La lettre juridique n°360 du 23 juillet 2009

La lettre juridique - Édition n°360

Éditorial

La fiducie-sûreté : nouvelle garantie et vieilles recettes

Lecture: 3 min

N1133BLK

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"La propriété privée nous a rendus si stupides et si bornés qu'un objet n'est nôtre que lorsque nous le possédons". Qui eut dit que Karl Marx put être prophète du dernier véhicule juridique en faveur du développement économique libéral, remis au goût du jour : la fiducie-sûreté ! Et la réécriture, le 19 juin 2008, de l'article 2279 du Code civil n'y est pas totalement étrangère...

Résumons bien : la fiducie-sûreté consiste, pour le débiteur-fiduciant, à transférer la propriété d'un ou plusieurs biens ou titres pour garantir une créance auprès d'un créancier-fiduciaire ; charge à ce dernier d'en restituer la propriété -et non la possession- au débiteur lorsque la créance a été entièrement recouvrée. A priori, le mécanisme a tout l'air d'être d'une simplicité liturgique ! La propriété s'accommode très bien, depuis des années, de la cession Dailly, du gage avec ou sans dépossession, ou encore de la clause de réserve de propriété... Mais alors, pourquoi fondre sur la fiducie-sûreté ?

D'abord, parce que, bien qu'introduite en France par la loi du 19 février 2007 et aménagée, dernièrement, par l'ordonnance du 18 décembre 2008, la fiducie, et plus singulièrement la fiducie-sûreté, est un instrument de garantie des crédits depuis... Rome. Alors, rien d'étonnant à ce que la fiducia cum creditore du droit romain ait hautement inspiré, depuis de nombreuses années, la sicherungstreuhand, et plus globalement le régime fiduciaire allemand : droit romano-germanique oblige. Plus étonnant, ou presque, est l'essor de ce même mécanisme en pays de droit anglo-saxon ; la common law ayant parfaitement intégré, dans son système juridique, cette importation continentale venue avec les vaisseaux de Guillaume le Conquérant. Alors, exception culturelle oblige, on s'étonnera moins qu'un pays de droit romano-germanique et de droit coutumier, comme la France, choisisse de... s'en détourner au nom du sacro-saint principe de la Propriété : il n'y a qu'à lire la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, ou Frédéric Bastiat avant elle -"La propriété est un droit antérieur à la loi, puisque la loi n'aurait pour objet que de garantir la propriété"- pour se convaincre que l'on n'attente pas à un droit fondamental indivisible comme cela...

Pourtant, l'heure de la mondialisation économique aura sonné le carillon de la mondialisation juridique. La France ne pouvait rester à l'écart d'un instrument juridique de garantie des crédits aussi performant -du moins dans les pays l'ayant, jusque-là, adopté- ; qui plus est en période de méfiance entre les acteurs économiques.

Ainsi, outre la facilité de sa constitution au regard des mesures de publicité, la responsabilité éprouvée de ces acteurs-fiduciaires (établissements de crédits, avocats...), l'absence de dépossession des biens dont la propriété est transférée, la fiducie-sûreté résiste surtout aux fourches caudines des procédures collectives, comme le souligne, cette semaine, dans nos colonnes, Maître Reinhard Dammann, avocat associé du cabinet Clifford Chance, à qui la mission avait été confiée de proposer la rédaction des articles de l'ordonnance du 18 décembre 2008 ; ce qui n'en représente pas moins l'un de ses attraits les plus évidents.

Alors, on aura beau gloser sur les conflits de sûretés nés de l'absence de publicité ou de dépossession, attributs de la fiducie-sûreté ; sur les dangers d'une disparition de l'actif réel des entreprises, notamment, du fait d'une globalisation de la fiducie-sûreté sur l'ensemble du patrimoine du débiteur ; ou sur l'inutilité de l'aliénation d'un bien corporel au profit d'un fiduciaire qui n'a que faire, le plus souvent, de ce bien, en cas de non-recouvrement de sa créance ; il n'en demeure pas moins que la fiducie-sûreté doit permettre d'établir, si ce n'est la confiance entre prêteurs et investisseurs, du moins une assurance-recouvrement qui en constituerait un placebo aux effets tout aussi bénéfiques pour le développement des entreprises françaises.

Lichtenberg n'écrivit-il pas, dans le miroir de l'âme que "la mouche qui veut échapper au piège ne peut être plus en sûreté que sur le piège même" ?!

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - juillet 2009

Lecture: 9 min

N1140BLS

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de procédures fiscales, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris. Au sommaire de cette chronique, on retrouvera, en matière de contrôle fiscal, un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation retenant l'obligation de communiquer, dans leur intégralité, les documents fondant un redressement (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, Directeur général des finances publiques, FS-P+B), ainsi qu'un arrêt du Conseil d'Etat traitant de la signature du destinataire de la notification (CE, 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2009, n° 298037, M. Beladina). En matière de contentieux, cette chronique revient sur l'impossibilité pour un avocat d'assurer sa propre représentation devant le juge (CE, 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2009, n° 301186, M. Manseau). Enfin, en matière d'abus de droit, l'auteur relève diverses décisions rendues par le comité des abus de droit à propos de donations avant cession, publiées dans l'instruction du 24 juin 2009, portant publication du rapport annuel 2008 du Comité (BOI 13 L-7-09).
  • Contrôle fiscal : renseignements recueillis auprès de tiers (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-P+B N° Lexbase : A0698EIP)

Plus stricte que le Conseil d'Etat, la Cour de cassation considère que les services des impôts qui utilisent une partie seulement d'un document obtenu auprès d'un tiers doivent, pour l'application de l'article L. 76 B du LPF,(N° Lexbase : L7606HEG) communiquer, lorsque le contribuable en fait la demande, l'intégralité de ce document.

On sait que, pour vérifier les impositions d'un contribuable, l'administration peut utiliser des renseignements recueillis auprès de tiers, que ce soit dans le cadre de son droit de communication ou lors d'un contrôle de ces tiers. Elle peut, également, se servir de renseignements obtenus de personnes non soumises au droit de communication, à condition que les demandes aient été effectuées de telle façon que la personne questionnée n'ait pas été induite en erreur sur son droit de s'abstenir de répondre (ainsi, l'enquête effectuée auprès de particuliers, au cours de laquelle, en l'absence de réponse, le service avait adressé une relance comminatoire, est irrégulière et entraîne l'annulation des redressements : CAA Lyon, 2ème ch., 24 juillet 2003, n° 98LY00342, M. Gilles Poncet N° Lexbase : A9382EIC). Dans ce cadre, l'article L. 76 B du LPF assure l'information du contribuable en imposant à l'administration, d'une part, l'obligation de lui indiquer la teneur et l'origine des renseignements, d'autre part, l'obligation de communiquer au contribuable qui le demande lesdits documents. Ces dispositions visent tous les types de contrôles, sur pièces, ou externe, toutes les procédures, contradictoires ou d'office.

1. Obligation d'information

L'obligation d'informer vise les renseignements et documents ayant permis de justifier les redressements notifiés. Il s'agit de déclarations ou d'actes déposés auprès de l'administration fiscale, de renseignements transmis par l'autorité judiciaire, de rapports de police, de procès-verbaux dressés par les agents du contrôle économique. L'obligation concerne, également, les informations recueillis lors du contrôle de la comptabilité de tiers, sauf dans l'hypothèse où les renseignements en cause sont couverts par le secret professionnel (CAA Versailles, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 03VE00238, SARL GEI N° Lexbase : A0613DLB). En revanche, cette obligation ne vise pas l'utilisation des informations fournies annuellement par des tiers à l'administration conformément aux dispositions du CGI (CE, avis, 21 décembre 2006, n° 293749, Mme Duguay N° Lexbase : A1476DTT), ni les renseignements obtenus auprès d'un autre service de l'administration (par exemple, extraits du fichier immobilier de la conservation des hypothèques : TA Amiens, 10 mars 2005, n° 01-3667). L'obligation d'information est la seule de nature à permettre à l'administration de prouver qu'elle a mis le contribuable en mesure de demander la communication des pièces. Ce qui met, ensuite, ce dernier en situation de pouvoir les contester au cours de la procédure. Pour respecter ce principe, l'administration précise que l'information doit être effectuée au stade de la proposition de rectification (BOI 13 L-6-06, n° 8 du 21 septembre 2006 N° Lexbase : X7347ADH).

2. Obligation de communication sur demande

La communication est liée à une demande préalable du contribuable. Cette demande écrite (ou par courriel) doit être expresse et explicite. Ainsi, la personne vérifiée qui, informée de l'utilisation par l'administration de renseignements obtenus auprès de tiers, "déplore" l'absence de présentation de ces documents, ne fait pas état d'une demande explicite (CAA Versailles, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 02VE03837, M. Alain Baudin N° Lexbase : A0572DLR). La demande doit être formulée auprès du service chargé du contrôle avant la mise en recouvrement des impositions. S'agissant de l'étendue de cette obligation, la doctrine administrative précise que ne sont concernés que les documents qui justifient les redressements (BOI 13 L-6-06 précitée n° 16). C'est cette doctrine, validée par le Conseil d'Etat, qui vient d'être condamnée par la Haute juridiction. L'administration doit communiquer l'intégralité du document dont seuls certains extraits ont été utilisés par le vérificateur.

  • Contrôle fiscal : signature du destinataire de la notification (CE, 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2009, n° 298037, M. Beladina N° Lexbase : A1796EHY)

L'allégation selon laquelle la signature apposée sur l'accusé de réception de la réponse aux observations du contribuable n'est pas la sienne ne peut être retenue que si le contribuable démontre que le pli aurait été reçu par une personne n'ayant pas qualité pour le faire.

Lorsque le destinataire d'une proposition de rectification est une personne physique, le pli doit être envoyé à la dernière adresse connue par le service. Ainsi, comme dans l'affaire qui était soumise aux juges du Palais-Royal, le destinataire ne peut invoquer l'irrégularité de la procédure que s'il justifie avoir signalé son changement d'adresse. De même, la fausse bonne idée selon laquelle la signature figurant sur l'accusé de réception n'est pas celle du contribuable ne peut être retenue que si celui-ci établit formellement que cette signature n'est pas la sienne (CE, 2 octobre 1989, n° 70219, Matijaca N° Lexbase : A0659AQH).

1. L'envoi du pli à l'adresse connue par le service

En cas de changement d'adresse, le contribuable doit en informer le service et prendre toutes mesures pour faire suivre son courrier (Doc. adm. 13 L-1513, n° 67 du 1er juillet 2002). Cette doctrine, qui a été confirmée par le juge, concerne, non seulement les propositions de rectification, mais aussi les décisions de rejet des réclamations. Ainsi, par exemple, une proposition de rectification envoyée à l'adresse qui figurait sur la dernière déclaration de revenus du contribuable retourné à l'expéditeur avec la mention "n'habite plus à l'adresse indiquée" n'est pas régulièrement signifiée au motif que le contribuable avait déposé à son bureau de poste un ordre de réexpédition définitif de son courrier (CAA Paris, 2ème ch., 29 septembre 2004, n° 00PA00024, M. Gérard Schlumberger N° Lexbase : A3581DED). Cependant, le juge fait preuve d'un certain pragmatisme. En effet, même si la notification est envoyée à l'ancienne adresse, alors que le contribuable avait communiqué la nouvelle, la procédure est régulière dès lors qu'il a eu connaissance du document puisqu'il en accusait réception dans sa réponse au service (CE, 20 février 1985, n° 39700).

2. Qualité du signataire

En principe, l'avis contenant la proposition de rectification doit être signé par le contribuable lui-même. Bien entendu, l'avis annonçant un contrôle des comptes de deux époux peut être adressé à un seul d'entre eux. En revanche, s'il s'agit de la vérification de la comptabilité de l'entreprise exploitée par un seul d'entre eux, ce dernier doit recevoir l'avis de vérification à son nom. Dans l'hypothèse où la proposition de rectification n'est remise ni au contribuable, ni à son représentant légal ou son fondé de pouvoir, le Conseil d'Etat considère que les dispositions de la réglementation postale ne peuvent empêcher l'expéditeur d'un pli d'estimer qu'il est régulièrement parvenu à son destinataire, quel que soit le signataire, dès lors que l'avis de réception lui à été renvoyé. Tel est le cas lorsque le pli a été remis à l'adresse indiquée par le contribuable et que le signataire de l'avis a des liens personnels ou professionnels suffisants avec le destinataire. Ce qui vise les membres de la famille du destinataire, ses employés ou ses associés. Ainsi une proposition de rectification reste régulière, lorsque, adressée à un notaire, elle a été reçue par un clerc, personne qui, d'après les usages de la profession, a qualité pour recevoir cette proposition (CE, 28 janvier 1981, n° 16600 N° Lexbase : A3456AK9). En revanche, les redressements ne sauraient être considérés comme valablement notifiés lorsque la lettre recommandée a été remise à une personne n'ayant aucune qualité pour la recevoir et qu'il n'est pas établi que le contribuable en aurait eu connaissance (Doc. adm. 13 l 1513, n° 25 du 1er juillet 2002). Dans l'affaire soumise récemment aux juges, même si le contribuable alléguait que la signature portée sur l'accusé de réception n'était pas le sienne, la procédure a été jugée régulière puisqu'il ne démontrait pas que le pli aurait été reçu par une personne n'ayant pas qualité pour le faire. Ainsi, dans ce domaine, la charge de la preuve est renversée, au motif que, dépendante du service des postes, l'administration n'a pas de contrôle sur les conditions dans lesquelles ses plis sont remis.

  • Contentieux : pas de confusion entre mandataire et personne représentée (CE, 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2009, n° 301186, M. Manseau N° Lexbase : A1803EHA)

Un avocat ne peut assurer sa propre représentation devant une cour d'appel dans un litige qui l'oppose personnellement à l'administration fiscale.

Il paraît de bon sens de considérer qu'un avocat, de surcroît, spécialiste de la matière dans laquelle se situe le litige qui l'oppose à l'administration, puisse assurer sa propre présentation. Il est vrai que, par ailleurs, lorsque le contentieux concerne ses propres intérêts, le contribuable peut manquer du recul nécessaire à une bonne défense. Le litige qui opposait un avocat à l'administration découle du décret du 24 juin 2003 (décret n° 2003-543, du 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative N° Lexbase : L6539BHN) qui a rendu obligatoire en appel le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou d'un avocat inscrit au barreau ou d'un avoué en exercice dans le ressort de la Cour. L'article R. 431-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3029ALR) précise, également, que "la signature des requêtes et mémoires par l'un de ces mandataires vaut constitution et élection de domicile chez lui". S'appuyant, d'une part, sur la définition du mandat, acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom, d'autre part, sur le principe d'indépendance de l'avocat, le Conseil d'Etat en conclut que l'avocat doit être une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans l'affaire. Par suite, un requérant exerçant la profession d'avocat ne peut, dans une instance dans laquelle il est personnellement partie, assurer sa propre représentation.

Le comité des abus de droit confirme que seule la réappropriation du produit de cession permet à l'administration d'invoquer l'abus de droit en cas de donation d'un bien suivie de sa cession.

1. La distinction abus de droit - optimisation

Si l'excès d'imagination, qui est à l'optimisation ce que le vice est à la vertu, est parfois répréhensible, la démarche qui consiste à exploiter au mieux de ses intérêts la législation fiscale est saine. Selon la nouvelle définition légale, introduite par la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 (N° Lexbase : L3784IC7), l'abus de droit est démontré lorsque, soit les actes passés par un contribuable ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Ainsi, l'abus de droit est-il caractérisé lorsque l'acte a un caractère fictif ou lorsque l'intention du contribuable est d'éluder ou d'atténuer une imposition en respectant la lettre de la loi mais pas son esprit. La frontière est donc ténue entre l'habileté fiscale (Cass. com., 19 avril 1988, n° 86-19.079, Mme Dozinel N° Lexbase : A7796AAY) et l'abus, que le regretté professeur Cozian dénommait le péché des surdoués de la fiscalité. L'abus est le détournement de l'esprit de la règle fiscale, à l'encontre des motifs qui l'ont inspirée.

Ainsi, tout contribuable est libre d'arbitrer entre les différentes possibilités que lui offre la législation fiscale dans le sens le plus avantageux pour lui, dès lors que ses choix sont dépourvus de toute intention frauduleuse (Bienvenu et Lambert, Droit fiscal, PUF Droit, coll. droit fondamental, classiques 2003, pp. 205 et 206).

2. La réappropriation

En cas de donation de la pleine propriété ou de la seule nue-propriété d'un bien suivie de sa cession, permettant d'écarter ou de réduire la plus-value, la remise en cause de l'opération n'est validée par le comité que dans l'hypothèse où il est démontré que les donateurs ont conservé l'intégralité du prix de cession. Ainsi, dans une telle hypothèse, il est aisé, pour le service, de démontrer que l'acte de donation ne pouvait traduire une réelle intention libérale qui implique une véritable dépossession (affaire n° 2007-04, conservation directe du prix, affaire n° 2007-27, conservation du prix par la souscription de contrats de capitalisation dont seuls les donateurs étaient propriétaires). En revanche, la conclusion d'une convention de quasi-usufruit, postérieurement à la cession de la nue-propriété par les donataires et de l'usufruit par le donateur, n'autorise pas la mise en oeuvre de la procédure spécifique. En effet, le comité considère que le mécanisme ainsi substitué à l'obligation de remploi imposée à l'usufruitière en cas de cession n'induit pas une réappropriation, même si l'usufruitière est dispensée de fournir caution (affaire n° 2008-06).

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[Questions à...] Fiducie-sûreté : (r)évolution de la notion de propriété et des procédures collectives - Questions à Maître Reinhard Dammann, avocat associé, Clifford Chance

Lecture: 9 min

N1124BL9

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

L'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4) définit la propriété comme étant "le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements". Depuis plus de deux siècles, le principe n'a pas bougé d'un iota, conservant la même force. La devise si chère à la France aurait pu tout aussi bien être "Liberté, égalité, fraternité... propriété". Ce droit constitutionnel -proclamé à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1364A9H)-, acquis majeur de la Révolution française, est, aux côtés des trois autres grands principes, un fondement de la démocratie. La définition et la protection du droit de propriété varient, cependant, d'un Etat à un autre. En droit continental, il est constitué de la réunion de trois éléments, l'usus, le fructus et l'abusus, tandis qu'en droit anglo-saxon, il est envisagé sous ses aspects juridiques et économiques. La fiducie pourrait modifier la donne. Non pas qu'elle remette en cause la force du principe, mais elle opère un changement dans notre façon d'envisager la propriété. En France, certains y voient un prélude à l'abandon de la conception continentale, au profit de celle issue de la common law. D'autres soutiennent qu'elle ne constitue qu'un aménagement nécessaire à la règle, dont les fondements essentiels demeurent. Une certitude existe : elle reflète le tiraillement que connaît, en général, notre système juridique entre une approche "continentale" et une approche anglo-saxonne. Mais, si la fiducie est, aujourd'hui, introduite en droit français, après des siècles d'hésitations et de méfiance, c'est parce que la mondialisation des systèmes juridiques et la prédominance de la common law imposent aux Etats issus de la tradition romano-germanique de rénover leur dispositif juridique. Quel sera, alors, le degré d'assimilation du droit anglo-saxon par le droit continental, notamment en France ? Personne ne le sait vraiment encore. En toute hypothèse, pour rendre notre "place juridique" plus compétitive, pourquoi ne pas s'autoriser un recours aux recettes qui fonctionnent à l'extérieur de nos frontières ? Notamment, la fiducie-sûreté a, indéniablement, l'avantage de rééquilibrer les intérêts du débiteur et du créancier soumis à une procédure collective, quand, auparavant, les intérêts du premier l'emportaient sur toute autre considération, entraînant par là une raréfaction des crédits.

Pour appréhender les enjeux du bouleversement de la notion de propriété par la fiducie-sûreté, en particulier en matière de procédures collectives, et ses incidences pratiques, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Reinhard Dammann, avocat associé du cabinet Clifford Chance, à qui la mission avait été confiée de proposer la rédaction des articles de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT ; cf., not., G. Piette, Les sûretés dans l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté, Lexbase Hebdo n° 339 du 26 février 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N5724BIT), relatifs à la fiducie, venant compléter le dispositif de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM), et de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).

Lexbase : En quoi l'introduction de la fiducie en France révolutionne notre façon d'appréhender la notion de propriété ?

Reinhard Dammann : Depuis la Révolution française, le droit de propriété, posé à l'article 544 du Code civil, est un droit absolu (seulement susceptible de démembrement), constitué de la réunion de trois éléments entre les mains du propriétaire :

- l'usus ou le droit d'utiliser la chose ;

- le fructus ou le droit de récolter les fruits de la chose ;

- et l'abusus ou le droit de disposer de la chose.

La common law a, quant à elle, conservé l'approche du droit féodal, qui était celle de la France avant la Révolution française, exportée par Guillaume le Conquérant. Une telle conception admet qu'il puisse exister une pluralité de propriétaires pour un seul et même bien. Le droit anglo-saxon envisage, ainsi, la propriété sous deux aspects :

- l'aspect juridique ou le legal ownership, qui est le pouvoir d'administrer les biens et d'en disposer librement ;

- et l'aspect économique ou l'equitable ownership, qui est le pouvoir exclusif de prétendre au profit et à l'usage des biens.

Un rapprochement de la conception française du droit de propriété avec celle du droit anglo-saxon avait déjà été amorcé avec l'introduction du bordereau Dailly et de la clause de réserve de propriété, qui permettent d'utiliser la propriété à titre de garantie, faisant de celle-ci un véritable outil juridique. Le modèle de fiducie adopté par la France, à mi-chemin entre les conceptions continentale et anglo-saxonne, est venu consacrer l'émergence, dans notre système juridique, de l'approche économique du droit de propriété, appréhendé comme outil de garantie. Les biens objets de la fiducie sont transférés du patrimoine du constituant à un patrimoine provisoire spécifique (le patrimoine d'affectation), appartenant à un fiduciaire qui en assume la gestion -le plus souvent, le bénéficiaire de la sûreté, dans le cadre de la fiducie-sûreté-. A terme, les biens seront, soit réintégrés dans le patrimoine du constituant, soit transmis au bénéficiaire de la sûreté, qui dispose, donc, alors, d'un droit de créance exclusif sur les actifs du patrimoine fiduciaire. Le droit de propriété n'est, ainsi, plus envisagé comme un droit absolu, mais le mécanisme permet, en réalité, aux parties de créer des droits réels spécifiques sui generis, bouleversant le numerus clausus des droits réels existants.

Lexbase : Quels sont les incidences de cette nouvelle approche économique de la propriété concernant les procédures collectives ? Comment s'articule le régime de ces procédures avec celui de la fiducie-sûreté ? Et enfin, comment cette dernière opère-t-elle un rééquilibrage des intérêts du créancier et du débiteur ?

Reinhard Dammann : En consacrant la propriété comme outil de garantie et en prévoyant, plus spécifiquement, que les biens objets de la fiducie-sûreté sont transférés du patrimoine du constituant à un patrimoine d'affectation distinct, le droit français a révolutionné le droit des procédures collectives et a battu en brèche deux principes essentiels de notre système juridique : celui d'unicité du patrimoine et celui de gage général des créanciers. Le rééquilibrage des intérêts du débiteur en difficulté et ceux du créancier titulaire de la fiducie-sûreté devait se faire à ce prix.

La loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (N° Lexbase : L7852AGW), avait accordé à l'entreprise en difficulté et à ses salariés une protection très forte, au détriment de celle des créanciers, notamment, par le mécanisme du plan de cession pouvant purger les sûretés grevant les actifs. La loi du 19 février 2007, introduisant la fiducie en France, a opéré un renversement complet de la situation, puisque le créancier titulaire de la fiducie-sûreté pouvait, dans tous les cas, demander la réalisation de sa sûreté, nonobstant l'ouverture de la procédure collective. Les biens étant sortis du patrimoine du débiteur, ils échappaient, de ce fait, à la procédure et ne pouvaient être inclus dans un plan de sauvegarde. Les chances de redressement de l'entreprise pouvaient, alors, être très minces, voire inexistantes, puisque la fiducie -contrairement à la cession Dailly qui ne porte que sur les seules créances professionnelles- a un champ d'application très large, tous les actifs de la société pouvant en faire l'objet. Dans une telle configuration, l'entreprise se trouve, en quelque sorte, en situation de "lease-back", cantonnée à l'assemblage des talents et la gestion des contrats. L'ordonnance du 18 décembre 2008 a trouvé un juste milieu entre ces deux situations extrêmes, en décomposant la procédure en deux temps, à l'égard du créancier titulaire de la fiducie-sûreté.

Lors de la période d'observation et dans le cadre du plan de sauvegarde, la fiducie-sûreté est traitée comme une sûreté classique : les poursuites sont suspendues, afin de permettre qu'un plan de sauvegarde soit proposé et que la dette soit réaménagée. La règle est fixée à l'article L. 622-23-1 du Code de commerce ([LXB=LXB3438ICC]), qui interdit la réalisation de la sûreté du seul fait de l'ouverture de la procédure collective. Elle s'applique, toutefois, uniquement lorsqu'un contrat de mise à disposition au profit du débiteur des biens objets de la fiducie est conclu. Dans le cas contraire, la fiducie pourrait être réalisée immédiatement. En l'absence d'un tel contrat, le titulaire de la fiducie-sûreté reste, toutefois, protégé. Il est, en effet, exclu du comité des créanciers pour la partie de sa créance objet de la fiducie et intégré à ce comité pour le reste. De cette façon, il ne peut être "écrasé" par la majorité des deux tiers instituée dans le cadre d'une telle assemblée et se voir imposer, pour la partie des actifs composant le patrimoine fiduciaire, un sacrifice auquel il n'aurait pas consenti. La valeur liquidative de son bien est, ainsi, préservée. Les créanciers classiques sont, quant à eux, soumis à l'aléa, ne disposant que du seul recours au juge, dont l'appréciation est souveraine, et qui arbitrera entre les différents intérêts en présence. Enfin, si le plan de continuation n'est pas respecté, le créancier bénéficiaire de la fiducie-sûreté pourra réaliser sa garantie.

En phase de liquidation, soit en cas de cession de l'entreprise ou de liquidation judiciaire (dès lors, en fait, que l'on se trouve dans une logique de vente des actifs), les intérêts du créancier fiduciaire l'emportent. Celui-ci est autorisé à réaliser sa sûreté, puisque les biens sont sortis du patrimoine du débiteur et que le contrat de mise à disposition éventuellement conclu au profit du débiteur est incessible. Le bénéficiaire n'est pas soumis à la règle de l'ordre des paiements des créanciers et voit, donc, sa protection optimisée. Il s'agit, ici, d'une approche pragmatique, saluée par l'ensemble des commentateurs du texte, permettant, dans un premier temps, le rebond de l'entreprise (sans, pour autant, nuire à la protection du créancier fiduciaire préservé du comité des créanciers) et, dans un second temps, un traitement privilégié du titulaire de la fiducie-sûreté.

Lexbase : La réalisation de la fiducie-sûreté mise à part, qu'en est-il de la soumission du créancier titulaire d'une telle sûreté au régime général des procédures collectives (déclaration de créance, contrat en cours, nullité de la période suspecte etc.) ?

Reinhard Dammann : Hors les aménagements prévus au principe de suspension de poursuites, le créancier titulaire de la fiducie-sûreté est soumis au régime général des procédures collectives. Bien qu'il existe un débat doctrinal sur le sujet (compte tenu de l'existence d'un patrimoine d'affectation distinct de celui du débiteur), il est conseillé au créancier de déclarer sa créance, et cela plus encore, lorsque celle-ci n'est qu'en partie couverte par la fiducie.

Sur le régime des contrats en cours, l'ordonnance semble indiquer que le contrat de fiducie stricto sensu n'est pas considéré comme un tel contrat. Elle échappe, donc, à l'appréciation de l'administrateur, quant à l'opportunité de sa continuation. De façon tout à fait logique, il en va différemment du contrat de mise à disposition éventuellement conclu. Si l'administrateur décide de le résilier, la sûreté peut être immédiatement réalisée par le créancier. S'il décide de sa continuation, le bénéficiaire de la fiducie pourra continuer à encaisser les loyers de la mise à disposition, lorsque celle-ci s'effectue à titre onéreux.

Enfin, la fiducie est soumise au régime des nullités de la période suspecte. Lorsqu'elle a pour objet de garantir des dettes existantes, la nullité encourue sera de plein droit. Dans les autres cas, seule une nullité sera encourue et à condition que le bénéficiaire de la fiducie-sûreté ait connu la situation de cessation des paiements du débiteur au moment de la conclusion du contrat de fiducie.

Lexbase : Comment se positionne la fiducie-sûreté vis-à-vis des autres sûretés ?

Reinhard Dammann : La fiducie, tout comme la cession Dailly pour ce qui concerne les créances professionnelles et la clause de réserve de propriété s'agissant des stocks, est particulièrement avantageuse pour le créancier, pour les raisons que nous venons d'évoquer. La cession Dailly reste, toutefois, en tête en termes d'efficacité et de protection du créancier : les créances sont, en effet, directement cédées à ce dernier, échappant, immédiatement à la procédure collective. Pour autant, son champ d'application est restreint. Les créanciers bénéficiaires de gages avec dépossession sont, également, très bien protégés, puisque le droit de rétention dont ils disposent empêche l'intégration des biens objets du gage dans le plan de cession. En revanche, le pacte commissoire présente des inconvénients majeurs. Il est, en effet, difficilement réalisable préalablement à l'ouverture de la procédure collective, paralysé au cours de celle-ci et impossible à réaliser en cas de liquidation judiciaire.

Lexbase : Quels sont, selon vous, les autres terrains de prédilection de la fiducie-sûreté ?

Reinhard Dammann : La fiducie-sûreté a vocation à remplacer les hypothèques, tout du moins, dans le cadre des opérations d'une certaine importance (puisqu'elle a, tout de même, un coût qui ne se justifie pas forcément dans le cadre d'opérations de petite taille). Elle pourra, également, supplanter les nantissements de titres, dans le sens où elle est plus protectrice du créancier. Elle est, donc, opportune dans les opérations de LBO (leverage buy out), qui, jusqu'à présent, reposaient sur le mécanisme de nantissement des titres de la holding au profit des banques. Or, en cas de difficulté du débiteur, le nantissement peut se trouver paralysé pendant toute la durée de la procédure collective. Tel n'est pas le cas de la fiducie.

Lexbase : En France, un peu plus de deux ans après l'introduction de la fiducie et plus de six mois après l'ordonnance du 18 décembre 2008, quels sont les chiffres?

Reinhard Dammann : On observe en France un certain attentisme de la part des acteurs du marché, notamment, des banques et des fonds d'investissements. Tout comme la cession Dailly, qui a connu son plein succès trois ans après son introduction, la fiducie devra tout d'abord convaincre. Je suis, cependant, persuadé que cet outil, eu égard aux avantages qu'il présente par rapport à la plupart des sûretés, sera utilisé de plus en plus souvent, jusqu'à devenir incontournable dans quelques temps. Il suffit, en réalité, que certains sautent le pas, pour que tout le monde y vienne. Pour ma part, j'ai déjà mis en place trois fiducies, dont l'une au profit du Trésor public.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (seconde partie)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la seconde partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité d'avril à juillet 2009 (pour la première partie, voir, Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0028BLM). Seront abordés, d'abord, la responsabilité pour faute de la clinique liée à l'organisation des soins et, ensuite, en matière d'infections nosocomiales, la question de l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence et du caractère "injuste" au regard du responsable condamné sur le fondement de règles qui n'existaient pas au jour du dommage. A - Responsabilité pour faute : organisation des soins

En vertu du contrat d'hospitalisation et de soins le liant à son patient, l'établissement de santé privé est tenu d'une obligation de renseignements concernant les prestations qu'il est en mesure d'assurer, de procurer au patient des soins qualifiés, et de mettre à sa disposition un personnel compétent.

La confirmation des obligations des établissements en matière d'organisation des soins. Cet arrêt confirme les termes d'une jurisprudence désormais bien acquise. On sait, en effet, qu'au côté des obligations techniques et déontologiques qui pèsent sur les praticiens et les établissements, la jurisprudence a reconnu, à la charge des établissements et dans le cadre du contrat qui les lie à leurs patients, une obligation de moyens portant sur l'organisation des soins (1) qui les oblige à employer un personnel suffisamment qualifié (2), à le former (3), à lui proposer des conditions de travail compatibles avec l'exigence d'une haute qualité des soins (4), et à faire l'acquisition du matériel nécessaire (5).

Certains tribunaux ont, également, considéré que les établissements étaient tenus de procéder à un certain nombre de vérifications concernant les personnels sous contrat, qu'il s'agisse de salariés ou de professionnels libéraux liés par convention avec l'établissement. C'est ainsi qu'une clinique a été condamnée in solidum avec l'un de ses médecins pour ne pas avoir vérifié que ce dernier possédait effectivement la qualification qu'il prétendait avoir (6) au regard, notamment, de la réglementation en vigueur (7), ou qu'il avait effectivement souscrit une assurance de responsabilité professionnelle (8).

Toutefois, une clinique ne saurait être jugée responsable de l'absence d'une permanence d'obstétriciens dès lors qu'elle avait prévu un régime d'astreintes (9).

L'affaire. Une patiente avait subi en septembre 2003 une opération de chirurgie esthétique en vue de la mise en place de prothèses mammaires réalisée par un chirurgien généraliste exerçant au sein d'une clinique. Se plaignant du résultat de cette opération, la patiente avait recherché la responsabilité de ce chirurgien et de la clinique, en reprochant à cette dernière un manquement à son obligation générale d'organisation qui lui imposait de fournir aux patients un personnel qualifié. Le tribunal saisi lui avait donné raison, et cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi.

Après avoir affirmé "qu'en vertu du contrat d'hospitalisation et de soins le liant à son patient, l'établissement de santé privé est tenu d'une obligation de renseignements concernant les prestations qu'il est en mesure d'assurer, de procurer au patient des soins qualifiés, et de mettre à sa disposition un personnel compétent", la Cour de cassation constate que le jugement entrepris avait relevé que "la clinique qui cherchait un médecin ayant une formation de chirurgien gynécologue, à orientation carcinologue, avait engagé M. B. en tant que chirurgien généraliste", "que celui-ci n'avait obtenu son inscription au conseil de l'ordre qu'en tant que chirurgien généraliste, tout en se présentant comme spécialisé en 'chirurgie du cancer du sein et gynécologie' sur les papiers à en-tête de la clinique", qu'il n'avait "aucune compétence, ni spécialité dans le domaine de la chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique", et que même "si l'exercice de la chirurgie esthétique n'a été restreint à une liste déterminée de spécialistes que postérieurement aux faits litigieux, par décret du 11 juillet 2005 (N° Lexbase : L7866G99), la clinique avait manqué à ses obligations à l'égard de sa patiente, en laissant [l'intéressé] pratiquer des opérations relevant de la chirurgie esthétique, sans vérifier s'il disposait des compétences requises en ce domaine".

Une solution justifiée. Cette solution nous semble parfaitement justifiée. Même si l'établissement et le médecin sont responsables dans leurs propres champs de compétence, il est parfaitement justifié de considérer que la clinique est tenue d'une obligation de vérification des compétences des médecins avec lesquels elle est liée par contrat d'exercice, et qui participe, à ce titre, de l'offre globale de soins proposée aux patients.

Reste à déterminer l'intérêt de la condamnation in solidum de la clinique et du médecin, en dehors des hypothèses où le médecin sera insolvable, hypothèse en principe rare compte tenu de l'obligation légale d'assurance introduite par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA). On peut, en effet, s'interroger sur la répartition de la dette entre ces deux responsables pour faute, mais dont l'un (le chirurgien) a directement causé le dommage et l'autre (la clinique) indirectement.

B - Infections nosocomiales

La sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge.

Situation du problème. Entre 1997 et 2000, la responsabilité médicale a connu de rapides et retentissants bouleversements qui ont certainement accéléré l'adoption de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, relative aux droits des malades. Singulièrement, en quelques mois, le régime de la responsabilité des médecins et établissements s'agissant des dommages causés par les infections nosocomiales est passé d'une responsabilité pour faute prouvée, avant 1996, à une responsabilité pour faute présumée en 1996 (10) puis à une responsabilité sans faute en 1999 avec la consécration d'une nouvelle extension du champ de l'obligation de sécurité de résultat (11).

Comme à chaque revirement de jurisprudence, se pose la question de l'application rétroactive de la nouvelle solution dégagée et du caractère "injuste" au regard du responsable condamné sur le fondement de règles qui n'existaient pas au jour du dommage.

La première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de se prononcer, en 2001, s'agissant de l'application dans le temps du revirement portant sur le champ de l'obligation d'information du médecin étendue à partir de 1998 aux risques graves des actes médicaux envisagés même s'ils ne se réalisent qu'exceptionnellement (12). Confirmant les termes d'une précédente décision rendue en matière de vente l'année précédente (13), la Cour avait affirmé que les justiciables ne sauraient revendiquer le droit au maintien d'une jurisprudence "figée" (14). Cette analyse fut, par la suite, reprise, la Haute juridiction faisant parfois référence à une jurisprudence qui ne saurait demeurer "immuable" (15) ou encore "constante" (16). Après un nouvel arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendu à propos de l'application d'un revirement intervenu en matière de clauses de non-concurrence (17) et qui avait également refusé d'en limiter l'effet (18), le Premier président de la Cour de cassation, Monsieur Guy Canivet, avait demandé à un groupe de travail, présidé par notre collègue Nicolas Molfessis, de réfléchir sur le phénomène (19), rapport qui a conclu à l'opportunité d'une modulation dans le temps de l'application de certains revirements portant atteinte à des droits fondamentaux.

Parallèlement à ce débat, la deuxième chambre civile (20), bientôt suivie par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (21), allait refuser de faire une application rétroactive du revirement intervenu en matière d'interprétation de la loi de 1881, sur la presse (N° Lexbase : L7589AIW), car l'application rétroactive de cette règle de procédure aurait rétrospectivement privé les justiciable du droit d'accès au juge, violant ainsi l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). En dehors de ce cas précis, la Cour de cassation n'a pas renoncé à sa position classique, qui consiste à refuser toute limitation dans le temps de l'application de ses revirements, quitte à enrichir la justification de cette position au regard des critères habituellement recherchés par la Cour européenne des droits de l'Homme (22).

Confirmation du principe de l'application rétroactive des revirements de jurisprudence en matière médicale. C'est cette jurisprudence qui se trouve confirmée dans cet arrêt en date du 11 juin 2009.

Cette affaire concernait un médecin bordelais qui avait été condamné pour avoir contaminé de très nombreux patients à l'occasion de soins réalisés sans respect des règles élémentaires d'asepsie et de prévention des infections nosocomiales, certaines victimes ayant contracté le virus de l'hépatite C. Les faits remontaient à 1986, date à laquelle les médecins étaient soumis, dans ce cas de figure, au régime de l'obligation de moyens, mais le médecin avait été condamné par la cour d'appel de Bordeaux en 2007 sur le fondement d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat, dégagée depuis 1999 par la Cour de cassation (23).

Le médecin, qui avait formé contre l'arrêt un pourvoi, prétendait que "l'application du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 à la responsabilité des médecins pour des actes commis avant cette date a pour conséquence de priver le médecin d'un procès équitable, dès lors qu'il lui est reproché d'avoir manqué à une obligation qui, à la date des faits qui lui sont reprochés, n'était pas à sa charge".

Ce pourvoi est rejeté. Après avoir rappelé que "la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée", la Haute juridiction fait exception lorsque "la partie qui s'en prévaut [...] est [...] privée du droit à l'accès au juge", ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

La première chambre civile de la Cour de cassation confirme ainsi, dans une autre affaire intéressant la responsabilité médicale, la solution adoptée en 2001 et la référence à une jurisprudence qui ne saurait demeurée "figée" (24), tout en tenant compte de l'apport de l'arrêt rendu en 2006 par l'Assemblée plénière qui impose au juge d'envisager la question de l'application immédiate du revirement sur le droit d'accès au juge (25).

Dans cette affaire, le revirement en cause concernait les conditions dans lesquelles un médecin doit répondre des dommages causés par une infection nosocomiale, et non une règle de procédure conditionnant l'accès au juge, comme c'était le cas en matière de presse. Il semblait donc logique que l'argument tiré de la violation du droit au juge soit écarté, car il manquait en fait.

Observations complémentaires sur l'arrêt. Deux observations complémentaires méritent ici d'être faites.

En premier lieu, la Cour de cassation rappelle les termes d'une décision précédente qui avait appliqué le régime des infections nosocomiales à une contamination par le virus de l'hépatite C, confirmant ainsi l'absorption du second régime par le premier, pour des raisons que nous avions déjà exposées (26).

En second lieu, la première chambre civile de la Cour de cassation affiche dans cet arrêt  la volonté de ne pas renoncer à la position qui est historiquement la sienne, et qui consiste à considérer le revirement de jurisprudence comme faisant naturellement partie de l'office du juge. Dès lors, et sous réserve de la seule exception résultant de l'interprétation des règles de procédure qui pourrait éventuellement priver le justiciable du droit de saisir le juge pour que sa cause y soit entendue d'une manière impartiale, la Haute juridiction ne semble pas vouloir admettre d'autres circonstances qui pourraient le conduire à moduler dans le temps l'application d'un revirement de jurisprudence.

Singulièrement, le demandeur prétendait que l'application d'une règle de droit dégagée ultérieurement aux faits pour lesquels il est condamné violerait en soi le droit au procès équitable, ce qui suffirait à justifier que soit écartée l'application rétroactive du revirement de jurisprudence intervenu ultérieurement.

Cette conception large du droit au procès équitable n'avait que peu de chances de prospérer, compte tenu des termes de l'arrêt d'Assemblée plénière de la Cour de cassation rendu en 2006 (27), et qui ne protégeait que le droit d'accès au juge, et des exigences tant européennes et communautaires qui imposent de s'interroger sur la justification d'une application rétroactive d'un revirement, et singulièrement sur l'impérieuse nécessité d'en faire une application large (28).

Nous avons déjà eu l'occasion de marquer notre préférence pour une admission plus large de la modulation, singulièrement lorsqu'est en cause la validité d'un acte juridique ou la reconnaissance d'une nouvelle obligation dont la violation conduirait à la condamnation de son auteur dans le cadre d'un régime de responsabilité pour faute (29). Nous avons, en revanche, écarté toute modulation lorsque le juge fait passer la responsabilité de la faute au risque, car le revirement ne saurait avoir pour effet de postuler, de manière artificielle, que le responsable avait commis une faute qu'il n'avait en réalité pas commise, puisqu'ici la faute n'est plus le fondement de sa responsabilité (30).

Nous sommes donc d'accord avec le refus de moduler l'application du revirement intervenu en matière d'infections nosocomiales en 1999, même si nous regrettons que la première chambre civile de la Cour de cassation ne se soit pas prononcée de manière plus ambitieuse, par exemple par obiter dictum, sur d'autres circonstances qui pourraient l'inciter à limiter l'effet dans le temps des revirements de jurisprudence. A moins que, précisément, la Cour de cassation, n'envisage aucune nouvelle extension de la modulation ?


(1) CA Paris, 27 octobre 1989.
(2) Cass. civ. 1, 9 mai 1973, n° 71-14.550, Dame B. c/ Clinique immaculée conception, publié (N° Lexbase : A7608CGU), Bull. civ. I, n° 160 ; CA Paris, 23 janvier 1981, Gaz. Pal., 1981, 2, somm., p. 206 (pas de faute) ; Cass. civ. 1, 25 mai 1971, n° 69-14.385, Dlle Souris c/ Perret, Amblard (N° Lexbase : A7497AH7), JCP éd. G, 1971, II, 16859, 3ème esp. (faute).
(3) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 97-10.869, M. X c/ Société Clinique Saint-Martin et autres (N° Lexbase : A8060AGM), Bull. civ. I, n° 239 : sage-femme pas formée de manière suffisante à la lecture du tracé d'un appareil de monitoring.
(4) CA Paris, 21 avril 1982, D. 1983, inf. rap., p. 497, obs. J. Penneau.
(5) Cass. civ. 1, 28 novembre 1961, n° 60-10.767, Gasiglia c/ Epoux Andréis et autres (N° Lexbase : A9605AGT), Bull. civ. I, n° 558 (appareillage défectueux) ; CA Bordeaux, 2 juillet 1992 (maternité ne possédant pas d'accueil pour les situations d'urgence) ; Cass. civ. 1, 30 juin 1993, n° 91-15.607, Dargent c/ Epoux Baux (N° Lexbase : A7416AH7) (absence de surveillance électronique d'une femme en salle d'accouchement).
(6) CA Montpellier, 1ère ch., 24 juin 2003, SA Polyclinique St-Roch, Resp. civ. et assur., 2004, comm. 100, et les obs..
(7) Cass. civ. 1, 30 octobre 1995, n° 93-20.579, Mme X c/ Mme Y et autres (N° Lexbase : A6461AGE), Bull. civ. I, n° 383 (application du décret n° 72-162 du 21 février 1972, art. 33 et 35).
(8) Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-12.905, Union régionale pour la gestion des établissements mutualistes de santé de la région Rhône-Alpes (URGEMS), F-D (N° Lexbase : A0297D3E).
(9) Cass. civ., 6 décembre 2007, n° 06-13.572, M. Gilles Astruc, agissant tant en son nom personnel, qu'en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire de sa fille Zoé Astruc, FS-D (N° Lexbase : A0298D3G).
(10) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-16.586, M. Bonnici c/ Clinique Bouchard et autre (N° Lexbase : A8567ABW), Bull. civ. I, n° 219 ; Resp. civ. et assur., 1996, chron., 29, par H. Groutel.
(11) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, trois arrêts, n° 97-14.254 (N° Lexbase : A6656AHY), n° 97-15.818 (N° Lexbase : A6644AHK) et n° 97-21.903 (N° Lexbase : A7452AHH), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos.
(12) Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 97-10.267, Mme X c/ Clinique du Parc et autres (N° Lexbase : A6405AGC).
(13) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, n° 98-11.982, M. Le Collinet c/ Compagnie Rhin et Moselle et autres (N° Lexbase : A4676ATD), D., 2000, p. 593, note C. Atias.
(14) Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, M. Franck Abel Coindoz c/ M. Louis Christophe (N° Lexbase : A2051AWU), D., 2001, p. 3470, rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin (responsabilité médicale pour défaut d'information).
(15) Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.476, M. Jean Pierre-Casimir c/ Société Foir'Fouille, F-D (N° Lexbase : A6000A4Y), RDC, 2003, p. 145, et les obs. ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-46.479, M. Jean-Marc Masse c/ Société d'édition et de protection route, FS-P (N° Lexbase : A9827C8H) ; Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-45.486, AGS c/ M. André Hadida, F-D (N° Lexbase : A3160DAB) ; Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 02-40.173, Société Ambulance La Mimétaine c/ M. Daniel Coudrat, F-D (N° Lexbase : A0607DB4) ; Cass. soc., 25 février 2004, n° 02-41.306, M. Michel Perruchietti c/ Société Samse, F-D (N° Lexbase : A3885DBI) ; Cass. soc., 18 janvier 2005, n° 02-46.737, Société BDI Rhone-Alpes-Bourgogne, Gabin Jacob c/ M. Yves Batisse, F-D (N° Lexbase : A0786DG9) ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-42.615, Société Gael c/ M. Omar Hatem, F-D (N° Lexbase : A8593DGD).
(16) Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-02.073, Société Cap atrium c/ Syndicat des copropriétaires Ensemble Les Hauts du Castel Roc, FS-P+B (N° Lexbase : A9081AZD), D., 2003, p. 513, note C. Atias ; Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 03-14.717, M. Christian Neveux c/ Compagnie Generali France assurance-vie, F-P+B (N° Lexbase : A0530DDY), Bull. civ. II, n° 361.
(17) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE), BICC n° 562 du 15 septembre 2002, avis S. Kehrig ; Dr. soc., 2002, p. 949, chron. R. Vatinet ; D., 2002, p. 2491, note Y. Serra ; JCP éd. G, 2002, II, 10162, note F. Petit, I, 130, n° 1, obs. P. Morvan ; RDC, 2003, p. 17, obs. J. Roschfeld, p. 142, et les obs..
(18) Cass. soc., 7 janvier 2003, préc..
(19) Rapport sur les revirements de jurisprudence, remis le 30 novembre 2004.
(20) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, Société nationale de radiodiffusion Radio France c/ Mme Agnès Casero, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0975DDH).
(21) Ass. Plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Société La Provence c/ Mme Véronique Danve, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), Bull. ass. plén., n° 15.
(22) Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, Société SAMSE c/ M. Christian Breschi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4376DES) et nos obs., A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N4064AB7) ; Dr. soc., 2005, p. 334, obs. B. Gauriau.
(23) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, préc..
(24) Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, préc..
(24) Ass. plén., 21 décembre 2006, préc..
(26) Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-13.791, M. Jean-François Mariotti, FS-P+B (N° Lexbase : A0573EBT) et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 345 du 9 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0099BKU).
(27) Ass. plén., 21 décembre 2006, préc..
(28) Sur cette exigence, notre étude De la rétroactivité des revirements de jurisprudence, D., 2005, chron., p. 988, n° 6.
(29) Notre étude préc..
(30) Notre étude, Plaidoyer en faveur d'une réforme de la responsabilité civile, D., 2003, chron., p. 2247 et s..

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Sociétés

[Jurisprudence] Nullité de la cession de titres d'une société absorbée pour défaut d'objet

Réf. : Cass. com., 26 mai 2009, n° 08-12.691, M. Jean-Paul Appert, FS-P+B (N° Lexbase : A3818EHU)

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N1159BLI

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par Catherine Michelet-Quinquis, avocat, Ernst & Young Société d'Avocats, Spécialiste en droit des sociétés, membre de l'IDABB

Le 07 Octobre 2010

C'est un truisme d'affirmer que la fusion absorption entraîne des transmutations radicales dans la situation juridique des sociétés concernées puisque, par la transmission de l'ensemble des éléments d'actif et de passif de la (ou des) société(s) absorbée(s), elle conduit à la disparition de leur personnalité morale.
Ordinairement conçues comme des conventions de droit commun, les cessions de droits sociaux réalisées dans le cadre d'une opération de fusion absorption, occupent une place singulière en droit des sociétés. Au-delà du contentieux classique de la nullité des cessions de parts sociales fondée sur l'irrégularité ou l'absence d'observation de la décision d'agrément (1) ou celui de la prescription de l'action en nullité (2), la question de la validité des transferts de droits sociaux intervenus dans le cadre d'une opération de fusion absorption est source d'interrogations. C'est dans cette perspective que se révèle tout l'intérêt de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 mai 2009. A l'issue de la fusion absorption, en 1983, d'une société (ci-après dénommée SNP) par une autre société (ci-après dénommée UFIPAR), elle-même absorbée par une troisième société (ci-après dénommée FINAXA - ex Compagnie Financière Drouot), les propriétaires des titres de la société absorbée SNP ont disposé d'un droit d'échange de leurs titres contre ceux de la société absorbante dans les conditions fixées par les traités de fusion successifs. Or, de nombreux actionnaires de la société SNP ne s'étaient pas manifestés. C'est alors que de multiples transferts d'actions de l'absorbée sont intervenus, en 2002, soit presque 20 ans après, au bénéfice d'une seule et même personne. La multiplicité et la concomitance de ces transferts ont suscité la curiosité du mandataire teneur de titres de la société absorbante qui, ayant refusé d'enregistrer les ordres de transfert au profit de l'acquéreur, a déposé plainte au Parquet pour escroquerie, abus de faiblesse et blanchiment aggravé, estimant que le bénéficiaire des cessions se livrait à "des opérations très profitables de rachat d'actions SNP dans des conditions douteuses". Les demandes de transfert de titres ayant cependant continué d'affluer et le bénéficiaire des transferts ayant été mis en examen pour escroquerie et faux en écriture publiques, la société FINAXA, constituée partie civile, a lancé une action en nullité des cessions de titres de SNP.

Sur le fondement des articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8), 1126 (N° Lexbase : L1226ABZ) et 1601 (N° Lexbase : L1686AB3) du Code civil, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond en estimant que les cessions de parts, actions ou droits conférés par les titres d'une société ayant disparu par l'effet de la fusion absorption sont nulles pour défaut d'objet et que la cour d'appel n'avait pas à établir l'existence d'un vice du consentement.

Si cette décision de la Cour de cassation utilise clairement le visa de l'objet pour entériner une décision des juges du fond ayant prononcé la nullité des cessions d'actions d'une société disparue par l'effet de la fusion absorption (I), elle recouvre implicitement les dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7), dont il résulte qu'à la suite d'une opération de fusion, la société bénéficiaire vient aux droits de la société qui disparaît par l'effet de la transmission universelle de son patrimoine et que les associés des sociétés qui disparaissent, acquièrent la qualité d'associé des sociétés bénéficiaires dans les conditions du contrat de fusion (II).

I - La détermination de l'objet des transferts litigieux

L'arrêt ici analysé, répand une lumière pâle sur les difficultés relatives à la validité d'une cession de titres réalisée par la voie d'une fusion absorption, en ce qu'il affirme de façon laconique, sans autre forme de précision, qu'est nulle pour défaut d'objet toute cession de parts, d'actions, ou de droits conférés par ses titres, d'une société ayant disparu par l'effet d'une opération de fusion absorption.

En l'espèce, certains propriétaires des titres de la société absorbée, disposant d'un droit d'échange contre des titres de la société absorbante n'ont pas fait valoir ce droit. Près de 20 ans plus tard, on a constaté la profusion de cessions d'actions réalisées au profit d'une personne physique. Pour faire échec à l'action en nullité intentée à son encontre par la société absorbante, le bénéficiaire des cessions douteuses a fait valoir que les titres de la société absorbée qui n'avaient pas été apportés à l'échange restaient négociables de gré à gré après la disparition en 1998 du marché hors cote où ils s'étaient négociés pendant 15 ans. Cet argument n'a pas prospéré devant la Cour de cassation qui, au-delà de toute forme de tergiversation, affirme le principe selon lequel l'objet de la cession est "les actions" et non les droits d'échange dont prétendaient disposer les propriétaires de titres de la société absorbée, et que les transferts de titres réalisés étaient nuls pour défaut d'objet.

Si le laconisme de la motivation des juges suprêmes n'apporte pas un éclairage suffisamment sur les conditions de recevabilité de l'action en nullité d'une cession des titres réalisée à l'occasion d'une opération de fusion absorption, on conviendra néanmoins que l'application du droit commun des contrats et non du droit des sociétés se justifie pleinement. Cette justification tient au fait que la cession des droits sociaux, au-delà d'un acte de société, est une convention devant respecter les conditions essentielles de l'article 1108 du Code civil et, notamment, l'existence d'un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; si la chose, objet du contrat, vient à disparaître, le contrat est nul (C. civ., art. 1126 et 1601).

Par ailleurs, s'il est vrai que les actions sont des titres négociables, c'est-à-dire transmissibles erga omnes par simple tradition, il n'en reste pas moins que la négociabilité n'implique pas forcément la cessibilité des titres (3). Bien que le bénéficiaire des cessions douteuses ait obtenu des droits auprès des titulaires de certificats nominatifs sur d'anciennes actions de la société absorbée, ces cessions portaient, en réalité, sur des actions de l'absorbante par suite de l'application du rapport d'échange de la fusion. Cela est si vrai que le dispositif de la transmission universelle du patrimoine n'opère pas de distinction selon la nature réelle ou personnelle des droits et obligations contractés par l'absorbée, l'absorbante recueillant ipso facto l'intégralité du patrimoine de celle-ci (4).

Il faut, par ailleurs, remarquer qu'après la fusion, dans le cadre des dispositions relatives à la dématérialisation des titres, l'émetteur disposait de la procédure de mise en vente des titres non réclamés et n'ayant pas fait l'objet d'une inscription en compte (ceux des actionnaires qui ne s'étaient pas manifestés) ; cette procédure portait sur des actions FINAXA et non sur des actions SNP, juridiquement disparues.

Dès lors que les cessions litigieuses portaient sur les actions de la société absorbée, le recours à la théorie des vices du consentement pour en apprécier la validité devenait superfétatoire. Les cessions invoquées des années après réalisation de la fusion étaient frappées de nullité absolue et ce, en dehors de tout vice du consentement. Il n'y avait pas lieu de rechercher l'existence d'une erreur, d'un dol, encore moins d'une violence quelconque ayant présidé à la conclusion des cessions litigieuses.

Rejetant l'argumentation du bénéficiaire des cessions, le point d'ancrage de la décision est l'identification de l'objet de la cession -i. e. les actions SNP- et le moment où sa validité doit être appréciée. Les actions SNP n'existant plus, leur cession ne peut valablement être opérée.

Toutefois, il n'est pas inutile d'invoquer ici également les dispositions du droit des sociétés relatives aux opérations de fusion absorption.

II - La disparition de l'objet de l'obligation par l'effet de la fusion absorption

Conformément aux dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce, la fusion absorption est une opération juridique par laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante ou à une société qu'elles constituent, emportant la dissolution sans liquidation de la société absorbée, la transmission universelle du patrimoine de l'absorbée à l'absorbante, dans l'état où il se trouve à la date de la réalisation définitive de l'opération (5), et l'acquisition, simultanément, par les associés de l'absorbée, de la qualité d'associé de l'absorbante.

L'article L. 236-3 susvisé du Code de commerce contient les deux principes fondamentaux des opérations de fusion :

- la fusion emporte la disparition juridique de la société dissoute ;

- les actions représentant le capital de la société dissoute disparaissent ipso facto, et sont remplacées par l'attribution à due proportion des droits des actionnaires, par des actions de la société absorbante.

On remarque que l'article L. 236-3 du Code de commerce spécifie bien que c'est simultanément à la réalisation définitive de la fusion que les associés de la société absorbée acquièrent la qualité d'associé de la société absorbante.
Or, l'arrêt de la Cour de cassation précise que la nullité pour défaut d'objet, en la cause, s'applique non seulement à la cession des actions mais aussi à "la cession des droits conférés par ces titres".

Il faut entendre par là que le droit de propriété sur les titres de l'absorbée ne peut évidemment pas s'exercer ; cependant, les titulaires des titres disposent, dans les termes des traités de fusion, de droits dans le capital de l'absorbante ; ce droit acquis simultanément à la réalisation de la fusion, est maintenu et il convient, comme l'avait jugé la juridiction du fond, de replacer les cédants dans leurs droits en leur attribuant, en conséquence, des actions de Finaxa (dénommée AXA au jour du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris).
On peut, par ailleurs, noter que, pour l'associé de la société absorbée, titulaire d'actions de la société absorbante selon les termes du rapport d'échange, l'acquisition de la qualité d'associé de l'absorbante est attachée à sa personne elle-même.
On le sait, l'opération de fusion constitue une exception aux dispositions légales et statutaires relatives à l'agrément de nouveaux associés.

Du fait de la transmission universelle du patrimoine de l'absorbée à l'absorbante, celle-ci se trouve en effet automatiquement tenue d'assurer toutes les obligations qui étaient à la charge de l'absorbée, notamment à l'égard des associés de cette dernière.
Or, l'une de ses obligations est de remplir les associés de leurs droits ; la société absorbante pourrait, si l'obligation d'agrément s'imposait, se soustraire par là à l'une de ses obligations fondamentales impliquées par la transmission universelle de patrimoine.

L'admission du raisonnement fondé sur le droit d'échange négociable pourrait, comme l'a fait remarquer un auteur (6), le cas échéant, permettre de contourner, après la réalisation de la fusion, l'agrément qui serait stipulé pour devenir associé de l'absorbante.
Ainsi, la nullité des tentatives de cessions intervenues était également invocable sur la base de l'article L. 236-3 du Code de commerce, mais la Haute juridiction a choisi de ne pas invoquer dans son arrêt l'article susvisé ; pour prendre sa décision, elle a préféré demeurer sur le droit commun civiliste en concluant, à notre connaissance, pour la première fois dans le domaine des fusions, que l'inexistence de la chose, objet de l'obligation, emporte ipso facto la nullité du contrat, indépendamment de tout vice du consentement.

Cette solution doit être approuvée.


(1) I. Urbain-Parléani, La fusion-absorption à l'épreuve des clauses d'agrément, Mélanges Guyon, Dalloz, 2003, p. 1061 ; A. Constantin, L'application des clauses d'agrément en cas de fusion ou de scission : le poids des mots, le choc des principes, Bull. Joly sociétés, 2003, p. 742, § 160 ; M. Menjucq et A. Taste, Mise en oeuvre des clauses d'agrément en cas d'absorption d'un actionnaire, note sous Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-13.484, Société Eurofog, F-D (N° Lexbase : A2561DWR), Bull. Joly sociétés, octobre 2007, n° 10, p. 1075.
(2) Ch. Hannou, Remarques sur la prescription de l'action en nullité en droit des sociétés, Rev. Sociétés, 1991, p. 45.
(3) F. Barrière, Réflexions sur la législation sur la négociation des promesses d'actions, Rev. Sociétés, 2002, p. 653.
(4) S. Prigent, Sort du cautionnement en cas de fusion-absorption, LPA, 5 janvier 2006, n° 4, p. 10 ; A. Couret, Destin d'une garantie en cas de fusion-absorption de la société créancière de la garantie, Bull. Joly sociétés,1er novembre 2007, n° 11, p. 1225 ; B. Saintourens, La transmission du contrat de franchise par fusion-absorption ou par l'effet d'un apport partiel d'actif impose l'accord du franchisé, Bull. Joly sociétés, 1er novembre 2008, n° 11, p. 905.
(5) M.-L. Coquelet, Etendue de l'obligation au passif de la société absorbante, Bull. Joly sociétés, 1er mai 1997, n° 5, p. 448.
(6) Dorothée Gallois-Cochet, professeur agrégée à l'Université de Poitiers, L'Essentiel Droit des Contrats, 1er juillet 2009 n° 7, p. 7.

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Environnement

[Questions à...] Réchauffement climatique : quelle réponse de l'Union européenne et de la communauté internationale sur la question de l'avenir de la planète ? Questions à Maître Marie-Laetitia de La Ville-Baugé, collaboratrice au sein du cabinet Baker & Mc Kenzie

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N1220BLR

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le sommet du G8 s'est ouvert, le 8 juillet 2009, sur le thème du changement climatique. Les Etats se sont engagés à réduire de 80 % leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2050, sans qu'aucune étape intermédiaire ne soit, pour le moment, prévue. Si l'accord consenti à l'Aquila permet d'espérer un consensus international sur cette question fondamentale à intervenir en décembre prochain à Copenhague, l'"après-Kyoto" reste encore incertain, et 2050 est une échéance bien lointaine eu égard à l'urgence de la situation. L'Union européenne voit, de son côté, également, à plus court terme. Par une série de propositions adoptées en décembre 2008, elle s'est fixé des objectifs à atteindre en 2020 :

- une diminution de 20 % des émissions de GES en l'absence d'accord international, et de 30 % dans le cas contraire ;
- une diminution de la consommation d'énergie de 20 % ;
- et une couverture de 20 % de nos besoins énergétiques grâce aux énergies renouvelables.

Leader dans les négociations sur la scène internationale, l'Union se veut un exemple pour les autres Etats. Or, seul un encadrement juridique complet et efficace sur tous les plans (environnemental, mais aussi économique) sera à même d'emporter leur conviction. Pour lutter contre le réchauffement climatique et atteindre les objectifs énoncés ci-dessus, l'Europe a donc mis en place un système d'échange de quotas destiné à réduire les émissions de GES, et a adopté une politique de promotion des énergies renouvelables. Le dispositif nécessitait encore certaines précisions apportées par les Directives (CE) du 23 avril 2009, 2009/28, relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables (N° Lexbase : L3135IET) et 2009/29, modifiant la Directive (CE) 2003/87 (N° Lexbase : L5687DL9) afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (N° Lexbase : L3136IEU). Les textes apportent quelques aménagements aux mécanismes en place, mais ils rappellent, surtout, la nécessité de construire l'"après-Kyoto" et le lobbying de l'Europe pour y parvenir. Lexbase Hebdo - édition publique a souhaité faire le point avec Maître Marie-Laetitia de La Ville-Baugé, collaboratrice au sein du cabinet d'avocats Baker & Mc Kenzie, sur cette réponse communautaire et, plus généralement, sur les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique et sa prise en compte au niveau international.

Lexbase : Quel est, aujourd'hui, le degré de prise en compte des problématiques liées au réchauffement climatique de la planète par l'Union européenne et la Communauté internationale ?

Marie-Laetitia de La Ville-Baugé : La prise en compte des enjeux liés au réchauffement climatique a été progressive, mais elle s'est accélérée ces dernières années. Les Etats sont, aujourd'hui, conscients qu'ils se trouvent "au pied du mur". Au plan international, trois accords majeurs ont été conclus, mettant à la charge des pays développés certaines obligations. Ces accords, qui expirent en 2012, sont :

- la Convention cadre des Nations-Unies contre le réchauffement climatique, entrée en vigueur le 14 juin 1994 ; son objectif est de stabiliser les concentrations de GES dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation d'origine humaine du système climatique, mais elle n'édicte aucune obligation contraignante pour les Etats signataires ;
- la Convention sur la diversité biologique, entrée en vigueur le 29 décembre 1993, qui reconnaît que la conservation de la diversité est "une préoccupation commune à l'humanité" et qu'elle fait partie du processus de développement ;
- et le protocole de Kyoto, adopté lors de la troisième conférence des Nations-unies sur les changements climatiques le 11 décembre 1997, ratifié par 141 pays et entré en vigueur le 16 février 2005.

Ce dernier accord, contraignant, quantifie l'engagement de principe pris en 1992 par les pays développés de réduire leurs émissions de GES. Il met, également, en place des mécanismes dit "de flexibilité" (marché de permis, mise en oeuvre conjointe et mécanisme de développement propre, dits "projets de Kyoto" concernant les pays en voie de développement). Il engage 38 pays industrialisés à réduire les émissions de 5,2 % en moyenne d'ici 2012, par rapport au niveau de 1990, année de référence (8 % pour l'Union européenne).

Seule une action concertée de tous les pays permettrait d'enrayer le phénomène, mais le refus des Etats-Unis et de l'Australie de ratifier le protocole compromettait les chances d'y parvenir (les émissions américaines représentant plus de 20 % des émissions mondiales), d'autant que les pays en voie de développement ne sont pas soit parties, soit liés par les principales obligations. Les Etats-Unis avançaient l'absence d'adhésion de ces derniers pour justifier leur refus, faisant de la question de l'association de ces pays aux efforts de réductions des émissions l'un des enjeux majeurs de "l'après-Kyoto". C'était oublier les raisons qui fondent cette absence : les pays en voie de développement ne se sentent pas responsables des conséquences actuelles du réchauffement climatique, dû en grande majorité au monde industrialisé. Le 8 juillet 2008, George Bush a engagé les Etats-Unis à réduire de moitié des émissions des émissions de GES d'ici à 2050, dans le cadre d'une réunion du G8. Plus récemment, Barack Obama a confirmé l'engagement des Etats-Unis dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Sur la question des pays en voie de développement, le protocole de Kyoto prévoit, déjà, un mécanisme de "développement propre", qui permet aux investisseurs des pays développés, en contrepartie d'un investissement "propre" dans un pays en développement, de gagner des "crédits carbone". Ce mécanisme permet à ces investisseurs de diminuer le coût de leur engagement en réalisant des investissements à moindre coût dans les pays en développement et aux pays en développement de bénéficier d'investissements "propres". Il encourage, qui plus est, les transferts de technologie.

Dès l'origine des négociations, l'Union européenne s'est posée en acteur essentiel dans les débats et son système de réduction des émissions de GES a inspiré le mécanisme mis en place au niveau international. Elle prépare l'"après-2012" et espère la conclusion d'un nouvel accord international poursuivant ces efforts. Dans ce cadre, elle milite pour un engagement des Etats de réduire leurs émissions de GES de 30 % pour 2020, et d'au moins la moitié en 2050. Elle envisage, toutefois, la possibilité d'absence de consensus et revoit, dans ce cas, les objectifs qu'elle s'est fixé à la baisse, pour les ramener de 30 à 20 % en 2020. Pour l'heure, les annonces formulées dans le cadre du G8, tenu en juillet dernier, portent sur un engagement des Etats à réduire leurs émissions de GES de 80 % en 2050, mais aucune étape intermédiaire n'est envisagée pour le moment.

La réduction des émissions de GES implique une meilleure consommation de l'énergie. L'Europe a donc, également, adopté une politique de promotion de l'énergie, en particulier, concernant le recours aux énergies renouvelables.

Lexbase : Quelle législation a été mise en place par l'Union européenne pour atteindre ses différents objectifs de réduction des émissions de GES ?

Marie-Laetitia de La Ville-Baugé : L'Europe a mis en place, via la Directive (CE) 2003/87 du 13 octobre 2003, un système d'échange de quotas des émissions de GES au sein de l'Union européenne, pour lui permettre, notamment, de respecter les engagements qu'elle a pris dans le cadre du protocole de Kyoto (réduction de 8 % de ses émissions de GES d'ici 2012). Ce système s'applique, à compter du 1er janvier 2005, à tous les Etats membres de l'Union, ainsi qu'à la Norvège, à l'Islande et au Liechtenstein, et concerne les installations ayant des activités dans le secteur de l'énergie, la production et la transformation de métaux ferreux, l'industrie minérale et la fabrication de papier et de carton (correspondant aux installations listées à l'annexe I de la Directive). Les Etats membres peuvent choisir de l'appliquer aux installations listées à l'annexe I, qui n'atteignent pas les niveaux d'émissions fixés par le texte, voire à d'autres installations, activités et GES.

Le "quota" est le droit d'émettre une tonne de dioxyde de carbone ou de tout autre GES équivalent au cours d'une période spécifiée (d'abord trois ans, puis cinq à compter du 1er janvier 2008). L'Union s'est vue attribuer une enveloppe globale de quotas au titre du protocole, qu'elle a réparti entre les Etats, à charge pour eux de les attribuer annuellement, à leur tour, aux exploitants des installations situées sur leur territoire. Ceux-ci doivent les restituer lors des quatre premiers mois de l'année suivant celle de l'attribution. Un système à plusieurs niveaux de responsabilité (national, communautaire et international) est, ainsi, institué. Les attributions s'effectuent en conformité avec le plan national élaboré par l'Etat et sur lequel la Commission dispose d'un droit de regard. L'autorisation d'émettre des GES est délivrée aux exploitants par l'autorité compétente de l'Etat, s'il s'avère que ceux-ci sont en mesure de surveiller et de déclarer les émissions. La Directive prévoit une allocation à titre gratuit à hauteur de 95 % des quotas pour la première période triennale, et à hauteur de 90 % pour la période suivante. Il appartient, en outre, aux Etats membres d'assurer la libre circulation des quotas et de veiller à leur bonne restitution aux périodes prévues. En cas de non-restitution des quotas en temps et en heure, l'exploitant devra payer une amende sur les émissions excédentaires, qui s'élève à 60 euros par tonne d'équivalent-dioxyde de carbone pendant les trois premières années, et à 100 euros par la suite. Enfin, la Directive (CE) 2003/87 articule son système d'échange de quotas avec la mise en oeuvre conjointe (MOC) et le mécanisme de développement propre (MDP) prévus au protocole de Kyoto. Le texte reconnaît la validité des crédits résultants des projets de MOC et de MDP au même titre que les quotas : les unités de réductions des émissions (URE) dans le cadre de la MOC, et les réductions d'émissions certifiées (REC) dans le cadre des MDP.

Lexbase : En quoi consiste la politique de promotion de l'Union européenne en matière d'énergie ?

Marie-Laetitia de La Ville-Baugé : Le paquet "énergie-climat" pose une réglementation communautaire quant à la réduction des GES, mais édicte, également, une politique de promotion des énergies renouvelables. L'Union s'est, ainsi, fixée pour objectif :

- une réduction de 20 %, d'ici à 2020, de la consommation énergétique estimée ;
- une augmentation de 20 %, d'ici à 2020, de la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale ;
- de porter à au moins 10 %, d'ici à 2020, la part des biocarburants dans la consommation totale d'essence et de diesel, à condition que des biocarburants durables et de deuxième génération soient disponibles sur le marché ;
- de réaliser un marché intérieur de l'énergie apportant des bénéfices concrets aux particuliers et aux entreprises ;
- et d'intensifier la coopération internationale.

La Directive (CE) 2001/77 du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité (N° Lexbase : L4711GUZ), régit ces questions et prévoit, également, des mesures spécifiques concernant l'évaluation de l'origine de l'électricité, le raccordement au réseau et les procédures administratives. Le texte s'applique aux énergies renouvelables, la difficulté ayant été de les définir ou, tout du moins, de les lister. Il s'agit de l'électricité produite à partir des sources d'énergies non fossibles renouvelables (énergie éolienne, solaire, géothermique, houlomotrice, marémotrice, hydroélectrique, biomasse, gaz de décharge, gaz des stations d'épuration d'eaux usées et biogaz). Le dispositif mis en place s'inscrit dans le cadre des engagements pris par l'Europe et les Etats membres au titre du protocole de Kyoto. Mais, outre les préoccupations environnementales, il est, également, une réponse aux problèmes de sécurité et de diversification de l'approvisionnement en énergie.

L'Union envisage déjà l'après-2020. Elle espère qu'en 2050, plus de la moitié de l'énergie qu'elle consommera sera tirée de sources ne produisant pas de dioxyde de carbone.

Lexbase : Comment l'Union européenne envisage-t-elle les enjeux économiques de la question du réchauffement climatique ?

Marie-Laetitia de La Ville-Baugé : L'Union européenne appréhende pleinement les enjeux du réchauffement climatique sous ses aspects environnementaux et sociaux, mais, bien évidemment, également, sous ses aspects économiques. Elle crée un marché de l'énergie renouvelable et des échanges de quotas de GES, porteur d'emplois et de croissance, sur lequel elle table beaucoup, compte tenu, notamment, de ses potentialités en la matière.

Le système de mise aux enchères des quotas reflète cette approche économique : les exploitants des installations, s'ils ne sont pas capables de restituer le nombre de quotas qui leur ont été alloués, ont la possibilité d'acheter à d'autres exploitants les quotas non-utilisés ou les crédits carbone acquis dans le cadre de projets dans les pays en voie de développement, ce qui évite d'avoir à régler une forte amende en cas de non-restitution. L'Union réduit, également, progressivement la part des quotas attribués gratuitement aux exploitants : de 95 % pour la première période de 3 ans, elle est passée à 90 % pour la période suivante, renforçant l'idée d'un marché des quotas. Enfin, ces marchés sont soumis à l'ensemble de la réglementation de la Communauté européenne. L'énergie et les quotas doivent, ainsi, pouvoir circuler librement entre les différents Etats membres.

Lexbase : Que sont venues préciser les deux Directives du 23 avril 2009 ?

Marie-Laetitia de La Ville-Baugé : Les Directives du 23 avril 2009 ont vocation à aménager et à préciser un certain nombre de dispositions des régimes mis en place en matière de réduction des GES et de promotion des énergies renouvelables. Mais, elles sont surtout l'occasion, pour l'Union européenne, de rappeler les enjeux liés au changement climatique et ses engagements pour lutter contre ce phénomène. Ces textes s'inscrivent dans le lobbying de l'Europe sur la scène internationale. Edictées peu avant le sommet international du G8 au cours duquel le climat a été l'un des principaux sujets débattus, et quelques mois avant la rencontre de Copenhague (qui se tiendra en décembre 2009), dont l'ordre du jour portera sur la conclusion d'un accord organisant l'"après-Kyoto", les Directives sont imprégnées de ce contexte international. Elles rappellent les impératifs de la survenance d'un consensus international, mais envisagent l'éventualité d'un échec et la politique qui sera celle de l'Union en pareil cas.

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Rel. collectives de travail

[Questions à...] Représentativité syndicale : quand la Cour de cassation se prononce... Questions à Maître Philippe Clément, avocat associé du cabinet Fromont-Briens & Associés

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N1153BLB

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Haute juridiction a rendu, le 8 juillet 2009, les premières décisions concernant certaines difficultés d'interprétation nées de l'application de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale, relatives aux conditions d'implantation d'un syndicat dans l'entreprise (1). Si la procédure est pour le moins rapide, puisque ces décisions interviennent moins d'un an après la promulgation de la loi, c'est que l'enjeu est de taille. Certes, le contentieux des élections professionnelles en entreprise et des désignations des délégués syndicaux ressort de la compétence des tribunaux d'instance, dont les délais sont classiquement courts. Cependant, le prétexte procédural ne saurait à lui seul expliquer une telle célérité, pour le moins inhabituelle. Rappelons, quand même, que la loi du 20 août a quelque peu bouleversé le système représentatif français. C'est donc logiquement que la Cour de cassation répond, ici, aux questions laissées en suspens par le nouveau texte, questions afférentes tant à la période transitoire, qu'à la constitution de la section syndicale, au respect des valeurs républicaines, aux conditions de désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou, encore, au principe de spécialité des syndicats et ce, dans un souci certain de clarté pour les entreprises. Pour faire le point sur les solutions ainsi apportées par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Philippe Clément, avocat associé du cabinet Fromont-Briens & Associés. Lexbase : Peut-être pourrions-nous commencer par faire un petit rappel des changements induits par la loi du 20 août portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail concernant la représentativité syndicale ?

Philippe Clément : La loi du 20 août 2008 remet en cause la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficiaient cinq grandes organisations syndicales.

Cette loi modifie profondément les règles de représentativité des syndicats. Depuis cette loi, elle est, en effet, définie d'après les critères cumulatifs suivants (C. trav., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L3727IBN) :

- le respect des valeurs républicaines ;
- l'indépendance ;
- la transparence financière ;
- l'ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique ;
- l'audience établie selon les niveaux de négociation ;
- l'influence prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ;
- et les effectifs d'adhérents et les cotisations.

La mesure de l'audience syndicale dans l'entreprise ou l'établissement se réalise lors des élections du comité d'entreprise. Dans ce cadre, seront représentatives les organisations syndicales qui, tout en satisfaisant aux critères évoqués ci-dessus, auront recueillis au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise. L'atteinte de ce seuil constitue donc un enjeu particulièrement important, sachant que cela déterminera la représentativité syndicale dans l'entreprise pour quatre ans.
Ces résultats électoraux seront d'autant plus importants que la loi modifie les conditions de validité des accords d'entreprise, en retenant que ces derniers doivent, désormais, être signés par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueillies au moins 30 % des suffrages exprimés.

La représentativité étant aujourd'hui conditionnée par l'atteinte du seuil de 10 % lors des élections au comité d'entreprise, la loi dote les organisations syndicales de moyens leur permettant de s'implanter dans l'entreprise et d'apporter la preuve de la représentativité, notamment :

- création du représentant de la section syndicale au profit des syndicats qui ne sont pas encore représentatifs ;
- assouplissement des conditions nécessaires pour créer une section syndicale dans l'entreprise ou l'établissement ;
- assouplissement des conditions pour négocier le protocole d'accord collectif préélectoral et présenter les listes des candidats au premier tour des élections.

En termes de représentativité, et afin de renforcer la légitimité des syndicats représentatifs, la loi du 20 août 2008 impose que le délégué syndical soit choisi parmi les candidats aux élections professionnelles ayant obtenus au moins 10 % des suffrages exprimés et réserve aux seules organisations syndicales ayant des élus au comité d'entreprise la possibilité de désigner un représentant syndical audit comité.

Lexbase : Quelles sont les principales difficultés d'interprétation nées de la loi nouvelle ?

Philippe Clément : S'agissant, à mon sens, de l'une des plus importantes réforme en droit du travail ayant vu le jour ces dernières années, les difficultés d'interprétation sont, par nature, nombreuses, avec des enjeux particulièrement importants.
En outre, cette loi nécessitant des dispositions spécifiques permettant de faire face à une période transitoire, cela complexifie encore plus son application.

Les difficultés d'interprétation se rencontrent à chaque stade du processus aboutissant à la reconnaissance de la représentativité syndicale soit successivement :

- la désignation du représentant de la section syndicale ;
- la participation à la négociation du protocole préélectoral ;
- la possibilité de présenter des listes de candidats au premier tour des élections ;
- la constitution d'une section syndicale ;
- la désignation d'un délégué syndical pendant la période transitoire et après le processus électoral ;
- et l'appréciation des critères cumulatifs de la représentativité autres que celui de l'audience résultant du processus électoral.

Enfin, la loi a induit de nouvelles pratiques syndicales et impose à certaines organisations syndicales de nouvelles stratégies qui, par nature, n'avaient pas été anticipées par le législateur (désaffiliation, modification des statuts, fusions...).
A ce titre, le respect de la condition d'une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique est la source de très nombreux contentieux.

Lexbase : En quoi la Cour de cassation, par ces quatre arrêts rendus le 8 juillet 2009, a apporté des précisions utiles sur l'application de la loi du 20 août 2008 ?

Philippe Clément : Il convient, en tout premier lieu, de relever l'importance de la rapidité de la procédure. En effet, la Cour de cassation apporte des éclairages moins d'un an après la publication de la loi. Cette rapidité est aujourd'hui essentielle au regard des enjeux liés à cette loi, non seulement en terme de représentativité, mais, également, en terme de négociation collective.

Il nous apparaît fondamental que la Cour de cassation puisse poursuivre sur cette voie de la rapidité afin d'éviter la paralysie de certains processus électoraux de la mesure de la représentativité et, enfin, le blocage des négociations collectives.

Les précisions apportées par la Cour de cassation par ces quatre arrêts rendus le 8 juillet 2009 sont, par nature, utiles face à l'impératif de sécurité juridique au regard du silence ou de l'imprécision de la loi du 20 août 2008 :

- ainsi, il apparaît (ce qui pouvait être débattu) que, pendant la période transitoire, la présomption de représentativité dont bénéficiait jusqu'alors les cinq organisations syndicales ne souffre pas de preuve contraire (2) ;

- de même, pendant la période transitoire, allant de l'entrée en vigueur de la loi à la date des premières élections organisées dans l'entreprise, la désignation d'un délégué syndical est soumise aux nouvelles conditions légales concernant la constitution d'une section syndicale et la preuve de la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise (3) ;

- la Cour de cassation tranche, également, une difficulté particulièrement fréquente dans les contentieux pendants devant les tribunaux d'instance, à savoir la preuve de l'existence de plusieurs adhérents au sein de l'entreprise. Sur le fondement de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR) et de l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), la Cour de cassation considère que l'adhésion d'un salarié à un syndicat relève de sa vie personnelle et ne peut être divulguée sans son accord (4). Sur cette base, la Cour de cassation considère, en cas de contestation sur l'existence d'une section syndicale, que le syndicat doit apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d'adhérents dans l'entreprise dans le respect du contradictoire à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification des adhérents du syndicat, dont seul le juge peut prendre connaissance. La Cour de cassation abandonne son ancienne jurisprudence basée sur la notion de risque de représailles qui, par nature, était complexe et sujette, elle-même, à de nombreuses interprétations. Par cette solution, la Cour de cassation confie au juge, et à lui seul, la vérification de la condition d'existence d'adhérents.

Dans le cadre du débat contradictoire, il nous apparaît que le syndicat devra communiquer toute les pièces nécessaires à mettre en évidence la réalité de ces adhésions et, notamment, le paiement effectif des cotisations, le juge devant, quant à lui, s'assurer, sur la base de l'identification de ces adhérents, que ces derniers sont bien salariés de l'entreprise ou de l'établissement ;

- sur ce thème, la Cour de cassation considère, également, que le terme "plusieurs adhérents" s'analyse comme rendant nécessaire l'existence, pour le moins, de deux adhérents (5) ;

- la Cour de cassation s'est aussi prononcée sur le fait que c'est l'employeur qui a la charge de la preuve pour établir en quoi un syndicat ne respectait pas les valeurs républicaines. Nul doute que la Cour de cassation aura l'occasion de préciser dans l'avenir les contours de cette notion (6) ;

- la Cour de cassation est, par ailleurs, venue préciser que, dans les entreprises de plus de 300 salariés, un syndicat peut désigner un représentant syndical au comité d'entreprise quand bien même ce syndicat ne serait pas représentatif dans ladite entreprise, la seule condition édictée par le texte étant de disposer d'élus au sein dudit comité (7) ;

- enfin, la Cour de cassation soutient que, si les syndicats ne peuvent exercer leurs prérogatives que dans les entreprises dans lesquelles leur statut leur donne vocation à s'implanter, ce principe de spécialité n'impose pas au syndicat de rapporter la preuve de sa présence effective dans tous les sites composant l'établissement ou entreprise dans lequel il souhaite s'implanter (8).

Lexbase : Les solutions apportées sont-elles vraiment opportunes ?

Philippe Clément : A mon sens, ces solutions sont précises, pertinentes et ne génèrent pas d'autres types de contentieux.

Lexbase : D'autres questions restent en suspens. Peut-on espérer de nouvelles décisions dans les mois à venir ?

Philippe Clément : On doit espérer que la Cour de cassation apporte de nouvelles précisions dans les meilleurs délais. La sécurisation des processus électoraux, la mesure de la représentativité, l'efficacité des négociations collectives dans les prochains mois dépendent de ces précisions rapides.

Sans être exhaustifs, les thèmes suivants seront certainement abordés :

- pendant la période transitoire, la présomption de représentativité s'applique-t-elle exclusivement aux cinq centrales syndicales ou à toutes organisations syndicales reconnues représentatives à la date de publication de la loi ? ;

- quel sera l'importance des autres critères de représentativité au-delà de l'audience établie lors du processus électoral ? ;

- quel est l'impact de la modification des statuts d'une organisation syndicale, notamment quant à son champ d'application géographique et professionnel, voire quant à une nouvelle affiliation au regard du respect de la condition d'existence de deux ans ? ;

- cette condition doit-elle s'apprécier dans le champ géographique ou professionnel ? ;

- les unions de syndicat n'ayant pas d'adhérant personne physique dans l'entreprise peuvent-elles désignées un représentant de section syndicale ? ;

- etc..

Seules des réponses rapides permettront de limiter l'inflation des contentieux issus de l'application de la loi du 20 août 2008.


(1) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) et les obs. de S. Tournaux, La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1145BLY) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ) et les obs. de Ch. Radé, Le représentant de la section syndicale doit être mis en place au même niveau que les représentants élus du personnel, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1131BLH) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) et les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux c/ M. Christian Picoche et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) et les obs. de G. Auzero, Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR).
(2) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, préc..
(3) Ibid..
(4) Ibid..
(5) Ibid..
(6) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, préc..
(7) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, préc..
(8) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, préc..

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