Le Quotidien du 12 juin 2020

Le Quotidien

Bancaire

[Brèves] Application rétroactive des sanctions nouvelles au TEG erroné

Réf. : Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A54113NQ)

Lecture: 8 min

N3690BYC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473690
Copier

par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 02 Juillet 2020

► Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG (N° Lexbase : L1483LRD), la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge.

Tel est l’enseignement d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2020 (Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NQ ; v également Cass. avis, 10 juin 2020, n° 15004 N° Lexbase : A59493NN).

L’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG, est récemment venue prévoir que le défaut de TEG/TAEG comme son erreur ne pourront, désormais, donner lieu qu’à une seule sanction : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur « dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l'emprunteur ». Différents articles de loi du Code de la consommation et du Code monétaire et financier ont été retouchés en ce sens (v. J. Lasserre-Capdeville, Nouvel encadrement légal des sanctions civiles applicables en matière de taux effectif global, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0196BYW)

L’ordonnance étant entrée en vigueur le 19 juillet 2019, on a pu se demander si elle devait s’appliquer uniquement aux actions ouvertes postérieurement, ou si les actions en cours étaient également concernées. Sur ce point, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance étudiée indique que, si l’habilitation ne prévoyait pas que le nouveau régime de sanction devait s’appliquer aux actions en justice introduites avant la publication de l’ordonnance, il revient aux juges civils « d’apprécier, selon les cas, si la nouvelle sanction harmonisée présente un caractère de sévérité moindre que les sanctions actuellement en vigueur et, dans cette hypothèse, d’en faire une application immédiate dans le cadre d'actions en justice introduites avant la publication de l'ordonnance ».

On peut, néanmoins, ne pas être convaincu par une telle application immédiate aux actions en cours. D’une part, le rapport au Président de la République prône sans le dire une solution faisant songer à la règle, issue du droit pénal, de la rétroactivité in mitius. Or, nous ne sommes pas ici en matière pénale. D’autre part, si le législateur est à même d’adopter des lois rétroactives, il lui revient de le dire expressément dans le texte en question. Tel n’est pas le cas ici : l’ordonnance comme la loi d’habilitation ne disent mot sur ce point et le rapport au Président de la République est dépourvu de valeur juridique.

En réalité, si l’on suit les règles et les principes régissant l’application de la loi dans le temps, tant les actions en cours, que celles à venir mais portant sur des crédits déjà conclus au moment de l’entrée en vigueur du texte nouveau, devraient échapper à l’application de ce dernier. Dit autrement, seuls les crédits conclus à partir du 19 juillet 2019 devraient être concernés par la réforme. À défaut, cela reviendrait à « valider, de façon rétroactive, des contrats irréguliers » (G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D., 2019, p. 1613).

Les juridictions du fond demeurent, pour leur part, très incertaines depuis l’adoption de l’ordonnance. Si quelques arrêts sont favorables à une application rétroactive (CA Aix-en-Provence, 20 février 2020, n° 17/18082 N° Lexbase : A13543GA), d’autres y sont à l’inverse hostiles (CA Bourges, 30 avril 2020, n° 19/00562 N° Lexbase : A16343L4).

La Cour de cassation vient alors se prononcer sur ce point par la décision étudiée.

Les faits. En l’espèce, la banque A. avait consenti un prêt immobilier à M. et Mme X.. Après avoir prononcé la déchéance du terme du prêt et délivré un commandement de payer aux fins de saisie-vente, resté sans effet, la banque avait assigné devant le juge de l’exécution les emprunteurs, qui avaient sollicité l’annulation de la stipulation conventionnelle d’intérêts et la substitution de l’intérêt au taux légal.

La cour d’appel de Montpellier ne leur ayant pas donné raison, dans la mesure où elle avait préféré prononcer la déchéance du droit aux intérêts, appréciée à hauteur d’un certain montant, les emprunteurs avaient formé un pourvoi en cassation.

Les moyens. Ils rappelaient, par l’intermédiaire de ce dernier, notamment, que la sanction d’un taux effectif global erroné peut être, soit la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, soit la nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel et la substitution à l’intérêt conventionnel de l’intérêt légal, selon que l’erreur affecte, respectivement, l’offre d’un prêt ou l’acte de prêt lui-même. Or, l’erreur figurant en l’espèce dans le contrat de prêt, en l’occurrence l’acte notarié, elle aurait dû être sanctionnée par la substitution au taux d’intérêt contractuel du taux d’intérêt légal.

La décision. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi en question.

Elle commence par rappeler qu’en l’absence de sanction prévue par la loi, exception faite de l’offre de prêt immobilier et du crédit à la consommation, il est jugé qu’en application des articles 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) et L. 313-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0226I47), l’inexactitude de la mention du TEG dans l’écrit constatant tout contrat de prêt, comme l’omission de la mention de ce taux, qui privent l’emprunteur d’une information sur son coût, emportent l’annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Cass. civ. 1, 24 juin 1981, n° 80-12.903, publié N° Lexbase : A8551AH8 ; Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-16.555, F-P+B N° Lexbase : A6567MYU

Elle observe, ensuite, que, pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur.

Cependant, elle aboutit à une conclusion bien originale : « dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge ». Dit autrement, après avoir bien dit que le texte nouveau n’était pas d’application rétroactive, la Cour de cassation décide délibérément de l’appliquer rétroactivement !

Cette règle a alors deux incidences en l’espèce. D’une part, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que le TEG était erroné, faute d’inclusion du taux de cotisation mensuelle d’assurance réellement prélevé, et fait ressortir que l’erreur commise était supérieure à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0879IWH), la Haute juridiction considère que « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la sanction de l’erreur affectant le TEG était la déchéance du droit aux intérêts de la banque dans la proportion fixée par le juge ».

D’autre part, c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond ont évalué le préjudice des emprunteurs et déterminé la proportion dans laquelle la déchéance du droit de la banque aux intérêts devait être fixée.

newsid:473690

Covid-19

[Brèves] Publication d’une circulaire sur les surcoûts pour les marchés de l’Etat

Réf. : Circulaire du 9 juin 2020 (N° Lexbase : L3565LXC)

Lecture: 3 min

N3691BYD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473691
Copier

par Yann Le Foll

Le 12 Juin 2020

Une circulaire du Premier ministre, en date du 9 juin 2020, détaille les modalités de prise en charge des surcoûts liés à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de la reprise des chantiers de bâtiment et de travaux publics exécutés au titre de marchés publics de l'Etat soumis au chapitre Ier du Titre Ier du livre I de la première partie du Code de la commande publique.

Concernant les surcoûts liés à la période d'interruption, elle préconise un chiffrement par les maîtres d’ouvrage des coûts directs d'interruption correspondant aux mesures de mise en sécurité du chantier, de démobilisation des matériels, de gardiennage et de maintien en condition ayant permis une reprise rapide du chantier, dès lors qu'elles sont raisonnables et justifiées. En cas de prise en charge de ces surcoûts, le paiement devra être rapide. Ne pourront être indemnisés les dommages ou avaries consécutifs à des négligences ou défaillances des entreprises dans l'arrêt et la mise en sécurité du chantier.

Concernant les surcoûts liés aux nouvelles modalités d'exécution du chantier (mesures sanitaires, pertes de rendement, surcoûts d'approvisionnement), un travail collaboratif devra être mené afin de les maîtriser ou de les compenser. Les mesures sanitaires nécessaires à la sécurité du chantier et pouvant être chiffrées rapidement pourront faire l’objet de prestations supplémentaires ou de modification des prestations prévues en raison des circonstances imprévues, à l’exclusion des augmentations de prix qui sont retracées dans les index utilisés pour la révision des prix du marché. Les pertes de rendement et autres coûts indirects ne pouvant être objectivement chiffrées à ce stade, elles n’ont pas à faire pour le moment l’objet d’un accord. L'accord entre les parties sur les questions de modification du délai contractuel et de prise en charge, ou de compensation, d'une partie des surcoûts susmentionnés, établi au cas par cas, pourra prendre la forme d'un avenant ou, selon les cas, d'un protocole transactionnel.

Le versement d'avances forfaitaires majorées devra être privilégié mais avec des dispositifs garantissant et démontrant le ruissellement de ces avances, au prorata de leur participation au chantier, auprès de l'ensemble des sous-traitants.

La circulaire met en outre l’accent sur l’intégration du risque de pandémie dans les futurs appels d'offres dans le double but de garantir l'égalité de traitement des candidats et la juste rémunération du titulaire garantissant la sécurité des intervenants.

Elle met enfin en garde les maîtres d’ouvrage contre la possible présentation d’offres « hors marché » (avec pour caractéristique des prix ne reflétant pas la réalité des coûts et pouvant mettre en danger la bonne réalisation des prestations correspondantes) par des entreprises fragilisées financièrement cherchant à emporter « à tous prix » des appels d'offres.

newsid:473691

Covid-19

[Brèves] Aucune valeur juridique pour les guides de bonnes pratiques des organisations professionnelles mis en ligne sur le site du ministère du Travail

Réf. : CE, référé, 29 mai 2020, n° 440452, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A68503MN)

Lecture: 2 min

N3681BYY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473681
Copier

par Charlotte Moronval

Le 10 Juin 2020

► Les guides de bonnes pratiques des organisations professionnelles rédigés dans le cadre de la lutte contre le covid-19, bien que mis en ligne sur le site du ministère du Travail, ne sont pas des actes administratifs susceptibles de faire grief et, à ce titre, ne peuvent pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Telle est la solution rendue par le Conseil d’Etat dans une décision datant du 29 mai 2020 (CE, référé, 29 mai 2020, n° 440452, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A68503MN).

Faits et procédure. L'association française de l'industrie des fontaines à eau saisit le Conseil d’Etat en référé afin d’obtenir la suspension de "l'exécution" des fiches conseils métiers du ministre du Travail en tant qu'elles interdisent ou déconseillent l'usage des fontaines à eau et des décisions de les publier. Elle demande également la suspension, dans la même mesure, de l'exécution des décisions de publier les guides de bonnes pratiques établis au sein des branches professionnelles.

La position du Conseil d’Etat. Enonçant la solution susvisée, la Haute juridiction rejette la requête de l’association. S'agissant des guides pratiques, le Conseil d'Etat refuse de se prononcer au motif qu'ils ne constituent pas des actes administratifs faisant grief. Selon le Conseil d'Etat, les décisions de publication de ces guides sur le site du ministère du Travail ont pour seul objet d'informer les employeurs et les salariés des branches concernées des travaux réalisés par les organisations professionnelles et syndicales auteurs de ces guides. Elles ne révèlent par elles-mêmes aucune décision d'approbation de leur contenu par l'administration et ne contiennent pas d'autres informations que celles ayant vocation à être portées, par ailleurs, à la connaissance des employeurs et salariés de la branche par les organisations qui sont à l'initiative de ces documents. Par suite, elles ne revêtent pas le caractère de décisions faisant grief et ne sont susceptibles de faire l'objet ni d'un recours pour excès de pouvoir ni, par conséquent, d'une requête tendant à la suspension de leur exécution.

newsid:473681

Covid-19

[Brèves] Notaires : adaptation des règles de fonctionnement des instances notariales dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19

Réf. : Décret n° 2020-694 du 8 juin 2020 portant adaptation des dispositions du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945 pris pour l'application du statut du notariat liées à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L3084LXI)

Lecture: 1 min

N3653BYX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473653
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Juin 2020

► Un décret n° 2020-694 du 8 juin 2020, portant adaptation des dispositions du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945 pris pour l'application du statut du notariat liées à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L3084LXI), a été publié au Journal officiel du 10 juin 2020 ; ce texte prévoit les adaptations transitoires, nécessaires au fonctionnement des instances notariales dans le cadre de la crise sanitaire.

Il reporte les dates des assemblées générales ordinaires de notaires ainsi que les dates et échéances relatives à la désignation des membres des instances représentatives de la profession notariale.

Il adapte la durée de mandat des membres ainsi désignés.

Il assouplit les modalités de vote et les règles de quorum tant pour la désignation des membres des instances que pour le fonctionnement de celles-ci.

Il permet aux présidents de chambre de proroger les budgets dans les conditions qu'il détermine.

newsid:473653

Droits fondamentaux

[Brèves] Appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique : la liberté d’expression à l’épreuve de l’incitation au traitement différencié

Réf. : CEDH, 11 juin 2020, Req. 15271/16, 15280/16, 15282/16, 15286/16, 15724/16, 15842/16 et 16207/16, Baldassi et autres c/ France (N° Lexbase : A28003NZ)

Lecture: 6 min

N3692BYE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473692
Copier

par Adélaïde Léon

Le 11 Juin 2020

► La condamnation d’auteurs d’un appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique constitue une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) dès lors qu’une telle action est matérialisée par l’expression pacifique d’opinions politiques.

Résumé des faits. À deux reprises, en septembre 2009 et mai 2010, les membres d’un collectif ont participé à une action appelant au boycott de produits israéliens vendus par un hypermarché dans une commune française. Les intéressés ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse pour provocation à la discrimination sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Les prévenus ont été relaxés par deux jugements du tribunal correctionnel de Mulhouse au motif, notamment, que les faits de boycott étaient poursuivis sur le fondement de l’alinéa 8 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, lequel ne vise pas la discrimination économique, délit prévu par l’alinéa 9.

En cause d’appel. Les jugements de première instance ont été infirmés par la cour d’appel de Colmar qui a constaté la caractérisation les éléments matériels du délit de provocation à la discrimination prévu par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 et condamné les intéressés pour les faits commis au cours des deux actions précisant que la jouissance de la liberté d’expression n’autorisait pas à commettre des délits.

À hauteur de cassation. Les prévenus ont formé des pourvois en cassation sur le fondement, notamment, de la violation des articles 7 (N° Lexbase : L4797AQQ) et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) lesquels consacrent respectivement le principe de la légalité des délits et des peines et la liberté d’expression.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois au motif que la cour d’appel avait valablement justifié sa décision en constatant, d’une part, que les éléments constitutifs de l’infraction de provocation à la discrimination étaient réunis et d’autre part que la liberté d’expression pouvait être légalement restreinte en l’espèce en considération des objectifs de défense de l’ordre et de la protection des droits d’autrui.

Les intéressés ont introduit des requêtes devant la CEDH invoquant de nouveau les articles 7 et 10 de la CESDH. Selon les requérants, les juridictions françaises ne pouvaient, sans violer les dispositions de l’article 7, les condamner pour incitation à la discrimination économique sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 dès lors que ce texte ne visait pas ce délit. Invoquant l’article 10, ils dénonçaient par ailleurs leur condamnation à la suite de leur participation à une campagne militante sur un sujet politique et relevant du débat d’intérêt général.

Décision de la CEDH. La Cour strasbourgeoise reçoit les requérant dans certaines de leurs demandes et condamne la France pour violation de l’article 10 de la CESDH.

S’agissant de l’article 7, la Cour constate que la Cour de cassation s’était par le passé prononcée sur d’autres faits de boycott de produits importés d’Israël et avait, à ces occasions, retenu l’application de l’alinéa 8 de l’article 24 de la loi de 1881 (Cass. crim., 28 septembre 2004, n° 03-87.450, FS-D N° Lexbase : A8503ELI et Cass. crim., 16 avril 2013, n° 13-90.008, F-D N° Lexbase : A1309KDT). Dès lors, la CEDH considère que les requérants étaient en mesure de connaître le risque d’être condamnés sur ce dernier fondement.

La Cour conclut donc à une absence de violation de l’article 7 de la Convention.

La Cour se penche ensuite sur le sort réservé à l’article 10. Elle rappelle que la pratique du boycott, « modalité d’expression d’opinions protestataires », induit l’incitation à un traitement différencié susceptible de constituer, dans certains cas, un appel à la discrimination.

La Cour ne remet pas en cause l’interprétation faite par les juridictions française des faits au regard de l’article 24, alinéa 8, de la loi de 1881 et en vertu de laquelle les agissements poursuivis constituent des discriminations des producteurs ou fournisseurs des produits à raison de leur origine.

La Haute juridiction européenne reproche, en revanche, à la cour d’appel de Colmar, de n’avoir pas motivé sa décision de manière circonstanciée. Il lui appartenait en l’espèce de préciser la balance opérée entre la liberté d’expression des requérants et l’interdiction des appels au boycott de produits à raison de leur origine géographique. Cette dernière aurait permis à la cour d’appel de démontrer que la condamnation des intéressés, qui avait fait usage de leur liberté d’expression, s’avérait nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but légitime de protection des droits d’autrui.

Procédant elle-même à une appréciation circonstanciée elle note que les actions poursuivies concernaient, comme indiqué par les requérants, un sujet d’intérêt général et constituaient l’expression d’une opinion politique et militante.

La Cour rappelle qu’elle a par le passé (CEDH, 15 octobre 2015, Req. 27510/08, Perinçek c/ Suisse N° Lexbase : A2687NTP) jugé que les polémiques accompagnant nombre de discours politiques ne doivent pas mener à des restrictions à la liberté d’expression. Ces discours et ces manifestations d’opinion sont d’intérêt public et doivent en ce sens, même lorsqu’ils s’avèrent virulents, être protégés au titre de la liberté d’expression exception faite des incitations « à la violence, à la haine ou à l’intolérance ». Or, en l’espèce, la Cour avait préalablement souligné le caractère particulièrement pacifiste des actions.

La Cour déduit qu’en s’abstenant de procéder à une appréciation circonstanciée des faits, les juridictions françaises n’ont pas fondé leur condamnation sur des motifs pertinents et suffisants

Cette décision est l’occasion pour la Cour de rappeler le niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression, impliquant que ses restrictions soient précisément motivées, mais également de préciser l’étendue de cette liberté en matière d’expression d’opinions politiques et plus précisément de boycott.

Pour aller plus loin :

E. Raschel, ETUDE : Les responsabilités en droit de la presse, La sécurité publique dans la loi du 29 juillet 1881, Droit de la presse, Lexbase(N° Lexbase : E6334Z84)

newsid:473692

Environnement

[Brèves] Pas de recours à l’encontre des décisions de constitution et de refus de modification d'une ZNIEFF pour l'inventaire du patrimoine naturel

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 422182, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70153MR)

Lecture: 2 min

N3642BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473642
Copier

par Yann Le Foll

Le 10 Juin 2020

Le refus de modifier le périmètre d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique pour l'inventaire du patrimoine naturel ne constitue pas une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Ainsi statue le Conseil d’Etat dans une décision rendue le 3 juin 2020 (CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 422182, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70153MR).

Rappel. Les inventaires des richesses écologiques, faunistiques et floristiques réalisés par zone sous la responsabilité scientifique du Muséum national d'histoire naturelle, sous l'appellation de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), constituent un outil d'inventaire scientifique du patrimoine naturel permettant d'apprécier l'intérêt environnemental d'un secteur pour l'application de législations environnementales et urbanistiques, mais sont, par eux-mêmes, dépourvus de portée juridique et d'effets (sur l’absence de portée réglementaire et juridique des ZNIEFF, voir respectivement CE, 22 mai 2012, n° 333654 N° Lexbase : A0902IMD et CE, 24 avril 2013, n° 352592 N° Lexbase : A8763KCK).

Solution. Dès lors, si les données portées à l'inventaire que constitue une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique, sont susceptibles d'être contestées à l'occasion du recours formé contre une décision prise au titre de ces législations, la constitution d'un inventaire en une zone n'est pas un acte faisant grief. Il en est de même, par voie de conséquence, du refus de modifier les ZNIEFF existantes.

La cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 11 mai 2018, n° 17MA01513 N° Lexbase : A4822XPB) n'a donc pas commis d'erreur de droit en jugeant que le refus de modifier les limites de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique "Capo Rosso, côte rocheuse et îlots" ne fait pas grief.

newsid:473642

Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Constitue une circonstance exceptionnelle, la défaillance de l’outil informatique à l’origine de la saisine tardive du JLD

Réf. : Cass. civ. 1, 5 juin 2020, n° 19-25.540, F-P+B (N° Lexbase : A05593NZ)

Lecture: 2 min

N3673BYP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473673
Copier

par Laïla Bedja

Le 11 Juin 2020

► Il résulte du I de l'article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9754KXK) que le juge des libertés et de la détention est saisi quinze jours au moins avant l'expiration du délai de six mois à compter de toute décision judiciaire prononçant l'hospitalisation en application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7018IQY), et de son IV que, s'il est saisi après l'expiration de ce premier délai, le juge constate sans débat que la mainlevée de l'hospitalisation complète est acquise, à moins qu'il ne soit justifié de circonstances exceptionnelles à l'origine de la saisine tardive et que le débat puisse avoir lieu dans le respect des droits de la défense ;

La copie d’écran du fichier Hopsyweb relative au dossier du patient révélant que, pour une raison inexpliquée, alors que le début de l’hospitalisation était indiqué au 27 mars 2019, la date limite mentionnée pour la saisine du juge des libertés et de la détention était celle tardive, du 19 septembre 2019, cette défaillant de l’outil informatique constitue une circonstance exceptionnelle à l’origine du retard de la saisine.

Les faits. Déclarée pénalement irresponsable en raison du trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, une personne s’est vu ordonné son hospitalisation complète sur le fondement de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, le 27 mars 2019.

Le 19 septembre 2019, en application de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de la mesure.

Moyen. L’ordonnance ayant prolongé la mesure d’hospitalisation complète, le patient forme un pourvoi en cassation selon le moyen que si le juge des libertés et de la détention est saisi après l’expiration du délai de quinze jours prévu au 3° de l’article L. 3211-12-1, ce dernier doit constater sans débat la mainlevée de la mesure, à moins qu’il ne soit justifié de circonstances exceptionnelles et le débat puisse avoir lieu dans le respect des droits de la défense ; que la loi n’imposant pas le recours à l’outil informatique, le dysfonctionnement de cet outil ne peut être invoqué au titre de circonstances exceptionnelles.

Rejet. Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage « Droit médical », Le contrôle des mesures d'admission en soins psychiatriques par le juge des libertés et de la détention N° Lexbase : E7544E9B).

newsid:473673

Urbanisme

[Brèves] Mesures applicables aux immeubles situés dans le champ de visibilité d'un édifice classé ou inscrit : modalités d’appréciation du principe de covisibilité

Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 5 juin 2020, n° 431994, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A06723N9)

Lecture: 3 min

N3650BYT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58450830-edition-du-12062020#article-473650
Copier

par Yann Le Foll

Le 10 Juin 2020

 La circonstance que la covisibilité ne soit révélée que par l'utilisation d'un appareil photographique muni d'un objectif à fort grossissement implique l’absence de l’obligation de l’accord de l'architecte des Bâtiments de France pour la délivrance de permis de construire portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques.

Ainsi statue le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 5 juin 2020 (CE 1° et 4° ch.-r., 5 juin 2020, n° 431994, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A06723N9).

Rappel. Il résulte de la combinaison des articles L. 621-30 (N° Lexbase : L2559K9N), L. 621-32 (N° Lexbase : L9992LMZ), du I de l'article L. 632-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L9993LM3) et de l'article R. 425-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7985LQS), que ne peuvent être délivrés qu'avec l'accord de l'architecte des Bâtiments de France les permis de construire portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s'ils sont visibles à l'œil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de cinq cents mètres entourant l'édifice en cause.

Ordonnance attaquée. Pour juger que le moyen tiré de l'absence d'autorisation de l'architecte des Bâtiments de France faisait naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire du 24 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Pau s'est fondé sur l'existence d'une covisibilité entre le projet et l'église Sainte-Marie de la Chambre d'Amour, classée au titre des monuments historiques, depuis un point de la promenade des sables d'or normalement accessible au public, situé à l'aplomb de l'héliport.

Décision. Si les dispositions de l'article L. 621-30 du Code du patrimoine ne s'opposaient pas à ce que l'existence d'une covisibilité soit constatée depuis un point situé à plus de cinq cents mètres du monument concerné, il ressort toutefois des pièces du dossier soumis au juge des référés que cette covisibilité n'était révélée que par l'utilisation d'un appareil photographique muni d'un objectif à fort grossissement.

Les sociétés requérantes donc sont fondées à soutenir qu'en retenant l'existence d'une covisibilité entre le projet et l'église Sainte-Marie de la Chambre d'Amour, pour en déduire que le moyen tiré du défaut d'accord de l'architecte des Bâtiments de France faisait naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire litigieux, le juge des référés a dénaturé les faits de l'espèce (cf. l'Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E5624E7G).

newsid:473650

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.