Justice sur la teneur du décret, dont la parution durant la période d'urgence sanitaire tient au calendrier d'examen du texte par le Conseil d'État. Cette parution est donc sans lien avec la crise sanitaire, s'agissant d'un projet sur lequel le ministère de la Justice a, au demeurant, communiqué amplement depuis son lancement.

L’objectif du référentiel (rappel). Le ministère précise, ensuite, que le décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel « Datajust » vise à évaluer la possibilité d'élaborer un référentiel indicatif d'indemnisation des chefs de préjudices corporels extra-patrimoniaux, tels que les souffrances endurées ou le préjudice esthétique. Il rappelle que la création d'un tel référentiel est envisagée dans l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, qui a fait l'objet d'une large consultation publique en 2016 et qui est appelé à être débattu au Parlement. Il s'agirait d'un référentiel purement indicatif et qui aurait vocation à être réévalué régulièrement. Il répond à l'absence, pour l'heure, d'outil officiel, gratuit et fiable à disposition des publics concernés (victimes, assureurs, fonds d'indemnisation, avocats, magistrats). Le ministère rappelle que divers référentiels « officieux » sont aujourd'hui utilisés par les praticiens.

Méthode inductive. Il ajoute que le projet novateur repose sur une méthode inductive, puisqu'il propose de partir de l'observation fine des trois dernières années de jurisprudence des juridictions administratives et judiciaires et de recourir, pour ce faire, aux technologies d'intelligence artificielle, en collaboration avec des magistrats.

Meilleure information. Loin de remplacer les professionnels du droit par des algorithmes, ce référentiel indicatif vise, selon la Chancellerie, à mieux les informer, ainsi que les victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation que ces victimes sont susceptibles d'obtenir devant les juridictions - à l'instar du référentiel inter-cours ou des bases de données de jurisprudence actuellement utilisées par les praticiens. Mais cette indemnisation restera intégrale, ce point est essentiel. Elle précise que loin de figer les indemnisations ou de porter atteinte à l'individualisation de la réparation, ce projet vise, in fine, à permettre une plus juste indemnisation des victimes dans le respect total de l'indépendance du juge.

Étape de faisabilité technique. Le ministère ajoute enfin que le décret du 27 mars dernier est très circonscrit, puisqu'il encadre uniquement le développement informatique de l'algorithme destiné à créer ce référentiel indicatif pour une période de temps limitée à deux années. Cette étape doit permettre au ministère de la Justice d'évaluer la faisabilité technique du projet. Si les travaux à mener s'avèrent concluants, un second décret viendra ensuite encadrer la mise à disposition au public, en conformité avec les règles prévues pour la mise œuvre de l'open data des décisions de justice. Une consultation aura alors lieu sur ce second projet de décret.

Pour aller plus loin : R. Bigot, DataJust alias Thémis.I.A. : les premiers pas officiels de l’intelligence artificielle dans les salles des pas perdus, Lexbase Avocats, mai 2020 (N° Lexbase : N3270BYR)

 

 

newsid:474799

Licenciement

[Jurisprudence] Faute lourde : le droit à l’erreur de l’employeur

Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2020, n° 18-25.943, F-P+B (N° Lexbase : A37953U4) et n° 19-10.583, F-D (N° Lexbase : A37843UP)

Lecture: 9 min

N4771BYD

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par Pascal Lokiec, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne

Le 07 Octobre 2020

De liste des fautes sérieuses, graves et lourdes, il n’en existe pas dans le Code du travail et un règlement intérieur ou une convention collective contiendraient-ils une telle liste qu’elle ne lierait pas le juge. Il n’est donc pas surprenant que la faute lourde, qui se situe au sommet de la hiérarchie des fautes, soit objet de contentieux, à la fois quant à sa définition (I.) et quant aux conséquences d’une erreur de qualification (II.).

I. L’indispensable intention de nuire

De même que la faute grave a vu sa définition modifiée il y a une quinzaine d’années (constitue une faute grave « celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise », la référence au préavis ayant disparu en 2007 [1]), la faute lourde a connu une évolution majeure au début des années 1990. D’abord appréhendée comme la faute d’une particulière gravité, ce qui correspond à l’approche civiliste (« la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur » [2]), la faute lourde est aujourd’hui entendue par la jurisprudence, faute de définition par la loi, comme celle commise avec l’intention de nuire à l’entreprise.

Sur la qualification de faute lourde, la Cour de cassation se montre intransigeante face à des employeurs parfois tentés de se placer sur ce terrain pour engager la responsabilité pécuniaire de leur salarié. Au vu de la jurisprudence, les faits tels que rapportés par l’arrêt du 16 septembre 2020 ne pouvaient caractériser une faute lourde, en l’absence de preuve d’une intention de nuire à l’entreprise. Une salariée s’était vu reprocher des faits de non-encaissement de chèques, des retards dans la présentation d’une centaine de chèques ayant entraîné un problème de trésorerie préjudiciable à l'association, de même qu'un préjudice d'image auprès des émetteurs de ces chèques qui ont été débités près de trois mois après la date prévue et ont dû s'assurer que le solde de leur compte bancaire permettait ce règlement. Aussi préjudiciables à l’entreprise que puissent être les griefs adressés au salarié, ils ne constituaient pas, pour la Cour de cassation, à défaut d’intention de nuire à l’entreprise, une faute lourde.

Dans une formulation non reproduite dans l’arrêt commenté, mais qui est sous-jacente, la Cour de cassation refuse de déduire une telle intention du caractère préjudiciable du comportement du salarié : « la faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise » [3], est-il jugé avec constance.

Deux arrêts sont éclairants sur cette nécessité de caractériser l’intention de nuire indépendamment du préjudice et de la gravité des faits, pourtant manifestes dans ces deux espèces. A été écartée la faute lourde d’un salarié employé en qualité de responsable import-export, licencié après avoir détourné sur son compte personnel près de 60 000 euros provenant du paiement d’une commande de vin par l’un des clients de l’entreprise. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait notamment retenu l’existence d’un abus de confiance doublé d’une tentative d’enrichissement personnel au détriment de la société, mais « sans caractériser la volonté de nuire du salarié » [4]. Même conclusion s’agissant d’un salarié à qui il était reproché de s’être octroyé une prime exceptionnelle de 3 000 euros ainsi que des acomptes sur salaire d’un montant de 15 000 euros sans que ne soient prévues des modalités de remboursement. Malgré la gravité des faits, l’intention de nuire n’était pas caractérisée [5]. Tout aussi éclairant est un arrêt de février 2017.  La cour d’appel avait retenu la faute lourde du salarié qui avait tenu devant les clients de son employeur des propos contraires aux intérêts de celui-ci en remettant en question le bien-fondé de sa politique tarifaire ; l’auteur de tels propos ne pouvait ignorer, selon les juges d’appel, leur impact et leur caractère préjudiciable, ce qui caractérisait l’intention de nuire à l’employeur. La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être déterminé « sur des motifs impropres à caractériser la volonté de nuire du salarié » [6].

Dans le prolongement de ce qui précède, il est logique que la déloyauté du salarié [7], tout comme le vol [8], malgré son caractère pénal, ne caractérisent pas en soi une faute lourde. Il faut à chaque fois prouver le mobile du salarié, qui n’est pas forcément l’intention de nuire à l’entreprise. Agir pour satisfaire un intérêt personnel (un enrichissement dans les arrêts précités) n’est pas agir pour nuire à l’entreprise et ne peut donc caractériser une faute lourde. Seule la faute grave pourra, le cas échéant, être retenue.  

Rarement admise, la faute lourde concerne le plus souvent des faits de concurrence déloyale [9], notamment celui de débaucher des salariés de son employeur et de tenter de détourner un client important [10], des actes de dénigrement, qu’ils visent l’entreprise ou ses dirigeants [11]. La grève et les mouvements illicites (c’est-à-dire les conflits collectifs ne répondant pas à la qualification de grève), lorsqu’ils donnent lieu à séquestration, occupation des locaux, blocage des accès, peuvent dégénérer en faute lourde [12] tout comme les menaces et violences physiques : agression volontaire et préméditée, par un collaborateur, du gérant de la société, lui occasionnant un traumatisme crânien avec une incapacité temporaire de travail de quinze jours [13] ; menace d'égorger son employeur, tout en mimant le geste avec son pouce [14]… Autant dire que la faute lourde est, fort heureusement, réservée à des cas exceptionnels !

II. Le déclassement de la faute

Les enjeux, notamment indemnitaires, liés à la qualification de la faute à l’origine du licenciement, expliquent que certains employeurs « surclassent » la faute. Cela se traduira parfois par le choix de la faute grave en lieu et place de la faute sérieuse puisque l’employeur est alors dispensé du paiement de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis. Autour du paiement de l’indemnité compensatrice de congés, il n’existe plus d’enjeu depuis la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2016 qui l’accorde au salarié, y compris lorsque celui-ci est licencié pour faute lourde [15]. L’employeur qui entend engager la responsabilité pécuniaire de son salarié devra néanmoins opter pour cette qualification. Sans faute lourde, pas de responsabilité contractuelle du salarié, sauf si les faits préjudiciables à l’entreprise sont postérieurs à l’issue du contrat de travail [16] ou si le salarié est contraint de restituer des sommes qu’il a encaissées pour le compte de son employeur sur le fondement de l’obligation de restitution [17].

Le risque est toutefois limité pour l’employeur, comme le confirme l’arrêt du 16 septembre 2020 qui limite la portée du principe bien connu suivant lequel la lettre de licenciement fixe les limites du litige : « s'agissant d'un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués ».

Il en ressort qu’en cas de contentieux, le juge déclassera la faute lourde en faute grave ou en faute sérieuse si les faits à l’origine du licenciement caractérisent de telles fautes. Le déclassement d’une faute grave en faute sérieuse est, lui aussi, admis par la Cour de cassation, par exemple eu égard à la grande ancienneté du salarié et du fait qu’aucun fait similaire ne lui a été reproché par le passé [18]. Au vu de la formulation de l’arrêt de 2020, il peut être reproché aux juges du fond, ce que faisait le pourvoi en l’espèce dans la deuxième branche du moyen, de ne pas avoir tenté de « sauver » le licenciement (« sans rechercher si les faits ainsi reprochés à la salariée n’étaient pas constitutifs d’une faute grave ou d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement »).

Précisons que le déclassement de la faute ne sauvera pas toujours le licenciement d’un défaut de cause réelle et sérieuse puisqu’il se peut que la faute au fondement du licenciement n’en soit tout simplement pas une. Si le juge requalifiait la faute lourde en faute grave, un licenciement dont le motif est l’insuffisance professionnelle ne pourrait jamais être sauvé si l’employeur a commis l’erreur de sanctionner une insuffisance professionnelle par un licenciement disciplinaire. Le droit qu’a l’employeur, depuis 2017, de « préciser » les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ne lui permettra pas de changer la qualification dudit licenciement. 

Si le juge peut diminuer le degré de la faute, il ne peut l’augmenter, comme le rappelle la Cour de cassation dans un second arrêt du 16 septembre 2020 [19]. Il en ressort qu’une cour d’appel ne peut retenir que la faute grave commise par le salarié pendant la période du préavis justifie que soit requalifié en licenciement pour faute grave son licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse [20]. Il avait déjà été décidé que le juge ne peut pas retenir la faute lourde, seule susceptible de fonder le licenciement d’un gréviste, lorsque la lettre de licenciement qui ne qualifie la faute ni de grave ni de lourde, se fonde sur l'abus du droit de grève [21]. Suivant une logique similaire, le juge ne peut « sauver » un licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse alors qu’en période de suspension, à la suite d’une maladie professionnelle, seule la faute grave aurait permis de justifier le licenciement [22].

Le pouvoir qu’a le juge de corriger la qualification de la faute, telle qu’inscrite de façon erronée dans la lettre de licenciement, ne doit évidemment pas conduire les employeurs à se situer sans justification sur le terrain de la faute lourde. Il y a là toutefois la reconnaissance, aux côtés du droit désormais reconnu à l’employeur de préciser sa lettre de licenciement, d’une sorte de droit à l’erreur dont il est possible de se prévaloir devant le juge.  


[1] Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5947DYW).

[2] Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5360E3W).

[3] Cass. soc., 22 octobre 2015, no 14-11.291, FP-P+B (N° Lexbase : A0160NUH).

[4] Cass. soc. 22 octobre 2015, n° 14-11.291, FP-P+B (N° Lexbase : A0160NUH).

[5] Cass. soc. 22 octobre 2015, no 14-11.801, FP-P+B (N° Lexbase : A0259NU7).

[6] Cass. soc., 8 février 2017, n° 15-21.067, FS-D (N° Lexbase : A3941SPN).

[7] Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-42.943, F-D (N° Lexbase : A3535GRD).

[8] Cass. soc., 6 juillet 1999, nº 97-42.815 (N° Lexbase : A4757AGB).

[9] Cass. soc., 15 décembre 2011, no 10-21.926, F-D (N° Lexbase : A4947H8Q).

[10] Cass. soc., 31 mai 2011, no 09-72.795, F-D (N° Lexbase : A3414HTM).

[11] Cass. soc., 19 janvier 2012, no 10-18.708, F-D (N° Lexbase : A1328IBS).

[12] Cass. soc., 13 juin 2001, nº 99-42.800, inédit (N° Lexbase : A6005ATL) ; Cass. soc., 3 mai 2016, no 14-28.353, FS-P+B (N° Lexbase : A3494RNQ).

[13] Cass. soc., 28 mars 2018, no 16-26.013 (N° Lexbase : A8694XIT).

[14] Cass. soc., 4 juillet 2018, no 15-19.597, FS-P+B (N° Lexbase : A4927NY7).

[15] Cons. const., 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC (N° Lexbase : A7973QDN).

[16] Cass. soc., 19 septembre 2012, nº 10-21.517, F-D (N° Lexbase : A2411ITH).

[17] Cass. soc., 19 novembre 2002, no 00-46.108, publié (N° Lexbase : A0492A4Y), Bull. civ. V, no 344.

[18] Cass. soc., 3 juin 1997, n° 95-41.226, inédit (N° Lexbase : A8600CL4).

[19] Cass. soc., 16 septembre 2020, n° 19-10.583, F-D (N° Lexbase : A37843UP).

[20] Cass. soc., 16 septembre 2020, no 19-10.583, préc..

[21] Cass. soc., 26 juin 2013, no 11-27.413, FS-P+B (N° Lexbase : A3190KIY).

[22] Cass. soc., 20 décembre 2017, no 16-17.199, FS-P+B (N° Lexbase : A0643W9P).

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Licenciement

[Brèves] Éligibilité des journalistes à l’indemnité de licenciement

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.885, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A41393W9)

Lecture: 3 min

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par Asima Khan

Le 07 Octobre 2020

Il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas ; les dispositions des articles L. 7112-3 (N° Lexbase : L1317LTX) et L. 7112-4 (N° Lexbase : L0475LTR) du Code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit.

Faits et procédure. Un salarié, engagé en qualité de journaliste rédacteur stagiaire par l’Agence France Presse (l’AFP) le 29 juillet 1981 puis titularisé le 1er février 1982, a été licencié pour faute grave le 14 avril 2011. L’AFP s’est désistée de l’appel qu’elle avait formé contre le jugement de condamnation au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rendu le 24 septembre 2014. Le 28 août 2012, le salarié a saisi la commission arbitrale des journalistes. Celle-ci a retenu sa compétence pour statuer sur sa demande d’indemnité de licenciement et condamné l’AFP au paiement d’une certaine somme. L’AFP a formé un recours en annulation contre cette décision.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Ayant rappelé que l’article L. 7111-3 du Code du travail, qui fixe le champ d’application des dispositions du Code du travail particulières aux journalistes professionnels, définit ceux-ci comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources et relevé que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d’application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques, la cour d’appel, qui a retenu, que si une restriction apparaissait dans l’article L. 7112-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1667LTW) relatif au préavis, elle ne saurait être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4. Dès lors, elle en a exactement déduit que la demande d’annulation de la sentence, qui avait accueilli la demande de fixation de l’indemnité de licenciement du salarié en application de ce dernier texte, devait être rejetée.

A retenir. La Cour de cassation considère désormais que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du Code du travail sont applicables à tous les journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse, quelle qu’elle soit.

Revirement de jurisprudence. Dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 11-28.713, FS-P+B N° Lexbase : A7077RIX), la Cour de cassation avait exclu le journaliste professionnel travaillant pour le compte d’une agence de presse du bénéfice de l’indemnité de licenciement de l’article L. 7112-3 du Code du travail. Avec cette décision, la Cour de cassation rejoint l’opinion déjà exprimée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 mai 2012 (Cons. const., décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1879IL8), lire Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide les privilèges des journalistes professionnels en matière de licenciement, Lexbase Social, mai 2012, n° 486 (N° Lexbase : N2025BT8).

V. également v. ETUDE : Les indemnités de licenciement, Les conditions d'attribution de l'indemnité légale de licenciement, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E6093ZCN).

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Procédure administrative

[Jurisprudence] L’application de la jurisprudence « Czabaj » à la procédure de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 septembre 2020, n° 430945, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A13043W9)

Lecture: 23 min

N4761BYY

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par Henri Bouillon, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, membre du CRJFC

Le 08 Octobre 2020

 


Mots clés : recours juridictionnel • délai raisonnable • décisions non réglementaires

Le délai raisonnable d’un an au-delà duquel il est impossible d'exercer un recours juridictionnel est opposable aux recours dirigés contre les décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l'égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours.


 

La logique de la jurisprudence « Czabaj » (CE, Ass., 13 juillet 2016, n° 387763 N° Lexbase : A2114RXL) n’en finit pas de se déployer en contentieux administratif.

Rappelons que cette jurisprudence enferme dans « un délai raisonnable » le recours contre un acte administratif non notifié à son destinataire ou notifié sans une mention correcte des voies et délais de recours, délai décompté à partir du moment où le destinataire a eu connaissance de la décision. Dans la mesure où cette solution contredit l’article R. 421-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3025ALM), qui dispose que le délai de recours est inopposable au destinataire d’un acte irrégulièrement notifié, elle a fait l’objet d’appréciations fort contrastées par la doctrine. Pourtant, elle participe d’une tendance générale du contentieux administratif, qui consiste à occulter les sanctions frappant la violation du formalisme. Par cette occultation, le juge valorise la sécurité juridique des actes administratifs, érigée « au sommet 'des objectifs de la vie sociale et économique' » [1], au détriment des irrégularités de forme ou de procédure commises par l’administration et considérées comme mineures parce qu’elles n’affectent pas le sens de la décision ou les droits des administrés (CE, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033 N° Lexbase : A9048H8M) ou parce qu’elles sont régularisables. Plus aucune considération n’est attachée au formalisme qui environne l’action administrative et qui doit permettre un exercice raisonné et mesuré des prérogatives administratives. « La procédure n’est plus appréhendée comme un outil de "rationalisation" de l’action administrative, mais comme un obstacle à celle-ci » [2]. Tant que ce formalisme était remis en cause au profit des administrés, la doctrine ne s’en est pas émue. À partir du moment où cette logique défavorise le requérant et profite à l’administration, comme avec l’arrêt « Czabaj », elle fait l’objet de contestations plus vives, malgré l’unité profonde des manifestations de ce mouvement d’ensemble.

Depuis 2016, la solution dégagée par l’arrêt « Czabaj », « véritable arrêt de règlement » [3], a été largement promue par le juge administratif. L’arrêt « SCI La Chaumière et autres » (CE, 25 septembre 2020, n° 430945 N° Lexbase : A13043W9) l’étend à son tour à la procédure de transfert d’office des voies privées ouvertes au public et, donc, à la contestation d’une décision d’espèce. Issu de l’article 4 de la loi n 65-503 du 29 juin 1965, relative à certains déclassements, classements et transferts de propriété de dépendances domaniales et de voies privées, aujourd’hui fixé à l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L8011IMN), le transfert d’office avait été pensé à l’origine pour gérer les voies communes à l’occasion de la réalisation de lotissements. Cette procédure permet aux communes de transférer d’office et sans indemnité dans leur domaine public la propriété de voies appartenant à des propriétaires privés qui sont situées dans des ensembles d’habitations et qui ont été ouvertes à la circulation générale du public. Dans sa rédaction alors en vigueur, l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme disposait : « La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d’habitations peut, après enquête publique, être transférée d’office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées. / La décision de l’autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. / Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l’État dans le département, à la demande de la commune. » Le transfert prévu à l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme permet ainsi à la commune d’acquérir la propriété de la voie privée et de l’intégrer automatiquement dans le domaine public (T. confl., 16 mai 1994, n° 02912 N° Lexbase : A5913BK9).

Ce mécanisme s’explique par le paradoxe qui résulte de l’ouverture d’une voie privée à la circulation du public. Lorsqu’une voie privée est ouverte au public, elle est considérée comme un ouvrage public (CAA Marseille, 8 janvier 2008, n° 05MA03341 N° Lexbase : A4541D7C). En conséquence, la commune doit prendre en charge un certain nombre des travaux sur cette voie, comme l’entretien ou l’éclairage, travaux qui ont la qualité de travaux publics. La commune pourra en outre être considérée comme responsable des dommages qui résulteraient d’un mauvais entretien de cette voie ou de l’absence de réalisation de ces travaux (CE, 30 novembre 1979, n° 02651 N° Lexbase : A0986B9E). La commune doit également exercer son pouvoir de police sur ces voies (CAA Marseille, 22 octobre 2007, n° 05MA02078 N° Lexbase : A0007D3N). « Il existe ainsi une différence sensible entre la voie appartenant à un particulier et que ce dernier laisse ouverte au public et les obligations incombant à la collectivité territoriale sur le territoire de laquelle est située ladite voie » [4]. L’instauration de ce mécanisme de transfert par la loi du 29 juin 1965 se justifie par la volonté « de donner un statut juridique cohérent à des biens dont l’usage public implique une protection domaniale » [5] et de réduire le hiatus entre leur propriété privée et les obligations qui pèsent sur les personnes publiques.

Le Conseil constitutionnel a déclaré cet article conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-43 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9924GAS), principalement pour deux motifs. D’une part, le transfert repose sur la volonté du propriétaire privé de laisser le public accéder à sa voie (CE, 27 mai 2020, n° 433608 N° Lexbase : A56493M8, point n° 7) : si le propriétaire manifeste son opposition à la circulation publique sur sa voie, quelle que soit la manière dont s’effectue cette manifestation, le transfert d’office n’est pas possible (CE, 3 juin 2015, n° 369534 N° Lexbase : A1992NKY, point n° 1 ; CE, 17 juin 2015, n° 373187 N° Lexbase : A5377NLQ, point n° 4). D’autre part, une indemnisation peut être envisagée de manière exceptionnelle si le transfert entraîne « pour le propriétaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi » (Cons. const., décision n° 2010-43 QPC du 6 octobre 2010, considérant n° 4).

En revanche, le consentement du propriétaire concerne exclusivement l’ouverture de la voie au public. Il ne concerne pas le transfert de la voie dans le domaine public une fois que la libre circulation du public y est constatée. Sur ce point en revanche, le propriétaire ne peut s’opposer à la décision de l’administration, dès lors que les conditions sont réunies (présence d’une opération d’aménagement, voie située dans un ensemble d’habitation et ouverte à la circulation publique). En effet, l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme permet de contourner le refus du propriétaire. Dans sa rédaction applicable à notre cas d’espèce, l’article permet à la commune qui se heurte au refus du propriétaire de demander au préfet de prononcer le transfert par arrêté.

Dans notre arrêt du 25 septembre 2020, la commune de Megève avait voulu intégrer diverses voies privées ouvertes à la circulation publique dans son domaine public. L’opposition des propriétaires de certaines parcelles concernées a contraint le maire à solliciter le préfet de Haute-Savoie pour prononcer leur transfert d’office. Le préfet a adopté un arrêté de transfert le 3 août 2006. Comme les propriétaires n’ont déposé une requête contre cet arrêté que le 23 décembre 2016, soit plus de dix ans après, le tribunal administratif a rejeté leur requête pour tardiveté (TA Grenoble, 20 février 2018, n° 1607373), ce qu’a approuvé la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 21 mars 2019, n° 18LY01427 N° Lexbase : A5189ZDK).

Les requérants affirmaient néanmoins que les mentions relatives aux délais et voies de recours n’avaient pas été correctement effectuées par l’arrêté, ce qui empêchait le délai de recours contentieux de courir. Telle était la question posée, en cassation, au Conseil d’État. Or, après avoir rappelé brièvement le principe applicable en matière de décompte du délai de recours dans le cas où l’article R. 421-5 du Code de justice administrative a été méconnu (I), le Conseil tempère ce principe en introduisant, dans la procédure de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme, la solution de l’arrêt « Czabaj », ce qu’il n’avait pas fait dans un précédent arrêt (II). Ce faisant, il applique la jurisprudence « Czabaj » à une décision d’espèce.

I - Le calcul du délai de recours contre une décision de transfert d’office en cas de méconnaissance de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative

Le point n° 3 de notre arrêt pose le principe relatif au point de départ du délai de recours contentieux dirigé contre une décision de transfert d’office : « Le délai de recours contentieux contre une décision de transfert prise sur le fondement des dispositions de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme ne peut courir, pour les propriétaires intéressés, qu’à compter de la date à laquelle celle-ci leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée. » Ce faisant notre arrêt est très classique et il reprend une solution déjà affirmée dans le cadre de cette procédure de transfert d’office (CE, 13 octobre 2016, n° 381574 N° Lexbase : A8102R79). Il rappelle le principe général en vertu duquel, pour les décisions individuelles expresses, seule la notification à leur destinataire fait courir le délai de recours à l’égard de leur destinataire. « La notification est le procédé par lequel une décision individuelle explicite est portée à la connaissance de l’intéressé » [6]. C’est donc à partir du moment où l’intéressé a connaissance de l’acte que sera décompté le délai de recours, en principe de deux mois (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L4139LUT). Cette obligation de notification « se comprend, depuis l’origine, comme une garantie de l’effectivité du droit au recours des administrés. Dans un souci de modernisation des rapports entre les usagers et l’administration, il s’est agi de renforcer l’information des premiers pour leur permettre de faire valoir leurs droits en justice à l’encontre de la seconde. Ceci ressort, sans ambages, de la sanction prévue en cas de méconnaissance de cette obligation, à savoir l’inopposabilité du délai de recours » [7].

Toutefois, l’article R. 421-5 du Code de justice administrative impose, pour que la notification d’une décision expresse soit régulière, que la décision comporte des mentions obligatoires, comme la durée du délai de recours (CE, 8 janvier 1992, n° 113114 N° Lexbase : A5426ARE), les modes de calcul de ce délai, l’existence éventuelle d’un recours administratif préalable obligatoire (CE, 19 mai 2004, n° 248175 N° Lexbase : A2143DCD) et le juge administratif compétent, notamment si la juridiction est spéciale (CE, 15 novembre 2006, n° 264636 N° Lexbase : A3520DS8). Ces mentions doivent surtout être complètes, exactes et dépourvues d’ambiguïté (CE, 4 décembre 2009, n° 324284 N° Lexbase : A3351EPS).

Si ces mentions ne figurent pas dans l’acte, le délai de recours ne débute pas pour le destinataire (ce qui ne joue pas pour les tiers), même si la notification a été effectuée, car celle-ci n’est pas régulière. L’article R. 421-5, cité par notre arrêt, tire en effet les conséquences de l’absence de ces mentions ou de leur inexactitude, en précisant : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » L’absence de preuve de la mention régulière des délais et voies de recours prévue par l’article R. 421-5 rend inopposable au destinataire d’un acte administratif le délai de recours de deux mois contre cet acte, même s’il a eu connaissance de la décision ou si la notification (incomplète donc) a été démontrée par l’administration (CE, Sect., 13 mars 1998, n° 120079 N° Lexbase : A6552ASH). L’oubli des mentions obligatoires évoquées par l’article R. 425-1 du Code de justice administrative peut donc retirer toute portée à l’enfermement de l’action contentieuse dans le délai de deux mois. Il en résulte que « ni le recours devant une juridiction incompétente ni la notification d’une décision de rejet par une telle juridiction ne sont de nature à faire courir les délais de recours devant le juge administratif à l’encontre de la décision litigieuse » (CE, 25 mars 2016, n° 387755 N° Lexbase : A3884RA4, point n° 2).

Après avoir cité l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, le point n° 4 de notre arrêt précise d’ailleurs, conformément à cette jurisprudence : « Il résulte de ces dispositions que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n’est pas opposable. » Dans le cadre de la procédure de transfert d’office, une telle solution avait déjà été affirmée par la décision « Commune de La Colle-sur-Loup » (CE, 13 octobre 2016, n° 381574, précité). Celle-ci admettait que, même si les requérants avaient produit la décision querellée au juge, conformément aux exigences de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, « une telle circonstance n’était pas de nature à faire courir le délai de recours contentieux » (point n° 5) en raison de la violation, par l’administration, de son obligation de mentionner les délais et voies de recours prévue à l’article R. 421-5. Alors même que la production de la décision contestée atteste que les requérants en avaient connaissance avant leur recours, l’irrégularité de la notification paralyse l’écoulement du délai de recours.

Par son point n° 5, qu’il introduit par un « toutefois » éloquent, notre arrêt pose néanmoins un tempérament à ce principe général. Ce tempérament est tiré de la jurisprudence « Czabaj » du 13 juillet 2016. Il n’avait pas été admis par l’arrêt « Commune de La Colle-sur-Loup » dans le cadre de la procédure de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme, bien que cet arrêt soit postérieur à l’arrêt « Czabaj ». En reprenant le principe de l’arrêt « Czabaj », notre arrêt opère donc, sur ce point, un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt « Commune de La Colle-sur-Loup ».

II - L’application du « délai raisonnable » dégagé par l’arrêt « Czabaj » au recours contre une décision de transfert d’office

Le point n° 5 de notre arrêt reprend d’une part le considérant de principe de l’arrêt « Czabaj » et, d’autre part, lui adjoint quelques précisions inédites.

D’une part, donc, l’arrêt reproduit le principe issu de la jurisprudence « Czabaj » pour l’appliquer à la procédure de transfert d’office. Si le Conseil d’État ne l’avait encore jamais fait, c’était pourtant le raisonnement qu’avait déjà opéré avant lui la cour administrative d’appel de Lyon dans cette affaire (CAA Lyon, 21 mars 2019, n° 18LY01427 N° Lexbase : A5189ZDK, point n° 6). Le Conseil d’État se réapproprie donc le raisonnement suivi par la cour administrative d’appel. Que prévoit concrètement ce principe cité in extenso par le point n° 5 notre arrêt ?

L’absence de notification ou l’oubli des mentions prévues à l’article R. 421-5 ou leur mention inexacte permettait aux intéressés de contester les décisions individuelles dans des délais presque illimités. L’arrêt « Czabaj » entendait précisément mettre un terme à ces contestations, parfois très tardives, de décisions dont les intéressés avaient, à l’évidence, connaissance, comme le lui suggérait le rapporteur public Olivier Henrard [8]. Le principe de sécurité juridique, appliqué ici aux décisions individuelles (puisque les actes réglementaires ne sont pas notifiés et ne sont pas concernés par l’article R. 421-5 du Code de justice administrative), fait ainsi obstacle à ce qu’une personne qui a eu connaissance d’une décision administrative individuelle, même sans mention des voies et délais de recours, puisse la contester indéfiniment (point n° 5 de notre arrêt). « La prémisse du raisonnement jurisprudentiel s’entend parfaitement : la sécurité juridique suppose en principe un délai de forclusion. Elle rend peu acceptable la possibilité de recours susceptibles d’être formés après plusieurs années, voire plusieurs décennies, et ce quand bien même l’acte contesté serait entaché d’une irrégularité patente » [9]. Le respect de la légalité (du formalisme imposé par la loi ici) cède le pas à la sécurité juridique.

Plus précisément, marchant toujours dans les pas de l’arrêt « Czabaj », le point n° 5 indique que, « si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. » Le juge limite ainsi le délai de recours à un « délai raisonnable ». Il modifie ce faisant l’effet de l’irrégularité de la notification : « alors que le décret prévoit un non-déclenchement des délais de recours, le Conseil prévoit une non-application des délais prévus par le code (c’est-à-dire normalement le délai de droit commun de deux mois) » [10]. Il est en outre précisé que, « en règle générale et sauf circonstances particulières », ce « délai raisonnable » ne saurait excéder un an, délai décompté à partir de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée (même irrégulièrement) ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.

C’est la sécurité juridique qui est mobilisée pour justifier la modification opérée ainsi par la jurisprudence. Le rapporteur public Olivier Henrard affirmait ainsi que rien « ne permet de considérer que la sécurité juridique constituerait un privilège réservé aux particuliers dans leurs relations avec l’administration. […] Il ne fait donc pas de doute que ce principe est également invocable par la personne publique auteur de l’acte administratif, à l’égard du particulier qui en est le destinataire, pour protéger la situation qui s’est constituée à la suite de sa décision » [11].

Le délai de « recours raisonnable » d’un an est néanmoins aménagé dans deux cas : si le requérant se prévaut de « circonstances particulières » ou si un texte particulier prévoit un délai particulier, excédant un an. Que sont ces circonstances particulières ? La notion n’est pas claire. Elle est surtout fonctionnelle, puisque ces circonstances particulières ont pour rôle de permettre l’aménagement du délai raisonnable au-delà d’un an (plutôt que son abandon). Le Conseil d’Etat a en outre précisé que c’est au requérant qu’il revient de démontrer la nécessité d’avoir un délai plus long, à l’aide d’éléments précis et circonstanciés au regard de sa situation (CE, 10 février 2020, n° 429343 N° Lexbase : A18313EK, point n° 5). Dans le contentieux particulier de l’annulation des décrets de libération des liens d’allégeance à l’égard de la France, le Conseil d’État a par exemple modulé le délai raisonnable en le portant à trois ans, estimant que les requérants devaient être regardés comme ayant nécessairement eu connaissance, à leur majorité, de leur perte de nationalité (CE, 29 novembre 2019, n° 411145 N° Lexbase : A0445Z4A, point n° 3).

En citant intégralement le considérant de principe de l’arrêt « Czabaj », notre arrêt reprend donc les principes qui ont été posés antérieurement et les applique à la procédure de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme.

D’autre part néanmoins, l’arrêt du 25 septembre 2020 innove en ajoutant une dernière phrase à ce considérant de principe : « Ces règles sont également applicables à la contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l’égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours » (point n° 5, in fine). C’est là que notre arrêt témoigne d’une audace que n’avait pas eue la cour administrative d’appel de Lyon. La Haute juridiction transpose en effet le délai raisonnable posé par la jurisprudence « Czabaj » aux décisions d’espèce. En effet, même si le juge ne s'est jamais prononcé sur la qualification des décisions adoptées sur le fondement de l'article L. 318-3 du Code de l’urbanisme, le rapporteur public Karin Ciavaldini suggère la qualification de décision d'espèce, que le juge fait sienne. C'est en soi, un apport de cette décision.

Ces décisions sont désignées par le Code des relations du public avec les administrations, de manière toute négative, comme n’étant ni réglementaires, ni individuelles (CRPA, art. L. 200-1 N° Lexbase : L1813KNH). « L’acte d’espèce est celui qui ne s’adresse à personne, ni de manière générale, ni à titre individuel. Son champ d’application est dépourvu de dimension personnelle : il est, non pas impersonnel, mais apersonnel. La décision d’espèce vise un objet particulier : un immeuble, qu’elle fait rentrer dans la catégorie des monuments historiques, ou un projet, qu’elle qualifie d’utilité publique, etc » [12].

Néanmoins, notre arrêt applique à ces actes la jurisprudence « Czabaj » dans la seule hypothèse où « une notification est requise pour déclencher le délai de recours » (point n° 5). Il est logique que cette solution, qui pallie les défaillances de la notification, ne s’applique pas en l’absence de notification obligatoire, dans le cas où l’acte doit être publié par exemple, ce qui est le principe pour les actes qui ne sont ni individuels ni réglementaires (CRPA, art. L. 221-7 N° Lexbase : L1831KN7). On peut certainement en conclure que cette nouvelle extension de la jurisprudence « Czabaj » n’aura pas vocation à jouer à l’égard de très nombreuses catégories d’actes, même si ces actes peuvent être assez fréquents en pratique. Il pourrait par exemple en être ainsi, pour user d'un exemple proche de celui de l'espèce, pour l'acquéreur évincé à la suite d'une décision de préemption et à qui la décision doit être notifiée (CE, 16 décembre 2019, n° 419220 N° Lexbase : A2364Z83).

Faisant application des principes qu’il a dégagés, le Conseil d’État considère que les juridictions du fond n’ont pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’introduction du recours plus de dix ans après la notification de la décision est tardive, et ce même si la notification était effectivement incomplète (point n° 6). La solution de la cour administrative d’appel était d’autant plus justifiée que les requérants n’avaient invoqué « aucune circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d’un an le délai raisonnable dans lequel elles pouvaient exercer un recours juridictionnel » (point n° 6). Ce faisant le juge de cassation n’effectue qu’un contrôle superficiel sur l’appréciation souveraine que les juges du fond ont portée sur l’absence de « circonstance particulière » justifiant de dépasser le délai de principe d’un an. Il vérifie simplement que leur analyse est exempte de dénaturation. Notre arrêt précise ainsi incidemment l’étendue du contrôle du juge de cassation.

En conséquence, le pourvoi est rejeté.

Une telle solution n’est pas dénuée de justifications solides. Sans doute est-il logique qu’un recours effectué après plus de dix ans ne puisse prospérer, au seul motif qu’une mention incomplète des délais et voies de recours ait affecté cet acte. En revanche, il ne faut pas se dissimuler les effets pervers que peut receler cette solution : le risque est d’inciter l’administration à négliger les obligations que lui impose l’article R. 421-5 au motif que leur méconnaissance n’est pas sanctionnée si le destinataire de la décision n’agit pas dans un « délai raisonnable ».

 

[1] Th. Mulier, « Le déclin partiel du contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux », RDP, 2019, p. 579.

[2] Th. Carrère, « La procédure administrative non juridictionnelle et le juge administratif : une question de légitimité ? », Dr. Adm., 2019, n° 7, étude 11, p. 19 et 24.

[3] G. Eveillard, « Le délai pour agir devant le juge administratif », Dr. Adm., 2016, n° 12, comm. 63.

[4] S. Deliancourt, « Le mécanisme de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme : un procédé particulier d’incorporation d’une voie privée dans le domaine public communal », JCP éd. A, 2008, n° 22, 2133.

[5] L. Touzeau, « Le transfert d’office des voies à la commune considéré comme conforme à la Constitution », Dr. Adm., 2010, n° 12, comm. 163.

[6] P. Cassia, « Point de départ des délais de recours contentieux. Recours des destinataires et des tiers contre des décisions individuelles », Grands arrêts du contentieux administratif, Dalloz, coll. Grands arrêts, 5e éd., 2016, p. 735.

[7] F. Poulet, « Sécurité juridique et fermeture du prétoire », AJDA, 2019, p. 1088.

[8] « La possibilité de contester indéfiniment une décision individuelle que le destinataire n’a pu ignorer et dont il s’est accommodé pendant un important laps de temps est une sanction tout à fait disproportionnée au regard de l’exigence de stabilité des situations juridiques qui fonde tous les systèmes de droit et toute organisation sociale » (O. Henrard, « Le délai raisonnable de recours contre une décision individuelle irrégulièrement notifiée. Conclusions sur CE, ass., 13 juillet 2016, Czabaj », RFDA, 2016, n° 5, p. 927)

[9] S. Hourson, « Czabaj : le délai a ses raisons… », Dr. Adm., 2019, n° 1, alerte 1.

[10] O. Le Bot, « Chronique de contentieux administratif », JCP éd. A, 2017, n° 7, 2053.

[11] O. Henrard, « Le délai raisonnable de recours contre une décision individuelle irrégulièrement notifiée. Conclusions sur CE, ass., 13 juillet 2016, Czabaj », RFDA, 2016, n° 5, p. 927.

[12] É. Untermaier-Kerléo, « L’acte administratif réglementaire, un acte de portée générale ? », Dr. Adm., 2017, n° 6, étude 11, p. 23.

newsid:474761

Procédure civile

[Brèves] Délai de recours : Quid de la signature par une tierce personne au domicile du destinataire de l’avis de réception d’une notification du jugement ?

Réf. : Cass. civ. 2, 1er octobre 2020, n° 19-15.753, F-P+B+I (N° Lexbase : A49953WW)

Lecture: 5 min

N4798BYD

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 08 Octobre 2020

La notification est réputée faite à personne lorsque l’avis de réception de la lettre recommandée est signé par son destinataire et faite à domicile ou à résidence dans le cas où ce dernier est signé par une personne munie d’un pouvoir spécial à cet effet ; la signature figurant sur l’avis est présumée être, jusqu’à preuve du contraire, celle de son destinataire ou de son mandataire ; dès lors, il revient au destinataire de démontrer l’absence de mandat du signataire ;

► l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai de recours ainsi que les modalités selon lesquelles celui-ci doit être exercé ; constitue une modalité du recours, au sens des dispositions de l’article 680 du Code de procédure civile, le lieu où celui-ci doit être exercé.

Faits et procédure. Dans cette affaire, sur le fondement de deux actes authentiques, un commandement de payer valant saisie-vente a été délivré à l’initiative d’un fonds commun de titrisation. La débitrice a contesté la saisie devant le juge de l’exécution, et a été débouté de sa contestation par jugement. Ce dernier a été notifié par le greffe le 13 juin 2017 (et non le 20 comme indiqué dans l’arrêt) et la débitrice a interjeté appel de cette décision le 20 juillet 2017. L’intimé a déposé des conclusions d’incident en vue de faire déclarer l’appel comme tardif, et le conseiller de la mise en état a déclaré l’appel irrecevable.

Le pourvoi. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 29 novembre 2018, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 29 novembre 2018, n°18/09849 N° Lexbase : A5251YNS), de déclarer son appel irrecevable et de la condamner à payer au Fonds commun de titrisation la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).

Dans un premier temps, la demanderesse invoque la violation de l’article R. 121-15 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2159IT7), et des articles 670-1 (N° Lexbase : L6829LEN), 677 (N° Lexbase : L6860H79) et 528 (N° Lexbase : L6676H7E) du Code de procédure civile. L’intéressée énonce que la décision de juge de l’exécution est notifiée aux parties elles-mêmes par le greffe par le biais d’une lettre recommandée avec accusé de réception, et que la notification n'est réputée être effectuée à la partie elle-même que lorsque l’accusé de réception est signé par son destinataire. En l’espèce, la cour d’appel a jugé que la notification avait été effectuée en la forme ordinaire et qu’elle avait comme conséquence de faire courir le délai d’appel. Les juges d’appel après avoir relevé que l’avis de réception avait été signé « manifestement par une autre personne que la destinataire du pli » ont déclaré irrecevable comme tardif l’appel interjeté par la demanderesse. L’intéressée invoque également que la cour d’appel avait relevé que figurait une croix sur l’emplacement destiné au mandataire sur l’avis de réception, et qu’une notification faite à un mandataire est irrégulière.

La demanderesse énonce qu’une notification en la forme ordinaire d’un jugement ne peut être réputée être faite à domicile ou à résidence que dans le cas où l’avis est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet. En l’espèce, la cour d’appel n’a pas vérifié si le signataire avait reçu un pouvoir spécial à cet effet.

Enfin, la demanderesse invoque la violation de l’article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK) en inversant la charge de la preuve, sur le fait que l’existence d’un pouvoir spécial ne saurait être présumée. Or, en l’espèce, la cour a relevé que l’appelante ne rapportait pas la preuve de l’absence de mandat du signataire, et qu’elle ne fournissait pas d’explication sur l’identité de ce signataire.

Réponse de la Cour. Après avoir énoncé la première solution précitée, les Hauts magistrats balayent les arguments de la demanderesse, relevant que les juges d’appel avaient retenu que l’avis avait manifestement été signé par une autre personne que la destinataire, indiquant que l’appelante ne fournissait pas d’explication sur cette personne et sa présence à son domicile, relevant également que l’employé des postes avait apposé une croix à l’emplacement destiné au mandataire.

Dans un second temps, l’intéressé invoque la violation de l’article 680 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1240IZX), énonçant que l’acte de notification d’un jugement doit indiquer de manière très apparente le délai de recours, et les modalités selon lesquelles il doit être engagé. En l’espèce, les juges d’appel ont jugé que cette exigence était satisfaite, car l’acte de notification invitait le destinataire à faire le choix d’un avocat près de l’un des barreaux de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Réponse de la Cour. La Cour suprême, après avoir énoncé la seconde solution précitée, balaye l’argument de la demanderesse. Les Hauts magistrats relèvent que la cour d’appel avait exactement déduit que les mentions inscrites sur l’acte de notification précisant qu’il appartenait à la partie « de faire le choix d’un avocat inscrit à l’un des barreaux de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui effectuera les diligences nécessaires à l’instruction de son recours », avaient de manière satisfaisante informé la destinataire sur les modalités du recours à exercer.

Solution de la Cour. Énonçant les solutions précitées, la Cour suprême rejette le pourvoi.

newsid:474798

Procédure pénale

[Brèves] Conditions indignes de détention : le Conseil constitutionnel censure l’absence de recours effectif

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020 (N° Lexbase : A49423WX)

Lecture: 7 min

N4749BYK

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par Adélaïde Léon

Le 28 Octobre 2020

► Il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin ;

Aucun recours devant le juge administratif ou judiciaire ne garantit aujourd’hui au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire ;

Indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d’être engagées à raison de conditions de détention indignes, le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2984IZK) méconnaît les exigences constitutionnelles de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement, de dégradation et de droit à un recours effectif devant une juridiction

Dispositions mises en cause. Le 9 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A71573Q7 ; lire N° Lexbase : N4075BYL ; Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.731, FS-D N° Lexbase : A10363RS), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 137-3 (N° Lexbase : L7465LP8), 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) et 144-1 du Code de procédure pénale. Joignant les deux questions, le Conseil a estimé que la QPC devait être regardée comme visant le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale relatif à l’obligation pour le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention, d’ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire dès que les conditions prévues aux articles 144 et 144-1 ne sont plus remplies.

Motifs de la mise en cause. Selon les requérants, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence en n’imposant pas au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine. Cette carence affecterait le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de la prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée. Au surplus, les requérants dénonçaient, pour les mêmes motifs, la méconnaissance directe, par les dispositions renvoyées, des mêmes exigences constitutionnelles.

Incidence de l’interprétation préalable des dispositions mises en cause. Se pliant aux termes de la condamnation de la CEDH (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9), la Cour de cassation avait procédé à l’interprétation des dispositions contestées dans deux décisions du 8 juillet 2020 (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I et n° 20-81.731, FS-D). Elle avait affirmé qu’il appartenait au juge judiciaire, en sa qualité de gardien des libertés individuelles, de veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et que la constatation de conditions indignes de détentions pouvait constituer un obstacle au maintien d’une détention provisoire.

Le Conseil constitutionnel précise à cet égard qu’il lui appartenait de se prononcer sur lesdites dispositions indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation

Cadre constitutionnel de référence. Le Conseil constitutionnel rappelle que, conformément au Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Rappelant les articles 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel affirme qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

À la lumière de ces dispositions, les sages ont déduit qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité de la personne, de prévenir et de réprimer les atteintes portées à la dignité des personnes placées en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices éventuellement subis. Enfin, le Conseil constitutionnel estime qu’il appartient au législateur d’assurer aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge afin de dénoncer des conditions de détention qui s’avéreraient contraires à la dignité de la personne humaine et d’obtenir qu’il y soit mis fin.

Contrôle de constitutionnalité des dispositions mises en cause. Se livrant à un examen des procédures aujourd’hui en vigueur, le Conseil constitutionnel constate qu’en cas d’exposition à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, les personnes placées en détention provisoire peuvent d’une part saisir le juge administratif (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT et L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU). Les sages soulignent cependant que les mesures que ce juge est susceptible de prendre, lesquelles peuvent dépendre de la possibilité pour l’administration de les mettre en œuvre utilement et à très bref délai, ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention méconnaissant la dignité de la personne.

Le Conseil constate d’autre part que la personne placée en détention peut à tout moment présenter une demande de mise en liberté (C. proc. pén., art. 148 N° Lexbase : L4989K8B). Toutefois, la Haute juridiction rappelle que le magistrat ainsi saisi n’est tenu de donner suite à cette demande que lorsque la détention provisoire en question excède une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité, ou lorsque la détention n’est plus justifiée au regard des exigences propres à la sauvegarde de l’ordre public ou à la recherche des auteurs d’infractions.

Enfin, le cas d’urgence dans lequel l’article 147-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7700LPU) autorise le juge à ordonner la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire ne s’applique qu’à la condition qu’une expertise médicale établisse que l’intéressé est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec son maintien en détention.

Aux termes de ces constatations, le Conseil constitutionnel affirme que les recours devant les juges administratif et judiciaire ne permettent aux personnes détenues provisoirement d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à leur dignité résultant des conditions de leur détention. Les sages en déduisent que les dispositions contestées méconnaissent le cadre constitutionnel de l’espèce.

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Jugeant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives le Conseil décide de la reporter au 1er mars 2021. Il estime en effet qu’une abrogation à compter de la publication de sa décision ferait obstacle à la remise en liberté de personnes placées en détention provisoire dont la détention ne serait plus justifiée ou excéderait un délai raisonnable.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel octroi au Parlement un délai de cinq mois pour adopter de nouvelles dispositions propres à permettre aux personnes placées en détention provisoire d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à leur dignité résultant des conditions de leur détention.

newsid:474749

[Jurisprudence] La perte des recours de la caution en cas de nullité du contrat principal

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.568, F-P+B (N° Lexbase : A54323TD)

Lecture: 11 min

N4752BYN

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, CRDEI / IRJS, Directeur scientifique des Encyclopédies Lexbase «Droit des sûretés» et «Droit des contrats spéciaux»

Le 07 Octobre 2020


Mots-clés :  annulation du contrat principal • restitutions consécutives à la nullité • article 2038 du Code civil • perte partielle de ses recours par la caution 

Dans un arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation fait une juste application de l’article 2308 du Code civil, relatif à la perte des recours de la caution contre le débiteur principal. La caution avait payé sans être poursuivie par le créancier et sans en avoir averti le débiteur, alors que le contrat principal a été annulé. De ce fait, elle ne peut recourir contre la caution pour les intérêts et accessoires du crédit. En revanche, elle peut demander le remboursement des sommes versées au titre du capital remboursé, puisque le débiteur principal aurait dû restituer ces sommes après annulation du crédit.


Voici un arrêt rendu en matière de cautionnement qui change un peu, en traitant d’une autre question que l’exigence de proportionnalité, les mentions manuscrites ou le bénéfice de subrogation. Était en cause en l’espèce la perte de ses recours par la caution, visée par l’article 2308 du Code civil (N° Lexbase : L1207HIK).

Un couple avait souscrit auprès d’une banque un crédit immobilier, garanti par le cautionnement de la Compagnie européenne de garanties et cautions. À la suite d'échéances impayées, l’établissement de crédit a prononcé la déchéance du terme. La caution a payé à la banque les sommes réclamées, et a mis les emprunteurs en demeure de lui rembourser ces sommes. Ceux-ci ont alors assigné la banque et la caution en nullité du contrat de prêt et du cautionnement et en paiement de dommages-intérêts. La caution, quant à elle, a assigné les emprunteurs en remboursement. La nullité du contrat de prêt a ensuite été prononcée, en raison d'un démarchage irrégulier des emprunteurs.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt en date du 24 janvier 2019, a condamné les emprunteurs à rembourser la caution, mais en limitant le montant au capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes versées par les emprunteurs. La caution a formé un pourvoi contre cet arrêt, et les emprunteurs ont formé un pourvoi incident.

Dans son arrêt du 9 septembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette les deux pourvois. Pour rejeter le pourvoi principal, elle retient que la caution a perdu son recours contre les débiteurs, car elle a, d’une part, payé la banque à la suite de la présentation d'une simple lettre de celle-ci, l'engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d'impayés des emprunteurs, et qu'elle n'a pas, d’autre part, averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient d'un moyen de faire annuler le crédit. Pour rejeter le pourvoi incident, la Cour se fonde sur l’effet très particulier de la nullité du contrat de crédit sur le cautionnement.

Cette décision est fondée, mais mérite, pour être comprise, un bref retour sur la perte de ses recours par la caution, sur le fondement de l’article 2308 (I), avant de remarquer que cette perte est nécessairement limitée lorsqu’est en cause la nullité d’un crédit (II).

I. La perte de ses recours par la caution

La caution n’est pas un codébiteur : elle est obligée à la dette, mais n’y contribue pas. Par conséquent, lorsqu’elle est appelée en paiement par le créancier, elle doit en principe s’exécuter. Mais après avoir payé, puisqu’elle n’assume pas de contribution à la dette, elle dispose de recours contre le débiteur principal. Ce n’est que justice : c’est en effet ce dernier qui profite du contrat principal, et non la caution. Le Code civil ouvre deux recours à la caution : un recours personnel (C. civ., art. 2305 N° Lexbase : L1203HIE) et un recours subrogatoire (C. civ., art. 2306 N° Lexbase : L1204HIG).

La caution peut évidemment renoncer à ses recours, ce qui est relativement fréquent dans le cercle familial. Mais la caution peut également perdre ses recours. L’article 2308 du Code civil prévoit deux hypothèses dans lesquelles la caution qui a payé le créancier ne pourra recourir contre le débiteur principal. La première hypothèse est celle dans laquelle la caution a payé le créancier sans en avertir le débiteur principal, alors que celui-ci a également payé. La seconde, qui était au cœur de l’arrêt commenté, est celle dans laquelle la caution a payé sans être poursuivie par le créancier et sans avoir averti le débiteur principal, alors que ce dernier, au moment du paiement, aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte.

L’article 2308 révèle que, dans cette seconde hypothèse, qui seule nous intéressera dans le cadre de ce commentaire, trois conditions sont nécessaires pour que la caution perde son recours. D’abord, il faut que la caution ait payé sans être poursuivie par le créancier. Il faut un paiement en quelque sorte « spontané ». Ensuite, il est nécessaire que la caution n’ait pas averti le débiteur principal qu’elle allait payer. Enfin, il faut que le débiteur principal ait disposé, au moment du paiement par la caution, d’un moyen de faire déclarer la dette éteinte. On perçoit ainsi le lien qui unit les deux dernières conditions : si la caution avait averti le débiteur principal qu’elle allait payer, celui-ci aurait pu l’en dissuader, en l’informant qu’il avait la possibilité de faire déclarer la dette éteinte.

Les trois conditions étant remplies en l’espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi principal formé par la caution : celle-ci ne pourra obtenir le remboursement par les débiteurs principaux des sommes que ceux-ci n’auraient pas eu à régler du fait de la nullité du crédit, telles que les intérêts et les accessoires. La troisième condition était à l’évidence remplie, puisque les débiteurs principaux avaient par la suite obtenu la nullité du crédit, en raison d’un démarchage irrégulier. L’arrêt est plus intéressant en ce qui concerne les deux premières conditions. S’agissant de la première, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a considéré que la caution avait spontanément payé, sans être poursuivie par le créancier. Ce dernier avait adressé un courrier à la caution, dans lequel il s’engageait à la tenir informée de sa décision à la suite du non-paiement par le débiteur principal. Un tel courrier pouvait difficilement s’analyser en des « poursuites », pour reprendre le vocabulaire employé par l’article 2308. Pour la deuxième condition, celle tenant à l’absence d’avertissement du débiteur principal, la Cour ne retient pas un argument soulevé par la caution. Celle-ci prétendait en effet que la déchéance du terme prononcée par la banque avait nécessairement dû avertir les emprunteurs que le créancier allait demander paiement à la caution. Ainsi, ceux-ci ne devaient pouvoir ignorer, au regard des circonstances, le paiement prochain par la caution. La Cour refuse d’admettre un tel avertissement implicite. À juste titre nous semble-t-il. En effet, si l’on admettait que l’avertissement du débiteur principal peut résulter des circonstances, il conviendrait de considérer qu’il est toujours averti du paiement par la caution, puisque, par hypothèse, dès lors que le débiteur principal ne paye plus les échéances, il est en mesure de se douter que le créancier va se tourner vers la caution. La deuxième condition posée par l’article 2308 serait donc totalement inutile. Il apparait ainsi beaucoup plus judicieux d’exiger de la caution qu’elle avertisse expressément le débiteur principal du paiement qu’elle va effectuer.

Enfin, il convient de rappeler un élément important de la perte de ses recours par la caution. Malgré les apparences, il ne s’agit aucunement d’une sanction envers la caution. On perçoit mal en quoi le fait d’avoir payé le créancier pourrait valoir une sanction à la caution. Payer le créancier est quand même la plus grande vertu d’une caution ! La perte des recours n’est qu’une mesure de simplification des relations tripartites se nouant à l’occasion d’une opération de cautionnement. La caution a payé le créancier alors que le débiteur a également payé ou dispose d’un moyen de faire déclarer la dette éteinte. Dans les deux cas, la caution a payé alors qu’elle n’aurait pas dû (et que le simple fait d’avertir le débiteur principal aurait permis d’éviter ce paiement). Le créancier a donc obtenu un paiement indu (soit deux paiements au lieu d’un, soit un paiement au lieu d’aucun). Si l’on admettait que la caution puisse recourir contre le débiteur principal, il faudrait ensuite ouvrir à ce dernier une action contre le créancier pour récupérer le paiement indu. Plutôt que ces deux actions en cascade, il est beaucoup plus simple de considérer que la caution ne peut recourir contre le débiteur, et qu’elle doit agir en répétition contre le créancier : une seule action, au lieu de deux…

Que la perte du recours de la caution contre le débiteur ne soit pas une sanction rend discutable une affirmation de la Cour de cassation dans le présent arrêt. Elle énonce en effet « qu'en l'absence d'information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l'article 2308 du Code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n'auraient pas eu à acquitter » [1]. De notre point de vue, cette affirmation encourt une double critique. D’une part, sauf convention contraire, la caution n’a pas d’obligation à l’égard du débiteur principal. Lorsque l’article 2308 envisage le défaut d’avertissement du débiteur par la caution, c’est pour régler des hypothèses de paiements indus, non pour imposer une obligation nouvelle à la caution. D’autre part, l’emploi du terme « déchu » est certainement inapproprié. La déchéance peut se définir comme la « perte d’un droit […] encourue à titre de sanction, pour cause d’indignité, d’incapacité, de fraude, d’incurie, etc. » [2]. N’est-ce pas un peu fort pour une caution qui a payé le créancier, certes sans en avertir le débiteur principal ?

II. Une perte partielle en raison de la spécificité de la nullité

Nul n’ignore que la nullité a, en droit français, un effet rétroactif. Un contrat annulé est censé n’avoir jamais existé. L’une des conséquences majeures de cette rétroactivité est que des restitutions sont rendues nécessaires. Lorsque cela est possible, chaque partie doit restituer à l’autre ce qu’elle a reçu dans le cadre du contrat. Ainsi, les cocontractants sont remis dans la situation qui était la leur avant le contrat.

Il apparait que la nullité n’est pas une cause d’extinction tout à fait comme les autres, car elle fait subsister des obligations entre les parties. Ces obligations ne sont plus celles issues du contrat, mais celles issues de la nullité de celui-ci.

Cette particularité a conduit les tribunaux à décider, par une jurisprudence constante, que les sûretés doivent survivre à la nullité du contrat principal, malgré leur caractère accessoire, le temps des restitutions [3]. Cette jurisprudence est parfaitement fondée : si le contrat de crédit est annulé, le débiteur ne doit plus le rembourser (capital, intérêts et autres accessoires). Mais il doit tout de même restituer les fonds débloqués par l’établissement de crédit. Si une sûreté garantissait le remboursement, il est cohérent qu’elle subsiste jusqu’à ce que le débiteur ait restitué les sommes prêtées (sans les intérêts et accessoires évidemment).

Cette obligation de restitution, et la survie du cautionnement qui en résulte, explique qu’en l’espèce, la caution n’ait que partiellement perdu ses recours. Par le biais de la nullité, les débiteurs principaux n’obtenaient pas une extinction totale de la dette. C’est d’ailleurs ce que souligne l’arrêt, quand il affirme que « au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n'avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d'obtenir l'annulation du contrat de prêt ». Se retrouve bien l’idée que la nullité n’est pas une cause d’extinction comme les autres.

Ainsi, le contrat de crédit disparait, mais l’obligation de restitution demeure à la charge de l’emprunteur. Le créancier conservait donc des droits envers le débiteur principal, malgré la nullité. Le paiement effectué par la caution n’était par conséquent pas totalement indu, ou dit autrement, il n’entrait pas totalement dans les prévisions de l’article 2308 du Code civil. Il en résulte que la caution avait bien droit au remboursement de ce que les emprunteurs auraient dû restituer à la banque, à savoir le capital emprunté, diminué des sommes déjà remboursées.

En plus d’être fondée juridiquement, la solution est en outre opportune, car si l’article 2308 avait abouti à ce que les questions de remboursements ne se dénouent qu’entre la caution et la banque, les débiteurs principaux auraient pu conserver les fonds versés par l’établissement bancaire en application du contrat de crédit. Il est bon de rappeler que l’annulation d’un crédit ne le nove pas en donation !


[1] Nous soulignons.

[2] Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, déchéance.

[3] Cass. com., 17 novembre 1982, n° 81-10.757, publié (N° Lexbase : A3673AG7) ; JCP G, 1984, II, 20216, note Ch. Mouly et Ph. Delebecque – Cass. com., 13 juin 1989, n° 88-10.906, publié (N° Lexbase : A0005ABS) ; Defrénois 1990, art. 34761, n° 23, note L. Aynès – Cass.com., 2 novembre 1994, n° 92-14.487, publié (N° Lexbase : A6957ABB) – Cass.  civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.642, publié (N° Lexbase : A0519AC9) ; D., 1998, p. 32, note L. Aynès ; Cass. civ. 3, 5 novembre 2008, n° 07-17.357, FS-P+B (N° Lexbase : A1640EBD) ; RTD civ., 2009, p. 148, obs. P. Crocq.

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